Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 6 février 2025 : l’enseignant en sciences politiques et chroniqueur, Clément Viktorovitch. Jusqu'au 30 avril prochain, il est sur la scène du 13ᵉ Art à Paris et en tournée en France et en Belgique.
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00:00Bonjour Clément Viktorovitch.
00:01Bonjour Elodie.
00:02Vous êtes docteur en sciences politiques, très attaché à transmettre, donc soucieux
00:06de la vulgarisation, au besoin de rendre accessible un savoir souvent nécessaire.
00:11Vous officiez notamment sur France Info, Clic ou Quotidien, avec une rigueur dans vos
00:17propos et arguments constantes, presque stakhanovistes, ou plutôt Viktorovitch finalement.
00:22Votre chaîne Twitch est l'une des plus suivies en France sur les questions politiques et
00:26votre ouvrage Le Pouvoir rhétorique, sorti il y a trois ans, a été un très très
00:29beau succès.
00:30Aujourd'hui vous êtes sur la scène du 13e art à Paris, en tournée en province, en
00:35Belgique, jusqu'au 30 avril prochain avec votre spectacle L'art de ne pas dire.
00:39Vous incarnez le conseiller en communication du président de la République, donc je suis
00:43ravie de vous accueillir, et Vincé, brutalement aigri, qui cherche à rendre les coups et
00:48l'humiliation vécues, parce qu'il s'agit de ça, et pour ce faire, rien de mieux que
00:51de dévoiler au grand jour les secrets utilisés méthodiquement et stratégiquement pour conquérir
00:56le pouvoir, en détruisant les déquestions à Paris, c'est notamment une très importante.
00:59La démocratie n'est-elle pas constituée de dissimulation, de manipulation, de mensonges ?
01:04C'est quoi alors la démocratie, et sommes-nous réellement une démocratie, Clément ?
01:09C'est la grande question, Elodie, vous posez au fond la question que pose à la fin le
01:16spectacle, parce que c'est l'interrogation qui, moi, me taraude depuis maintenant des
01:20années, et c'est ce que j'ai essayé de faire vivre sur différentes antennes, notamment
01:23celle de France Info, en effet, ce questionnement, qu'est en train de faire la communication
01:28politique à notre démocratie, à notre débat public ? Est-ce que les nouvelles techniques
01:32de communication, celles qui ont fleuri dans le sillage de Donald Trump aux Etats-Unis
01:37et que l'on a vu apparaître, hélas, en Europe, en Grande-Bretagne, avec Boris Johnson,
01:41en France, avec le gouvernement d'Emmanuel Macron, avec aussi d'autres partis politiques,
01:46qu'est-ce que ces nouvelles techniques de communication font à notre démocratie ? Est-ce
01:49qu'on peut encore parler de démocratie quand le débat public devient totalement
01:53biaisé, totalement torturé, totalement distordu ? C'est ça, cette question qui, moi, me taraudait.
01:59Je l'ai traité, vous l'avez rappelé, dans des chroniques, et j'avais le sentiment
02:03qu'il fallait aller au-delà, que l'explication, la compréhension, n'était pas suffisante,
02:09que pour aborder ce questionnement qui est existentiel pour chacun et chacune d'entre
02:12nous, citoyennes et citoyens, il fallait essayer de le faire ressentir, et c'est pourquoi
02:16j'ai choisi le théâtre, avec cette pièce, dans laquelle j'incarne, non plus le décrypteur
02:21de la communication, mais au contraire, l'un des artisans de ce que j'ai appelé le saccage
02:26du langage.
02:27Vous avez ce côté prof, Clément, que vous avez toujours eu, finalement, ce besoin, effectivement,
02:31on parle de vulgarisation, mais ça va au-delà de ça, c'est-à-dire l'idée, c'est de transmettre
02:35comme si vous aviez besoin de donner les armes rhétoriques, effectivement, au public pour
02:40essayer de se défendre et prendre conscience qu'ils peuvent reprendre leur vie en main.
02:44Est-ce que vous êtes convaincu de ça ?
02:47Oui, j'espère l'être, en tout cas.
02:50Je n'ai pas un côté prof, vous avez raison de le rappeler, je suis un enseignant, c'est
02:54comme ça que j'ai commencé ma carrière.
02:56J'ai été prof à l'université, à Sciences Po.
02:58Vous êtes passé par le CNRS aussi, c'est important de le préciser, parce que ça en
03:01dit long sur la démarche.
03:03Oui, tout à fait. Je suis enseignant-chercheur, c'est mon premier métier.
03:07J'ai enseigné à Sciences Po pendant une quinzaine d'années.
03:09J'ai travaillé chercheur associé dans un laboratoire du CNRS, en effet.
03:13Donc, moi, je viens de là.
03:14Ce qui est important, c'est qu'en effet, à un moment donné dans ma carrière, je me
03:17suis rendu compte que j'avais acquis des armes à force d'étudier la rhétorique,
03:21d'étudier les discours, de les analyser.
03:23J'avais acquis des armes qui auraient pu me permettre à ce moment-là, et la question
03:26s'est posée, qui auraient pu me permettre de faire carrière dans la politique, de
03:30mettre ces armes et ces outils au service de tel ou tel puissant pour faire prévaloir
03:34ses intérêts, son prestige ou éventuellement ses idées.
03:37J'ai fait le choix inverse. J'ai fait le choix, moi, de partager ce que j'avais acquis
03:41parce que j'ai une conviction vissée au corps et on la retrouve en filigrane derrière
03:45le spectacle. Ma conviction, c'est que nous ne serons pas sauvés par un homme ou une
03:49femme providentiel.
03:50C'est étonnant, d'ailleurs, parce que vous avez cette attirance pour l'âme humaine,
03:55parce que c'est ça, ce spectacle, quand même, c'est de sauver, entre guillemets, cette
03:59démocratie, mais donc le libre-échange, la liberté, tout simplement.
04:03Et en même temps, vous êtes attiré par des pouvoirs qui nous malmènent.
04:08Comment vous l'expliquez, ça ?
04:10Cette dualité ?
04:12Oui, oui, ça fait effectivement partie des dualités, des tensions
04:17internes qui existent.
04:19Et cette dualité, elle se retrouve aussi dans le spectacle, parce que vous avez raison
04:22de préciser que c'est un spectacle qui traite de questionnements
04:27graves.
04:28Il y a beaucoup d'humour, mais c'est grave.
04:30C'est très grave.
04:30Et c'est cela qu'on essaye de faire, justement.
04:32C'est-à-dire que la problématique qui est traitée, elle est, comme je le disais,
04:35existentielle. Elle vient, chacun et chacune d'entre nous, nous chercher au tréfonds
04:39de notre vivre ensemble.
04:40Et j'emploie le mot au sens lourd du terme.
04:43C'est ça, la démocratie, c'est comment faire pour vivre ensemble alors que
04:46fondamentalement, nous ne sommes pas d'accord sur tout.
04:48Nous sommes même bien souvent d'accord sur pas grand chose.
04:50Comment faire malgré tout pour aller dans la même direction ?
04:53Moi, c'est la question qui m'anime.
04:56Et puis, cette crainte de voir, en effet, le débat public être malmené
05:00par la communication politique.
05:02Le spectacle a quelque chose de cynique.
05:04Alors, en tant que comédien sur scène,
05:08c'est un plaisir d'incarner un homme sombre, cynique,
05:12froid, qui manipule l'opinion publique, même pas pour faire prévaloir
05:16des idées, mais juste parce qu'il peut le faire et qu'il en jouit.
05:19La jouissance de ce personnage, ce n'est pas de faire gagner des valeurs.
05:22Sa jouissance, c'est simplement de voir ce qu'il peut faire dans son laboratoire,
05:26qui est son bureau, et auprès de ces sujets d'expérience que sont le peuple du pays.
05:31Mais derrière cette matière grave, la dualité, elle se retrouve
05:35dans le fait que le spectacle est écrit avec beaucoup d'humour.
05:37Il faut le préciser, c'est-à-dire qu'on passe, je l'espère,
05:40en tout cas, un bon moment dans la salle de spectacle.
05:43Les spectateurs, les spectatiseries, il y a de la participation.
05:46Je fais participer le public, jouer, interagir les gens qui viennent me voir.
05:51On passe un bon moment.
05:52Et puis, c'est vrai qu'au sein de ce bon moment,
05:54au sein de cette joie partagée de voir les ficelles être explicitées,
05:58il y a peut-être des moments un peu plus graves, un peu plus lourds.
06:01Mais je pense que l'enjeu le mérite.
06:02Vous mettez d'ailleurs des choses en avant qui sont assez incroyables,
06:07parce que finalement, on ne s'en rend pas compte.
06:08Mais rien que la manière d'aller chercher ce besoin de modifier,
06:14d'arrondir des mots, quoi, qui gênent.
06:17On ne dit plus les pauvres, par exemple.
06:18Vous précisez tout ça.
06:20C'est incroyable parce que ça fait partie de notre quotidien.
06:23On ne s'en rend pas vraiment compte.
06:25La personne lambda, on ne s'en rend pas vraiment compte.
06:27Et parce que vous mettez le doigt dessus,
06:29effectivement, ça se met en exergue.
06:32C'est ça aussi le travail à faire.
06:33C'est un travail, entre guillemets, d'instruction.
06:37Oui, il y a un mot anglais qui s'appelle l'empowerment.
06:41La traduction française est très moche.
06:43On dit empouvoirment, mais c'est très moche.
06:47Si on voulait paraphraser le président de la République,
06:49on pourrait presque reprendre son concept et dire que ce qu'il faut faire,
06:52c'est du réarmement.
06:54Mais en l'occurrence, du réarmement rhétorique.
06:57Moi, ce qui m'importe, c'est que chacun et chacune d'entre nous
06:59soyons capables de retrouver derrière le voile des discours ce qui compte,
07:02c'est-à-dire la sève des propositions, des orientations, des idéologies.
07:06Et ensuite, on vote, on choisit, on donne notre préférence.
07:09À la fin des fins, il faut bien se faire une idée.
07:11Je ne suis pas en train de conspuer la politique
07:14et pas non plus le discours politique.
07:16Simplement, j'aimerais que nous soyons en mesure,
07:18chacune et chacun d'entre nous,
07:19de prendre nos décisions de manière éclairée et critique.
07:22Et ça, ça implique de se réarmer, en effet.
07:24Pour terminer, Clément, est-ce que vous croyez au phénomène
07:29qu'un jour, on va pouvoir voter pour et pas contre ?
07:32Je l'espère.
07:33Mais moi, vous savez, si vous me lancez là-dessus,
07:36moi, je suis encore plus idéaliste que cela.
07:38Non seulement j'espère cela, mais moi, j'espère qu'un jour,
07:40on ne votera même plus pour un homme, même pas pour des idées.
07:44J'espère qu'on participera directement aux décisions.
07:46Moi, ma proposition, elle est sur la table.
07:48Je n'en ai pas fait mystère.
07:49Je pense que la Ve République a fait son temps
07:51et que nous sommes mûrs maintenant
07:53pour élaborer collectivement,
07:55ça s'appelle une assemblée constituante,
07:56mais on sait faire, la science politique travaille cela
07:58depuis des décennies.
07:59C'est assez simple, en réalité.
08:00Ce n'est pas si compliqué que ça.
08:02Moi, je pense que nous sommes mûrs pour nous réunir,
08:04citoyennes, citoyens, dans une assemblée constituante
08:06et réfléchir aux modalités d'une nouvelle République
08:09qui nous permettent de dépasser la figure aujourd'hui indépassable
08:11du président de la République,
08:13de dépasser l'idée que le gouvernement décide de tout,
08:15tout seul, et d'essayer d'élaborer des manières
08:17pour que les citoyennes et les citoyens
08:19interviennent directement dans le processus de décision.
08:21C'est possible, on sait faire.
08:23La science politique a travaillé pendant 40 ans
08:25pour parvenir aux technologies dont on dispose aujourd'hui.
08:28Il n'y a plus qu'à.
08:29C'est ça, ce dont moi, je rêve.
08:30Non pas que l'on vote, même pas pour quelqu'un,
08:32mais que l'on décide ensemble.
08:34Mon idéal, il est là.