Pour avoir défendu l'accusé central du procès des viols de Mazan, Béatrice Navarro est devenue "l'avocate du diable". De leur rencontre à "l'après-Mazan", elle se livre à "La Provence".
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00:00Au-delà des faits, il a tout perdu, M. Pellicot.
00:03Il n'y a plus d'épouse, il n'y a plus d'enfant, il n'y a plus de petits-enfants.
00:05Il y en a même un qui est né pendant l'instruction et son incarcération qu'il n'a jamais vu.
00:10Et je ne sais pas s'il le rencontrera un jour, donc c'est très compliqué.
00:14À ce moment-là, il était incarcéré à l'établissement pénitentiaire de Marseille,
00:30au Beaumet.
00:31Et il cherchait un avocat et il était à côté d'un homme qui lui a dit « moi j'ai
00:35Mme Zavarro, elle est bien, je m'entends bien avec elle et ça se passe bien, donc
00:40appelle-la, écris-lui et tu verras, tu échangeras avec elle et tu verras si ça peut le faire
00:45ou pas ».
00:46J'ai hésité trois secondes et demie.
00:47C'est-à-dire que non, d'abord, quand je rencontre M. Pellicot et quand on est dans
00:53le temps au moment de notre rencontre, on ignore tout de ce qui va se passer par la
00:57suite.
00:58On est en mars 21, c'est-à-dire qu'on est à six mois à peu près de son incarcération
01:02et de sa mise en examen, on a dix personnes qui ont été interpellées.
01:05On ne sait pas ce que le travail de la police va donner.
01:10Donc on ne sait pas combien de personnes vont être interpellées.
01:12Moi je sais, parce qu'il me l'a dit, qu'il y en a un certain nombre qui devraient être
01:16interpellées, mais on ne sait pas sur le terrain ce que ça peut faire.
01:19Donc j'ignore tout et j'ignore tout de l'emballement médiatique pour cause, ce
01:23qui va se passer par la suite.
01:24Je prends la défense d'un homme, avec ses failles, avec ses imperfections, avec ses
01:28défauts.
01:29Je prends la défense d'un homme, je crois que même humainement on devrait tous faire
01:34pareil.
01:35Ce n'est pas parce que l'homme a commis quelque chose de monstrueux qu'il est un
01:38monstre.
01:39Et je reste sur cet axe de défense en disant, je défends un homme, mais je vais vous expliquer
01:44les raisons pour lesquelles il a pu commettre cette monstruosité.
01:47Mais à mes yeux, il reste un homme.
01:55Avant le procès, il est très angoissé.
01:56Il est très angoissé parce qu'il sait que ça va être la première confrontation avec
02:00son épouse et sa famille.
02:02Depuis le 2 novembre 2020, silence radio, ni son ni l'image d'une part et d'autre.
02:08Donc voilà, pour le coup, c'est une vraie confrontation.
02:12Et puis la salle d'audience est faite de telle sorte que vous avez la partie civile
02:15sur un pont de mur et vous avez le box des accusés qui fait face.
02:18Donc on va avoir un vrai face à face.
02:21Et je pense que quand au début de cette audience, je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais
02:25au début de cette audience, il a eu des problèmes médicaux, monsieur Pellicot.
02:29Et il y a eu donc un, ça a été médicalement posé.
02:32Il y a eu un caillou dans la vessie, un problème de prostate, un problème au rein.
02:37Je pense que le corps a somatisé, c'est dire qu'il devait prendre la parole le lundi
02:41qui suivait cette première semaine.
02:42Madame Pellicot s'était exprimé dans le courant de la première semaine, après ce
02:48que j'ai appelé les présentations d'usage, le relevé d'identité de chacun, etc.
02:52L'OPJ est venu, madame Pellicot s'est exprimé et monsieur Pellicot devait prendre la parole
02:56le lundi.
02:57Et là, j'ai trouvé un homme le lundi matin dans les geôles du palais de justice qui
03:01était couché, qui n'allait pas, qui était tordu de douleur.
03:05Et j'ai dit au président, on ne peut pas, il ne peut pas être présent décemment et
03:10répondre aux questions décemment dans ces conditions-là.
03:18Le seul coéquipier que j'ai eu pendant cette audience, c'est monsieur Pellicot.
03:22Au-delà de mon soutien personnel, mais le seul coéquipier que j'ai eu dans cette salle
03:26d'audience, c'est monsieur Pellicot.
03:28C'était, je savais qu'on avait quand même autour de nous des gens qui n'adhéraient
03:33pas à la cause de monsieur Pellicot, qui ne partageaient pas l'analyse du dossier,
03:38ne partageaient pas ses dépositions, en tout cas son positionnement, voilà, je trouve
03:45mon mot.
03:46Et donc, je savais que ce serait lui et moi contre le monde entier, oui, tout à fait.
03:50En amont, mon travail a consisté à lire tout de ce dossier.
03:53Et donc, fatalement, quand un des accusés par la parole de son avocat venait, comme
03:59vous dites, charger la mule, il était de mon devoir de reprendre le PV en question
04:02et de dire, vous avez peut-être dit ça, mais moi, je vous rappelle qu'il y a ça.
04:06Et ça a été cet échange continuel et perpétuel de dire, mais attendez, vous allez sur telle
04:14voie, mais dans le PV, on est allé sur une autre voie.
04:17C'est ça aussi le travail d'audience.
04:20C'est une attention accrue sur les mots employés, sur les déclarations des uns et des autres
04:26et sur tout ce que le dossier contient et qu'il faut fatalement révéler, relever
04:33et pointer du doigt pour dire, vous êtes en train de vous tromper.
04:36J'ai eu un soir et c'était le premier soir des réquisitions.
04:40Autant vous dire qu'on était quand même vers le 20 novembre, 22 ou 23 novembre, peu
04:46m'importe, mais un soir où je descends les marches du palais et là, j'ai un flot
04:52de féministes qui disent Yamed Zavaro, honte à vous, honte à la justice, etc.
04:58Mais le lendemain, j'ai une jeune femme féministe qui est venue me voir en me disant, ne tenez
05:02pas compte de ce qui s'est passé hier soir, on ne partage pas le point de vue de certaines
05:06et merci pour ce que vous avez fait.
05:08C'est à dire que j'ai vu que le positionnement de certaines féministes n'était pas partagé
05:14par tout le monde.
05:15Ça a été le seul élément un peu isolé que j'ai vécu et après, on m'a fait comprendre
05:22que ça ne me concernait pas moi forcément.
05:24Moi, j'estime que les débats aient été à huis clos ou public, n'a rien influé sur
05:29mon travail.
05:30Maintenant, on va lui rendre hommage à Madame Pellicot, c'est à dire que je pense que l'ouverture
05:37de la salle d'audience a fait qu'il y a eu cet emballement médiatique, il y a eu cette
05:42réflexion sociétale, il y a eu tous ces sujets aujourd'hui qui sont portés à l'écran
05:46et dans la presse etc. parce que justement, le débat était public et j'ai l'impression
05:51qu'en rendant le débat public, elle a un peu influé sur d'autres femmes parce que
05:56j'ai suivi un petit peu l'actualité sur ce sujet-là après le verdict ou d'autres femmes
06:00ont dit, elle l'a fait, je vais le faire et je vais ouvrir la porte d'audience parce
06:04qu'en fait, ce n'est pas à moi à avoir honte mais à celui qui est mis en cause.
06:12Le jour de cette audience-là, je lui ai dit « Monsieur Pellicot, on va faire comme
06:19si on n'était que tous les deux dans le box avocat, on va oublier la cour, on va oublier
06:23le parquet, le greffe, les intervenants, on n'est que tous les deux, on va se parler
06:27comme on sait se parler tous les deux ». Et il m'a dit « Non, moi je ne sais pas comment
06:32ces photos sont arrivées là ». J'en ai reparlé avec lui à l'issue au parleur
06:39avocat et il m'a confirmé qu'il ne savait toujours pas comment ces photos avaient été
06:42prises. Je ne peux pas aller plus loin, à un moment donné, je suis un peu impuissante,
06:47je ne peux pas aller plus loin.
06:48On évoque effectivement la possibilité de l'appel, on évoque la possibilité de faire
06:57un appel uniquement sur la période de sûreté, les deux tiers qui ont assorti les 20 années
07:03de réclusion. Et puis je lui dis qu'à ce moment-là, si on fait appel de la sûreté,
07:10fatalement le parquet va faire un appel incident et on va se retrouver à la case départ.
07:14Et on a en plus le risque en appel d'un déplafonnement, c'est-à-dire que si une question subsidiaire
07:22est posée sur les actes de torture et barbarie, alors là c'est la perpétuité qui est engrouée.
07:27Et en tant qu'avocat, je ne lui fais pas courir ce risque-là.
07:31D'abord, on se sent très fatigué parce que ça a été un marathon, ça a été une
07:36épreuve, ça a été un condensé pendant trois mois et demi où vous avez nécessité
07:45d'être attentif à tout, les mots, les sujets, l'audience, les échanges, tout ça.
07:53Mais au-delà de ça, on se sent avec peut-être la satisfaction d'un défi qui a été relevé.