Le philosophe et écrivain Roger-Pol Droit, également normalien et agrégé, a publié “Alice au pays des idées” (Albin Michel), fin janvier 2025. Sur France Inter, ce dimanche, il explique que "son" Alice est "une héroïne de notre temps", qui a "les pieds dans l'actualité" et est "anxieuse".
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Le grand entretien ce matin avec Marion Lourdes, nous recevons un philosophe, écrivain, il a été
00:05chercheur au CNRS, il collabore au journal Le Monde, auteur de nombreux livres, il suit de très
00:11près l'actualité de la vie philosophique et il publie un roman formidable, Alice au pays des idées,
00:18un roman initiatique, un conte philosophique pour découvrir à la fois l'histoire des grandes idées,
00:24des concepts, les penseurs qui ont compté également en Occident et ailleurs et essayez, c'est peut-être
00:31le plus difficile de trouver un sens à sa vie. Vos questions, chers auditeurs-philosophes au
00:370145 24 7000 ou sur l'application Radio France. Bonjour Roger Pauldroit. Bonjour. Et bienvenue Alice
00:44au pays des idées, c'est publié chez Albin Michel, c'est un voyage dans le temps, c'est un voyage dans
00:50les pensées du monde, dans peut-être quelque chose comme le ciel des idées. D'abord un mot sur le
00:57titre et la démarche, pourquoi vous êtes inspiré de l'Alice au pays des merveilles de Léwis Carroll
01:02et pourquoi est-ce que le pays des merveilles est devenu le pays des idées ? Et bien parce que je
01:06voulais essayer de faire une histoire amusante, pas du tout enfantine mais lisible par tous,
01:14d'ailleurs l'Alice au pays des idées, au pays des merveilles de Léwis Carroll n'était pas
01:19d'abord un livre pour enfants, il en a fait ensuite une version pour enfants. Et mon Alice à moi, si
01:25j'ose dire, elle s'appelle comme ça parce que sa mère dans l'histoire était une fan de Léwis
01:30Carroll, lui lisait les histoires de Alice au pays des merveilles le soir, etc. Et donc le lapin, le
01:36terrier, toutes ces histoires un peu magiques et de changement de monde, elle connaît. Mais elle,
01:42c'est une jeune fille d'aujourd'hui. De notre temps, c'est une jeune fille, c'est une héroïne de
01:48notre temps. Elle est les pieds dans l'actualité. Et elle est anxieuse. Oui, terriblement. Vous parliez
01:54d'Apocalypse à l'instant dans un sujet précédent. Oui, dans le reportage de Julien Baldacchino. Voilà, et bien elle a peur de la fin du
02:01monde. Elle a surtout l'idée, que nous partageons presque tous, qu'il y a une anxiété, qu'il y a
02:08une peur de notre avenir climatique mais aussi du maintien de la biodiversité, de la suite de
02:13l'humanité. Et elle se demande comment vivre dans ce monde tellement inquiétant. Et elle a l'idée
02:21fixe, si je puis dire, presque l'obsession de trouver la phrase. La phrase qui pourrait la
02:28guider, qu'elle se ferait graver sur son avant-bras. Qu'elle ferait tatouer, oui. Tatouer, voilà, et qui lui sert
02:33finalement de boussole, de guide. Quelque chose qui lui montrerait le nord dans
02:40cette sorte de paysage brumeux, confus et tout ça. Et un matin où elle s'ennuie un peu, où elle se
02:48souvient de son enfance, elle va au bout du jardin, comme quand elle était petite. Elle regarde sous
02:53la haie, où elle jouait enfant à chercher le terrier, qui évidemment n'y était pas. Et là, surprise, il y a
02:59vraiment un terrier. Et un grand. Et elle tombe. Et elle tombe, comme l'Alice de Carole, mais aujourd'hui, non
03:05pas dans le pays des merveilles, mais dans celui des idées. C'est quoi le pays des idées ? C'est quoi le
03:09pays des idées, justement, Roger Paul Droit ? Eh bien, c'est un pays imaginaire, certes, mais aussi très réel,
03:15où coexistent tous les penseurs, les sages, les philosophes de tous les temps. 25 figures majeures de la
03:23pensée humaine. Et ça passe de l'Inde à la Grèce, à l'Occident, plus au nord. On va aussi également en Chine.
03:31C'est vrai que c'est un monde, tout un monde. 25 figures de la pensée, 25 rencontres et autant
03:37d'expériences intellectuelles et affectives. Voilà, parce qu'elle ne cherche pas seulement sa phrase, elle
03:43cherche aussi, effectivement, à découvrir le monde des idées. Et ce qu'elle découvre de plus important, je
03:48crois, et qu'il me semble que chacun doit faire cette découverte, c'est que les idées que nous avons, c'est
03:54ça qui guide notre existence. La manière dont vous vivez, dont vous percevez le monde, dont vous
04:00vous reliez aux autres, ça dépend de ce que vous avez dans la tête. Et du coup, si on commence à
04:06regarder un peu ce qu'on a dans la tête, comment ça marche, de quoi c'est fait, d'où ça vient, comment ça
04:11peut se critiquer, il se pourrait bien qu'on arrive à changer son rapport au monde, à l'existence, à
04:16l'avenir. Et c'est cette tâche-là, pour moi, qui est celle de la philosophie. Vous savez, faire une sorte
04:23d'herbier ou de l'histoire des idées où on colle des papillons. On s'en fout. Voilà, on s'en fout. Et dans
04:30le fond, je sais que vous êtes agrégé de philo. Libadou, c'est public. Bon, j'écris pas pour vous,
04:37si je puis dire. Et pourtant, j'ai pris du plaisir à le lire. Voilà, mais attendez. Mais je veux dire, j'écris
04:43pas pour mes pères ou pour les experts en philo, ni pour ceux qui savent déjà tout ça. J'ai voulu
04:51écrire pour les jeunes d'aujourd'hui, mais aussi tous les adultes, tout le monde, qui ou bien
04:56s'imagine que la philosophie, c'est un truc chiant, qu'il n'y a rien à voir là-dedans, que c'est du passé,
05:02et qui ne voit pas le rapport avec la vie, avec l'existence, avec la conduite de nos actes, que
05:09ce soit la morale, la politique, la finance, tout ça a un rapport aux idées. Et dans son grand voyage
05:15de l'Europe en Asie et à travers les siècles, en compagnie de quelques personnages loufoques,
05:22on a deux souris, une folle et une sage, et la fée, qui s'appelle la fée Objection, c'est joli.
05:30La fée Objection, oui, alors, c'est une grosse dame, parce qu'une objection, elle doit être forte.
05:35C'est important, voilà, parce que c'est ça qui fait progresser les idées, c'est ce que vous dites. Il y a eu d'autres romans philosophiques,
05:41il y a eu par exemple, on s'en souvient, Le Monde de Sophie, c'était en 1991. Vous-même, vous avez aussi écrit
05:47d'autres livres d'initiation philosophique. C'est indispensable d'être guidé comme ça, d'avoir cette porte-là
05:54pour accéder aux grands textes ? Il vaut mieux pas y aller tout seul ? Il vaut mieux avoir quelqu'un qui nous raconte
05:59comment prendre le thé avec Marx, se promener avec Nietzsche, discuter avec Freud ?
06:03Les deux, les deux. C'est-à-dire que bien évidemment, rien, jamais, ne remplacera la fréquentation des textes.
06:10Direct.
06:10Oui, mais quand j'étais prof de terminale, ce que j'ai fait dans une vie antérieure, quelques années, la première chose que je disais
06:18à mes élèves, c'était il faut lire les textes, il ne faut pas lire les manuels, les commentaires, les histoires autour, etc.
06:24Il faut d'abord, effectivement, et les philosophes écrivent parfois des choses très difficiles et parfois pas.
06:33Il n'y a jamais une seule page où on ne comprend rien du tout, du tout. Bon, il faut s'accrocher à ça.
06:39Mais c'est aussi indispensable, je pense, d'être guidé. Vous parliez de porte.
06:44De terrier, peut-être.
06:45Comment ?
06:46Un terrier, peut-être.
06:47Oui, mais je crois que finalement, une des questions que je me suis posée toute ma vie, c'est c'est quoi la porte de la philosophie ?
06:56Comment elle s'ouvre ? Qui la détient ? Qu'est-ce qui fait qu'on est d'un jour, on se dit ça y est, je commence à comprendre, etc.
07:03Alors qu'avant, on disait ça ne m'intéresse pas, je ne comprends rien. Cette bascule-là, c'est un truc essentiel.
07:09Et là, vous disiez la quête secrète au départ, mais qui devient très vite plus un secret de votre réalisme.
07:15C'est donc cette phrase ultime qu'elle veut se faire tatouer sur le bras et qui doit la guider dans la vie.
07:20Est-ce que c'est réaliste de penser qu'une maxime, une phrase de grand penseur va nous aider à nous orienter à vivre mieux ?
07:27Un moment. Mais sinon, ce n'est pas réaliste du tout pour toujours.
07:30Et c'est ça qu'elle comprend. C'est-à-dire qu'elle collectionne, évidemment, de rencontre en rencontre, des phrases de Descartes, de Montaigne, de Marx, de Hegel, etc.
07:40– De Rousseau ! Son amoureux ! Elle l'embrasse sur la bouche ! Vous asseyez-vous ?
07:47– Oui, mais au pays des idées, c'est interdit, avec les personnages historiques, de tomber amoureux des visiteurs. Mais bon, voilà !
07:55– Et puis, il y a, évidemment, de grands tubes de la philosophie, des phrases que vous commentez, que vous aidez à comprendre.
08:01« J'aime celui qui rêve l'impossible », ça, c'est de Goethe. « Sans amis, personne ne choisirait de vivre », Aristote, éthique à Nicomac.
08:08« Au toit de mon soleil », c'est Diogène qui dit ça, Alexandre Legrand.
08:13Bref, il y a toute une réflexion et une manière de rencontrer les philosophes, d'avoir quelques clés, justement, pour ouvrir cette porte.
08:21Il y a de très nombreux auditeurs, déjà, au Standard Inter, Roger Paul-Droit.
08:24Et bonjour, Chantal, bienvenue dans le Grand Entretien.
08:29– Bonjour, bonjour, et merci pour votre émission et le sujet d'aujourd'hui, que je trouve très sensible et très pointu.
08:39– Et accessible à tous ! – Oui, oui !
08:42– Parce que c'est, justement, il n'y a pas d'âge pour philosopher, comme le dit souvent Roger Paul-Droit,
08:46qui a déjà écrit plusieurs livres… – Épicure l'a dit avant moi !
08:48– Épicure l'a dit avant vous, c'est vrai. Il le dit à la journaliste, d'ailleurs.
08:52– Oui, il n'y a pas d'âge parce que, dit-il, alors ça, ça peut se discuter, il n'y a pas d'âge pour être en bonne santé.
08:59Voilà, en bonne santé de l'âme, et donc, que l'on soit jeune ou vieux, on doit continuer à réfléchir et à philosopher.
09:05– Et pardon, Chantal, je vous ai interrompu, vous aviez donc une question pour Roger Paul-Droit ?
09:10– Oui, oui, oui, j'ai une question qui me taraude presque tous les jours, d'ailleurs.
09:16Est-ce que le sens de notre vie, et comment le sens de notre vie, si la réponse est oui,
09:21est-il lié intimement à l'évolution de notre civilisation ?
09:27– Merci, Chantal, pour cette question, question difficile, monsieur le professeur.
09:31– Ce sens, effectivement, n'est pas donné une fois pour toutes,
09:35puisqu'il me semble que le sens de l'existence humaine, il se dessine,
09:39je crois qu'il est lié à l'évolution des civilisations.
09:43On ne voyait pas le sens de l'existence humaine de la même manière dans l'Antiquité grecque,
09:47au Moyen-Âge, dans le XIXe siècle industriel,
09:52ni aujourd'hui dans le monde où nous vivons, entre l'IA, les questions écologiques et autres.
10:01Et donc, c'est une question évidemment très difficile à laquelle je ne vais pas répondre définitivement,
10:08mais il me semble qu'il y a quelque chose qui est une sorte de balance permanente,
10:13de bascule, enfin de tension, entre d'un côté de grands courants
10:20ou de grandes réflexions transhistoriques, à travers les siècles,
10:23on s'interroge toujours à la fois sur ce qui est bien et mal,
10:27sur ce qui est juste et injuste, sur ce qu'il faut faire vis-à-vis des autres,
10:30vis-à-vis de soi-même, vis-à-vis de ses enfants, etc.
10:33Et ces questions contiennent des éléments de réflexion fixes, d'une certaine manière,
10:39ou qui traversent les siècles, mais qui à chaque fois se reposent dans des contextes différents.
10:44Et il y a les « isms » par exemple, sur lesquels on va revenir dans un instant, Roger Paul Droit,
10:49parce que c'est vrai que la pensée, elle évolue évidemment avec son temps,
10:53il n'y a pas de ciel des idées fixes et fixes de toute éternité.
10:57C'est justement d'ailleurs Clément qui nous appelle.
11:00Bonjour Clément !
11:02Et bienvenue sur France Inter !
11:04Bonjour !
11:05Bonjour !
11:06Oui, j'avais une question qui s'est peut-être un peu modifiée,
11:10du coup on vous entendra en continuant de parler.
11:13Mais pour résumer, comment est-ce que vous êtes,
11:18rentrez dans le terrier, mais je veux dire par là,
11:20comment vous êtes étonné pour commencer la philosophie ?
11:23Parce que c'est souvent avec ça qu'on pense qu'elle commence.
11:27Oui.
11:28Merci Clément, réponse Roger Droit.
11:30Je ne peux vous répondre que par trois mots d'autobiographie,
11:34parce que je ne sais pas très bien comment, il n'y a pas une recette générale.
11:37Quand j'étais adolescent, moi, passionné de littérature.
11:40Je lisais, je crois, un roman tous les jours pendant des années et des années.
11:44Et puis, le jour où je me suis retrouvé, je n'avais que 16 ans, mais en classe de philo,
11:51j'ai eu l'impression qu'on commençait à parler des vraies choses.
11:54C'est-à-dire qu'au lieu...
11:56Vraiment ?
11:57Mais oui, vraiment.
11:58A priori, justement, on peut se dire que c'est abstrait, que c'est général, que c'est loin du réel.
12:03Mais non, au lieu d'avoir des histoires d'amour, on réfléchit sur l'amour.
12:06Au lieu d'avoir des personnages qui meurent, on se dit qu'est-ce que c'est la mort ?
12:09Et là, on a l'impression, en tout cas moi, mais qu'il y a plus de réel.
12:14Vous savez, c'est Hamlet qui dit, je crois que c'est à Oratio dans la pièce de Shakespeare,
12:20il y a beaucoup plus de choses dans le ciel et sur la terre que dans toute ta philosophie.
12:26Et on comprend généralement, le réel, il est riche, il est coloré, il est divers.
12:31Et puis la philosophie, c'est gris, c'est schématique, etc.
12:35Je pense que c'est exactement l'inverse.
12:37Il n'y a qu'un seul monde, mais il y a des milliers de mondes philosophiques possibles
12:42avec des tensions.
12:45Et ce qui m'intéresse moi, et je pense d'autres,
12:48ce n'est pas seulement de trouver des solutions pour notre existence, bien sûr,
12:52chacun le pratique,
12:54mais c'est aussi de découvrir des diversités de pensée.
12:57On comprend finalement, en vous lisant, que le livre s'adresse à votre petite fille
13:01qui vous a posé la question comment vivre et qu'avec Alice au Pays des Idées,
13:05vous avez voulu lui apporter des éléments de réponse.
13:08Quelle a été sa réaction quand elle a lu votre livre que vous lui avez remis ?
13:13Alors, elle est encore un peu jeune pour le lire elle-même.
13:17On lui lit.
13:19Elle a sept ans et demi, donc c'est pour son...
13:23C'est pour plus tard.
13:24C'est pour son avenir.
13:25Mais c'est effectivement un livre de transmission.
13:26C'est-à-dire, c'est un livre dans lequel je me suis dit mais qu'est-ce qu'une jeune
13:30fille d'aujourd'hui, et évidemment les garçons aussi,
13:34tous ceux qui se préparent à grandir et à vivre dans ce monde,
13:39et puis tous les adultes aussi qui y sont,
13:41qu'est-ce qu'ils ont au minimum besoin d'avoir en tête de tout le passé ?
13:46De tout cet immense héritage ?
13:48Parce que, si vous voulez, un des mots MAUX du présent,
13:53c'est que finalement, nous nous foutons de plus en plus du passé.
13:57On n'a plus d'avenir et on s'est bouché, on en a peur,
14:01et le passé c'est fini, c'est caduque, etc.
14:03Et on ne voit pas qu'il y a dans l'immense héritage,
14:09évidemment philosophique, spirituel, mais aussi culturel, artistique, etc.,
14:13des outils qui peuvent nous servir aujourd'hui et pour demain.
14:18Et c'est ça qui, si vous voulez, qui me motive.
14:21Bien sûr, il y a des tas d'auteurs qui manquent dans ce livre.
14:25Il n'y a pas de tout.
14:26Kierkegaard, Saint-Augustin, évidemment, on ne peut pas tous les mettre.
14:29Je serai le premier à faire la liste de ceux qui n'y sont pas.
14:31Il y a 25 grands, il y a des tas d'explications,
14:34il y a des tas d'autres moins grands qui traversent.
14:38Mais le geste d'ensemble, c'est, dites donc, regarder un peu en arrière.
14:44Alors, il y en a aussi un qui manque avant de retrouver Geneviève au Standard Inter.
14:48Un très, très célèbre et qui s'est imposé dans notre monde.
14:52Après tout, Alice, au lieu d'aller au pays des idées,
14:55pourquoi elle ne va pas sur Chat-GPT et pourquoi est-ce qu'elle ne demande pas
14:58à une intelligence artificielle de lui donner les idées qui lui manquent ?
15:02Parce que je crois que je n'ai rien du tout contre l'intelligence artificielle,
15:08de mépris, de peur, j'ai des craintes, mais pas du tout de mépris.
15:13Il y a des tas de choses utiles.
15:14Elle peut demander des renseignements.
15:16Elle ne peut pas externaliser sa réflexion.
15:19Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?
15:20Ça veut dire que si on laisse la machine penser à notre place,
15:25au lieu que ce soit nous qui soyons, en fin de compte, les décideurs, les juges,
15:31alors on est foutus.
15:32Mais pourtant, on entendait tout à l'heure un immense chercheur
15:36qui est l'une des têtes pensantes de l'intelligence artificielle chez Meta.
15:39C'était dans le journal d'Inter.
15:41Il disait Yann Lequin que l'intelligence artificielle, avant ce sommet
15:46qui aura lieu sous l'égide du président de la République,
15:49que l'IA, ça va amplifier l'intelligence humaine.
15:53L'intelligence artificielle va amplifier l'intelligence humaine.
15:56Est-ce que cette phrase et cette mise en regard,
15:59intelligence artificielle, intelligence humaine ou esprit humain,
16:02elle vous semble cohérente, compréhensible ?
16:05Comment est-ce que vous la recevez ?
16:06Elle me paraît très optimiste et un peu unilatérale.
16:09C'est-à-dire, Lequin n'a pas la...
16:11D'autres chercheurs ont des positions très différentes des siennes.
16:15Mais il ne s'agit pas, si vous voulez,
16:21de voir les choses comme un paradis ni comme un enfer.
16:23Il y a des avantages et des inconvénients.
16:25Il y a des perspectives et des richesses et des fécondités nouvelles dans l'IA.
16:31Mais il y a aussi ce danger que, finalement,
16:34nous démissionnions de notre propre réflexion.
16:38Et si on fait ça, je pense qu'on est fichus.
16:40C'est-à-dire qu'on aura une vie entièrement dirigée.
16:43Vous aurez une vie, en gros, sous GPS.
16:46Une vie sous GPS ?
16:47Oui, une vie sous GPS.
16:49Voilà ce que tu dois manger, voilà ce que tu...
16:50Et ça sera bien pour toi.
16:52Et ça sera peut-être mieux que tes propres décisions.
16:55Mais cette intelligence artificielle,
16:58elle peut permettre aussi de synthétiser une pensée de philosophe.
17:01Par exemple, si je dis à Chedji Pitti ou à une autre
17:03« Qui est Socrate ? »
17:04On va convoquer ses principaux écrits, me le décrire et tout.
17:08Ça peut être un outil ?
17:10Et pour vous, peut-être ?
17:11Et pour des éventuels élèves ?
17:13Ça peut être un outil à la condition de le regarder avec une certaine distance.
17:20Parce que si je crois que je vais demander qui est Socrate
17:24et que je reçois la bonne réponse, point barre, j'aurai quoi ?
17:26J'aurai de l'info sur le parcours biographique, sur...
17:31Mais j'aurais pas compris du dedans de quoi il s'agit.
17:35Or, s'il fallait dire, par exemple, sur Socrate,
17:37qu'est-ce que c'est du dedans ?
17:39C'est simplement le fait de regarder sa propre vie et ses propres idées.
17:45Socrate dit « Une vie qui n'est pas examinée ne vaut pas la peine d'être vécue ».
17:50Ça veut dire quoi ?
17:51Que les idées que nous avons dans la tête, tout le monde a des idées.
17:55Les objections contre ces idées, tout le monde à peu près sait y répondre.
17:59Mais la philosophie et Socrate et ce geste particulier-là
18:04commencent seulement quand on se dit « Mais de quoi s'est fait ce truc-là ? ».
18:08Quand on examine ces idées, quand on...
18:11Descartes dit comme des pommes, pour trier un panier de pommes,
18:14il faut toutes les mettre sur la table et puis regarder celles qui sont tavelées et pourries.
18:18Bon, eh bien, ce geste de vider sa tête en quelque sorte,
18:22de regarder ce qu'il y a dedans, de voir de quoi c'est fait
18:25et d'en prendre, examin, tri, possession, cette auto-réflexion-là,
18:33c'est pas la machine qui peut la faire.
18:34D'ailleurs, vous aviez imaginé que Platon revenait parmi nous
18:37et vous avez imaginé justement ce qu'il pourrait nous apporter.
18:41Geneviève, bonjour.
18:43Oui, bonjour à vous.
18:44Bienvenue sur Inter.
18:45Merci.
18:46Oui, je voulais savoir ce que Roger Paul III...
18:52La différence qu'il fait entre idées et opinions.
18:56Merci.
18:57Très bonne et très difficile question.
18:59L'une des premières questions de la philosophie d'ailleurs, Roger Paul III.
19:01Mais oui.
19:02Alors, je crois que la façon la plus simple et rapide de vous répondre,
19:07c'est qu'une opinion, c'est une croyance qui peut être partagée par plusieurs
19:12et qui n'est pas véritablement fondée sur des preuves, des arguments.
19:19Voilà, alors qu'une idée, c'est quelque chose qui détient,
19:27si vous voulez, sa cohérence et sa cohésion interne propre.
19:31La philosophie, malgré tout, ses idées, elles évoluent.
19:34Et on peut aussi faire comme Geneviève,
19:39comment dire, avoir du mal à trouver la différence entre idées et opinions.
19:43Il y a des idées hégémoniques.
19:45La petite Alice, elle rencontre Marx, d'ailleurs, à Londres.
19:48Aujourd'hui, elle irait rencontrer peut-être des penseurs libertariens.
19:52Qu'est-ce que sont ces penseurs libertariens, justement ?
19:54Ceux dont on dit que leur pensée est devenue hégémonique dans la Silicon Valley.
19:59Que ce sont eux qui inspirent Elon Musk.
20:02Ce sont eux qui inspirent Peter Thiel.
20:04Ce sont eux qui inspirent cette idée d'un gouvernement minimal.
20:08Qu'est-ce que c'est que cette pensée méconnue en France, Roger Paul III,
20:12et qui pourtant est dans la tête, dans la tête de ces hommes si puissants aujourd'hui ?
20:17Oui, j'ajouterais Bezos ou le président argentin, Javier Melei,
20:22qui se réclame aussi aujourd'hui.
20:24Alors, qu'est-ce que c'est ?
20:25Je vais essayer de faire le plus court possible.
20:28C'est parce que sinon, on en a pour très longtemps.
20:30Ce n'est pas commode, c'est une nébuleuse difficile.
20:34On parle de libéraux, on parle de libertaires, on parle de libertariens.
20:39Alors, comment se retrouver ?
20:41J'ai envie de dire que finalement, ce qu'on appelle aujourd'hui souvent les libertariens
20:46et qui influencent effectivement Musk et donc la politique mondiale et beaucoup d'autres secteurs,
20:53ce sont des libéraux radicaux.
20:56On pourrait dire ça comme ça, des sortes d'anarchistes de droite.
21:00Des anarchistes de droite ?
21:01Oui, je vais donner quelques...
21:04On appelait libertaires les anarchistes de gauche,
21:08ceux qui ne veulent pas d'État, au nom de la liberté individuelle.
21:12Et on a appelé libertariens, pour simplifier,
21:16ceux qui sont des anarchistes de droite et même des sortes d'anarcho-capitalistes,
21:22si vous vous anarcho-capitalisez, je ne sais pas comment on dit.
21:25Pour comprendre, il faut remonter le fil un petit peu en arrière.
21:30L'individu s'est trouvé, à partir en gros de la Renaissance, défini par ce qu'il possède.
21:37Pas simplement ses propriétés, pas simplement ses biens, mais il possède son corps.
21:42Il possède des droits.
21:44Le droit de décider pour lui-même, de savoir ce qu'il va faire de sa vie,
21:49de s'exprimer, de l'ensemble de ce qu'on appelle les libertés, justement.
21:54Et qui sont des libertés possédées par nature, par chaque individu.
22:00Et il possède aussi évidemment des biens, éventuellement la propriété, ses décisions.
22:05Et cet individu, il est souverain.
22:08Mais, ça c'est une jambe, si je puis dire, de la démocratie et de la naissance des républiques.
22:14L'autre jambe, c'est qu'à cet individu souverain, il est contrôlé en partie,
22:19ou en tout cas protégé aussi, par un État, par un pouvoir public, par une force collective.
22:23Donc il y a de l'individuel d'un côté, et du collectif de l'autre.
22:28C'est ça les deux pôles, et puis il y a évidemment des tas d'histoires.
22:31Au fil des siècles, entre ces deux tensions, ou de réunion et d'harmonie,
22:37Rousseau, justement, il invente le contrat social.
22:40C'est-à-dire la protection de l'individu par un contrat collectif.
22:45Et on pourrait dire que les libertariens, c'est ceux qui mettent l'accent uniquement sur l'individu et sa liberté.
22:52Liberté de l'individu, non-agression, et puis de moins en moins d'État.
22:58Ce qu'on appelle la minarchie, dans le jargon des libertariens.
23:02Moins en moins de justice sociale, moins en moins d'intervention de l'État dans la vie de tous.
23:08Voilà. Vous vous souvenez peut-être qu'il y a, sur une autoroute il y a quelques mois,
23:13il y avait deux individus souverains qui refusaient de payer l'amende parce qu'ils avaient fait un excès de vitesse,
23:19ou une chose comme ça, parce qu'ils ne reconnaissaient pas le droit de l'État français, ni la police, etc.
23:23Et c'est ça finalement, un peu caricaturé, mais l'attitude du libertarien.
23:29Alors ça pose des tas de questions. Est-ce que je peux vendre mes organes ?
23:33Et si c'est les miens, j'ai le droit. Est-ce que je peux me droguer si je ne détruis rien d'autre que moi-même ?
23:39Et il y a toutes sortes, si vous voulez, de questions liées à cela, mais ça montre bien que selon les idées que l'on a,
23:46on n'a pas le même monde, ni le même comportement, ni la même société.
23:50D'un côté, on a Alice, qui essaie de s'orienter dans la vie et dans la pensée,
23:54et de l'autre, on a Elon Musk, qui lui, essaie d'orienter nos vies.
23:59Il faut lire Alice au pays des idées, Roger Pauldroit.
24:02Merci infiniment d'avoir été l'invité d'interdire ce matin, c'est publié chez Albin Michel.