Comment un père peut-il faire ça à sa propre famille ? Voici le témoignage poignant de Steffy
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00:00Mon père et ma mère, ils avaient deux personnalités extrêmement différentes.
00:02Mon père, c'est quelqu'un qui a fait de longues études,
00:05qui vient d'une famille aisée, qui a une éducation importante.
00:08Ma mère, c'est une femme qui vient d'un milieu très défavorisé
00:11et qui n'est pas trop dans une démarche...
00:13En tout cas, quand j'étais enfant, je ne l'ai pas connue comme ça,
00:15d'introspection, de psychologie.
00:17Elle n'avait pas les mots, mon père les avait.
00:18Et c'est là, en fait, que ça s'est joué entre mes parents et moi,
00:22parce que j'étais une petite fille, très petite, qui avait besoin de comprendre.
00:25Et du coup, ça matchait avec mon père, ça matchait pour ça,
00:27parce qu'il arrivait à nourrir cette curiosité que j'avais,
00:29et qu'il répondait à mes questions quand ma mère me disait
00:31« j'ai pas le temps, je m'en fiche ».
00:32C'est là qu'il a abusé de moi.
00:34Je pense que l'abus, il s'est fait à bien des égards,
00:36il s'est fait physiquement, il s'est fait psychologiquement.
00:40Mon père m'a fragilisée, il m'a rendue dépendante.
00:42En me retirant de l'école, en me privant, d'une certaine manière,
00:45d'une relation avec ma mère, parce qu'en se mettant toujours en avant,
00:47en ayant ce monopole de celui qui comprend, celui qui est là, celui qui répond.
00:50Et en contrastant au quotidien avec ma mère,
00:52qui était débordée, dépassée, peut-être même dépressive.
00:55Eh bien, il m'a éloignée.
00:57Je vous en parle parce que c'est un ben exemple de ce qu'était mon père,
01:00mais il fallait bien veiller à lui dire « bonne nuit ».
01:02Si c'était pas « bonne nuit », il fallait dire « bonne nuit papa ».
01:04Absolument, si on disait pas « papa », ça n'allait pas.
01:07Et en fait, moi, quand je disais « bonne nuit papa »,
01:08je savais que c'était pas vraiment « bonne nuit »,
01:10et je savais que j'allais le revoir juste après, souvent en tout cas.
01:12Donc il avait ce rituel de venir dans ma chambre, peu de temps après.
01:16Ça me semblait toujours trop court,
01:17puisque j'espérais toujours qu'il ne vienne pas, ça arrivait aussi parfois.
01:20Et là, il me prétextait de me faire un massage.
01:22J'étais tétanisée.
01:24Même bouger, ne serait-ce que le petit doigt,
01:26faire quoi que ce soit, c'était pas possible.
01:28Et au début, c'était que des *** qui faisaient son massage,
01:30et ils baissaient ma culotte, ils descendaient plus bas.
01:32Et en fait, petit à petit, année après année, c'est devenu plus,
01:35toujours plus.
01:36En fait, à chaque fois, il donnait l'impression de dépasser une nouvelle limite.
01:39Donc, du plus jeune âge, de mes plus jeunes souvenirs, il faisait ça.
01:42Jusqu'à mes 11 ans, à l'âge de 11 ans, quand j'ai parlé à ma maman.
01:47Je me suis pas réveillée un beau matin en me disant « je vais en parler à ma mère, ça suffit ».
01:50C'est juste que, la dernière fois où mon père est entré dans ma chambre,
01:52il a été plus direct que d'habitude.
01:55Il a dépassé une énième limite.
01:57Et avec l'âge aussi, avec l'école.
01:59Parce que si j'avais été déscolarisée au collège,
02:01j'avais réussi à négocier avec mes parents pour retourner à l'école.
02:04Donc, j'avais une scolarité dite normale.
02:06Je crois que tout ça, ça m'a permis d'avoir cet électrochoc.
02:09Ce qui fait que ce soir-là, quand mon père a quitté ma chambre,
02:11je me rappellerai toujours de ça.
02:13À chaque fois qu'il faisait ça, il me rhabillait.
02:15Et puis, il m'embrassait.
02:16J'étais sur le ventre, donc je ne sais pas trop ce qu'il embrassait,
02:19mais il se penchait sur moi et il m'embrassait et il me disait
02:22qu'il m'aimait, qu'il était désolé.
02:23Il était toujours désolé, mais il recommençait toujours.
02:25Je me suis donc relevée.
02:26J'ai traversé le couloir.
02:28J'avais très, très peur de croiser mon père.
02:30Arrivée dans la pièce principale de la maison,
02:32j'ai croisé mon père, qui était là, assis.
02:34Nos regards se sont croisés.
02:35Moi, j'ai très vite détourné le mien, mais à la seconde où il m'a regardée,
02:39j'ai compris.
02:39J'ai compris qu'il avait compris.
02:40Et il n'a rien pu faire.
02:42Et à la même seconde, ma mère venait de capter que j'arrivais.
02:45Donc, elle a tourné la tête.
02:45Elle était un peu plus loin, allongée sur le canapé.
02:47Et là, j'en ai pris pour mon grade.
02:49Qu'est-ce que tu fais là ? C'est pas l'heure.
02:50T'es debout. Va te coucher.
02:51Et moi, j'ai été cadavérique.
02:53Je me rappelle que j'étais à deux doigts de vomir.
02:55Et j'ai dit à maman, je t'en supplie.
02:56J'ai éclaté en larmes.
02:57J'ai dit, je t'en supplie, il faut que je te parle.
02:59Elle m'a dit, c'est bon, là, c'est pas l'heure, etc.
03:01Demain, je l'ai supplié.
03:03Elle m'a dit, OK, j'arrive.
03:04Il n'a rien dit parce que je pense qu'il savait mieux
03:07que ma mère et moi réunis, la suite.
03:09Donc, il était serein.
03:10Je suis partie avec ma maman.
03:11Arrivée dans la chambre, elle m'a dit, je t'écoute.
03:14Et là, il faut les trouver les mots, il faut les sortir.
03:16En plus, j'avais pas de mots.
03:19Qu'est-ce que je sais de la sexualité ?
03:20Qu'est-ce que je sais ?
03:22Qu'est-ce que j'explique ?
03:23Elle m'a tendu quelques perches.
03:24Alors, j'ai plus ces mots exactement en tête,
03:25mais je me rappelle surtout d'Emien.
03:27Et en fait, ça a été des larmes.
03:28Et lui dire, maman, c'est papa.
03:34Et sur le coup, elle a été anéantie.
03:37Elle a pleuré, mais très, très vite.
03:39Tout s'est centré et tout a tourné autour d'elle
03:41et de son ventre, du bébé qu'elle avait dans le ventre,
03:44parce que ma mère, à ce moment-là, était enceinte de mon plus jeune frère.
03:46Et donc, ça a été une montagne de culpabilité,
03:50surtout de culpabilisation.
03:51Elle m'a dit, il faut que tu te taises, ne parle pas.
03:54Tout le monde va mourir, en fait.
03:55C'était vraiment l'apocalypse.
03:57Tout le monde allait mourir si je parlais.
03:58Et elle m'a dit, bon, il faut que tu parles à ton père.
04:01Et moi, j'ai dit, non, non, mais pas du tout.
04:03Si il y aura des questions, je ne veux pas lui parler.
04:05Si c'est important, fais-le pour moi, fais-le pour tes frères, etc.
04:09Bon, je n'ai pas eu le choix.
04:10Et là, il a pris la parole, il a dit qu'il avait discuté avec maman,
04:14qu'il s'est excusé d'avoir dérapé.
04:16Non, il ne l'assume pas.
04:17Mon père, il n'a jamais assumé.
04:19En fait, ce qu'il assume, c'est que ça s'est passé une fois,
04:22j'ai dérapé, ça a duré deux secondes, je l'ai frôlé.
04:24Voilà son discours.
04:25Une fois, deux secondes.
04:27Je ne sais pas ce qu'elle a cru à ce moment-là.
04:29La question, c'est qu'est-ce qu'elle était en capacité d'en gérer et de croire ?
04:32Donc, je ne sais pas ce qu'elle a cru,
04:34mais j'imagine qu'elle avait envie de croire sa version.
04:36Et à partir de là, il n'a pas recommencé au point où il avait pu aller,
04:41mais il avait des gestes.
04:42De temps en temps, il mettait les mains comme ça sur ma poitrine,
04:44mais il ne prévenait pas.
04:45Oh, t'as les tétés qui poussent.
04:46Il faisait des remarques ambiguës.
04:47Donc, l'inceste, après, ça s'est reproduit, mais beaucoup plus légèrement.
04:52Sauf qu'une fois que vous avez compris, vous ne tolérez plus rien.
04:54Donc, la petite fille modèle qui dit
04:57« Oui, papa, je t'aime, papa. Merci, papa.
05:00J'ai un papa génial. »
05:00Devant ses chères et tendres amis et collègues,
05:03eh bien, cette petite fille-là, elle n'y arrivait plus.
05:05Donc, mon père, ça, il a senti.
05:06Il a senti que j'allais parler.
05:08Et j'ai commencé à échanger plus ou moins un mot couvert avec des copines.
05:12En fait, il faut savoir que mon père, il contrôlait tout.
05:13Donc, il avait accès à ça, il l'a su.
05:15Et dans une conversation, je ne me rappelle plus exactement les mots,
05:18mais en gros, il a grillé que j'avais l'intention de le dénoncer.
05:20Il n'allait pas me laisser faire, évidemment.
05:22Et il faut bien comprendre que mon père, il a 30 ans de plus que moi.
05:25Donc, avec 30 ans de plus, son CV et son niveau intellectuel,
05:29il connaissait très bien le code pénal.
05:30Donc, il savait parfaitement différencier une...
05:33D'un...
05:34L'un, c'est un délit, l'autre, c'est un crime.
05:37Délit, crime, ce n'est pas la même peine et ce n'est pas la même procédure non plus.
05:40Donc, à partir du moment où il était, et je mets les guillemets, « foutu »,
05:44autant qu'il minimise l'effet.
05:46Et là où il a été très malin, c'est qu'il est allé voir un psychiatre
05:49en lui disant, voilà, je suis un mauvais papa, j'ai frôlé ma fille,
05:52ça a duré deux secondes.
05:55Voilà, je sais que vous allez faire un signalement, c'est normal.
05:58La seule issue que j'avais, il l'avait récupérée pour lui.
06:00Donc là, il me fait comprendre qu'il faudra bien répéter la même chose,
06:04qu'il faudra bien dire comme lui.
06:05Ça, c'est passé qu'une fois, ça a duré que deux secondes.
06:08Il m'explique que le signalement est parti et que du coup,
06:12la police va être au courant, mais que je ne m'inquiète pas.
06:14Si je dis bien les choses, il n'ira pas en prison, etc.
06:17Et là où l'inceste, encore une fois, c'est bien ambigu,
06:20c'est que vous comprenez que c'est un monstre.
06:22Pour autant, vous êtes incapables à ce moment-là de vouloir...
06:24Vous ne lui voulez pas de mal.
06:25Vous voulez juste qu'il arrête de vous faire mal.
06:27Donc, j'ai rien dit.
06:28Et là, il s'avère qu'à la base, mes parents avaient prévu
06:31que je parte au Mexique pour apprendre l'espagnol.
06:33En fait, c'était un moyen de m'éloigner.
06:35Et là-bas, j'étais bien parce que j'étais très bon,
06:38mais j'étais très mal aussi parce qu'il était en lien avec mes parents.
06:40Et à la fin, la famille chez qui j'étais, ils m'ont encore enfermée.
06:44Ils m'ont levé accès à mes mails, au réseau.
06:46Et si je ne prenais pas ma mère au téléphone, ils refusaient de quoi que ce soit.
06:50Donc, j'ai passé quelques jours enfermée avant qu'ils me ramènent à l'aéroport.
06:53Ils m'ont ramenée à l'aéroport et quand je suis arrivée à Marseille,
06:56il y avait une grosse barrière, des policiers et l'Aide sociale à l'enfance.
07:00Là, on m'a expliqué que l'une des dames, dans la voiture,
07:03elles se sont présentées et m'ont dit,
07:04on est de la protection à l'enfance, on est de l'ASE.
07:07Moi, je suis l'inspectrice, je suis l'éducatrice.
07:09On t'amène dans un foyer, mais c'est temporaire, etc.
07:12Je me suis retrouvée entre quatre murs,
07:14pas savoir ce que je faisais là, pas complètement désorientée.
07:17Enfin, j'étais perdue et en même temps, j'étais soulagée.
07:21Ils m'auraient mise dans une poubelle dans la rue, j'aurais été mieux.
07:24L'idée même d'être obligée de retourner vivre chez ma mère,
07:26là où se trouvait aussi mon père, au-dessus de mes forces.
07:28Après ma première nuit en foyer, j'ai rencontré les éducateurs de jour
07:31qui m'ont expliqué que j'allais rencontrer mon avocat,
07:33que j'allais voir le juge des enfants.
07:34Je ne savais même pas ce que c'était un juge des enfants, mais j'ai appris.
07:37Que j'allais voir un administrateur ad hoc, là aussi, ça j'ai appris.
07:39Et j'ai ainsi passé une année dans ce foyer, un foyer d'urgence.
07:43C'est le bas de l'échelle des foyers.
07:44Je me suis fait casser la gueule, j'ai pris cher en foyer.
07:47Du coup, je me suis renfermée sur moi-même.
07:49Et il y a eu le procès, du coup, à l'automne 2011.
07:55Et ça avait été correctionnalisé, il y avait une instruction criminelle pour tout ça.
07:58Comme dans beaucoup de dossiers comme ceux-là en France,
08:02eh bien c'est correctionnalisé parce qu'on sait qu'on a affaire à des juges professionnels
08:04et pas un jury aux assises, parce qu'on n'a pas l'ADN,
08:07parce que comme on prouvait qu'il y a vraiment eu...
08:09Pourquoi ça ne serait pas un temps PAX qui a brisé mon hymène, etc.
08:12Donc je me suis retrouvée dans ce procès pour des faits qui n'étaient pas ceux que j'avais dénoncés.
08:16On m'a dit, c'est mieux que rien.
08:17Voilà ce que m'a dit mon avocat commis d'office.
08:19Il a pris trois ans, dont une année ferme, une année qu'il avait déjà effectuée.
08:23Puisque ça faisait déjà plus d'un an qu'il était en détention provisoire.
08:26Donc je n'ai pas tout compris, mais mon avocat m'a très vite expliqué.
08:30Il sort ce soir, je suis désolée Stéphane.
08:34Mais il a deux ans en sursis, donc s'il recommence, il fera ses deux ans.
08:37Je suis rentrée en foyer, pas en forme, très triste, assez désespérée.
08:41Les semaines ont continué, le foyer aussi, la violence, les agressions.
08:45J'avais des barreaux à mes fenêtres et je me sentais seule, je me sentais punie.
08:48J'avais l'impression vraiment que finalement j'étais plus punie que mon père.
08:52Et on venait de me dire que j'étais la victime.
08:53Donc ça a été dur, ça a été dur au point que j'ai demandé de l'aide,
08:56j'ai demandé qu'on me sorte de là, j'ai demandé qu'on...
08:59J'ai demandé que ça s'arrête.
09:00J'ai prévenu, j'ai écrit des courriers, personne ne m'a écoutée.
09:02On a juste commencé à m'autoriser à aller un week-end sur deux
09:04chez ma mère, de temps en temps.
09:05En fait, un week-end où j'allais chez ma mère, ça s'est très mal passé,
09:08elle s'est énervée.
09:09Parce qu'après le procès, ma mère, elle est redevenue un petit peu
09:11celle que j'avais connue, dure, pas présente.
09:13Et un jour, je lui ai dit, mais tu comprends pas, maman,
09:14j'ai juste besoin que tu me dises que tu m'aimes.
09:16Elle m'a dit, tu peux crever.
09:17Et en fait, ça faisait déjà quelques semaines,
09:19mois même que ça n'allait pas.
09:20Et surtout quelques temps que je me sentais anesthésiée,
09:22je ne ressentais plus rien, même quand je pensais à mes frères, rien.
09:24Le vide.
09:25J'ai fait une tentative de ***.
09:26J'ai fait du coma, plusieurs jours.
09:29Et je me suis réveillée en réanimation.
09:31Et en réanimation, je revois cette scène avec ce médecin,
09:35en tout cas cette bouse blanche au pied de mon lit.
09:37Et je lui ai dit, vous êtes qui ?
09:39Il me dit, je suis le médecin qui était de garde quand tu es arrivée,
09:42c'est moi qui t'ai réanimée.
09:43Il me dit, tu sais, c'est des filles, c'est pas deux pauvres ***
09:45qui méritent que tu aies ton temps à tes jours.
09:47Donc il m'a dit, je veux que tu me promettes que plus jamais.
09:49Et j'ai promis.
09:50Et plus jamais depuis.
09:51J'ai fini par la suite de ça, à retourner vivre chez ma maman.
09:54Ils m'ont laissée tranquille.
09:55Tous ces enfants, ils ont compris que ça suffisait.
09:57Donc le juge des enfants m'a autorisé,
09:58ils ont mis une AEMO en place avec une éducatrice qui vient, qui surveille.
10:01J'avais 15 ans.
10:03Il me restait une année à tirer avant d'avoir mon bac.
10:05Quelques mois après cette tentative de ***,
10:07j'ai eu mon bac avec deux ans d'avance à 16 ans.
10:09Et je me suis dit, c'est bon, je sais ce que je vais faire,
10:11je vais faire des études de droit.
10:13Je vais être avocate.
10:14Autant, j'avais rencontré quelqu'un qui était natif de vers chez moi
10:17et j'étais tombée très amoureuse.
10:19Sauf qu'il était plus âgé.
10:20Le vrai stéréotype, j'ai pris quelqu'un qui avait plus d'une demi-génération d'écart.
10:23Et ce qui s'est passé, c'est que je suis tombée enceinte.
10:26Ça a été une évidence, une évidence certes difficile
10:28parce que personne ne rêve de devenir parent à l'âge de 17 ans.
10:32Mais ma fille a aujourd'hui 7 ans et si c'était à refaire,
10:35je referais pour connaître la merveilleuse petite-fille qu'elle est.
10:38Je me suis séparée du père de ma fille en 2016.
10:41Et à la demande de ma maman, je me suis rapprochée d'elle.
10:43Donc j'ai loué une petite maison dans la même ville qu'elle
10:47puisque mon petit frère Karl n'a même pas 5 ans d'écart avec ma fille.
10:50Du coup, ils étaient très proches, donc ça permettait de s'entraider, etc.
10:52Et là, j'ai découvert en fait qui était ma maman.
10:54J'ai découvert une femme qui était sensible, humaine, aimante.
10:58Elle était désolée, elle me le disait tout le temps.
11:00L'issue de tout ça, c'est qu'un peu moins de 2 ans après ma séparation avec le père de ma fille,
11:06j'ai emmené mon petit frère Karl pour des vacances avec moi.
11:09Je devais amener que ma fille à la base, mais ma maman avait besoin de répit.
11:12Elle était fatiguée.
11:13Elle n'arrive plus à gérer, Karl fait des crises d'angoisse,
11:15Karl menace de se tuer, Karl bat mal, Karl est sous le cachet.
11:19Et Karl, depuis ses 2 ans, soit depuis la sortie de prison de notre père,
11:22il va un week-end sur deux, la moitié des vacances chez lui.
11:24Et Karl, il n'en peut plus.
11:25Donc on commence ses vacances, mon petit frère Karl retrouve le sourire.
11:29Vraiment, c'était magique, on était entourés d'eau turquoise.
11:32Au bout de quelques jours, on va pour embarquer.
11:34On devait rentrer en transocéanique, faire une croisière en mer.
11:37Et là, alors que le bateau va quitter le port, puisqu'on était en escale,
11:41c'est le capitaine qui me dit qu'il faut que je rappelle mon père de toute urgence.
11:44Je comprends qu'il y ait un problème.
11:45Je le rappelle, il me dit, je suis désolée, maman, c'est...
11:48Là, je ne suis pas sûre d'avoir atterri à 100 % depuis,
11:52mais j'ai le ciel qui m'est tombé dessus.
11:54J'ai crié et j'ai dit, Karl, mon bébé.
11:57Mes premiers mots, ça a été, Karl, mon bébé.
11:59J'ai imaginé mon tueur de 9 ans qui pensait déjà à mourir,
12:02qui dénonçait les maltraitances de la part de notre père,
12:05dont sa seule raison de vivre était sa maman, avec qui il vivait.
12:07Il avait grandi tout seul avec elle,
12:09puisqu'il avait un an quand mon père a été incarcéré,
12:11quand j'ai été placée.
12:12Et je me suis dit, mais comment il va vivre avec ça ?
12:14Dans la foulée, Karl toque à la cabine.
12:17Et là, il me dit, qu'est-ce qui se passe ?
12:19C'est maman.
12:21Je n'ai pas compris comment il a pu penser.
12:22Moi, au début, j'avais pensé à notre réalité, mais pas à notre maman.
12:25Je lui ai dit, Karl, tu as confiance en moi.
12:26Tu sais que je t'aime. Il m'a dit oui.
12:28Je lui ai dit, alors, promets-moi que tu vas être fort.
12:30Je suis en train de faire les valises, on va quitter le bateau.
12:32On va aller dans un hôtel.
12:33Quand on sera à l'hôtel, en sécurité, tu as ma parole, Karl.
12:35Tu es ma priorité, je te promets que je t'expliquerai tout.
12:37Il a compris, il a dit OK.
12:39On a fini par arriver dans cet hôtel.
12:40Et là, j'ai mis ma fille devant les dessins animés.
12:41J'ai pris Karl dans la salle de bain.
12:43Et en fait, j'ai commencé par lui dire ce que je savais qu'il n'arriverait plus à entendre ensuite.
12:47Je lui ai dit à quel point je l'aimais, à quel point il était fort,
12:49à quel point il faudrait qu'il soit courageux,
12:51à quel point il pourrait toujours compter sur moi, que ce n'était pas mon fils, certes,
12:54mais que je ferais autant pour lui que pour ma fille.
12:56Je lui ai demandé de me promettre de se rappeler toujours de ça.
12:58Il m'a promis.
12:59Et je lui ai dit, maman est morte, je suis désolée.
13:01Il m'a serré très fort, il a crié.
13:03Et il n'y a pas de mots pour la souffrance à laquelle j'ai assisté.
13:06Il a voulu ensuite qu'on parle à ma fille.
13:08Il m'a demandé si j'acceptais qu'il le dise lui.
13:09Il voulait le dire lui à sa nièce, parce que ma fille, c'est comme sa soeur.
13:12Il lui a dit très courageusement, avec des mots très courageux,
13:15se montrant très digne.
13:16Il lui a dit qu'elle était dans le ciel et qu'elle était très triste
13:20et qu'elle était partie se reposer.
13:22Et après ça, tant bien que mal, on a réussi à rentrer en France.
13:26J'ai dû me battre avec notre père pour qu'il accepte de me laisser Karl.
13:29Les obsèques se sont passées tant bien que mal.
13:30Et là, j'ai très vite anticipé, j'ai contacté l'avocat de notre maman
13:34pour obtenir la garde de Karl, parce que Karl, c'est ce qu'il m'a demandé.
13:37Karl m'a dit, je t'en supplie, protège-moi de papa.
13:39Et je lui ai promis, je ferai tout pour lui.
13:41Donc, j'ai lancé une procédure.
13:43J'ai passé les deux années qui ont suivi le décès de notre maman
13:45à défendre Karl dans un tribunal, à demander de l'aide à des juges des enfants,
13:49qui ont finalement accepté de le placer chez moi.
13:51Mais pas à n'importe quel prix.
13:53Au prix d'audience à répétition, d'appels de la part de notre père à la cour d'appel,
13:57d'insultes.
13:58Au prix qu'on remette sans arrêt ma parole en doute.
14:00Et si, à tout hasard, c'était moi qui influençais Karl ?
14:02Et si c'était moi qui me vengeais au travers de lui ?
14:04C'est sûr, c'est tellement plus simple de se dire qu'il invente
14:06plutôt qu'il a vraiment été victime.
14:08Et que la justice, alors qu'ils avaient affaire à un type condamné pour...
14:13Plutôt que d'en préserver le reste de la fratrie,
14:15ils ont préféré lui donner un week-end sur de la moitié des vacances.
14:18C'est sûr.
14:19Donc, pendant deux ans, j'ai eu la garde de Karl.
14:21J'ai tout changé pour lui.
14:22Karl semblait vraiment aller mieux.
14:23Sachant qu'au milieu de ces deux années, l'été 2020,
14:26Karl m'a parlé à nouveau.
14:28J'avais amené les enfants en vacances à la montagne.
14:31Et un soir, Karl a complètement vrillé en larmes et il m'a dit
14:34« il faut que je te parle ».
14:35Et là, il a été dans les détails sur ce qu'il reprochait physiquement
14:38et quelle... il avait subi.
14:40J'ai immédiatement appelé l'éducatrice de Karl.
14:42Elle m'a dit que j'avais pas le choix,
14:43qu'il fallait que j'amène au commissariat pour qu'ils déposent plainte.
14:45Karl a été entendu par la police.
14:46Et rien, strictement rien.
14:48Malgré tout, il a donné l'impression d'aller un peu mieux.
14:50Il se plaignait quand même que notre père n'ait pas été entendu.
14:52Il me demandait souvent où ça en était.
14:54Mais par contre, il était souriant, il dormait mieux la nuit.
14:57Même son psy était optimiste, etc.
15:00Tous les signaux qu'on avait pu avoir, petit à petit, s'estompaient.
15:02Au point que j'ai commencé à accepter de lui faire confiance.
15:05C'est-à-dire que la grande sœur poule,
15:06qui limite lui disait « fais pipi la porte ouverte »,
15:08me réveillait, parce que c'était le cas,
15:10je me réveillais cinq, six fois dans la nuit, vérifiais qu'il respirait.
15:12Eh bien, je me disais « bon, ok, faut que j'apprenne à te laisser un peu seule ».
15:15Du coup, mon dernier stage pour l'école infirmière, j'étais en EHPAD.
15:19Je partais très tôt, je rentrais très tôt.
15:20Donc, j'ai accepté de le laisser un peu seul.
15:23Et c'est exactement ce que j'ai fait le 29 juin 2021.
15:25Je suis partie à mon stage, je suis rentrée.
15:27Tantôt, il m'avait demandé s'il pouvait aller jouer avec un copain,
15:29que les parents l'avaient récupéré, j'avais dit oui.
15:31Il est rentré en fin de journée.
15:32Il était super content de me voir, il m'a dit « je suis trop contente de te voir,
15:34tu m'as trop manqué, passe une bonne journée,
15:36merci de m'avoir laissé aller jouer avec mon copain,
15:38on a fait du canoë ou je sais pas trop quoi ».
15:39Et j'ai dit « c'est chouette, on va pouvoir dîner ensemble tous les deux ce soir et tout ».
15:42Je lui ai dit « par contre, Chouchou, je l'ai appelée Chouchou,
15:45je dois aller à la salle de sport, ça te gêne si je t'y vais ».
15:48Il m'a dit « non, pas du tout, au contraire ».
15:50Une heure plus tard, je reviens, je ouvre la porte.
15:52En fait, je fais « toc toc ».
15:54Et d'habitude, quand je l'ai seule comme ça, c'était très frais,
15:56mais j'avais quand même pris l'habitude que si je le laissais,
15:59il m'attendait derrière la porte.
16:00Enfin, il m'entendait arriver.
16:01Elle n'a personne.
16:02Je l'ouvre la porte, elle ne s'ouvre pas.
16:04Je passe la clé et, en pestiférant en même temps, les bras chargés,
16:07je lui dis « Karl ».
16:08Je parle comme ça à la porte ouverte, je lui dis « qu'est-ce que tu fais ? ».
16:10Je lui dis « Karl, t'es où ? ».
16:13Ça s'est arrêté là.
16:14Il était presque devant moi.
16:15Au bout d'une seconde, je l'ai soulevé, je l'ai poussé au sol.
16:20J'ai commencé à le réanimer.
16:22J'ai ce souvenir de moi en train de compresser, d'en souffler, de compresser.
16:26Ce souvenir d'avoir hurlé dans tout le quartier
16:29et en même temps d'avoir vu le téléphone portable,
16:32ce petit téléphone tout pourri posé juste à côté de lui
16:35et d'avoir mis à l'oreille en même temps que je faisais le massage cardiaque
16:37pour appeler les secours.
16:39Mais c'était trop tard.
16:40Quand les secours sont arrivés, je les ai suppliés de le sauver.
16:43J'ai vu le médecin du Samus approcher de moi parce qu'il m'avait mis à l'écart
16:46et elle n'a pas eu à parler.
16:47Elle m'a juste dit « je suis désolée, tu peux aller lui dire au revoir si tu veux ».
16:50Je me suis allongée près du corps de mon frère et je n'ai pas arrêté de dire
16:53« je veux prendre sa place, je veux prendre sa place, je veux prendre sa place ».
16:56Pas parce que je voulais mourir, mais parce que si à ce moment-là,
16:58Ma vie l'aurait ramenée parmi nous, je l'aurais lui donnée.
17:02Ça s'est passé il y a un an.
17:03Un an que je vis avec l'indicible, l'insoutenable.
17:06Ce que je vis depuis ce jour où j'ai perdu une partie de moi,
17:09c'est une enclume que je porte.
17:10Mais c'est aussi un rappel pour ce que je crois de la vie.
17:13Tout au long de ma vie, j'ai eu des exemples d'humanité.
17:15Tout au long de ma vie.
17:16C'est-à-dire que ce qui m'a sauvée à chaque fois,
17:18c'est que j'ai pu voir qu'à côté, ce n'était pas forcément comme ça.
17:21Ça, ça m'a sauvée à de multiples reprises.
17:23Et quand Karl est décédé, ça m'a maintenue à flot.
17:26La souffrance, elle est là.
17:27On ne peut rien.
17:27Me dire bon courage, ça ne change rien.
17:29Je dis souvent ça.
17:30Ne me dites pas bon courage, mais dites-moi que je suis là.
17:32Dites-moi que je vais t'aider, dites-moi que je partage.
17:34Dites-moi que je vais te soutenir dans ce que tu entreprends,
17:36à savoir rendre hommage à ton petit frère Karl
17:39et mener à bien les projets de l'association que tu as créé.
17:41Parce que c'est ce que j'ai fait depuis.
17:43Je me suis à la fois consacrée plus encore à la petite fille merveilleuse que la mienne,
17:47celle qui pleure plus qu'un tonton, mais un grand frère.
17:50Et cette association que j'ai créée en hommage à Karl,
17:53mais aussi pour tous les enfants comme lui.
17:55Parce que Karl, c'est un enfant sur dix en France.
17:57Je suis un enfant sur dix en France.
17:59Karl, c'est une victime sur deux, mais une victime qui ne s'est pas ratée.
18:03Et c'est comme ça que je fais.
18:05Quand on me demande comment tu dors la nuit, comment tu fais le matin,
18:07je pense à toutes ces petites étincelles, toutes ces petites choses de la vie,
18:10toutes ces mains tendues qui ont fait de moi celle que je suis.
18:12Je garde espoir, je ne suis pas pleinement reconstruite.
18:15Je ne serai jamais guérie.
18:16Ce n'est pas juste une cicatrice, c'est une partie de moi.
18:18Une partie de moi que je n'ai plus.
18:20Mais c'est une absence qui vaut pour la pire des présences.
18:23Et ça, j'en suis pleinement consciente.
18:25En revanche, c'est aussi une force.
18:27Parce que j'ai en moi la voix de mon petit frère Karl qui vaut pour l'éternité.
18:29J'ai son regard bienveillant, j'ai ses mots d'amour.
18:31J'ai tout ce qu'il m'a laissé.
18:32Et ça, pour moi, ça vaut tout ce qu'on a pu me faire
18:35ou tout ce qu'on pourra encore me faire.
18:37Ça me donne la force, celle de croire que je mérite le meilleur
18:39et celle de peser mes mots quand je dis aux gens qui ont souffert
18:42que ça ira mieux et qu'un jour, la roue tournera enfin pour eux.