• il y a 5 jours
"Cendrillon", "Le Petit chaperon rouge", "Blanche Neige et les sept nains" ou encore "La Belle au bois dormant"...ces contes traditionnels font partie de notre imaginaire collectif mais les valeurs et morales qu'ils véhiculent sont aujourd'hui remises en question par les nouvelles générations. Le conte étant une matière vivante, de plus en plus d'auteurices les réinventent pour les rendre plus inclusifs, féministes et progressistes. C'est le cas d'Hélène Combis, autrice de "Barbe Belle", un recueil de contes traditionnels qu'elle réinvente pour le plus grand plaisir des petits (et grands) lecteurs. Elle est venue en studio pour nous présenter son livre et en discuter avec nous.

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Transcription
00:00En fait, il y a plusieurs histoires dans ce recueil. Il y en a sept, très exactement.
00:05Sept, un chiffre symbolique, surtout dans les contes de fées.
00:09Ce sont des reprises, des réinventions.
00:14J'allais dire réécriture, mais ce n'est pas tout à fait le mot.
00:17Ce sont des réinventions de nos contes traditionnels.
00:21Ce sont vraiment les contes les plus classiques, de manière générale.
00:24Le petit triton fait référence à la petite sirène.
00:27Le chapeau en mauve, vous aurez la référence.
00:30Tigrillon, cendrillon.
00:32Mathilda et les sept géants, c'est peut-être un petit peu lointain.
00:35Là, ça fait référence à Blanche-Neige.
00:37Je trouve que j'ai eu beaucoup de mal à réinventer.
00:40La belle au consentement, inutile aussi de vous donner la référence de manière littérale.
00:47J'ai voulu revisiter ces contes de notre enfance,
00:51qui, il me semble, ne résonnent plus avec la société aujourd'hui, avec les jeunes générations.
00:58D'ailleurs, ma femme, qui est professeure de lettres, enseigne ses contes dans le secondaire.
01:05Elle me dit, et d'autres amis professeurs me le disent aussi,
01:08que les jeunes ne comprennent plus les morales de ses contes,
01:11ne comprennent plus de quoi ils retournent.
01:13Par exemple, la morale de Barbe Bleue, je ne sais pas si vous la connaissez.
01:18Nous avons l'histoire de ce personnage, de ce psychopathe,
01:21qui assassine ses femmes et qui cache leur corps dans des placards.
01:26Et la morale de Perrault, ce conte a été écrit au XVIIe,
01:30et sa morale, c'était « Mes femmes, ne soyez pas trop curieuses ».
01:33Évidemment, aujourd'hui, quand on lit ces histoires,
01:37qui elles-mêmes sont choquantes, on n'a même pas besoin d'attendre la morale,
01:41il y a une espèce de hiatus entre ces récits et les jeunes générations.
01:46Le Petit Chaperon Rouge aussi, j'ai d'autres amis enseignants
01:49qui me font tous part de ce constat,
01:52et des amis qui n'ont plus envie de lire ces contes à leurs enfants non plus.
01:56L'histoire d'une petite fille qui se fait dévorer par un loup,
01:59l'histoire de psychopathes, des princesses passives
02:03qui ne sont pas du tout maîtresses de leur destin,
02:07qui reçoivent des baisers sans qu'on leur ait demandé l'autorisation,
02:13qui, après une course effrénée dans la forêt comme Blanche-Neige pour échapper à la mort,
02:17arrive dans une maison et fait le ménage pour sept nains.
02:21Et puis on a eu toute la lecture freudienne de ces contes,
02:25l'apprentissage de la maternité, les sept nains représentant les enfants, etc.
02:29Bref, en fait, rien ne va.
02:33Et en même temps, ces contes sont merveilleux, ils nous ont tous émerveillés,
02:37il y a plein de choses de l'ordre de la symbolique,
02:41du merveilleux dedans.
02:45L'idée, c'était de revisiter cette matière, de s'en emparer, de la dynamité un peu,
02:49en utilisant les grands leviers, les grands rendez-vous de ces histoires,
02:55et en les modifiant, en modifiant les symboles,
02:59en redonnant aux personnages, notamment féminins, mais aussi masculins,
03:03les clés de leur destin, qu'elles redeviennent actrices,
03:07qu'elles aient leurs mots à dire,
03:11qu'elles soient actives, qu'elles réfléchissent,
03:15parce que souvent dans les contes traditionnels,
03:19elles sont juste décrites comme belles,
03:23elles sont très valorisées pour leur beauté, et jamais pour leur intelligence, pour leur perspicacité,
03:27pour leur courage.
03:31Donc c'était le projet.
03:35Ces histoires arrivaient par transmission orale, de bouche à oreille, pendant très longtemps,
03:39depuis la nuit des temps, les humains se racontent des histoires au coin du feu,
03:43et ces histoires n'ont été donc fixées,
03:47mises à l'écrit qu'au XVIIe.
03:51Et certaines femmes ont écrit des contes à cette époque-là, notamment Madame d'Hollenois,
03:55par exemple, et en fait, ces récits n'ont pas été retenus,
03:59parce qu'ils étaient jugés trop subversifs.
04:03On a retenu ceux de Perrault qui ne menaçaient personne,
04:07et qui ont du coup un prisme forcément très masculin.
04:11Et puis c'est une matière vivante, c'est pour ça que j'ai envie de répondre aux gens qui crient au wookieisme,
04:15que c'est méconnaître, je suis désolée, c'est peut-être un peu arrogant
04:19de le dire comme ça, mais c'est méconnaître ce qui fait le conte,
04:23la matière du conte, c'est une matière vivante, et qui ne demande qu'à être réécrite,
04:27réinventée, re-racontée, et qui l'a toujours été.
04:31Il s'agissait juste de les réveiller un peu, ces contes du XVIIe,
04:35et d'insuffler un peu de modernité, et d'émanciper les personnages,
04:39tout en conservant, j'espère, le merveilleux,
04:43c'était aussi l'idée, tout en conservant ces univers merveilleux
04:47qui nous ont tous frappés l'imagination quand on était enfant.
04:51L'idée, initialement, c'était de réécrire ces contes, mais pour les petits,
04:55les enfants de 5-6 ans, et c'est pour ça que le premier conte,
04:59la princesse au gros potiron, c'est le premier qui a été écrit aussi,
05:01parce que c'est un conte déjà un peu caricatural, un peu grotesque,
05:05mais amusant, initialement, cette princesse qui ne peut pas dormir sur des petits pois.
05:09Et c'était facile à réécrire, d'imaginer une princesse qui pouvait dormir
05:13sur tous les fruits et légumes du royaume, de l'abricot au gros potiron.
05:17Et donc c'est parti un peu d'un gag, et puis au fur et à mesure de la réécriture,
05:23je me suis rendue compte que non, ça n'allait pas être pour les petits de 5-6 ans,
05:27que de toute façon, quand on voulait déployer un univers merveilleux,
05:31il fallait faire appel à du vocabulaire un peu plus complexe.
05:35Et puis, il y a plein de choses qui échappent aux petits-enfants.
05:39C'est ça qui est magique dans les contes, c'est qu'en fait, la lecture qu'on en a
05:43à 5-6 ans ne sera jamais la même que celle qu'on a à 15 ans,
05:47puis que celle qu'on a à 30 ans. On redécouvre sans arrêt
05:51mille choses, mille interprétations. Et d'ailleurs, après l'écriture de ce recueil,
05:55j'ai tombé sur une hypothèse d'une femme qui s'appelle Lucienne Levas,
06:01qui a fait un essai sur le petit chapeau en rouge. Je crois que ça s'appelle
06:05« Histoire d'un malentendu », et qui dit que peut-être qu'on s'est tous trompés.
06:09Peut-être que cette histoire ne parle pas du loup comme prédateur.
06:13Le prédateur, le loup, attention, enfant, n'allez pas dans la forêt.
06:17Mais peut-être qu'il dit aux enfants, attention, le manger est dans la maison,
06:21parce que le loup qui est dangereux, c'est celui qui est dans la maison,
06:23dans le lit de la grand-mère, celui qui a les vêtements de la grand-mère,
06:26donc peut-être du grand-père, et peut-être que ça parle d'inceste.
06:29Ce qui serait assez cohérent, puisque quand on sait que la plupart
06:33des cas d'agression sexuelle se font à l'intérieur des familles.
06:37C'est un sens que je crois que j'avais appréhendé,
06:42parce que ma réécriture va un peu dans ce sens-là.
06:45Et en même temps, elle a posé des mots tellement clairs, ça a fait l'effet d'un
06:50Donc voilà, c'est de dire que ces contes-là, ils existent depuis la nuit des temps,
06:54ils passent de génération en génération, et il y a toujours moyen de les réinterpréter
06:58et d'avoir des humilations à leur sujet.
07:01Ce sont les éditrices, c'est Sophie Giraud de Helium qui a trouvé ce talent,
07:07Audrey Carpentier, pseudonyme Adelaide, pour illustrer ces contes.
07:14Et en fait, ça marche très bien, je trouve, parce qu'Audrey a un style
07:20effectivement des dessins très fouillés, très détaillés,
07:24dans un style d'enluminure moderne.
07:27Et en fait, les illustrations d'Audrey sont tellement détaillées
07:32qu'elles dépassent même les images mentales que je m'étais forgées
07:37pour décrire mes univers.
07:41C'est assez étonnant comme sensation.
07:44Ça matche parfaitement, et ça va même au-delà de ce que j'avais imaginé.
07:50En fait, ils sont riches d'un inconscient collectif extraordinaire.
07:54Ils sont venus, on l'a dit, par le bouche à oreille,
07:58ils sont ultra chargés en symbolique, ils ont intéressé tous les psychanalystes
08:03de Freud à Lacan à Jung, donc évidemment qu'il y a une matière incroyable.
08:09Mais ceux qu'on connaît, c'est ceux qui ont été écrits, fixés sur le papier au XVIIe.
08:13On ne connaît pas de contes de femmes, en fait.
08:15Donc on connaît les contes écrits par les hommes, avec leur interprétation,
08:19et c'était un siècle extrêmement patriarcal.
08:22Donc forcément, en fait, c'est des contes marqués, imprimés par cette société de l'époque,
08:28par ce fait-là que c'était une époque ultra sexiste, en fait.
08:32Et bien sûr, entre-temps, aujourd'hui, le multiculturalisme est passé par là,
08:37la mondialisation, MeToo, l'émancipation des femmes, etc.
08:41Donc comment ne pas les revisiter, à l'aune de notre époque ?

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