• il y a 14 heures
"Au Maroc, j'étais un évènement !"

Lisa Azuelos, scénariste, réalisatrice, productrice, une femme aux multiples talents ! Cette semaine, on vous invite à la découvrir sous un autre jour… accompagné de Salwa, Lisa se laisse guider dans un lieu plein de souvenirs et d’émotions : un magasin de vinyles. Un endroit où les disques racontent des histoires, où la musique réveille les les souvenirs.

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Transcription
00:00Moi, c'était ma vie, c'est les disques, c'est une cérémonie.
00:04Bonjour.
00:05Bonjour.
00:06J'ai fait une petite sélection de vinyles qui vont retracer un peu...
00:10Ma vie.
00:11Exactement.
00:12Tellement que je suis vieille, je suis en vinyles.
00:14Moi, c'était ma vie, c'est les disques.
00:16T'imagines bien que quand tu dois prendre un objet comme ça,
00:20le prendre dans tes mains, ouvrir une pochette,
00:23le mettre sur un tournevis, c'est une cérémonie.
00:25Aujourd'hui, tout est compressé dans un tout petit téléphone qui fait tout,
00:29mais ça, c'était que ce disque-là et tout.
00:32C'était fantastique, quoi.
00:33Je sais la chanson que tu vas me faire écouter.
00:35Tu l'as vue en première ?
00:37Non, mais bon, c'est dans Comme tu es belle.
00:40Oh là là, ce petit bruit du truc qui arrive dans le vinyle.
00:45Ça va me faire pleurer.
00:47Parce que ça me fait penser à Valérie.
00:50Bengui ?
00:52C'est pour ça que je l'écoute plus, cette chanson, parce que c'est sa chanson.
00:56C'est la grande scène de Valérie où elle comprend qu'elle est plus heureuse
00:59dans son mariage et qu'elle va se barrer.
01:00Pendant ce temps-là, t'as les enfants qui, eux, savent pas encore ce qui va se passer.
01:05J'avais décidé de faire un film pour que les femmes se sentent fortes, quoi.
01:09Et le fait qu'aujourd'hui, ce film soit tellement une référence
01:13pour tellement de femmes, qu'elles savent qu'elles peuvent toujours
01:15se barrer d'une situation qui les fait souffrir.
01:18Et moi, je fais que des films pour ça.
01:19Eh ben, dis-toi que t'as bien réussi, parce que déjà, tu m'as fait pleurer.
01:24Bravo.
01:26Bon, ben voilà. Merci, la musique.
01:28C'est pour ça que je n'écoute pas de musique ou sinon que du disco,
01:31parce que ça me rend heureuse, quoi.
01:32Voilà. Oh, ma mère.
01:34Ah ben, vraiment, vous avez décidé de me faire pleurer.
01:37Je crois qu'elle était enceinte de moi sur cette photo.
01:41En fait, on va mettre Je voudrais tant que tu comprennes,
01:43parce que ça fait longtemps que je ne l'ai pas écoutée.
01:45Sa voix, ça m'insupportait et je n'étais pas du tout à l'aise.
01:49Et maintenant qu'elle est morte, j'aime bien l'écouter.
01:53Elle était vraiment belle, cette chanson.
01:59Toi que je vais quitter ce soir
02:02C'est pas grave, hein ?
02:03T'as fait du bien parfois, du coup, je pleure en même temps.
02:06Mais on peut avoir de la peine
02:11Allez, ça suffit.
02:13Mais en fait, depuis qu'elle est morte, je ressens beaucoup de son amour, en fait.
02:17Et mon amour pour elle.
02:18Ce n'était pas possible de serons vivants.
02:20Les gens meurent, mais la relation continue, toujours.
02:22Et t'as eu des conversations avec ta mère avant qu'elle meure ?
02:25Je voulais que mon coeur soit léger quand il meurt.
02:28Je me suis forcée à leur dire tout.
02:30Et mon amour, et ma haine, et mes problèmes, et tout.
02:35Mais aussi, du coup, j'ai pu recevoir beaucoup de choses.
02:37Tu vois, ma mère, avant de mourir, deux mois avant, elle m'a appelée.
02:40Elle m'a dit je voulais vraiment que tu saches à quel point je t'ai aimée.
02:43Enfin, j'ai eu des vrais beaux moments aussi, tu vois.
02:44Bon, on peut écouter des albums qui me font plus kiffer.
02:48Écoute, là, le dernier, il est différent.
02:51Il est disco ?
02:52Non.
02:53Je vous aurais dansé du disco.
02:55Tu sais quoi ? T'as du disco, ici ?
02:57Bah oui, il y en a plein.
03:02Tu en fais un peu le sport de la journée, genre.
03:03Bah moi, je fais ça tous les matins, en général.
03:05On va voir si tu connais celle-là.
03:07Alors attends, il faut mettre en 45.
03:12Je ne la connais pas, celle-là.
03:18Ah bah celle-là, tu vois, je te dis que c'est celle de mon père, celle-là.
03:21Ah !
03:22Mon père, il me chantait ça tout le temps.
03:24Vraiment ?
03:24Oh là là, Nido, c'est horrible.
03:26Tu m'as tapé comme ça, clac, clac, clac.
03:28Mais j'ai bien visé, au moins.
03:29Tous les gens qui sont morts,
03:30ils sont venus aujourd'hui dans la boutique de vinyles.
03:34C'était quoi, ta relation avec ton père ?
03:35J'ai eu une grosse relation parce que je suis partie vivre chez lui à l'âge de 12 ans.
03:39Et là, je suis passée dans un truc...
03:41Tu sais, moi, j'allais avec ma mère, il faisait froid.
03:44J'avais souvent pas trop à manger.
03:46Alors, chez mon père, le Maroc, t'imagines, je suis arrivée,
03:48ils m'ont mis des gâteaux comme ça dans la bouche.
03:50Les gens, « Ah, t'es la fille de Judas ! »
03:52Comme ça, ils prenaient la joue, le truc.
03:54D'un coup, je devenais un événement.
03:55Alors que chez ma mère, on me regardait, on me disait
03:57« Ah, c'est dommage, t'as pas les yeux de ta mère. »
03:59Et du coup, j'ai eu une relation à la fois géniale
04:02parce que j'ai été comme la chouchoute de mon père.
04:05Et malheureusement aussi, c'était un Marocain un peu chaud.
04:09Il me disait « Naldine babak », « Onim mak ».
04:13Il me disait « Nim mak » tout le temps.
04:15Aussi, « Kel blakhor », il me traitait de chien.
04:18Il me traitait de âne.
04:19« Mar lakhor », il me disait comme ça.
04:23Enfin bon, il était violent, il était relou, quoi.
04:27Et en même temps, après, il me disait
04:28« Allez, viens faire un câlin, viens faire un câlin. »
04:29En fait, ce qui est compliqué,
04:31ce n'est pas quand les gens sont violents,
04:32c'est quand derrière, ils disent « Viens faire un câlin. »
04:34Du coup, tu dis « Bah, les gens qui m'aiment sont violents. »
04:37Merci beaucoup.
04:39Merci beaucoup.
04:41Faut savoir que j'ai toujours de la menthe sur moi
04:44en tant que vraie Marocaine.
04:45Donc j'ai commandé un thé vert.
04:46Un thé vert à la menthe ?
04:48J'ai ma menthe dans mon sac.
04:50Tu vas la mettre, toi ?
04:51Tu sais, l'odeur, ça va directement dans le cerveau.
04:54Et en fait, quand tu sens quelque chose...
04:56Moi, j'ai ça avec la menthe et la lavande.
04:59En fait, c'est les deux odeurs qui m'appaisent le plus.
05:01C'est vrai ?
05:02Est-ce que ça te fait penser à quelque chose ?
05:04Bah, au Maroc...
05:06Ça me fait penser à ma grand-mère, je crois, tout simplement.
05:07Parce qu'elle était tout le temps en train de foutre de la menthe
05:09dans des petits théières comme ça.
05:11Tu étais comment petite ?
05:13Je n'ai aucun souvenir de mon enfance.
05:15Aucun ?
05:15Aucun.
05:16J'ai très, très peu de souvenirs.
05:17Il faut savoir que moi, de zéro à huit ans,
05:19je n'étais pas élevée par mes parents.
05:21J'ai été placée dans une pension où il y avait beaucoup de...
05:24de torture, on peut dire, carrément, d'enfants.
05:28On tabassait les enfants.
05:29Ils m'ont tabassé mon frère devant moi.
05:30Peut-être qu'on m'a tabassée.
05:32Donc du coup, j'ai probablement une mémoire très traumatique
05:35qui fait que j'ai oublié beaucoup de choses.
05:37Ma mère, elle habitait en plein dans le quartier latin.
05:39Elle m'a dit, moi, je voulais que vous soyez au bon air.
05:41Déjà, Paris, pour elle, ce n'était pas le bon air.
05:42Inconsciemment, ça veut dire
05:44je ne suis pas le bon air pour mes enfants.
05:45Le bon air, ce n'est aussi pas la bonne mère.
05:47C'est ça que ça voulait dire.
05:48Et du coup, moi, je n'ai pas eu ce filet de sécurité
05:51qui fait que pour moi, l'amour, c'est quelque chose d'évident,
05:53de facile, de gentil, d'agréable.
05:56Ça prend du temps.
05:56C'est tout un travail au final, de déconstruction de ce que tu connais
06:00pour aller sur quelque chose que tu ne connais pas.
06:04Ouais, je n'aime pas trop le terme déconstruction
06:06parce qu'il est trop utilisé aujourd'hui
06:07et je trouve qu'en fait, déconstruire, en fait, c'est détruire.
06:11Ça voudrait dire que tout ce qui a été fait avant, ce n'est pas bien.
06:13Non, tout ce qui a été fait avant,
06:16c'est ce qui a participé au fait que tu es qui tu es aujourd'hui.
06:18De quoi tu rêvais, enfant ?
06:20Je voulais écrire.
06:21C'était obligatoire pour moi d'écrire parce que je lisais tellement.
06:25Et puis, j'avais si peur de parler parce que je me faisais beaucoup maltraitée.
06:29Donc, quand tu es maltraitée, tu ne peux pas parler.
06:31Le premier livre que j'ai écrit, ça s'appelle
06:33Manuel à l'usage des filles qui auraient dû dire non.
06:35J'étais déjà très consciente qu'on n'a pas l'habitude en tant que fille
06:39de dire non et que c'était important d'apprendre à dire non.
06:42Donc, c'est ton rapport au consentement ?
06:43C'est mon rapport au consentement qui est le sujet de ma vie.
06:45C'est bon.

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