Anne Fulda reçoit Minh Tran Huy pour son livre «Ma grand-mère et le Pays de la poésie» dans #HDLivres
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00:00Bienvenue, bienvenue à l'Heure des Livres, Mintra Nui. On est ravis de vous recevoir.
00:05On aime bien vos livres. Vous venez d'en publier un nouveau qui s'appelle
00:09Ma grand-mère et le pays de la poésie, un livre qui est paru chez Flammarion.
00:13C'est une manière de revenir sur vos racines vietnamiennes à travers ce personnage
00:18de cette grand-mère tout à fait exceptionnelle qui s'est beaucoup occupée de vous.
00:24C'est une histoire de transmission, une histoire de connaissance, une histoire d'amour surtout.
00:29Cette grand-mère a le visage de l'enfance, elle sent bon le Chanel n°5,
00:34elle se met du lait d'amande douce sur le visage.
00:36Une vieille dame aux mains blanches, aux cheveux lisses et aux yeux sombres, écrivez-vous.
00:40Elle est arrivée en France en 1976 mais finalement vous vous êtes rendue compte
00:45lorsqu'elle est disparue que vous la connaissiez peu en dehors de confidences
00:48que vous avez faites un jour de sieste. C'est pour cela, pour mieux la connaître
00:51que vous avez écrit ce livre ?
00:53En tout cas c'est pour mettre en ordre les fragments de connaissances que j'avais à son propos
00:58parce que ma grand-mère pendant très longtemps pour moi, elle s'est limitée,
01:03je l'ai limitée en temps cette immense, à un rôle nourricier parce que c'est elle qui m'a élevée.
01:08C'est elle qui m'a appris mes premiers mots et moi je ne parlais que vietnamien
01:11avant d'arriver à l'école en France.
01:14Elle avait recréé une bulle un peu de Vietnam, celle qui cousait mes vêtements,
01:19celle qui me faisait à manger donc je mangeais aussi vietnamien.
01:22Quand on est petit, on pense que les gens autour de vous ont toujours été ce qu'ils sont,
01:27qu'ils ont choisi leur vie par ailleurs, c'est encore autre chose,
01:30mais que votre père et votre père, votre mère et votre mère, votre grand-mère et votre grand-mère,
01:34ils n'ont forcément pas eu de vie avant.
01:36Mais parfois en fait on se rend compte que s'ils ont eu une vie,
01:39et je pense que j'ai voulu écrire un peu le roman de ma grand-mère,
01:43un roman qu'elle n'aurait jamais eu l'idée de dérouler ou de compter
01:48parce qu'elle fait partie d'une génération, en France aussi on a la même chose, de Teseu.
01:52On ne raconte pas les drames, on ne raconte pas les tragédies, on ne raconte pas qui on est.
01:56Oui, donc un roman qui permet à travers son destin de mieux vous connaître,
01:59d'aller vers vos racines.
02:01Vous mettez, ce n'est pas un hasard, en ouverture une citation de Georges Pérec,
02:05« L'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie ».
02:09Est-ce qu'effectivement ce livre vous a permis de mieux vous connaître ?
02:15Je pense qu'en fait tous mes livres ont été un moyen pour moi, bien sûr,
02:21de faire de l'art dans le sens où je suis très intéressée,
02:25très attachée à la beauté de la langue, à de la structure,
02:29à ordonner les événements ou les faits que je raconte de façon à créer de la beauté.
02:35Mais ils ont aussi eu cette fonction, à savoir permettre de mieux comprendre,
02:40de mieux lire le monde et de mieux lire qui je suis, de mieux m'y situer.
02:45Et je pense que depuis mon premier roman, « La princesse et le pêcheur »,
02:48où il y a déjà un personnage de grand-mère, jusqu'à ce texte-là,
02:52il y a une façon de mieux comprendre quelle est ma place en ce monde et qui je suis,
02:58sachant que pour moi l'écriture elle naît souvent d'un sentiment d'étrangeté
03:03ou le sentiment d'une identité brouillée.
03:06C'est précisément parce qu'on se sent en décalage avec ceux qui nous entourent,
03:09ça peut être sa famille, ça peut être sa classe sociale,
03:12ça peut être sa classe au collège ou au lycée, ça peut être ses parents,
03:16que naît le besoin de se réconcilier ou de mieux comprendre.
03:20Et à ce moment-là, souvent on utilise les livres,
03:23on se met à lire et ensuite on se met à écrire.
03:26Alors on apprend à travers le livre, les pages,
03:31que sa vie avant d'arriver en France a été parsemée de drames.
03:35Il y a d'abord eu malgré tout une histoire d'amour avec son mari,
03:40votre grand-père que vous n'avez pas connu.
03:42Elle raconte ce mariage et puis les rites d'alors,
03:45comme les dents laquées en noir,
03:47qui est quelque chose d'assez étonnant, dont elle garde les traces.
03:49Il y a des traces noires, elle s'en fait enlever le noir,
03:51mais il y a des traces sur les gens aussi.
03:53Oui, il fallait avoir un sourire laqué.
03:55C'est ça, le sourire laqué.
03:56Et les paysannes, si elles n'avaient pas les dents noires luisantes,
04:00étaient considérées comme des canons de beauté qui perdaient.
04:08Qui n'étaient pas dans les normes.
04:10Elle a vécu des drames, parce qu'elle a perdu ce mari,
04:13elle a perdu son père, elle a eu deux enfants, dont votre père,
04:17et une fille aussi qui est morte.
04:21Elle a perdu sa maison.
04:23Vous découvrez, vous racontez un paysage dévasté,
04:28avant d'arriver en France.
04:30En fait, je pense que mon esthétique,
04:34et l'esthétique de ce texte en particulier,
04:36c'est celle que les Japonais l'appellent le kitsungi.
04:39C'est-à-dire que plutôt que de cacher ses blessures,
04:42et de faire en sorte de les dissimuler,
04:46on va les passer à l'or.
04:49Dans le cas du kitsungi, c'est quand vous avez brisé un vase ou une tasse,
04:53plutôt que de la reconstituer avec un vernis invisible,
04:56mais souvent toxique,
04:58vous allez mélanger de la sève et de l'or 24 carats,
05:01et on va éliminer les failles.
05:03Je pense qu'il y a quelque chose dans cet ordre, dans ce livre-là,
05:06c'est que de toutes les failles, de toutes les blessures,
05:08de toutes les douleurs qu'a vécues ma grand-mère,
05:10elle est sortie, en fait, je ne dirais pas intacte,
05:13ce serait totalement faux,
05:15mais je n'ai pu qu'admirer la force qu'elle avait pu conserver,
05:22et qu'elle a exprimée, non pas, je ne sais pas,
05:25en combattant dans un maki,
05:27mais en nous entourant d'amour,
05:29et en prenant soin de ceux auxquels elle tenait.
05:32Aujourd'hui, on magnifie plutôt l'exploit individuel,
05:36on cherche des héros.
05:38Moi, j'ai voulu m'intéresser à quelqu'un
05:41qui, justement, ne s'est jamais pensé comme une héroïne,
05:44alors qu'on en était une.
05:46En tout cas, je vous conseille vraiment de lire,
05:49c'est un très beau livre, très sensible,
05:51très joliment écrit,
05:53ça s'appelle Ma grand-mère et le pays de la poésie,
05:55c'est paru chez Flammarion.
05:56Merci beaucoup, Mine Tranouille.
05:58Merci à vous.