Sur les 221 cyclistes qui ont perdu la vie, 132 l’ont été lors d’accidents contre un véhicule en 2023. Au-delà de la responsabilité individuelle des conducteurs, des proches de victimes estiment que les collectivités doivent aussi rendre des comptes devant la justice lorsque les infrastructures cyclables sont jugées dangereuses.
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00:00Moi, je considère qu'Adam est mort pour rien.
00:02Adam, le matin, il m'a dit
00:05« Bonne journée papa, je t'aime ».
00:07Voilà.
00:08Et le soir, il était à la morgue.
00:10Grâce n'est pas morte toute seule.
00:12Mais elle est morte.
00:14Juste, elle est morte, quoi.
00:16Les vrais responsables, on les connaît.
00:19Et me dire qu'ils n'auront rien,
00:21c'est pas possible.
00:23Pour elles, c'est pas possible.
00:24Ou alors qu'ils regardent sa photo.
00:31Abitlou, on a voulu parler de tous ces cyclistes morts sur la route.
00:34Des faits divers, sans visage, dont on parle une fois, puis qu'on oublie.
00:37Autant de familles brisées.
00:39Et on s'est demandé, est-ce que leur mort avait changé quelque chose ?
00:42Dans cet épisode, nous ne parlerons pas des responsabilités individuelles,
00:45des chauffeurs, mais bien des responsabilités pénales,
00:48des collectivités qui sont chargées d'aménager l'espace pour le vélo.
00:51Nous allons d'abord à Boulogne-Biancourt,
00:53où Serge se bat pour la mémoire de son fils, Adam.
00:55Il a été éliminé.
00:58Il y a 1150 jours qu'il est décédé.
01:02Et pendant ces 1150 jours, il n'y a pas de changement.
01:05Il n'y a rien.
01:07Il n'y a rien.
01:09Moi, je suis désolé.
01:11C'est pas normal.
01:13C'est pas normal.
01:15C'est pas normal.
01:17C'est pas normal.
01:19C'est pas normal.
01:21C'est pas normal.
01:23C'est pas normal.
01:25C'est pas normal.
01:27A partir du moment où il y a un accident sur un endroit,
01:29ça devient une zone mortelle.
01:31Donc, quand il y a une zone mortelle,
01:33il doit y avoir une transformation.
01:35Alors, que s'est-il passé ? Je suis sur les lieux de l'accident mortel.
01:38C'est la rue Le Corbusier, à Boulogne-Biancourt.
01:40Elle est en double sens. Les voitures arrivent par là-bas et par là-bas.
01:43Adam est en train de récupérer un véhicule.
01:45Il recule avec le véhicule dans les mains, comme ça, à pied.
01:48Au moment où le camion s'approche...
01:50Alors qu'il devait rejoindre son école, Adam finit sous les roues du camion.
01:53Quand vous récupérez un véhicule, vous trouvez ça dangereux, parfois ?
01:56Ça arrive, effectivement, oui.
01:58Une voiture arrive au moment où on dégage le vélo.
02:00On ne l'a pas forcément vue et ça fait...
02:02Effectivement, ça m'est déjà arrivé de me retrouver dans des situations,
02:05notamment avec un bus.
02:07Oui, tout à fait.
02:09Ne serait-ce que ce matin aussi, pour le prendre,
02:11on est obligé de se mettre vraiment sur le côté. C'est assez étroit.
02:13Si une voiture arrive un peu vite, c'est dangereux.
02:16L'enquête a conclu qu'Adam n'avait commis aucune faute.
02:19Sa famille a déposé plainte,
02:21avec constitution de partie civile,
02:23contre le chauffeur et la société qui l'employait.
02:25La justice a classé l'affaire sans suite,
02:27mais les parents ont fait appel.
02:29Il ne faut pas oublier que les conséquences
02:31d'un deuil d'un enfant,
02:33c'est des familles qui essaient de survivre.
02:35J'utilise le temps de survivre.
02:37C'est véritablement ça.
02:39Moi, je n'ai pas repris mon activité.
02:41J'étais incapable.
02:43Mes clients ne me suivaient plus.
02:45Donc, j'étais obligé de vendre mon entreprise.
02:47Si un enfant décède
02:49et que derrière, on ne fait rien,
02:51c'est encore plus compliqué
02:53pour démarrer un deuil.
02:59Au-delà de la responsabilité du chauffeur,
03:01Serge tente surtout de comprendre
03:03comment son fils a pu mourir
03:05en récupérant son vélo pour aller à l'école.
03:07Il a tenté en vain de demander
03:09la transformation de cette station de Vélib
03:11pour que les cyclistes ne soient pas mis en danger.
03:13Il a écrit à Vélib et à la mairie de Boulogne-Biancourt.
03:15Il a aussi proposé que le nom de la place
03:17soit le nom de son fils.
03:19Mais il s'est heurté à chaque fois, comme il dit, à un mur.
03:21Lorsque mon fils Adam
03:23est décédé,
03:25j'étais dans une agressivité
03:29enfin, folle.
03:31J'étais dans un mode
03:33où tout le monde était responsable.
03:39Je suis maintenant plus
03:41dans le travail collectif.
03:43Moi, je n'attends qu'une seule chose,
03:45c'est que le maire
03:47nous reçoive.
03:49On me dit qu'il faut
03:51être patient, que ça prend du temps.
03:53On est dans des plans de mobilité,
03:55mais ça met 5 ans à se créer.
03:57Mais on fait quoi en attendant 5 ans ?
04:01On attend qu'un autre drame se réalise ?
04:03L'un des points d'attention
04:05dans cette affaire, c'est qu'effectivement,
04:07au niveau de l'infrastructure des vélos
04:09en libre accès,
04:11dès l'instant où l'usager
04:13prend ce vélo,
04:15il se retrouve de facto mis en danger
04:17puisqu'il se retrouve tout de suite
04:19sur la chaussée.
04:21Vélib n'a pas souhaité nous répondre
04:23et la mairie de Boulogne nous a indiqué
04:25À ce stade, les dispositifs concourant
04:27à la sécurité routière sur les lieux
04:29ne sont pas établis comme étant défaillants.
04:31Ce qui, malheureusement, n'empêche pas les accidents.
04:33Les demandes de M. Chaponnik
04:35ne peuvent trouver de réponse définitive
04:37sans conclusion judiciaire du dossier.
04:39La famille d'Adam n'attaque pas en justice
04:41ni même Vélib. Mais à Rennes, les choses sont un petit peu différentes.
04:43Anne a décidé que la métropole
04:45devait rendre des comptes à la justice
04:47dans l'accident de sa fille Grace, décédée
04:49à un carrefour jugé dangereux.
04:51C'est une des premières fois qu'une collectivité se retrouve devant la justice
04:53pour ce genre de motifs.
04:55Le vélo se retrouve sur le terre-plan
04:57Grace par terre, au pied du camion.
04:59Je veux dire, il faut arrêter à un moment donné.
05:01Il faut assumer les responsabilités.
05:03Moi, j'ai plus ma fille.
05:05On a pris perpète avec elle.
05:07Et c'est trop bien
05:09parce qu'en fait, c'est une équipe de dingue.
05:11J'ai organisé des petits ateliers pour enfants
05:13à côté de mon bas-étude.
05:15Du coup, je pourrais y aller à vélo.
05:17J'ai dit, mais
05:19Pierre, arrête, s'il te plaît.
05:21Dis-moi, où est ta sœur ?
05:23Et là, il me dit, maman, elle est morte.
05:25Et là, c'est...
05:27Là, je ne sais plus.
05:29Je crois que j'ai
05:31hurlé.
05:33Je ne peux pas décrire
05:35un truc pareil.
05:37On m'arrache le cœur.
05:39On me plante
05:41un couteau.
05:43Je ne sais pas.
05:45C'est l'horreur absolue.
05:47C'est juste quelque chose
05:49de pas supportable, de pas humain.
05:51C'était comme si ce n'était pas à moi que ça arrivait.
05:53Alors, nous voici
05:55à Rennes, sur les lieux de l'accident.
05:57C'est ici que Grace a été tuée.
05:59Alors, la première impression, quand on arrive sur ce carrefour,
06:01c'est qu'effectivement, il est vraiment très dangereux.
06:03Il est très patient. Il y a beaucoup de camions qui roulent très vite.
06:05Et on voit bien, là-bas,
06:07effectivement, la direction qu'elle prenait.
06:09Donc, Grace venait comme moi, de derrière,
06:11par ici. Elle allait dans cette direction-là.
06:13Et donc, ce n'est pas un accident classique,
06:15dans le sens où elle ne tournait pas. Ce n'est pas une rupture
06:17de priorité de la part du camion.
06:19En fait, elle est allée tout droit, mais elle s'est décalée, car
06:21effectivement, il y a un terre-plein central
06:23en béton, qui est sur
06:25le passage de la piste cyclable. Vous allez voir.
06:27Je vais vous montrer. C'est vraiment flagrant.
06:29C'est en plein milieu. On est obligés de se décaler.
06:31On voit bien, ici,
06:33ce terre-plein en béton qui gêne
06:35la progression du cycliste et qui l'oblige
06:37à se décaler sur la chaussée. Après l'accident,
06:39il y a quelques plots en plastique
06:41qui ont été mis. Ça sécurise.
06:43Les automobilistes et les chauffeurs de camions comprennent
06:45qu'il ne faut pas coller, évidemment, qu'il y a des cyclistes.
06:47Je ne suis pas surprise, en fait.
06:49C'était déjà dangereux, à l'époque. C'est mon chemin
06:51de tous les jours, donc on savait très bien qu'un jour,
06:53il allait y avoir un accident.
06:55Ceux qui prennent tous les jours, ils le savaient. Je n'ai pas été surprise,
06:57en tout cas. Ça aurait pu m'arriver à moi,
06:59en fait. Moi, j'aurais pu laisser aussi,
07:01parce que là, c'était une maman qui a perdu sa fille,
07:03mais moi, ça aurait pu être moi. Mon conjoint,
07:05il serait resté avec mes deux enfants. Surtout qu'on a déjà
07:07interpellé la ville de Rennes. Il y a
07:09des associations. Je sais
07:11qu'il y a des pétitions. Il y a beaucoup de choses qui sont signalées,
07:13mais il n'y a rien qui est fait, même pour
07:15pas mal de choses dans Rennes. Je trouve ça dommage.
07:17On ne peut pas tout faire. On ne se fait pas en un jour,
07:19et ça, je l'entends. Mais à un moment donné, il y a quand même
07:21des lieux stratégiques et il y a quand même des lieux qui sont
07:23plus dangereux que d'autres et qui sont vraiment
07:25pris au quotidien par les cyclistes et qui sont
07:27très mal aménagés, voire pas du tout.
07:29Donc oui, je trouve que c'est normal qu'ils doivent avoir un responsable.
07:31C'est la ville de Rennes.
07:33C'est eux qui aménagent.
07:34Il y a quelques mois, Anne reçoit un non-lieu.
07:36Cela veut dire que ni le chauffeur ni Rennes-Métropole ne seront
07:38poursuivis. Elle ne comprend pas de sa décision.
07:40Elle décide alors d'engager la responsabilité
07:42administrative de Rennes-Métropole.
07:44Eux, ils ont un non-lieu.
07:46C'est pas
07:48possible. C'est pas
07:50possible. C'est pas concevable. Je ne peux pas.
07:52Je ne peux pas accepter ça. Ma fille ne l'aurait
07:54pas accepté pour nous, pour quelqu'un
07:56qu'elle aime. Je ne peux pas. Je ne peux pas.
07:58Vous savez quoi ? Le fait
08:00d'avoir un non-lieu, et je pèse mes mots,
08:02on va tuer Grasse
08:04une deuxième fois. On va tuer ma
08:06fille une deuxième fois.
08:08Nous, on ne comprend pas parce que
08:10en fait, on voit qu'il y a un problème.
08:12Dans les analyses,
08:14il y a un problème. Le problème,
08:16c'est que les réaménagements
08:18qui ont eu lieu sur le boulevard
08:20n'ont pas conduit à
08:22retoucher le carrefour.
08:24Donc, il y a une faute
08:26quelque part. Nous, on ne sait pas
08:28qui c'est qui a fait la faute. Et puis, c'est
08:30très certainement de la négligence, mais de la négligence
08:32grave. Après,
08:34qui est responsable ? Nous,
08:36ça ne nous concerne pas
08:38forcément. Mais en tout cas, un non-lieu,
08:40ce n'est pas
08:42compréhensible. Ils n'ont rien
08:44fait. Ça faisait plus de dix ans
08:46qu'ils le savaient. Ils n'ont jamais
08:48aménagé ce carrefour.
08:50Grasse aurait eu au moins une chance
08:52sans le terre-plein.
08:54Donc oui, ils sont responsables.
08:56Ils n'ont pas fait ce qu'il fallait.
08:58Je crois qu'il faut saluer le combat de cette maman.
09:00Parce qu'en tout cas, il faut constater que même
09:02si sur le plan pénal, ça n'a
09:04débouché sur rien, en tout cas,
09:06à l'instant où on parle,
09:08les travaux ont été faits pour que
09:10cette infrastructure soit
09:12beaucoup plus sécurisée pour les cyclistes.
09:14Donc, ce n'est pas vain. Je crois que
09:16son combat, il a déjà
09:18permis ça et que peut-être que dans
09:20deux ans, trois ans, quatre ans, les poursuites
09:22pénales contre notamment, enfin voilà,
09:24contre les agglomérations,
09:26elles aboutiront. Donc, je crois
09:28qu'il faut continuer
09:30à avancer dans ce sens-là. Il n'est pas
09:32normal qu'à l'heure actuelle,
09:34il y ait cette irresponsabilité pénale.
09:36Je crois qu'il y a effectivement, en tout cas là,
09:38dans ce tragique accident,
09:40l'infrastructure est clairement en cause
09:42dans la réalisation de l'accident.
09:44Et finalement, je crois que les responsabilités de chacun
09:46devraient pouvoir être
09:48prises. Lors de l'enquête, le procureur
09:50de la République de Rennes s'est ainsi exprimé.
09:52Dans le carrefour incriminé,
09:54la piste cyclable débouchait sans aucune
09:56signalisation ni avertissement
09:58sur un terre-plein central, obligeant
10:00un déport particulièrement dangereux.
10:02Ce carrefour n'avait pas été aménagé selon
10:04les préconisations réglementaires.
10:06Ce carrefour-là, en 2025, les travaux
10:08vont être engagés avec plus d'un
10:10million d'euros de travaux
10:12et une continuité qui sera globale.
10:14On va dire est-ouest
10:16qui sera vraiment
10:18très travaillé. Donc là-dessus, on est satisfait.
10:20Et aujourd'hui, ce que je voudrais aussi,
10:22c'est ouvrir, faire ouvrir les yeux
10:24aux gens, leur dire
10:26que voilà, vous êtes à la tête
10:28d'une mairie, vous êtes
10:30responsable de l'urbanisme,
10:32des voiries, il faut faire
10:34quelque chose. Parce que s'il y a
10:36un accident mortel,
10:38ça sera de votre faute.