Au menu ce samedi : le coût énergétique de l'IA, le développement des télés locales, le droit au télétravail... Mais aussi un entretien avec le patron du groupe Bouygues, géant de la construction, des télécoms et des médias, et un débat sur la colère des grands patrons. Un agacement justifié ? Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/on-n-arrete-pas-l-eco/on-n-arrete-pas-l-eco-du-samedi-01-fevrier-2025-5718834
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00:00Et l'invité du MagEco ce samedi 1er février, c'est le Directeur Général du groupe Bouygues.
00:05Bonjour et bienvenue Olivier Roussat.
00:07Bonjour Alexandra.
00:08Quatre secteurs d'activité chez Bouygues, le plus petit dans votre chiffre d'affaires.
00:11Mais pas le moins connu, c'est le groupe TF1.
00:14Alors, parlons de cette nouvelle numérotation sur la télécommande.
00:17TF1, ça ne change pas, c'est le premier bouton.
00:19Mais LCI, la chaîne d'info, passe du Canal 26 au Canal 15, dans ce qu'on appelle le
00:25bloc des chaînes info, Olivier Roussat.
00:28On va se parler franchement, pour votre groupe, cette réorganisation, c'est une chance.
00:32C'est une bonne nouvelle parce qu'elle permet effectivement à la totalité des téléspectateurs
00:37de pouvoir accéder aux chaînes d'info simplement avec P+, P-, ce qui est simple, sans avoir
00:40à taper deux chiffres les uns derrière les autres pour aller chercher le Canal 26.
00:44Et donc, on regroupe, on était très fanas du regroupement de ce canal d'informations.
00:49Donc, c'est une très très bonne nouvelle.
00:50Et nous avons le 15 par ailleurs.
00:52Qui était celui de BFM, voilà.
00:55C'est une deuxième bonne nouvelle.
00:57Et eux ne se disent pas les plus heureux.
00:59Alors TF1, c'est la première chaîne, la une, elle est née en janvier 75, il y a 50 ans.
01:05Aujourd'hui TF1 est toujours leader, mais la concurrence est rude.
01:08Et c'est peut-être pas les TV locales, c'est plutôt les plateformes de streaming, Netflix,
01:13Amazon Prime, Disney+, Youtube.
01:16Vous, vous avez fait le pari d'une plateforme de streaming gratuite, financée par la pub,
01:20ça s'appelle TF1+, c'était il y a un an.
01:22Donc, c'est le moment de vous demander si les téléspectateurs et les annonceurs vous suivent.
01:26TF1+, c'est un grand succès.
01:28C'est une approche un peu différente de celle qu'on avait imaginée au début quand on avait
01:31travaillé sur le projet de rapprochement avec M6.
01:33Là, cette fois-ci, on a fait une plateforme gratuite avec des contenus qui sont des contenus
01:37que les téléspectateurs viennent revoir, avec une partie pour l'essentiel des choses
01:42que l'on peut retrouver dans le groupe TF1.
01:44Et c'est finalement une plateforme dans laquelle on a 33 millions d'utilisateurs qui sont venus.
01:49On a une croissance de nos revenus de 40%.
01:51Elle s'impose progressivement.
01:53Elle s'étend au-delà de sa diffusion sur la France.
01:57On est diffusée en Suisse, en Belgique.
01:59La volonté, c'est d'en faire une plateforme francophone, du monde francophone.
02:03Et les premiers résultats sont vraiment excellents.
02:05Donc, c'est plutôt réussi.
02:06Et la publicité ? Parce que c'est ça qui finance la télévision privée, évidemment.
02:09La publicité sur le linéaire, est-ce qu'elle se paye plus cher sur le digital ?
02:14Alors, elle se paye plus cher sur le digital.
02:15Et tout l'enjeu que nous avons, parce que vous l'avez dit, la concurrence importante
02:19dans les publicités télévisuelles, c'est la concurrence de YouTube.
02:22C'était un des sujets que nous avions défendu à l'autorité de concurrence en 2022.
02:25Et donc, tout l'enjeu de TF1+, c'est de prendre une partie des budgets annonceurs
02:30qui se prennent pratiquement au niveau européen et qui descendent directement sur YouTube.
02:34Et donc, d'aller chercher une partie de ces budgets, qui sont des budgets qui sont
02:38plus rentables parce qu'on est capable d'offrir une publicité qui est beaucoup plus ciblée,
02:42qui permet d'aller chercher directement telle ou telle personne en fonction de...
02:46On sait qui est derrière la télévision à ce moment-là.
02:48Oui, c'est fou.
02:49C'est une publicité vraiment plus personnalisée.
02:51Alors, dans le périmètre du groupe Bouygues, j'avance parce que vous êtes quand même
02:54un conglomérat.
02:55Il y a évidemment la construction.
02:58Commençons par regarder l'immobilier.
03:00Depuis deux ans, on a assisté à la chute des permis de construire, on a assisté aux
03:03suppressions d'emplois.
03:05Mais maintenant, la patronne du promoteur Nextcity, Véronique Bédague, elle dit « on
03:09sort d'une crise monstrueuse ». Est-ce que vous aussi, vous voyez la lumière au bout
03:13du tunnel ?
03:14Ce que l'on croit, c'est que nous avons touché le fond de la piscine.
03:17C'est-à-dire que nous avons arrêté de baisser.
03:20En revanche, la reprise demande de la confiance, elle demande des taux d'intérêt qui baissent
03:25et ça, c'est le cas.
03:26Elle demande de la confiance et de la stabilité parce que les acheteurs, quand vous avez un
03:31acheteur, un primo-accédant qui vient faire un achat de logement, c'est un achat qui
03:35va l'engager pendant 15 ou 20 ans.
03:37Il a besoin d'avoir confiance dans le futur.
03:39Il se trouve qu'au mois de mai dernier, on avait le sentiment d'avoir touché l'inflexion
03:44et d'avoir un marché qui s'apprêtait à repartir.
03:46Et puis, on a eu toute notre période d'instabilité sur le second semestre entre tous nos événements
03:50politiques qui ne donnent quand même pas énormément de confiance aux différents acheteurs.
03:54Ça vous a coûté cher la dissolution ?
03:56En gros, ce qu'elle a occasionné, c'est que nos réservations étaient reparties à partir
04:04du mois de mai.
04:05À partir du mois de juin, on a eu à nouveau une élévation du taux de désistement.
04:09Et puis, ça a démarré assez doucement.
04:12Après, vous avez vu toutes les annonces de « on va augmenter les impôts dans tous
04:14les sens ».
04:15Ça, ce sont des choses qui ne rassurent pas le primo-accédant qui ne sait pas bien
04:21où il va aller.
04:22Ça, c'est un sujet qui est gênant.
04:25Là, on a besoin de stabilité parce que cette stabilité donne de la confiance et
04:29elle permet de faire repartir.
04:30Et j'espère qu'on a trouvé le point d'inflexion, qu'on est bien en bas de la piscine.
04:34On a un budget qui sera voté.
04:37En tout cas, on a un texte qui va être voté lundi, on verra.
04:39Mais mercredi, il peut y avoir une censure ?
04:41J'espère que non.
04:42Mais effectivement, c'est le risque.
04:44Je vous espérais que non.
04:46Il y a eu un appel des syndicats et du patronat, de quasiment tous les syndicats sauf la CGT
04:51et du patronat, pour dire, c'était en mi-décembre, il nous faut de la stabilité.
04:55Appel aux politiques.
04:56Il est clair que sur l'environnement économique, on l'avait eu à l'époque quand on avait
05:01vu, si vous regardez par exemple ce qu'avait eu TF1, fin d'année dernière, à partir
05:06du moment où on a eu cet épisode de censure, vous avez eu tout un tas d'annonceurs qui
05:09sont devenus plus frileux.
05:10C'est quelque chose qui donne, c'est de l'instabilité.
05:13L'économie a besoin de stabilité et de confiance.
05:16C'est ça qui l'a fait fonctionner correctement.
05:18Alors, additionner à cela le fait qu'on rentre dans un monde qui est quand même assez
05:21différent de ce qu'il était précédemment par ailleurs.
05:23Alors, on va y venir, à cette nouvelle donne avec Donald Trump.
05:26Mais du coup, je vous pose la question, puisqu'on est sur l'actualité française et l'instabilité.
05:30On a entendu beaucoup de voix de patrons en colère.
05:33C'était le débat il y a quelques minutes avec les journalistes.
05:36Est-ce que vous, comme Bernard Arnault, vous êtes un patron en colère ?
05:41Nous, nos différents sociétés travaillent localement.
05:45C'est-à-dire que quand on est en Allemagne, notre concurrence est allemande.
05:48Quand on est en Belgique, elle est belge.
05:50Quand on est en France, elle est essentiellement française.
05:52Et donc, on n'a pas le type d'exposition pour avoir un industriel qui exporte des produits.
05:56En revanche, et donc avoir ponctuellement, et j'espère que le ponctuel, parce qu'on
06:01vous a expliqué que c'était simplement une année, c'est effectivement...
06:04Alors, je vous vois sourire, vous n'y croyez pas ?
06:06Écoutez, c'est rare qu'en France, on arrive à tenir ce genre de promesses.
06:09Imaginons que ce soit le cas.
06:10Ce qui est gênant, finalement, c'est quoi ?
06:12Pour un groupe comme le nôtre, le delta, c'est un peu plus d'une centaine de millions
06:16d'euros probablement qu'il faut...
06:17On va voir, on n'est pas au bout de l'histoire, mais c'est minimum une centaine de millions
06:20d'euros supplémentaires que nous devrons donner.
06:22Le vrai sujet, c'est de se dire, finalement, qu'est-ce qui se passe du côté des dépenses
06:27pour faire en sorte qu'effectivement, ce soit ponctuel ?
06:29Est-ce qu'effectivement, il y a des vrais efforts qui nous permettent de nous dire
06:33« Voilà, comme on a beaucoup diminué les dépenses, on va pouvoir revenir à l'impôt
06:36tel qu'il était ».
06:38Et ce n'est pas facile à croire.
06:40D'accord.
06:41Donc, je n'entends pas de la colère, cependant.
06:43Non.
06:44C'est bien qu'ils s'expriment, les grands patrons ?
06:46Parce que là, vraiment, on a Michelin, on a Bernard Arnault.
06:49Vous, vous êtes le patron du groupe Bouygues.
06:51Nous, on est normalement un groupe qui s'exprime assez peu.
06:54On n'a pas d'opinion politique à avoir ni à donner.
06:58Ce n'est pas trop notre pratique de nous exprimer d'une façon générale.
07:02Mais là, est-ce qu'il y a un moment où il faut se faire entendre ?
07:04Je pense que ce qui est gênant, vraiment, c'est le fait de dire « Écoutez, on peut
07:08faire des efforts, il faut que tout le monde fasse des efforts ».
07:11C'est ça le sujet essentiel, il me semble.
07:13Et là, vous pensez aux dépenses.
07:15Allez, l'arrivée de Donald Trump.
07:17On en parle de cette nouvelle donne puisque vous, vous êtes un groupe international.
07:21On a aussi beaucoup d'activités aux Etats-Unis.
07:23On fait 4 milliards d'euros aux Etats-Unis.
07:25Avec votre activité de construction, c'est ça ?
07:27Construction, on fait des routes.
07:29On fait notamment beaucoup de choses avec des fabrications d'usines avec Equence.
07:33Et quelques grands chantiers avec Bruit Construction.
07:36Alors, Donald Trump, comme disait ma consœur du Financial Times, prend des décrets,
07:40fait bouger les choses très très vite.
07:42Aujourd'hui, c'est la montée, par exemple, des droits de douane sur le Mexique et le Canada.
07:46Et la Chine, 10% pour la Chine.
07:49Alors, vous, vous n'exportez pas, vous venez de le dire.
07:51Mais est-ce que quand même, il y a quelque chose qui change dans votre manière de travailler ?
07:54De toute façon, on a quand même des sujets sur lesquels, quand vous faites un grand tunnel aux Etats-Unis,
07:58on utilise des machines qu'on achète en Allemagne, qui sont faites par Erich Necht.
08:01Ça coûte à peu près 60 millions d'euros, un tunnelier, si on lui applique un droit de douane de 25%.
08:06Il ne nous coûte pas 60, il nous coûte 60 plus 12,5.
08:09Donc, c'est quand même quelque chose qui n'est pas neutre,
08:11que nous devrons pouvoir répercuter dans nos contrats.
08:14La nouvelle donne qui est en train de se produire, c'est que dans nos contrats,
08:18nous n'avions pas, nous avions des choses sur les clauses de change.
08:21On avait prévu le fait que les monnaies puissent changer.
08:23On a réintroduit les clauses d'inflation avec ce qui s'est passé après le Covid.
08:27Maintenant, il va falloir introduire des clauses relatives aux droits de douane,
08:30puisque le vrai problème que nous avons avec ce qui va se passer aux Etats-Unis,
08:33c'est que dans le monde entier, il va y avoir des barrières douanières.
08:36Et donc, le libre-échange qu'on a connu pendant de nombreuses années,
08:40où tout était fluide, va cesser d'être fluide, tout simplement.
08:43Et donc, c'est ça qui est inquiétant, c'est qu'on est en train de mettre des barrières un peu partout
08:48et plutôt ralentir tous les flux qu'on pouvait faire, qui étaient assez simples en fait.
08:52Et pour vous, pour le consommateur, en fait, ça veut dire quoi au bout du bout ?
08:56Est-ce que ça veut dire moins de contrats pour vous ?
08:58Est-ce que ça veut dire des produits plus chers ou des services plus chers pour le consommateur ?
09:01À un moment ou à un autre, ça remonte le prix de ce que l'on réalise, mécaniquement,
09:04puisqu'ils nous coûteront plus cher.
09:06Olivier Roussat, quand l'Europe dit « le décrochage économique, ça n'est pas inéluctable,
09:10on va mettre en place une nouvelle boussole pour la compétitivité des entreprises,
09:14choc de simplification administrative, assouplissement des règles de concurrence »,
09:18alors je vous vois sourire. Vous y croyez ? Non ?
09:21Ah non, mais vous avez vu ce qu'ils ont inventé avec la CSRD ?
09:25Ah la CSRD, c'est une directive européenne qui a été traduite dans le droit français,
09:33qui fait qu'on va publier pour la première fois cette année des séries d'indicateurs
09:36qui nous permettent de regarder comment on tient compte du changement climatique,
09:40comment l'entreprise s'adapte à l'environnement
09:42et comment l'environnement rétroagit sur l'entreprise.
09:45Ça s'appelle une matrice de double matérialité.
09:47On nous fait suivre pour ça, on nous a proposé 1100 indicateurs,
09:51on en a nous retenu 700 que l'on doit publier sur tout ce que l'on fait.
09:55Alors vous avez retenu 700 parce que vous avez vraiment beaucoup d'activités,
09:58la plupart des entreprises ce n'est pas 700 quand même.
10:00Oh, quand vous êtes… c'est plusieurs centaines.
10:03Et donc au final, on se retrouve à devoir décrire…
10:06enfin en gros l'esprit de cette directive, c'est de s'assurer que nous faisons ce qu'il faut
10:11pour d'une part aller réduire notre empreinte carbone
10:14et d'autre part nous adapter à ce changement.
10:16Est-ce que vous croyez vraiment qu'une entreprise a besoin de la Commission européenne
10:21pour voir ce qu'elle doit faire pour s'adapter au changement économique dans lequel elle est ?
10:24Alors là Olivier Roussat, est-ce que sans la Commission européenne et les lois,
10:27les entreprises se seraient préoccupées d'environnement ?
10:30Mais oui, pour une raison très simple.
10:32Parce que l'environnement, vous avez deux…
10:35dans les parties prenantes qui mettent une pression importante sur les entreprises,
10:38la première d'entre elles ce sont nos collaborateurs.
10:40Nos jeunes collaborateurs, ils veulent que l'on ait une réduction de notre empreinte carbone.
10:44Si on a pris des engagements vis-à-vis du SBTI qui est un organisme international…
10:47Mais là vous êtes contrôlé.
10:49Et donc la CSRD, il va y avoir un assouplissement…
10:52C'est un énorme truc bureaucratique qui n'apporte rien.
10:55Mais vraiment rien.
10:57Mais le pire n'est pas la CSRD, le pire c'est la CS3D, qui est le devoir de vigilance.
11:03Alors là pour le coup…
11:04C'est pour bien traiter ses sous-traitants ?
11:05Oui, mais dans l'esprit tout est…
11:08c'est extrêmement… comment dire…
11:10c'est très sympathique comme approche, c'est très logique.
11:13On peut tout à fait comprendre tout ça.
11:15Mais il y a juste des choses qui ne sont pas possibles, pas réalistes.
11:18Olivier Roussin, le directeur général du groupe Bouygues.
11:21Merci d'avoir été l'invité d'On n'arrête pas l'écho.
11:23Merci beaucoup.