🇨🇲 "Je suis partie pour aider ma famille, mais je ne savais pas que j’allais devenir une esclave, sans droit ni dignité."
Partie du Cameroun pour travailler au Liban, Soleil se retrouve piégée dans une vie d’esclavage moderne, car en vérité, elle a été vendue. Exploitation, maltraitances, abus... Malgré la douleur et les humiliations, elle a trouvé la force de s’en sortir. Pour Brut, elle raconte son histoire poignante.
Partie du Cameroun pour travailler au Liban, Soleil se retrouve piégée dans une vie d’esclavage moderne, car en vérité, elle a été vendue. Exploitation, maltraitances, abus... Malgré la douleur et les humiliations, elle a trouvé la force de s’en sortir. Pour Brut, elle raconte son histoire poignante.
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00:00J'ai pas de repos, je suis vendue, attachée.
00:03Si vous voulez, je vais dire les mots clés, j'ai comme l'impression que je suis esclave.
00:07Et elle m'a dit, oui, tu es mon esclave.
00:10Je lui ai dit, comment ça se fait que je sois ton esclave ?
00:13Elle m'a dit parce que j'étais à Chépi.
00:15Je m'appelle Soleil, je suis âgée de 34 ans, j'ai été vendue pour travailler au Liban.
00:19Mon enfance a été une enfance normale, comme tous les enfants,
00:23jusqu'au décès de mon père et où tout a basculé dans nos vies, mes frères et moi.
00:28Donc ma maman s'est retrouvée femme au foyer avec ses enfants en charge
00:33et puis n'ayant aucun boulot, dans la misère complètement.
00:37Maman, vu qu'on Ă©tait cinq, elle pouvait pas tous nous assumer.
00:40J'ai la petite-soeur de mon père qui m'a récupérée
00:42et je suis allée vivre avec elle pendant deux ans à Yaoundé.
00:45Donc j'ai grandi entre ces deux villas d'Ouala Yaoundé.
00:47J'ai commencé à travailler à l'âge de 15 ans, 15-16 ans.
00:52Je commence Ă travailler dans un premier restaurant
00:54et après je travaille aussi dans un kiosque de Paris sportif au pays.
00:59Cette opportunité de travailler au Liban,
01:01je l'entends quand je suis restée deux ans avec ma tante à Yaoundé,
01:04par le biais d'une amie qui Ă©tait amie avec une tante de la tante de l'enfant.
01:09Bref, on m'a proposé d'aller travailler au Liban comme ménagère
01:13et j'ai vu cette opportunité comme un or
01:15parce qu'enfin je pouvais subvenir aux besoins de ma famille.
01:19Ă€ l'Ă©poque, je n'avais pas de passeport parce que je n'avais pas les moyens de m'en faire un.
01:23Elle s'est proposée de me faire un passeport.
01:25C'était très compliqué parce que financièrement,
01:27on ne pouvait pas trouver la somme qu'elle demandait
01:30parce qu'il fallait au Missa faire des examens médicaux
01:33qui prouvent que je ne suis pas malade avant de voyager.
01:36Ma mère et ma famille se sont arrangés.
01:39Ils ont fait une petite cotisation et puis on a trouvé l'argent qu'il fallait
01:43parce qu'il fallait aussi que j'achète mon billet d'avion.
01:46Quand tous les papiers sont prĂŞts, je repars au bureau le lendemain.
01:49Elle m'envoie quelques méfaits des examens médicaux
01:52que je paye de ma poche Ă©quivalent Ă 100 euros
01:55avec ce que mes parents m'avaient donné.
01:57C'est plusieurs Ă©tapes ce voyage.
01:59Quand le passeport est sorti, elle m'a convoqué au bureau.
02:02Je suis arrivé au bureau.
02:03Elle m'a parlé d'un contrat de travail.
02:04Dès que je l'ai eu, ce que j'allais faire, ce que je ne devais pas faire,
02:07je ne devais pas avoir droit au téléphone.
02:09Je devais avoir droit Ă 10 minutes par mois et Ă appeler un seul membre de ma famille.
02:14Quand je pars, je suis dans un Ă©tat d'esprit de tristesse
02:18parce que j'ai laissé ma famille.
02:20Je n'Ă©tais jamais parti loin d'eux.
02:21Mais en mĂŞme temps, j'ai cet engouement-lĂ de me battre,
02:24de pouvoir travailler pour leur offrir ce qu'ils méritent.
02:27Une fois arrivé à Beyrouth, quand je suis arrivé dans la maison,
02:31je trouve deux autres ménagères, une népalaise et une philippienne,
02:35qui Ă©taient dans la mĂŞme maison.
02:36Et ils m'ont dit de voir avec cette ménagère
02:39parce qu'elle a des choses Ă m'expliquer.
02:40Elles m'ont dit « il faut que tu coupes tes cheveux
02:43et que tu enlèves tes ongles que tu avais. »
02:46Parce que j'avais fait une petite manicure.
02:48Et puis tu fais ta douche au désinfectant.
02:51Je devais être jardinière, faire la laverie de la voiture,
02:54faire amener les enfants Ă l'Ă©cole.
02:56Je faisais tout, il n'y avait pas de limite dans ces tâches-là .
03:00Et mĂŞme encore, le jour oĂą le patron n'est pas lĂ ,
03:03parce qu'il a peut-être voyagé, il m'envoie chez sa soeur.
03:06Et je faisais tous les jours, sans repos, du lundi au dimanche.
03:10Au début, ça n'allait pas.
03:15Je le redis, je ne peux pas.
03:18On m'a dit « c'est comme ça, c'est signé, tu ne peux rien. »
03:20Donc j'ai commencé à travailler, à travailler, je me suis alignée,
03:24tout en espérant que le temps va passer,
03:27en espérant que ça va finir, en espérant que je vais y arriver.
03:30Mais je n'y arrivais pas parce qu'Ă bout d'un moment,
03:33ce monsieur, il rentrait régulièrement dans ma chambre
03:36et il me faisait des attouchements quand je dormais la nuit,
03:38et ça tous les soirs.
03:39Donc je me suis sentie trahie, je n'avais personne avec qui parler.
03:43Je ne posais que dix minutes au téléphone avec ma famille,
03:46et même cette dame ne parlait pas français.
03:48Donc c'était compliqué de toucher quelques mots à mes frères
03:52sans qu'elles ne se rendent compte que j'étais prise au piège.
03:55Donc jusqu'Ă ce qu'un jour, je lui ai dit
03:58« écoutez, j'ai comme l'impression que je n'ai pas de repos,
04:02je suis vendue, attachée.
04:04Si vous voulez, je vais dire les mots clés,
04:05j'ai comme l'impression que je suis esclave. »
04:08Et elle m'a dit « oui, tu es mon esclave. »
04:12Je lui ai dit « comment ça se fait que je sois ton esclave ? »
04:14Elle m'a dit « parce que j'étais à Chépi. »
04:16Elle m'a dit « j'ai envoyé une somme d'argent,
04:18un Ă©quivalent, 3000 dollars,
04:20pour que tu puisses venir ici,
04:22pour que tu puisses acheter ton billet d'avion,
04:24pour que tu puisses préparer ta valise,
04:25et surtout pour que tu saches ce que tu viens faire là . »
04:29Et là , je me suis sentie, je me suis décroulée.
04:32Je lui ai dit « je ne sais pas ça, on ne m'a pas dit ça. »
04:35Elle me dit « il est signé dans le contrat. »
04:37Je lui ai dit « mais ce contrat même, il est en arabe,
04:39je ne l'ai pas lu, donc je n'Ă©tais pas d'accord.
04:42J'ai commencé à me rebeller dans cette maison. »
04:44La seule rébellion que je peux faire, c'est ne pas me lever du lit.
04:48Ne pas me lever du lit.
04:49D'ailleurs, on n'avait mĂŞme pas de lit.
04:50On dormait dans des, comment on appelle, dans des nattes.
04:53On mangeait après, après eux.
04:55C'est-Ă -dire la nourriture qu'il y a fait trois jours, quatre jours,
04:58c'est celle-lĂ que nous, on mange.
04:59Quand je me rebelle, c'est des coups.
05:01Quand je me rebelle, c'est de l'eau quand je dors.
05:03Ils ont des, je ne sais pas si je dois le dire, des armes Ă la maison.
05:07Donc, je vis dans la peur, dans la panique.
05:09Mentalement, je ne tiens pas.
05:11J'ai juste envie d'une chose, c'est mourir.
05:14Je continue parce que je n'ai pas le choix.
05:16Jusqu'à ce qu'un jour, pendant que je fais le ménage, j'ai chuté.
05:21Je me suis cassé le lombaire, déboîté, je ne sais pas.
05:24Ça ne faisait que s'accentuer, s'aggraver.
05:27Jusqu'Ă ce qu'un jour, je m'Ă©croule.
05:32Et là , elle voit que c'est compliqué.
05:35Elle m'amène rapidement à l'hôpital.
05:37Quand j'arrive Ă l'hĂ´pital, on me fait une prise en soin.
05:41Je communique avec la dame qui Ă©tait Ă l'hĂ´pital,
05:45qui est une dame qui a vécu en Afrique à un moment donné aussi,
05:48qui parlait un petit peu français.
05:50Je lui explique que je suis dans une situation compliquée
05:54et que je voulais partir de lĂ .
05:56Elle me dit, comment je peux t'aider ?
05:58Je lui ai dit, en me donnant ton téléphone, tu téléphones à ...
06:03Quand je prends son téléphone, je téléphone, je téléphone à mon frère.
06:06Un ami et un frère au Cameroun.
06:08Je lui dis, ça ne va pas, il faut m'aider.
06:10L'agence qui est au Cameroun, elle est mĂŞme au Liban.
06:13Enfin, quand je dis elle est mĂŞme, c'est parce qu'elle n'est pas un Libanais.
06:15Et du coup, cette personne gardait le numéro du monsieur qui était au Liban,
06:21de l'agence du Liban en fait.
06:23La jeune infirmière qui m'avait donné son téléphone a communiqué avec le monsieur.
06:27Et le monsieur, il a téléphoné à la patronne pour dire que
06:31il venait de recevoir un coup de fil de moi,
06:33pourtant je n'avais pas le droit, il ne sait pas comment j'ai fait.
06:36Et sa patronne s'est mise en colère.
06:38Bien qu'il y avait les gens, elle s'est sentie obligée de s'adoucir.
06:43Parce que lĂ , on Ă©tait dans un lieu public et je lui ai dit,
06:47je ne rentrerai que chez toi si et seulement si
06:50tu me permets de communiquer avec ma famille régulièrement.
06:55Je lui ai dit, achetez-moi un portable et coupez dans mon salaire.
06:58On me fait mon ordonnance.
06:59Il était trop tard déjà pour faire une intervention ou quoi que ce soit.
07:02Donc on ne pouvait rien faire.
07:04Jusqu'Ă aujourd'hui, j'ai cette situation-lĂ .
07:06Pendant qu'on rentre, il y a sa maman qui l'appelle Ă un coup de route au chemin
07:10pour lui dire qu'elle a une panne d'eau ou d'électricité.
07:15On est arrivé chez sa mère qui vit à côté d'une pharmacie.
07:20De là où j'allais prendre les médicaments, elle me donne mon ordonnance.
07:23Elle me dit, Soleil, prends ton ordonnance, je vais vite voir, maman qui a un souci.
07:28Et après, pendant que je suis à la pharmacie,
07:30entre à quelqu'un, un monsieur, un jeune homme très gentil,
07:34qui me dit, t'es très jolie et mon plus grand rêve, c'est d'épouser une Africaine.
07:39Je lui dis, ah non, si je ne suis pas jolie, tu dis n'importe quoi.
07:43Il me dit non et je commence Ă pleurer.
07:45Il me dit, mais pourquoi tu pleures ?
07:46Je lui ai expliqué cette situation désastreuse que j'ai vivé.
07:49Je lui ai expliqué ce qui s'est passé.
07:51Il me dit, mais elle est oĂą ta patronne ?
07:53Je lui ai dit, elle est chez sa mère là -dedans.
07:54Il me dit, mais comment je fais pour communiquer avec toi ?
07:57Je lui ai dit, je ne sais pas, mais donne-moi ton numéro.
07:59Elle m'a promis d'acheter le téléphone
08:01et je pense qu'une fois que j'aurai le téléphone,
08:03je communiquerai avec toi régulièrement.
08:05Il me laisse son numéro de téléphone.
08:06Et une fois que ma patronne est sortie de sa mère,
08:09le lendemain, elle est revenue avec un téléphone.
08:11Donc j'ai appelé ce monsieur, on a commencé à disputer.
08:14Il m'a dit, qu'est-ce qu'il faut pour te sortir de lĂ ?
08:16Je lui ai demandé à ma patronne, qu'est-ce qu'il faut pour que je rentre chez moi ?
08:20Parce que j'en ai marre de vivre ça.
08:21Et elle m'a dit, pour sortir de lĂ , il y a un seul moyen.
08:23Il faut que tu rembourses entièrement l'argent que j'ai donné.
08:27Je lui ai dit, mais j'ai pas.
08:28Et il m'a dit, t'inquiète pas, on va trouver une solution.
08:31Et c'est lui qui téléphone, il dit au monsieur qui est au Liban,
08:33qu'il y a une fille avec qui il est en contact,
08:36qui souhaite partie du contrat,
08:38qui n'est pas Ă l'aise dans la maison oĂą elle est,
08:40qui se fait maltraiter, frapper, tout ça,
08:43et qu'il veut la récupérer.
08:44Deux semaines après, on a retéléphoné à ma patronne.
08:46On lui a demandé de me ramener au bureau en urgence.
08:49Arrivé au bureau, j'ai dit, je rentre pas, je rentre plus avec toi.
08:54Elle m'a dit, tu vas rester ici ? Je lui ai dit oui.
08:56Une fois que j'ai aménagé cette personne, ça se passe bien.
08:58Je commence à me retrouver et à comprendre que je ne suis plus une prisonnière.
09:02On a commencé à sortir ensemble.
09:05Et là , par contre, je n'étais pas forcé.
09:08C'Ă©tait volontairement.
09:09Cette personne, c'est quelqu'un qui m'a aidé,
09:11qui l'a fait, je ne sais pas pourquoi,
09:14mais je pense que c'est Dieu.
09:15Et à un moment donné, il s'est mis dans les problèmes
09:19parce qu'il ne m'a pas dit qu'il était marié.
09:21Ça a commencé à faire des histoires.
09:23À un moment donné, je lui ai dit, je veux rentrer.
09:25Il n'Ă©tait pas d'accord parce qu'il voulait que je reste lĂ
09:28et que je fasse ma vie lĂ -bas.
09:29Mais c'était compliqué.
09:30Donc, c'est comme ça que je lui ai dit,
09:32ma mère, elle est très malade.
09:33Il faut que je rentre, je vais revenir.
09:35Après ça, il me dit, OK, il n'y a pas de problème.
09:37Il m'achète un billet d'avion et je rentre.
09:39Pour ceux qui connaissent comme ma mère,
09:42elle a compris que je n'Ă©tais pas la mĂŞme.
09:44J'avais gardé cette face, ce visage, ce sourire,
09:47mais intérieurement, je t'ai brisé.
09:51Et je ne dis rien Ă personne.
09:53Mais j'ai dit une chose à ma mère,
09:54c'est que je ne veux plus rentrer lĂ -bas.
09:56Ma mère me dit, OK, si tu ne veux plus rentrer,
09:58il faut qu'on trouve un moyen.
10:00Elle me dit, tu veux aller oĂą ?
10:01Je dis, je veux aller en France.
10:03Elle me dit, OK, il faut qu'on trouve un moyen
10:04pour que tu viennes en France.
10:06Avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de difficultés,
10:10je suis arrivé en France.
10:11J'ai contacté un oncle ici qui m'a dit
10:13que je pouvais venir ici et qu'il allait m'accueillir.
10:15J'ai décidé de parler de mon histoire aujourd'hui
10:17pour deux choses.
10:20Premièrement, me soigner.
10:22Parce que cette expérience que j'ai vécue au Liban
10:24a laissé en moi des séquelles.
10:26Le message que je me fais passer,
10:28c'est qu'il faut y croire.
10:32Et il faut tenir bon.
10:34J'ai cru en moi.
10:36Aujourd'hui, je suis lĂ .
10:37Et je suis fier de la personne que je suis,
10:40malgré tout ce que j'ai subi.