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Xerfi Canal a reçu Xavier Pavie, professeur à ESSEC Business School, Collège International de Philosophie, pour parler de la critique de l'innovation.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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00:00Bonjour Xavier Pavi. Vous êtes professeur à ESSEC Business School et au Collège
00:13International de Philosophie. Au Collège International de Philosophie, vous dirigez,
00:17vous êtes directeur de programme, vous dirigez un programme consacré à une philosophie critique
00:22de l'innovation, cette fameuse innovation. Pourquoi il faut en faire une philosophie critique ?
00:29Pourquoi il y a un enjeu fondamental aujourd'hui ? C'est une question fondamentale pour plusieurs
00:36raisons. La première, c'est que nous avons une vision de l'innovation qui est très
00:40schumpeterienne, c'est-à-dire globalement en 1900, la théorie du développement économique,
00:43qui nous dit comment est-ce qu'il faut innover, pourquoi est-ce qu'il faut innover. Et c'est une
00:48vision très capitaliste, très libérale, qui est tout à fait intéressante pour les organisations.
00:54Mais l'innovation nous apporte également quelques mots, des mots politiques, quand vous avez une
00:59caméra de vidéosurveillance par un gouvernement, des mots environnementaux, lorsque vous avez des
01:03téléphones portables qui ne sont pas recyclés ou extraits des matériaux, et on a des questions qui
01:09sont évidemment humaines, quand on pense au transhumanisme par exemple. Ça, c'est porté par
01:13l'innovation, c'est l'innovation qui donne ça, qui met ça sur le marché. Or, si on regarde la
01:18définition de schumpeter, qui est toujours celle utilisée au FMI, à la Banque mondiale, c'est
01:23toujours le point de référence. Il a peut-être, alors que c'était fait en 1911, aujourd'hui besoin
01:27de se reposer cette question. Au Collège international de philosophie, j'ai repris
01:34l'innovation depuis ses débuts. Alors, on voit même qu'elle est née en Grèce, en Grèce antique,
01:39les mines de l'Orion sont utilisées, et c'est la kétonomia et la kénotomia. La kénotomia,
01:46c'est le changement. Le changement et quel changement on veut voir apparaître. Et bien,
01:51ce changement que l'on veut voir apparaître dans les organisations, qui dans le mot latin sera
01:55« innovare », qui signifie le changement à l'intérieur. Donc, tout ça procède, il y a plus
02:00de 2500 ans, du même fil rouge que l'on tire aujourd'hui. Sauf que ce fil rouge, ces 100
02:06dernières années, alors que ça date depuis 2500, ces 100 dernières années sont exclusivement regardées
02:11à propos de l'économie libérale capitaliste avec une recherche de profit. Et c'est ça que je cherche
02:16à critiquer. Extrêmement important, parce qu'innover, ça veut dire explorer l'inconnu. Donc,
02:22par définition, ne pas être maître des conséquences non plus de l'innovation. Et donc,
02:27du point de vue managerial, j'ai envie de dire, mais philosophiquement, les enjeux que l'on perçoit.
02:35Bien sûr. Et cette dimension-là, pour percevoir ces enjeux, on a besoin de changer notre regard.
02:41C'est pourquoi, dans cette critique de l'innovation, je convoque Hans Jonas, qui parle par exemple du
02:47principe responsabilité, qui va dire qu'il faut inverser la charge de la preuve. Inverser la charge
02:52de la preuve, ça veut dire que c'est à celui qui met en place de prouver le fait que ça ne va pas
02:56nuire, contrairement à ce que l'on peut entendre de la responsabilité. On peut convoquer Jacques
03:00Ellul, par exemple. Jacques Ellul, qui n'est jamais convoqué, alors que c'est un penseur de la
03:04technique. Et Jacques Ellul est particulièrement important parce qu'il va essayer de dire c'est
03:09quoi les besoins de la technique ? Quel est le besoin de la technique pour pouvoir apparaître et
03:13émerger ? Quelqu'un comme Ivan Illich, qui écrit un livre formidable sur la convivialité. Rapidement,
03:21il écrit en 1952 et il parle du téléphone. Il dit que le téléphone est un outil convivial par
03:25excellence. Vous pouvez joindre X ou Y quand vous voulez. Et il dit mais aujourd'hui, vous utilisez
03:30le téléphone à la place d'aller voir quelqu'un. C'est-à-dire d'un outil convivial qui peut
03:35accroître les relations les uns avec les autres. Et bien finalement, on ne va plus voir les autres.
03:40Et il dit finalement, cette technique-là, on en est dépendant. Gardez en tête qu'il a écrit en
03:461952. Vous imaginez en 2024, lorsque c'est les e-mails, lorsque c'est l'ensemble des chats,
03:52les visios, les zooms, etc. Dans lesquels on est absolument sans aucune convivialité possible,
04:00qui est pourtant la base fondamentale de la société. Donc, cette critique de l'innovation ne peut plus
04:04se faire avec Schumpeter, mais elle doit se faire à partir d'Ellul, de Willitsch, de Jonas, de Simon
04:11Donne, d'Heidegger également sur la critique. Et cette dimension-là nous apporte une nouvelle
04:16vision de l'innovation qui doit être tout à fait respectée. Quand on parle de décroissance,
04:21quand on parle d'anticapitalisme par exemple, ça ne fonctionne pas. La question, c'est comment
04:27est-ce qu'on aborde l'innovation ? Si on la regarde dans la Grèce antique, si on la regarde
04:30dans toute son histoire ou est-ce qu'on la regarde que les 100 dernières années ? C'est ça que je
04:34cherche à faire. On rappellera quand même que dans la fameuse Silicon Valley, on a eu aussi des
04:39prises de position pour dire attention, la technologie va trop vite, la technique va trop
04:43vite. Quand on pense à tous les débats aujourd'hui dans nos démocraties, sur les réseaux sociaux par
04:47exemple, c'est l'exemple type des problèmes de haine, de harcèlement, etc. C'est aussi tout ça.
04:52Donc, urgent de faire une philosophie critique de l'innovation. Merci à vous. Merci Xavier.

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