"J'ai 1900 patients. La moyenne nationale, c'est 800 par médecin."
Amélie est médecin généraliste à La Loupe dans l'un des départements de France qui en comptent le moins, l'Eure-et-Loir. Et son quotidien, c'est ça.
Amélie est médecin généraliste à La Loupe dans l'un des départements de France qui en comptent le moins, l'Eure-et-Loir. Et son quotidien, c'est ça.
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00:00— On parle beaucoup de vous en ce moment. — Ouais. Bah malheureusement, ça devient un petit peu compliqué d'exercer dans ces conditions-là.
00:08Je vous fais pas mal, hein. Mais pour embaucher du monde, il faut un peu plus de sous. Moi, ça fait pas 10 ans que je suis installée.
00:14Et en fait, j'ai juste envie de s'y faire autre chose, quoi.
00:16L'Eure-et-Loire est le premier désert médical de France. Donc oui, il y a une grosse problématique ici.
00:23Il y a 22 médecins qui sont partis dans l'agglomération de Chartres en 2022 pour 2 installations.
00:27Donc clairement, ils vont pas pouvoir remplacer les 22 médecins partis.
00:31Monsieur l'ambassadeur, c'est à vous.
00:32J'ai 1 900 patients déclarés en médecins traitants, ce qui signifie que chaque jour, j'ai 1 900 patients qui peuvent m'appeler
00:40parce qu'ils ont un problème de santé qui nécessite d'être vu. En France, la moyenne nationale, c'est 800 patients par médecin.
00:49On va les prendre l'attention.
00:50La plus importante, c'est celle-là. Votre médecin va-t-il bien ?
00:53Donc en ce moment, avec tout ce qu'on a, effectivement, le médecin ne va pas forcément bien.
00:58Ben non, ça peut pas. Donc voulez-vous qu'il aille bien ?
01:01Ben oui.
01:02Et en fait, compte, les patients sont pas bien non plus parce qu'on a peur, en fin de compte, de l'avenir.
01:07Moi, je suis fière d'être médecin parce que je dois pas le cacher, j'en ai quand même chié pendant mes études.
01:12Et je sais pas si on doit être fiers de réussir à travailler dans ces conditions-là parce qu'en fait, on accepte ce qui est inacceptable.
01:20Je vous fais pas mal.
01:21J'arrive le matin, il y a les rendez-vous verts, donc c'est les rendez-vous qui sont pris à l'avance pour renouveler les traitements.
01:27J'ouvre mon agenda et donc je regarde les messages des secrétaires de patients ayant besoin de rendez-vous d'urgence.
01:36Et donc je réserve 15 places par jour pour les urgences.
01:41Et là, par exemple, le 12 décembre, j'ai compté, il y a eu 46 appels pour un demande de rendez-vous d'urgence le jour même.
01:50Là, j'ai qu'une envie, c'est d'éteindre l'ordinateur et de rentrer chez moi parce que je me dis, je ne vais pas pouvoir gérer tout le monde.
01:58Du coup, on passe en situation d'urgence. C'est la guerre.
02:02Et je prie pour que tous ceux que je n'ai pas vus ou que je ne pourrais pas voir aillent bien.
02:07C'est nouveau ?
02:08Non, c'est pas nouveau. Ça s'aggrave.
02:11Mais ça fait 10, 20 ans qu'on le sait, ça va arriver. Et là, ça arrive.
02:17Moi, je suis contente de vous revoir.
02:19J'étais dans la salle d'attente, je l'ai vue, j'ai dit, ah bah tiens, elle est revenue dans le coin.
02:23Ah oui, oui, oui.
02:24On se dit, si on part, ils vont faire quoi ?
02:26Mais après, je privilégierai tout le temps à ma famille vis-à-vis de mon travail.
02:32Il est hors de question que je ne vois pas mes enfants grandir pour un travail.
02:37Donc là, il est 14h15.
02:40Nous partons en visite à 7 kilomètres de la Loupe, voir une dame qui ne peut pas trop sortir de chez elle.
02:47À tout à l'heure, Anne-Claire.
02:52Un médecin de campagne, c'est être médecin de famille, proche de ses patients.
02:56Après, c'est vrai qu'à la campagne, les patients sont assez reconnaissants de leur médecin
03:00et nous emmènent souvent à manger ou des petits cadeaux.
03:04Bonjour, un bâtard !
03:06C'est le docteur. Vous ne m'avez pas reconnu ?
03:09Maintenant, c'est qui ?
03:10C'est le docteur Ricouat.
03:11Ah bah, je ne t'ai pas reconnu.
03:13Bah oui, je vois ça.
03:14Je croyais que vous faisiez grève.
03:15Ah, je fais grève, mais je suis là.
03:17Attendez, je vais écouter votre cœur, là.
03:20C'est important pour le patient, ça lui fait une visite dans la journée
03:23parce que malheureusement, elle ne voit pas grand monde à part ses aides ménagères.
03:26Je pourrais passer un petit peu de temps avec elle, mais je ne peux pas
03:30parce qu'il est 14h38 et le patient de 14h30 est déjà au cabinet.
03:35Ce qui me fait tenir, moi, c'est que j'adore mes patients.
03:38J'adore la relation qu'on a tissée au fil des années.
03:43J'adore savoir que papy, il a fait son jardin,
03:46mamie a fait son tricot, on discute tricot.
03:52Vous allez bien ?
03:54Bah, oui, on peut dire.
03:58Son prédécesseur, une fois, nous a reçus, il n'était pas loin de minuit.
04:03Le soir, avec les rendez-vous, il y avait eu des urgences entre deux
04:07et je croyais qu'il avait terminé.
04:09Je lui ai dit, bon, bonne soirée docteur.
04:11Il m'a dit, mais je dois encore passer à l'hôpital avant de rentrer chez moi.
04:14Donc, je comprends tout à fait.
04:21Vous voyez, j'ai une personne avec moi, elle a 91 ans.
04:24Il lui arrive quelque chose, on fait quoi ?
04:25On va la laisser 15, 16 heures sur un brancard ?
04:28Bah non.
04:29On a compris qu'il fallait que les choses changent.
04:30Qu'est-ce qui doit changer et comment ?
04:32Qu'est-ce que vous demandez ?
04:34On demande déjà à avoir une augmentation de nos tarifs
04:40pour pouvoir embaucher, pas pour s'enrichir,
04:43pour pouvoir embaucher du personnel administratif
04:46qui puisse nous décharger de tous ces papiers à scanner,
04:50à ranger dans l'ordinateur,
04:52qui puisse rappeler les patients et faire des choses à notre place.
04:55Je suis partie une semaine en congé.
05:00Et voilà tout le courrier que j'ai à scanner,
05:05à ranger dans le dossier de chaque patient.
05:10Et à chaque fois qu'il y a eu un antécédent de santé pour un patient,
05:13je dois, dans l'ordinateur, le rentrer pour avoir des dossiers à jour.
05:18Ça, ça me représente presque une journée de travail.
05:21Comment vous trouvez le temps de faire ça ?
05:24Je le fais chez moi, le week-end ou le soir,
05:27à défaut de passer du temps en famille parce qu'il faut le faire.
05:31On espère que ça change et sinon, tant pis,
05:34on fera autre chose mais on ne sera plus médecin.
05:36Et ça, c'est du gâchis vis-à-vis de l'investissement
05:39que nous avons mis dans nos études
05:41parce que personne ne peut se rendre compte de ce que c'est.
05:45Aujourd'hui, je vois plein de collègues qui sont à genoux,
05:48qui se mettent en arrêt de travail
05:49et qui ne retourneront jamais faire leur travail qu'elles aimaient
05:52et pour lequel ça avait un sens.
05:54Et je me dis, il ne faut pas que je sois la prochaine.
05:57J'essaie de faire tout pour ne pas être la prochaine.