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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Si vous le permettez, pour ouvrir ce dossier d'aujourd'hui, nous allons par les chiffres.
00:15110 millions de francs anciens, 100 témoins, 15 avocats, 3 accusés et Rome.
00:24Rome et des siècles de commedia dell'arte.
00:28C'est un procès à l'italienne.
00:31Reparlons chiffres.
00:32Le procès, 4 mois.
00:34Le meurtre, 995 minutes.
00:38Quelques détails maintenant pour vous mettre dans l'ambiance.
00:42À la tête des 15 avocats, maître Cannellotti, 80 ans, un physique à la Fellini,
00:48rockorman des causes fracassantes en Italie.
00:50C'est la vedette préférée des paparazzi et de la télévision italienne.
00:53Il y déclare souvent qu'il n'est pas d'accord avec notre vedette nationale, maître Florio, sur la condition d'avocat.
01:00Au milieu des 100 témoins, un nommé Barbaro, dit le roi de l'évasion.
01:05Le seul homme ayant réussi à se faire transférer d'une prison à l'autre par télégramme
01:11et à s'évader pendant le transfert en provoquant une fausse panne de voiture
01:16et en demandant aux policiers de la pousser.
01:20Bon, ajoutons à cela, dans le fond du décor, un diplomate autrichien et homosexuel,
01:25de la famille, oncle, tante, soeur, beau-frère, cousin, comme s'il en pleuvait,
01:29des millions de bijoux volés, des pleurs, des cris ailleris, des menaces,
01:33des gros titres dans les journaux de Rome, Paris, Vienne, Milan et une compagnie d'assurance.
01:38Étant donné l'importance de la documentation que j'ai eue sous les yeux,
01:42je ne vous cite là, chers amis, que peu de choses en vérité.
01:45Mais ce que je souhaite, c'est qu'en m'écoutant aujourd'hui,
01:48vous ayez toujours présent à l'esprit le caractère italien,
01:52avec tout ce que cela comporte d'exagérations, de mélodrames, d'embrouillamini savamment échafaudés.
01:58Songez que le malheureux greffier des assises de Rome, il signor Rezicheddu,
02:03en quatre mois, eut à consigner quelque chose comme 36 millions de mots contradictoires, bien entendu.
02:10Songez que le président du tribunal demanda deux jurés supplémentaires de réserve.
02:15De cette façon, si quelqu'un dans le jury tombait malade avant la fin du procès,
02:19le nouveau juré pourrait ainsi prendre la suite,
02:22sans avoir à remonter le fil d'un imbroglio qui aurait fait perdre courage à n'importe qui.
02:27Mais rassurez-vous, finalement l'affaire est classée et vous avez l'avantage de l'entendre en quelques 20 minutes.
02:34Nous allons l'intituler en toute simplicité « Meurtre à l'italienne ».
02:46Le Meurtre à l'italienne
02:58Le 7 septembre 1958, vers 9 heures du soir.
03:03Dans un immeuble moderne de la Via Monacci à Rome, au premier étage, Maria Fennaroli est seule.
03:11Elle a 48 ans. Au choix de l'observateur, elle peut être belle ou laide.
03:16Son visage, au front haut et bombé, est typique de l'italienne du Sud, âpre, bouche sévère, très due.
03:24À cette minute, bien qu'elle soit seule et que personne ne la voit,
03:28on peut l'imaginer tendue, anxieuse, souffle retenue,
03:33et fixant avec angoisse la poignée de la porte de l'appartement.
03:39Cette poignée bouge. Dans le silence, un léger bruit de clé.
03:47Une clé qui doit pénétrer dans la serrure avec précaution, puis un silence.
03:56Dans quelques secondes, une main visible et inconnue va la faire tourner,
04:00mais avant cela, d'une voix éraillée par la peur, Maria crie « Giovanni ? Giovanni, c'est toi ? »
04:09Maria a crié le nom de son mari, un industriel installé à Milan, dont les visites sont régulières mais rares.
04:15Personne ne répond.
04:17Paralysée à deux mètres de la porte, Maria entend soudain des pas qui s'éloignent, puis le bruit de l'ascenseur.
04:25Le temps pour elle de reprendre ses esprits, de se précipiter au balcon pour regarder l'extérieur.
04:30Il n'y a plus rien.
04:32Maria ne voit personne sortir de l'immeuble, personne dans la rue, personne sur le trottoir d'en face.
04:37Le lendemain, un serrurier est là, qui change le verrou.
04:42Depuis un an, Maria vit dans l'angoisse.
04:45La moindre sonnerie de téléphone la fait sursauter.
04:48Elle ne sort jamais seule, rentre tôt, s'enferme à double tour.
04:52Elle n'ouvre sa porte qu'à son mari ou aux membres de sa famille.
04:56Son entourage en est aperçu, mais Maria n'a pas révélé le motif de cette terreur permanente.
05:02Elle a bien changé d'un seul coup.
05:05Mariée il y a vingt ans à Giovanni Fenaroli,
05:08elle vit seule depuis que son mari entretient à Milan, où il a ses bureaux, une autre famille.
05:13Cette famille, constituée d'Amalia, sa maîtresse, et de leur petite fille Thérèse,
05:18a pris une grande importance dans la vie de Giovanni, qui n'a plus avec sa femme que des rapports de principe.
05:23Maria a multiplié les scènes de jalousie, sans résultat.
05:26Pour elle, c'est l'échec total.
05:28Même lorsqu'Amalia, la maîtresse de son mari, meurt des suites d'une longue maladie,
05:32Maria ne récupère pas Giovanni pour autant, sa vie est à Milan, une fois pour toutes.
05:36Seulement à l'époque, en Italie, on ne divorce pas.
05:38Et pour la galerie, les gens comme Maria et Giovanni, ne pouvant plus se supporter,
05:43sont contraints de faire bonne figure, de conserver officiellement la même adresse.
05:47La bourgeoisie romaine ou milanaise ne saurait accepter autre chose.
05:51Il faut que Maria garde la face.
05:54Mais de quoi a-t-elle peur ?
05:57On ne le saura jamais précisément.
05:59Mais vous allez voir à quel point elle a raison d'avoir peur.
06:04Donc, le 7 septembre, le serrurier a changé de verrou.
06:08Maria est seule à posséder les nouvelles clés.
06:12Trois jours plus tard, le 10 septembre au soir, retenez bien ces dates,
06:16Maria, qui vient de passer l'après-midi avec ses frères et soeurs, rentre chez elle.
06:20Elle tourne le verrou à double tour, Edine, seule, devant la télévision.
06:26Elle regarde défiler tout le programme, retardant au maximum l'heure de se mettre au lit,
06:30dans le silence menaçant.
06:33À 23h23, le téléphone la fait sursauter.
06:38Son mari l'appelle de Milan.
06:40La conversation est courte.
06:43À 23h30, elle est sur le balcon de sa cuisine, scrutant la rue sombre.
06:49Une bonne de l'appartement voisin voit nettement sa silhouette penchée.
06:53Elle semble attendre quelqu'un.
06:55À 23h35, elle ouvre elle-même sa porte à son assassin.
07:01Elle descend jusqu'à la porte vitrée de l'immeuble, fermée à clé le soir,
07:05remonte avec lui dans l'appartement.
07:08Il n'y a pas un cri, aucune trace de lutte.
07:11L'assassin porte le cadavre dans la cuisine, l'installe sur une chaise,
07:14éteint la lumière et fouille l'appartement.
07:17Il emporte des bijoux d'une valeur de 2 millions et une enveloppe contenant 600 000 lires.
07:22Avant de partir, il décroche le téléphone et claque la porte derrière lui.
07:27C'est la domestique qui découvrira le lendemain matin le corps de sa maîtresse étranglée
07:31sur une chaise de la cuisine.
07:33Bien évidemment, la police suppose tout de suite que l'assassin est un familier.
07:36Maria n'aurait jamais ouvert sa porte à un inconnu et d'autre part,
07:39personne, absolument personne ne possédait les nouvelles clés de l'appartement.
07:44Premier suspect, le mari bien sûr.
07:47Mais Giovanni, le soir du meurtre, était à Milan.
07:50Il dînait avec sa fille, la petite Thérèse, et les grands-parents de celle-ci.
07:54De plus, il a bien téléphoné à sa femme quelques minutes seulement avant l'arrivée de l'assassin.
07:59Deux choses le prouvent.
08:00La fiche du central d'une part, l'opératrice a noté l'heure de l'appel, 23h23.
08:04D'autre part, c'est bien Giovanni qui a parlé.
08:06Il a obtenu la communication depuis son bureau de Milan en présence d'un témoin, le comptable, Saci.
08:13Dans les bureaux de la police judiciaire romaine, Giovanni subit un interrogatoire serré de 36 heures.
08:18« Pourquoi avez-vous téléphoné à votre femme ? »
08:21« Oh, pour lui parler de choses et d'autres, comme d'habitude. »
08:24« Précisez. »
08:25« Mais rien, je lui ai demandé des nouvelles de sa santé, c'est tout. »
08:28« Vous lui avez demandé des nouvelles de sa santé dix minutes avant qu'on l'étrange ? »
08:32« Ben oui, je ne pouvais pas prévoir quand même. »
08:36Giovanni a 50 ans. Il est petit, d'ébon air, pas inquiet du tout.
08:41Pourtant, vis-à-vis de la police, sa position n'est pas du tout confortable, vous voyez, plutôt.
08:46En enquêtant, en effet, sur sa situation financière,
08:50la PJ de Milan vient de découvrir que son entreprise a été récemment déclarée en faillite avec 200 millions de déficits.
08:57Et rien ne laissait prévoir cette catastrophe soudaine.
09:00Ensuite, et c'est beaucoup plus troublant, ensuite il se trouve être le bénéficiaire d'une assurance vie sur la tête de sa femme
09:05pour la coquette somme de 110 millions.
09:08On a vu tuer pour moins que ça.
09:10Mais comment Giovanni aurait-il pu tuer sa femme depuis mille ans ?
09:16Son alibi est en bronze.
09:18D'autre part, il règne toujours un mystère équivoque dans la vie privée de Maria Fenaroli.
09:22Qui l'a poursuivée au téléphone depuis un an ?
09:24Qui l'a terrorisée au point de faire naître chez elle une véritable psychose ?
09:28Amant ? Chantage ?
09:30La domestique affirme avoir reçu elle-même des appels téléphoniques inquiétants
09:33d'un correspondant anonyme qui lui raccrochait au nez quand elle répondait elle-même en l'absence de sa maîtresse.
09:39Alors Giovanni bénéficie de ce mystère et de son alibi.
09:43On le relâche.
09:45On lui rend les clés de l'appartement.
09:47Et pour faire quelque chose, on cherche ailleurs.
09:50Et on trouve.
09:52On trouve une piste en cul-de-sac.
09:54Maria, à 18 ans, a accouché d'un garçon qu'elle a abandonné à l'assistance publique.
09:59Il devrait maintenant avoir 30 ans.
10:01Où est-il ?
10:03Dans l'anonymat le plus complet et il y restera.
10:06On cherche encore.
10:09Maria faisait surveiller les faits et gestes de son mari par un détective privé.
10:13« Jalousie, répond le mari. J'étais au courant. Je suppose que c'est le cupet. »
10:18Mais voilà autre chose.
10:20Une lettre de Maria envoyée un mois avant sa mort à la compagnie d'assurance
10:25et nommant son mari comme unique héritier.
10:27La signature n'est pas celle de Maria.
10:30À nouveau convoqué pour les 36 heures maximum d'interrogatoire à bureau fermé,
10:34Giovanni s'explique avec désavolture.
10:36« Et alors ? C'est moi qui signais tous les papiers. J'ai signé pour elle.
10:40Et puisque vous êtes si bien renseigné, vous devez savoir que j'ai pris une autre assurance
10:43sur ma tête à moi et en sa faveur.
10:45Beaucoup moins importante. C'est normal.
10:48Chef de famille. Eh, c'est moi. »
10:52À nouveau relâché, Giovanni Fenarolli, assigné à résidence dans son appartement de Rome,
10:56joue les innocents avec une telle conviction que la police s'acharne de plus bas.
11:01On la comprend.
11:03Depuis moins de dix ans, quatorze femmes ont été assassinées à Rome
11:07et les meurtriers courent toujours.
11:09Et la police s'acharne sur l'alibi de Giovanni.
11:12Il est un peu trop solide, un peu trop évident.
11:15Ce coup de téléphone à dix minutes du meurtre, c'était peut-être pour préparer le terrain,
11:20pour convaincre sa femme d'ouvrir la porte à un tueur qui attendait dehors.
11:23Et le tueur, en sortant, aurait décroché le téléphone pour qu'on sache qu'il avait réussi.
11:28Dans le fond, cet alibi ne tient que par le témoignage du comptable.
11:33Et à partir de là, tout va beaucoup plus vite.
11:36Car l'interrogatoire serré du comptable Saci est immédiatement suivi
11:39de l'arrestation à Milan d'un ouvrier électricien, Raoul Gianni,
11:43puis de celle de Giovanni Fenarolli lui-même.
11:46Un splendide coup de filet en pleine nuit, à trois heures du matin,
11:49réveil en sursaut, menottes aux mains, inculpation de meurtre.
11:52Maintenant, on peut parler sérieusement.
11:56Qui est l'ouvrier électricien ?
11:58Un ami de la famille de Milan, celle de la maîtresse.
12:01Où est-il la nuit du meurtre ?
12:03À Milan, dit-il.
12:05Et six témoins le confirment. La famille, toujours.
12:08Pourquoi l'arrête-t-on ?
12:10D'abord parce que Saci, le comptable, l'a dénoncé en même temps que son patron.
12:14Ensuite ?
12:15Et bien ensuite, vous allez écouter la théorie de la police.
12:18Car c'est un crime presque parfait qui s'est déroulé en 995 minutes.
12:25Les récits extraordinaires de Pierre Delmar, un podcast européen.
12:35Voici donc la théorie de la police sur le crime de Giovanni Fenarolli
12:40qui s'est déroulé en 995 minutes.
12:44Écoutez-moi bien.
12:46Le mari fait la connaissance de Gianni l'électricien
12:50par l'intermédiaire du frère de sa maîtresse, Carlo,
12:54et lui propose une affaire.
12:56Un contrat de tueur à gages, en quelque sorte.
12:59Montant des gages, 42 millions de lire.
13:04Mercredi, 18h30.
13:06Le mari vient chercher le tueur à son usine
13:09pour le conduire à l'aéroport de Milan.
13:12Le tueur pointe à l'heure de sortie normale, sa fiche de travail le confirme.
13:17Trajet bolide sur l'autoroute dans la voiture du mari.
13:2019h35, le tueur prend l'avion pour Rome.
13:23Le mari refait le trajet en sens inverse et va dîner dans sa petite famille milanaise.
13:2821h10, l'avion se pose à l'aéroport de Rome, le tueur en descend.
13:33À 21h35, il est au centre de la ville, il a deux heures devant lui.
13:38À 23h23, le mari téléphone à sa femme et lui annonce sa visite.
13:43Un courrier qu'il vient chercher, des papiers importants qu'elle doit lui remettre.
13:47Le comptable est là.
13:4923h40, Maria ouvre la porte.
13:5223h50, elle est morte.
13:55Le tueur décroche le téléphone, prend les bijoux et l'argent et file à la gare.
13:591h30 du matin, il saute dans le Rome-Milan.
14:03Là, un petit inconvénient, une heure de retard.
14:05Le tueur n'arrivera à Rome qu'à 11h05.
14:08Il se présente à l'usine, pointe à 11h30,
14:10en précisant que ce matin-là, il était en dépannage chez un client.
14:14C'est presque parfait.
14:16Outre les dénonciations du comptable, qui d'ailleurs est relâché,
14:20il aurait-il eu échange de bons procédés, il y a des preuves.
14:23Premièrement, trace d'un versement effectué sur l'ordre du mari au tueur le 9 septembre,
14:29veille du crime, 1 million de livres.
14:31Deuxièmement, la nuit du 7 septembre, la feuille de contrôle du wagon-lit Rome-Milan
14:36porte le nom du tueur et celui du mari.
14:40Le mari ne se cache pas d'être venu, le tueur nie.
14:44C'est que le 7 septembre, c'est le jour où Maria a entendu tourner une clé dans sa serrure
14:48et des bruits de pas.
14:50C'est pour ça qu'elle avait changé le verrou.
14:52Le juge d'instruction conclut à une répétition générale du crime, commis trois jours plus tard.
14:58Deux ans d'instruction, plus de 500 interrogatoires,
15:03font surgir deux témoins supplémentaires.
15:05Une jeune fille qui embrassait son fiancé sous une porte cochère le soir du meurtre
15:09reconnaît le tueur sur une photo que lui présente la police.
15:12Ne se trompe pas, elle a vu cet homme entrer dans l'immeuble.
15:15Un autre témoin a parlé au tueur dans la nuit du 10 septembre, dans le train Milan-Rome.
15:20Le tueur nie toujours, le mari toujours, de même que le beau-frère Carlo, fournisseur supposé du tueur.
15:27En février 1961, s'ouvre enfin un procès qui va durer quatre mois.
15:32Un procès folklorique truffé de rebondissements et de déclarations contradictoires.
15:36On y lave son linge sale en famille, on s'accuse mutuellement des pires turpitudes,
15:40on assure sur l'honneur qu'on est innocent.
15:42Dès le départ, les 15 défenseurs du mari s'efforcent d'obtenir que l'acte d'accusation soit frappé de nullité,
15:47car l'unique accusateur, le comptable, n'est pas sur le bord des accusés.
15:51C'est là que surgit un personnage bizarre, un témoin équivoque, dont le rôle est mal défini.
15:56C'est Barbaro, le roi de l'évasion, dont je vous parlais au début de ce dossier.
16:01Barbaro est avocat, enfin ancien avocat, radié depuis longtemps, escroc de haut de volée.
16:07Il fait des séjours réguliers en prison et, à vrai dire, on ne sait jamais très bien pourquoi il y entre et comment il en sort.
16:13Il servirait de mouton que ce ne serait pas étonnant du tout.
16:18Or Barbaro, on ne sait pas pour quelle raison, a partagé la cellule de Giovanni le mari,
16:24puis celle de Gianni le tueur, durant la prévention avant le procès.
16:28Et il a envoyé au juge d'instruction une lettre fort bien tournée, fort précise,
16:35indiquant où la police pourrait retrouver les bijoux volés à Maria.
16:40Et on a trouvé les bijoux ! Où ? Chez Gianni, le tueur à gage d'occasion, électricien de son métier, dans une vieille boîte de fer.
16:48C'est quand même curieux, vu le nombre de perquisitions minutieuses qui s'y étaient déroulées depuis son arrestation.
16:55Et le procès n'en finit pas, d'accusations en réfutation de dérouler ses fastes pour la plus grande joie des journalistes italiens.
17:02Voici que le mari accuse sa femme d'avoir été une prostituée de luxe qui dirigeait un réseau de call girls.
17:09Voici que le tueur, niant toujours avoir fait le voyage de Milan en Rome, prétend tout à coup qu'il a menti,
17:14qu'il a bien été à Rome, mais pour y faire autre chose.
17:17Le procureur, épuisé, lui demande d'un air là « Alors ce n'est pas pour tuer Maria ? »
17:23« Ah, monsieur le procureur, je ne me serais jamais permis une chose pareille ! »
17:26« Ah, alors c'était pour quoi faire ? »
17:29« J'avais rendez-vous avec un diplomate autrichien qui travaille à Rome. Mon honneur m'interdit de révéler son nom. »
17:35Ce bel athlète de 30 ans, ce tueur à gage d'un mètre 80, aux mains énormes, à la démarche de chat, aux cheveux lisses, au teint bronzé,
17:43était le petit ami de ce « diplomate » dit-on.
17:47Seulement, quand on a voulu l'interroger, le diplomate, eh bien, la diplomatie a dit non.
17:52La deuxième semaine du procès est consacrée à la famille de Maria.
17:55Les sœurs, les frères, violents, haineux, avides, embrouillent tout.
17:59Ils se contredisent tellement que, face au calme du mari, ils finissent presque par passer pour les coupables.
18:04D'autant plus que c'est à eux que la compagnie d'assurance a finalement payé le capital de 110 millions de lire.
18:09Troisième semaine, les témoins à Crabland.
18:12Un médecin qui affirme que le mari lui avait demandé, un mois avant le crime,
18:16de faire une petite piqûre mortelle à Maria, puis de simuler une mort par noyade.
18:21« Le tout, pour 15 millions de lire ! » dit le médecin.
18:24Giovanni s'esclaffe.
18:26« C'est le prix qu'on vous a payé pour dire ça ? »
18:29Mais le médecin, rouge de colère, insiste.
18:31« Il m'a même demandé si je ne connaissais pas quelqu'un d'autre ! »
18:34Sur 100 témoins, il en reste 81 à entendre.
18:38Et le malheureux procureur passe son temps à réclamer le silence, à menacer de renvoyer tout le monde.
18:43Le clou du procès, le délire, la véritable bagarre italienne,
18:47elle se déclenche au moment de l'audition du comptable.
18:49Sa présence, sa lourde silhouette grise, son air encoint, excite la petite foule des avocats.
18:55Le vénérable octogénaire Cannellutti,
18:57grand chef incontesté de cette meute de défenseurs qui s'entredévorent,
19:00attaque le premier.
19:01Il accuse son confrère, qui défend le comptable, de souffler les réponses derrière ses manchettes.
19:06Puis, royal, il se rassied et disparaît derrière ses montagnes de dossiers.
19:11L'un de ses assistants reprend l'accusation à son compte,
19:14l'étincelle jaillit entre les deux robes noires qui se tutoient soudain comme dans une bagarre de rue.
19:19« Prends garde, goujat napolitain, marchand de paroles coquin ! »
19:24Suspension de séance.
19:26Ce qui est clair dans tout ça,
19:28c'est que tout le monde s'acharne avec un plaisir à nous dissimuler d'ailleurs,
19:31à ce que plus rien ne soit clair, justement.
19:34Il en faudrait du temps pour vous faire partager ces quatre mois de tragiques comédies,
19:38tantôt inquiétantes, tantôt burlesques.
19:40On pleurniche aux effets de plaidoiries,
19:42on hurle de rire,
19:43on bat des mains,
19:44on s'insulte,
19:45on feint.
19:46Finalement,
19:47la mort mystérieuse de Maria Fenaroli
19:50semble l'unique prétexte à une représentation d'un goût douteux
19:53qui fait sale comble tous les jours.
19:55Enfin,
19:56quelques grèves ayant retardé le verdict,
19:58le 12 juin 1961,
20:00le jury, épuisé,
20:02après 18 heures de délibération,
20:04se prononce.
20:05Le mari et son tueur à gages,
20:07travaux forcés à vie,
20:08le beau-frère, fournisseur du tueur à gages,
20:10acquitté pour insuffisance de preuves
20:12et de joie,
20:13ce dernier s'évanouit dans son box.
20:16Mais la meute des avocats proteste,
20:18hurlent que le comptable a tout machiné,
20:20que l'enquête est truquée.
20:21Bref, ils font appel.
20:23Mais le 28 juillet 1963,
20:25deux ans après,
20:26le verdict est confirmé.
20:28De toute façon,
20:29s'il y a eu erreur judiciaire dans ce procès à l'italienne
20:33qui passionna l'opinion publique pendant cinq ans,
20:35il est à peu près certain que plus personne,
20:38à l'heure actuelle,
20:39ne saurait dire avec précision
20:41où cette erreur se situerait.
20:43D'ailleurs,
20:44quand quelque chose commence à s'embrouiller dès le départ,
20:46il y a de fortes chances pour que ça continue.
20:48En effet,
20:49et vous vous en souvenez peut-être,
20:50lorsque tombèrent les premières dépêches
20:52annonçant le crime de Maria Fennaroli,
20:54une agence de presse italienne s'empressa
20:56de diffuser la photo de la victime
20:58tout azimut.
20:59Et ce n'était pas la bonne photo.
21:01Sous le titre
21:02« Une récente photo de Maria Fennaroli »
21:05figurait le charme en visage d'une autre Sicilienne,
21:08vedette de la presse ce jour-là aussi,
21:10mais pour tout autre chose.
21:11Elle avait répondu à une demande en mariage
21:14glissée par un marin suédois
21:16dans une bouteille à la mer.
21:17Et on célébrait l'hénos de la jeune Sicilienne
21:20avec son marin.
21:21Les faits divers se croisent.
21:23Si vous le voulez, nous terminerons là-dessus.
21:25Permettez-moi de souhaiter à tout hasard,
21:27et s'il est encore temps,
21:29longue vie à ce dernier fait divers-là.
22:08Antoine Reclus
22:09Remerciements à Roselyne Bellemare
22:12Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
22:17Écoutez aussi le prochain épisode
22:19en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.