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Cours de cinéma par Ariane Allard, journaliste, critique de cinéma.
Vendredi 13 décembre 2024.

Pour Rebecca Zlotowski, le désir de cinéma a été plus fort que tout. Est-ce la raison pour laquelle le désir est la grande affaire de son cinéma ? De Belle Épine aux Enfants des autres, en passant par Une fille facile, il propulse tous ses films et série, pas seulement sur le terrain de la libido, et chahute bien des représentations, dont celles du féminin et du masculin. C’est dire si ce cinéma-là comble un manque et fait du bien.

Dans le cadre de la thématique Elles sont là pour rester, 10 réalisatrices aujourd’hui en France
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Transcription
00:00:00Bonsoir déjà à toutes et à tous, je vais commencer par une question qui a été posée
00:00:17par Rebecca Zotowski que je reprends à mon compte, c'est que se passe-t-il quand les
00:00:21femmes ne sont plus seulement regardées mais regardantes, autrement dit quand elles passent
00:00:26de muse à créatrice ? Cette question elle l'a posée dans une interview qui a été
00:00:31donnée au magazine 3 couleurs en septembre 2023 alors qu'on lui demandait de donner
00:00:37sa définition du female gaze ou en français du regard féminin, c'est une question pleine
00:00:44de suspense à laquelle je vais tenter de répondre à mon tour dans son sillon mais
00:00:50en la resserrant légèrement à la façon d'une fermeture à l'iris puisque Rebecca
00:00:56en est friande dans chacun de ses films et voici la question que j'ai choisi de poser
00:01:01en guise de point de départ de cette conférence ou de ce cours, que se passe-t-il quand une
00:01:07femme ne se mêle plus seulement d'être désirée, il faut l'être quand on est cinéaste notamment
00:01:12du public, mais désirante ? Pourquoi me direz-vous avoir circonscrit la notion de regard au
00:01:20seul périmètre du désir ? Alors d'abord parce qu'au cinéma ils sont souvent indissociables
00:01:26et ensuite parce qu'aujourd'hui encore il n'est pas si courant qu'une femme affirme
00:01:31ouvertement ses désirs et les assume et enfin parce que l'idée du désir renvoie bien sûr
00:01:39à celle de la projection, septième art oblige, mais aussi de l'élan, de l'appétit et de l'envie,
00:01:46un mot qui revient en boucle dans ces interviews. Donc à travers cette notion de désir se dessine
00:01:54une dynamique, une force, motrice même, qui me semble-t-il caractérise à la fois très bien son
00:02:01parcours, sa personnalité et son travail. Alors une chose est sûre, le désir de cinéma a été plus
00:02:09fort que tout pour Rebecca Zotowski qui a d'abord été une brillante élève à Normale Sup' avant de
00:02:16bifurquer, et ça n'est pas commun, vers la Fémis, donc cette grande école de cinéma que je suppose
00:02:22que vous connaissez, et c'est la raison pour laquelle j'ai intitulé ce cours « A son seul désir »
00:02:28parce qu'on relève très tôt chez elle, à l'âge fragile, parfois très flou, de la vingtaine, l'envie,
00:02:34le besoin même de suivre son désir, en l'occurrence le cinéma, plutôt que d'opter pour la voie
00:02:41disons plus rassurante de l'enseignement et de la recherche. Est-ce la raison pour laquelle le
00:02:48désir est précisément la grande affaire de son cinéma, de Belle-Épine, donc son premier
00:02:53long métrage en 2010, à « Les enfants des autres », le dernier en 2022, enfin le dernier qui soit
00:03:00sorti en salles, puisqu'il y en a un qui est en préparation, en passant par « Une fille facile » en 2019,
00:03:05le désir propulse tous ses films et même sa série, que ce soit sur le terrain de la libido, bien sûr,
00:03:12mais pas seulement, parce que le désir n'est pas toujours la sexualité comme enjeu, et surtout
00:03:18ce désir renouvelle bien des représentations, dont celles du féminin et du masculin. C'est dire
00:03:25si ce cinéma-là comble un manque, le sien peut-être, et le nôtre sûrement. Alors avant de revenir sur
00:03:33la variété du désir qui anime et qui singularise sa filmographie, il me semblait qu'une petite
00:03:39remise en contexte me paraissait assez nécessaire, ça c'est mon côté journalistique, j'aime bien,
00:03:44avant de passer à l'analyse, de rappeler un petit peu quelques détails et quelques
00:03:48informations. Donc je vais revenir sur les premières années de sa vie qui ont nourri ses choix et qui
00:03:54peuvent, me semble-t-il, éclairer ses désirs. Rebecca Zlotowski est née en 1980 à Paris, si on la
00:04:02connaît aujourd'hui dans sa belle quarantaine, à la fois cérébrale et sensuelle, mélancolique et
00:04:09enthousiaste, féministe et cinéphile, on sait assez peu de choses sur son enfance, sinon ce qu'elle
00:04:16en a bien voulu en dire dans une interview pour la revue Positif en 2013, donc je cite, j'ouvre
00:04:23les guillemets, je viens d'une famille de la classe moyenne du 13e arrondissement à Paris, j'avais des
00:04:29parents immigrés, cultivés, mon père est né en Pologne et ma mère, pied noir, est née au Maroc, à la
00:04:37frontière algérienne. Ils se sont rencontrés en Israël, ma famille est juive, notre quartier à Paris
00:04:44était un quartier avec des couches très populaires, mais proche du quartier latin. Mon éducation porte
00:04:51cette ambivalence, j'ai passé un bac cinéma au lycée Buffon à Paris dans le 15e arrondissement,
00:04:57mais étant donné mon milieu familial, il me fallait un emploi stable, j'ai donc fait des études de
00:05:03lettres en vue d'une carrière universitaire et je ferme les guillemets. Donc voilà pour le cadre qui,
00:05:09comme vous le voyez, est à la croisée de moult élans, culture, territoire aussi, et donc de
00:05:15moult désirs. Et voilà pour ces premiers pas, qui semblent alors emprunter les voies de
00:05:21l'excellence, avec toutefois deux ruptures et deux ruptures fondatrices. La première, essentielle,
00:05:28s'apparente à une onde de choc et va hanter toute son oeuvre de façon plus ou moins manifeste. Je
00:05:36veux parler du décès de sa mère, alors que Rebecca n'est âgée que de 11 ans. Elle sera donc élevée
00:05:42avec sa soeur de deux ans son aîné, par son père, un traducteur émérite assez connu, et ça n'est
00:05:49pas un détail me semble-t-il que d'être à la fois un père, un repère, bon le jeu de mots est facile,
00:05:55mais ça fonctionne en l'occurrence, et un passeur. Et surtout ce trio, qui est à la fois minuscule
00:06:01et majuscule, eh bien on va le retrouver dans son premier film, comme dans son dernier film. C'est
00:06:07dire si effectivement ça fait partie des fondations, en tout cas de son cinéma et de ses désirs. Et à
00:06:14cet égard, puisque mon objectif ici est de faire dialoguer rapidement ces bribes biographiques,
00:06:20avec certaines thématiques récurrentes de son oeuvre, je me souviens d'une réflexion qu'elle
00:06:26m'avait faite en 2019, à l'occasion de la sortie d'Une fille facile, donc son avant-dernier long
00:06:32métrage, alors que je l'interrogeais pour le magazine Cosette, sur le cinéma italien des années
00:06:3960 et son influence sur ce film solaire et très méditerranéen. Voici ce qu'elle me disait,
00:06:44ce cinéma fait complètement partie de ma cinéphilie, même si je suis née en 1980. Je pense
00:06:52aux films de Fellini, de De Sica, Harry Hammer, ils sont tous traversés par des filles qui font
00:06:58des concours de t-shirts mouillés. Je sais pourquoi j'ai été fascinée par eux. J'ai
00:07:03grandi orpheline, sans mère. D'une certaine façon, ce cinéma m'a appris ce qu'était une femme et ce
00:07:11que je devrais être, peut-être, ajoutait-elle en riant. Donc on voit de l'intérêt du cinéma à la
00:07:17fois comme tuteur, comme guide et éventuellement comme parent de substitution, une construction
00:07:23qui n'est évidemment pas anodine. La deuxième rupture, elle est beaucoup moins grave et elle
00:07:28est choisie cette fois, c'est sa bifurcation vers la FEMIS, donc l'école de cinéma, alors qu'elle
00:07:34se destinait à être professeure. Je reprends à nouveau un passage de son entretien pour Positif,
00:07:40donc c'était un entretien qui a été effectué par Dominique Martinez et Ethne O'Neill que je
00:07:45n'avais pas cité. J'ouvre les guillemets, après mes études la normale sup, qu'elle intègre en
00:07:501999 et l'agrégation de lettres modernes qu'elle obtient elle en 2003, donc autant vous dire que
00:07:56c'est un sans faute. J'ai enseigné à l'université mais j'ai démissionné. Le milieu universitaire est
00:08:02trop opaque, le cinéma me paraissait plus simple par comparaison. J'avais envie de création artistique,
00:08:09littérature, cinéma, alors j'ai fait la FEMIS section scénario. Moi quand j'ai entendu cette
00:08:17phrase, quand je l'ai lue, j'ai immédiatement mis en parallèle avec une phrase assez célèbre de
00:08:22François Truffaut, je cite François Truffaut parce que c'est aussi l'une des références de
00:08:27de Rebecca Zlotowski et qui lui aussi est un grand cinéphile qui a grandi, s'est construit et s'est
00:08:33élevé avec le cinéma. Voici cette phrase que je pense que vous avez entendue de nombreuses fois,
00:08:38les films sont plus harmonieux que la vie, il n'y a pas d'embouteillage dans les films, il n'y a pas
00:08:43de temps mort. Je trouve que ça rejoint assez bien ce qu'a voulu dire un peu plus haut Rebecca.
00:08:47Donc de l'intérêt du cinéma pour elle comme lieu de projection, voire de réparation, mais aussi
00:08:53comme lieu de création, de réinvention, donc d'affirmation de soi. A son seul désir en effet,
00:08:59de fait même si elle revendique souvent sa place de spectatrice et de cinéphile gourmande, elle
00:09:06parle même de cinéphilie superlative, elle place d'ailleurs Casino de Scorsese,
00:09:12Jeanne Hellman de Chantal Akerman parmi ses deux films préférés. Rebecca Zlotowski a donc compris
00:09:21très jeune que son désir ne se limiterait pas à regarder les images des autres, mais à en fabriquer
00:09:28elle-même. Et quand je parle d'images, je parle bien évidemment de récits. Alors des récits
00:09:34vibrants, changeants, éminemment personnels et surtout très vivants. Et ça n'est sans doute pas
00:09:40un hasard. Je me permets de faire une petite insiste parce que vous remarquerez au passage
00:09:45que l'apprentie scénariste s'est vite muée en autrice réalisatrice complète. Elle est sortie de
00:09:52la Fémis en 2007 et Belle Épine, son premier long métrage, est sortie en salle en 2010. C'est quand
00:09:57même un laps de temps assez court. Et d'emblée elle s'est affirmée comme réalisatrice alors qu'au
00:10:03départ elle avait une formation de scénariste. Alors évidemment elle n'a jamais mis complètement
00:10:08de côté la carte de scénario et de scénariste à temps plein. Elle y est revenue régulièrement en
00:10:15parallèle de sa carrière de scénariste en exerçant notamment auprès d'un ancien de la Fémis comme
00:10:20elle, qui a également été professeur de lettres Teddy Lucie Modeste, ça vous parle peut-être ce
00:10:26nom. Elle a co-écrit ses trois longs métrages. Mais comme beaucoup d'autres réalisatrices avant
00:10:32elle, je pense par exemple à Noémie Lovski qui a également fait la Fémis, mais une promotion bien
00:10:38avant puisque c'était en 1990, ou Julia Ducorneau qui elle est une promo un petit peu plus récente,
00:10:452008. Comme toutes ces femmes, elle ne s'est pas donnée d'emblée la possibilité de réaliser,
00:10:52entendait d'être à la tête de proue d'un film et d'une équipe de tournage. C'est vrai que beaucoup
00:10:57de femmes se sont d'abord dit je vais être scénariste avant de s'imposer comme réalisatrice,
00:11:02en tout cas ces femmes-là de cette génération et de la mienne encore un peu plus. Et toujours dans
00:11:09un sixième contexte, je me permets de rappeler qu'en 2010, le moment où Rebecca Slotowski a
00:11:15émergé dans le cinéma français, en tout cas où elle a réalisé son premier film, la part de films
00:11:21réalisés par des femmes était de 19,9% d'après une étude du CNC qui date elle de 2021. Et cette
00:11:32part est passée à 25,9% en 2019, un chiffre en tout cas qui confirme l'arrivée d'une nouvelle
00:11:39génération de femmes cinéastes, génération dont fait partie précisément Rebecca Slotowski. Et je
00:11:46me permets aussi de rappeler un autre chiffre intéressant, juste pour situer le moment où
00:11:50elle a émergé. Il est bon de se souvenir qu'en 2010, date donc de l'apparition de Rebecca,
00:11:562010 se situe sept ans avant la popularisation du mouvement Me Too qui date lui de 2017,
00:12:04octobre 2017. Alors est-ce à dire qu'elle est une pionnière ? Peut-être pas, sans aller jusqu'à
00:12:11remonter à Alice Guy ou même à Agnès Varda. On n'oublie pas les jeunes aînés que furent dans
00:12:17les années 80, Claire Denis, Patricia Masui, Aline Sermal. Autant vous dire que les années 80,
00:12:24en termes de parité, c'était pas vraiment folichon. Il y avait les années 90 aussi,
00:12:29où là il y a un peu plus de femmes qui sont arrivées comme Agnès Jaoui, Noémie Lovski,
00:12:33Nicole Garcia, Pascale Ferrand, Sophie Fillière, Tony Marshall. On peut compter sur la cinéphilie
00:12:42pointue de Rebecca pour les avoir fréquentées en tant que spectatrices. On peut aussi penser
00:12:47qu'elle les a fréquentées pour de bon puisqu'elle a co-fondé le comité 50-50 et qu'elle a également
00:12:53été un temps la co-présidente de la société des réalisatrices et réalisateurs de films,
00:12:59puisque elle aussi, dans le sillon de toutes les femmes que je viens de citer, elle a autant
00:13:04fait bouger les choses et pas seulement par le biais de ses films mais aussi en s'impliquant
00:13:08pour défendre effectivement la parité et d'autres choses d'ailleurs autour de ça. On peut surtout
00:13:14compter sur sa rhétorique pertinente et déliée pour nous donner envie de la suivre, elle,
00:13:20l'héritière assumée de cette belle lignée d'audacieuse. Toutefois, avant de décrypter
00:13:27film par film l'irrésistible montée du désir qui se joue dans son oeuvre et dans notre relation
00:13:33à elle aussi, alors oui j'ai choisi une méthode chronologique pour aborder le travail de Rebecca
00:13:39mais précisément parce que son oeuvre est elle-même ascendante je trouve, il y a vraiment
00:13:43une montée en puissance très nette entre le premier et le dernier donc je trouvais que c'était
00:13:47plus simple et pour vous et pour moi. Donc j'aimerais d'abord placer en guise d'exergue deux
00:13:51phrases que j'ai piochées dans deux entretiens réalisés cette fois par nos confrères des
00:13:57cahiers du cinéma en 2013 toujours. Deux phrases balises non pour canaliser voire pour encadrer
00:14:04son désir mais au contraire pour le tirer vers le haut, pour l'élagir et éventuellement pour le
00:14:10sublimer. Deux phrases en somme que je vous propose de garder en mémoire tout le long de ce cours.
00:14:15La première phrase, je bois un petit peu, pardon. La première phrase, la seule chose digne d'être
00:14:26poursuivie quand on fait des films c'est la liberté absolue. Donc elle le disait il y a
00:14:32déjà une dizaine d'années. Une façon de confirmer la vertu émancipatrice du cinéma pour
00:14:37elle et d'autre part sa soif intense, son désir inextinguible de liberté d'autre part. Et la
00:14:45deuxième phrase, très importante également, chaque sujet essaie de trouver sa forme et chaque film
00:14:53pose une question qu'une forme va rencontrer. Je dirais même après elle, chaque film parle d'un
00:15:00désir qu'une forme va rencontrer. Et donc démonstration avec son premier long métrage Belle
00:15:07Epine qui sort en salle en 2010, elle a alors 30 ans et qui pose la question du désir en le percevant
00:15:14comme un manque. Donc première étape ou premier palier je vais dire de cette montée progressive du
00:15:20désir où l'on verra d'ailleurs que dès ce premier opus, Rebecca Zlotowski parvient à convertir ce
00:15:27désir manque en désir puissance. Pour mémoire pour celles et ceux qui ne l'auraient pas vu ou pas
00:15:34encore vu, le film s'emploie à suivre prudence, une adolescente de 17 ans, les jours qui suivent le
00:15:41décès de sa mère. Livrée à elle-même dans l'appartement familial, elle rencontre Marilyn,
00:15:47une copine assez dégourdie du lycée qui lui fait découvrir le circuit sauvage de Rungis où tournent
00:15:54grosses cylindrées et petites motos trafiquées. Un univers masculin, risqué, dangereux, placé sous
00:16:03le double élan du désir sexuel, donc pour les motards, les bad boys, et placé sous l'élan de
00:16:11la mort aussi. Un univers où prudence tente de s'immiscer, essayant de faire passer sa solitude
00:16:16pour de la liberté. Alors il y a trois choses au moins qui à mon sens happent et fascinent dès ce
00:16:24premier essai. Un premier essai qui a obtenu le prix de Luc du premier film, à défaut d'avoir
00:16:30trouvé un public puisqu'à l'époque il n'a fait que 20 000 entrées, ce qui est quand même très peu.
00:16:33Alors d'abord la part autobiographique assumée de ce premier long métrage, même s'il est évidemment
00:16:40romancé, que l'on retrouve d'abord dans le statut d'orpheline de mère de sa jeune héroïne, mais
00:16:46aussi dans les scènes de rite juif avec les Cohen, une famille amie qui va accueillir un temps prudence
00:16:52et l'entourer même de loin, on va dire. Je trouve, c'est pour ça que je m'attarde dessus, qu'il y a là
00:16:59une forme d'honnêteté à choisir cette approche d'emblée, qui à mon sens relève moins d'une
00:17:05posture d'autofiction que du choix de la simplicité. Aller à l'essentiel, assumer l'envie pour la
00:17:13débutante qu'elle est de commencer par parler de soi, d'autant qu'elle n'a pas nécessairement, c'est
00:17:19vrai, capitalisé une grande expérience. Et je trouve moi, au minimum, que c'est le signe
00:17:24d'une intelligence assez fulgurante. L'autre chose qui m'a frappée dans ce film, c'est sa
00:17:31forme. Il ne s'agit pas, comme souvent dans le cinéma français, d'un portrait naturaliste, sensible,
00:17:39délicat, un peu mief parfois, d'une jeune fille en détresse. Pas du tout. Ici, non seulement la jeune
00:17:46fille surgit comme un électron libre, mais on ne comprend pas très bien ce qu'elle cherche,
00:17:50on ne comprend pas très bien ce qu'elle désire. Elle parle peu, elle paraît sans attache, elle ne
00:17:57témoigne d'aucune émotion, sauf à la fin, mais je ne vous révélerai pas laquelle précisément,
00:18:03si en plus certains d'entre vous n'ont pas vu le film. Et le récit lui-même, qui est jalonné
00:18:07d'ellipses, de scènes en clair-obscur, même tout à fait nocturnes parfois, de transitions impérues,
00:18:13d'apparitions, de disparitions aléatoires de personnages, et bien ce récit adopte lui aussi
00:18:18cette grâce brutale, peu aimable, un peu déréglée aussi. Rien n'est fait pour nous séduire, encore
00:18:26moins pour nous guider. On ne sait pas très bien à quelle époque se situe le film, est-ce que ce
00:18:30sont les années 80, 90 ? On ne sait pas très bien à quel endroit non plus ça se situe. On comprend
00:18:36juste qu'il évolue, et prudence aussi, puisqu'ils sont indissociables, dans des lieux décentrés,
00:18:42périphériques, et que ce circuit étrange, inquiétant, avec ces hommes qui trompent la mort
00:18:48sur leur bécane, et bien ce circuit fonctionne de façon métaphorique. Ça aussi c'est un autre mot
00:18:54avec l'envie, qui va revenir souvent dans mon cours et souvent dans le cinéma de Rebecca
00:18:58Zlotowski. Alors évidemment cette approche a pu déconcerter, c'est peut-être pour ça qu'il y a
00:19:03eu assez peu de spectateurs au départ, mais il me semble moi qu'elle s'avère vraiment très
00:19:07perpignante, parce qu'elle renforce le sentiment d'entre-deux que semble éprouver Prudence. Et en
00:19:13réalité, quand on réfléchit un peu à ce film et à cette forme, on comprend qu'il s'agit moins
00:19:18d'un portrait en forme de parcours, disons d'un récit d'apprentissage classique, que d'une plongée
00:19:24dans un état intérieur. Vous savez cet état, ce moment de choc, de sidération,
00:19:33d'égarement, qui précède ce qu'il est coutume d'appeler le travail de deuil. Ce moment où le
00:19:39temps semble à la fois s'arrêter, être infini, ce moment où les lieux, les espaces semblent indéfinis
00:19:45eux aussi, où ce moment où on a le sentiment de vivre dans un monde parallèle, ce moment au fond
00:19:53où on est tout entier saisi, voire foudroyé, par le manque du cher disparu. Donc vous voyez
00:20:02que tout à l'heure je faisais l'éloge de la simplicité de Rebecca dans sa démarche autobiographique.
00:20:06Cela ne veut pas dire pour autant que ce qu'elle veut montrer est simple. Je trouve même que ce
00:20:11projet, surtout pour un premier film, est très ambitieux et assez risqué. Heureusement pour
00:20:17elle, et pour nous, elle a compris aussi que pour éviter la sensation de flottement et d'abstraction
00:20:22qui est inhérente à ce projet, il fallait que son film soit, en contrepartie, absolument incarné
00:20:28par l'actrice qui interpréterait sa prudence. Et de fait, sa grande trouvaille et la grande chance
00:20:34de ce premier long métrage, c'est Léa Seydoux, qui a 24 ans à l'époque, qui a été révélée deux ans
00:20:40auparavant, en 2008, dans La belle personne de Christophe Honoré. Rebecca l'a choisie au départ
00:20:47pour sa proximité de caractère avec son héroïne, c'est ce qu'elle confie en tout cas dans un
00:20:52entretien accordé à Télérama. Voilà ce qu'elle dit sur Léa Seydoux.
00:20:57« J'ai présenté Orpheline par son sens de l'indépendance, sa très forte mélancolie, sa solitude aussi, et tout cela correspondait
00:21:04aux personnages de mon film. On me l'a présenté comme issue de son patronyme, donc Seydoux, qui est un patronyme
00:21:11effectivement très connu dans le milieu du cinéma. Je ne la voyais pas du tout liée à un héritage.
00:21:16L'impression de vide et d'urgence mêlée qui émanent du film tout le long, à mon sens, vient pour
00:21:25beaucoup de la prise de rôle de Léa Seydoux. » Rebecca Zdotowski dit d'elle que c'est la meilleure
00:21:31actrice de sa génération. En tout cas, dans ce premier film, elle est totalement magnétique,
00:21:36à la fois en ado déboussolée, qui déboussole en même temps notre regard, puisqu'elle est à la fois
00:21:44grave et superbe, farouche et triste, flottante et résolue, physique et spectrale. Peu d'actrices
00:21:53françaises et si jeunes savent délivrer de telles émotions et de tels paradoxes avec si peu d'effets.
00:21:58Peu d'actrices françaises également suscitent une telle tension, dès qu'on la voit à l'image, c'est-à-dire
00:22:06un mélange d'attraction, d'attente, mais aussi d'inconfort. Il me semble que ce pourrait être
00:22:11aussi pas mal une définition du désir, ce mélange d'attraction, d'attente et d'inconfort, comme si
00:22:18à elle toute seule, Léa Seydoux, en tout cas dans ce film, incarnait ce désir. Alors, je vais vous
00:22:23proposer un premier extrait de Balépine. Je vous le présente rapidement pourquoi je
00:22:28l'ai choisi, parce que j'ai choisi la séquence d'ouverture, donc vous pourriez vous dire par
00:22:32paresse, par facilité. Non, c'est parce que c'est la première fois où on entreaperçoit Léa Seydoux,
00:22:37on a l'impression vraiment qu'elle est saisie à la volée, qu'elle est saisie par effraction. J'aime
00:22:41beaucoup cette matière un peu brutale, un peu entière, un peu directe. Et puis, en même
00:22:47temps, j'aime beaucoup cette première séquence parce qu'à travers elle, tout est
00:22:52quasiment dit. Il y a l'idée de la culpabilité, vous comprendrez pourquoi. Alors, c'est une
00:22:56culpabilité, évidemment, qui façonne tout le film, puisque c'est la culpabilité d'être vivante quand
00:23:02on a perdu un être essentiel. Là, dans la séquence d'ouverture, c'est juste qu'elle a été prise dans
00:23:08un magasin parce qu'elle a volé quelque chose. Et donc, cette culpabilité qui va hanter tout le
00:23:12film, elle arrive comme ça, à la synthétiser dès la première séquence. Je trouve ça assez beau.
00:23:17Ça parle aussi de dissimulation et ce film en parle tout entier. Bref, ça parle de la vitesse,
00:23:24ça parle du danger. Je trouve que c'est une première séquence pour un premier film qui
00:23:28est assez épatante. Donc, je vous propose de la regarder.
00:23:42Alors, tu me sors tout ce que t'as piqué, là, sur la table. Oui, oui, entre.
00:23:59On profite pas pour me toucher le cul, toi. Merci, Michel. C'est bon, je vais me débrouiller toute seule.
00:24:05T'as pas resté. Allez, les poches. J'ai rien, moi, madame. Le casque de mob, aussi. Et vous m'enlevez tout,
00:24:17pantalon compris. Allez, hop, hop, hop, j'ai pas la journée. Putain, ce que c'est long,
00:24:32vous êtes chiantes, les meufs. Allez, tu me l'enlèves, ce jean. Que ça foute, moi. Bon,
00:24:43alors, qu'est-ce qu'on va trouver ? C'est pas propre, tout ça. Rien dans la culotte,
00:24:54m'obligez pas à vérifier. Mais c'est bon, vous voyez bien. Bon, ben, jeune fille,
00:25:03vous allez rester cinq minutes avec moi, j'ai l'impression. Toi, c'est bon, tu peux les
00:25:07travailler. Prudence Friedman, lycée Karl Marx, ville juif, dis donc, ça en fait. Je peux me
00:25:13rhabiller ? Est-ce que tes parents sont à la maison ? Non. Ils ont un numéro de travail ? Non,
00:25:18mon père, il est en voyage. Où ? Il est parti régler des histoires de succession. Je t'ai
00:25:22demandé où. Il est au Canada. Ben, voyons. Et ta mère ? Ma mère, elle est morte. Bien sûr,
00:25:30personne n'est là, tout le monde est mort. Non, mais tu te fous de ma gueule ou quoi ? Mais vous
00:25:33avez qu'à appeler. Bon, on va appeler. Bon, ça, c'est ton dossier, ça veut dire que t'es fichée
00:25:47ici. La prochaine fois, c'est le commissariat, t'entends ? Elle est mal élevée, celle-là. Tu
00:25:51me regardes quand je te parle ? Et si ta mère, elle te voyait, qu'est-ce qu'elle dirait ? T'as pas
00:25:56honte ? Ben justement, c'est pratique. Ils me voient pas. Allez, mec.
00:26:21Voilà, donc la gourmette dissimulée dans la culotte. Je trouve que c'est une façon de
00:26:46rencontrer Léa Seydoux que je trouve assez frappante. Et on voit que dès ce premier
00:26:52film, Rebecca Zotowski aime la filmer et elle ne va pas l'oublier, puisqu'il va s'agir d'établir
00:26:58le casting de son deuxième film, Grand Central, trois ans plus tard. Un film pourtant mu par un
00:27:04désir autre que celui qui présidait et animait Belle Epine. Elle va à nouveau faire appel à
00:27:09Léa Seydoux. C'est intéressant, d'ailleurs, de voir qu'elle la caste dans deux films vraiment
00:27:15différents en termes d'atmosphère, de rythme et même d'image. Et c'est bien pour cela,
00:27:21d'ailleurs, pour cette altérité, cette diversité, que la filmographie de Rebecca
00:27:25est si désirable, à mon goût, pour cette obstination à défricher chaque fois,
00:27:30à chaque nouveau film, de nouveaux territoires et sans jamais se renier pour autant. Donc,
00:27:36Grand Central, que j'ai désigné toujours sous la thématique du désir. Je pense que là,
00:27:43on aborde le désir plutôt comme une mise en danger, même si, alors je disais que c'étaient
00:27:49deux films très différents. Il y a quand même trois points communs qui relient le premier au
00:27:53deuxième. Léa Seydoux, ça, je vous l'ai dit déjà. La musique aussi, je me permets de faire une
00:27:58petite incise sur la musique parce que c'est très important dans le cinéma de Rebecca Lutkowski. La
00:28:04musique qui accompagne, qui souligne, qui intensifie les émotions et qui occupe chaque fois une part
00:28:09importante de la narration. Toutes les B.O. des films de Rebecca Lutkowski sont composées par
00:28:14Rob, qui est donc le clavier du groupe électropop Phoenix. Et Rebecca Lutkowski aime à dire de Rob
00:28:23qu'il est son co-scénariste. C'est-à-dire que c'est une musique qui est souvent composite,
00:28:28qui mélange les époques, les genres, les sources, qui s'adapte au plus près à chaque récit,
00:28:34qui en quelque sorte est une musique qui pose elle aussi une question à chaque fois et trouve
00:28:39sa forme pour y répondre, pour reprendre la citation de Rebecca que j'avais placée en exergue
00:28:44de cette conférence. Et alors le troisième point intéressant qui me semble-t-il relie ces deux
00:28:50films assez différents, c'est qu'on y retrouve cette idée de vouloir plonger un élément familier
00:28:56dans un milieu inconnu. Et ça, c'est quelque chose qu'on retrouve quasiment dans tous ces films. Comme
00:29:01si c'était à la fois le ressort et la fondation de son travail. Donc en gros, qu'est-ce que ça veut
00:29:07dire ? Ça veut dire qu'il y a toujours et à chaque fois ce désir d'explorer, d'ausculter, de tâter
00:29:13de nouveaux territoires, qu'ils soient géographiques, mentaux ou cinéphiles, pour mieux se mettre en
00:29:18danger. Donc à la fois les personnages et la cinéaste, mais aussi je pense, vu ce qu'on sait
00:29:24de sa biographie, pour vibrer encore et encore, c'est-à-dire pour se sentir vivante. Il y a vraiment
00:29:30quelque chose qui relève de ça, je trouve, dans le cinéma de Rebecca Zotowski. Difficile en effet
00:29:36de ne pas voir dans son désir de cinéma quelque chose qui relève de la pulsion de vie. Comme pour
00:29:42mieux conjurer la mort, qui hante son premier et son dernier film. Ou l'état intermédiaire de prudence,
00:29:49l'héroïne de son tout premier film. Alors pour son deuxième opus, maintenant on va s'attacher un
00:29:54petit peu plus à celui-là, Rebecca s'intéresse à une histoire d'amour qui est nichée en contrebas,
00:30:01d'une centrale nucléaire, ce qui est quand même un endroit assez original. Un lieu évidemment
00:30:05métaphorique, là encore. L'idée, on le comprend assez vite, est de créer un écho entre ce sentiment
00:30:12amoureux, qui va se révéler plus irradiant que radieux d'ailleurs, et le monde inconnu des
00:30:19ouvriers du nucléaire. Un univers très masculin, là encore, et c'est intéressant de constater que
00:30:26même pour une jeune femme éduquée, brillante, éclairée comme Rebecca, il faut d'abord en passer
00:30:32par une arène masculine pour se faire une place dans l'industrie du cinéma. Comme si à ce moment-là,
00:30:38elle a une trentaine d'années, il lui semblait qu'un sujet féminin n'allait pas être assez
00:30:43intéressant. Alors on se rassure, en tout cas rassurez-vous, et moi je suis rassurée également,
00:30:48elle va évidemment peu à peu se libérer de cette pensée. Plus on va avancer dans sa filmographie,
00:30:53puisque ce sont des personnages féminins forts qui vont émerger, même si les hommes seront
00:30:58toujours là, mais en contrepoint. Alors donc, Grand Central, à l'origine de ce nouvel opus se trouve,
00:31:06et c'est Rebecca Zotowski qui le dit, une frustration, celle de n'avoir observé que de
00:31:11loin les motards de Belle-Épine, et donc l'envie d'en offrir le contre-champ dans Grand Central,
00:31:16en se rapprochant de cette petite communauté d'hommes, qui est autre évidemment, puisque là
00:31:22ce sont des ouvriers du nucléaire, mais pas si différents, puisque comme les motards, ils vivent
00:31:27également dangereusement. Grand Central raconte la rencontre de Gary, qui vient d'être embauché en
00:31:35intérim, comme soutien dans une centrale nucléaire, et c'est bien lui le personnage principal. D'ailleurs
00:31:41le film s'ouvre sur lui. Donc c'est sa rencontre avec Carole, qui est la femme de Tony, l'un de ses
00:31:47coéquipiers. Et c'est là, au plus près des réacteurs, que le beau brun sec et la belle blonde
00:31:53pulpeuse vont tomber amoureux, et c'est là aussi que l'amour interdit et l'irradiation vont contaminer
00:32:00dans un même élan, lentement mais sûrement, Gary. Alors évidemment l'enjeu est séduisant,
00:32:07faire résonner le travail des ouvriers nomades, intérimaires du nucléaire, toujours sur le fil
00:32:13de l'irradiation, avec les amours empoisonnées d'un des leurs. Je n'ai pas dit, je crois, mais Gary
00:32:19est interprété par Tar Rahim. Et c'est vrai que l'énergie nucléaire est radioactive, donc dangereuse,
00:32:25et surtout qu'elle se libère lors de réactions de fusion ou de fission. On voit que le champ lexical
00:32:30est quand même très proche de celui de la passion. Un peu trop, diront certains, mais c'est pas grave,
00:32:38parce que Rebecca Zlotowski est une femme de ressources, et comme pour mieux déjouer justement
00:32:43cet écueil un peu trop métaphorique, un peu trop théorique peut-être aussi, elle la rime à la base
00:32:49populaire de deux longs-métrages d'avant-guerre, deux longs-métrages populaires, Le beau et poignant
00:32:56Tony de Jean Renoir. Alors pour faire vite, parce que je sais pas si tout le monde connaît ce film,
00:33:01je suppose que oui, mais bon, il s'agit d'une tragédie amoureuse chez des petites gens, ça se
00:33:05passe dans un milieu très populaire, sur fond de crise économique. Et l'autre repère, donc
00:33:12sur lequel s'est appuyé Rebecca Zlotowski pour Grand Central, c'est bien sûr Casque d'or de
00:33:17Jacques Becker. D'ailleurs le personnage de Taha Rahim dans Grand Central se nomme Gary Manda,
00:33:22et Manda c'est le nom du personnage de Serge Reggiani, donc Casque d'or de Jacques Becker.
00:33:28Donc la filiation est assez claire, elle est assez inattendue aussi, puisque le film date de 2013,
00:33:34à une époque où le cinéma français rêvait pour l'essentiel de polars ou de bonnes grosses
00:33:39comédies. Mais une filiation que moi je trouve vraiment bienvenue, et même assez emballante,
00:33:43puisqu'elle ouvre l'espace de Grand Central, tout en confirmant les promesses de Belleépine.
00:33:51Alors avant de parler un peu plus avant du film, je vous propose de regarder un extrait. J'ai
00:33:58choisi cet extrait parce que ça nous parle d'abord du collectif, c'est une scène de groupe,
00:34:03autour d'une table, la nuit, un moment de détente et de partage, avec le personnage de Gary Manda,
00:34:10celui de Tony, et celui de Carole aussi, vous verrez. Donc ça s'inscrit vraiment dans un cinéma
00:34:17comme celui de Renoir, donc j'aime beaucoup aussi pour ça. C'est aussi un film où on voit que la
00:34:23métaphore entre l'amour et l'énergie nucléaire est dite explicitement, même si elle est aussi
00:34:28dite d'une autre façon, pas seulement par les dialogues mais aussi par les corps et par la
00:34:33circulation des corps autour de cette table. Et puis ça parle du désir qui est défini par la peur,
00:34:40l'inquiétude, la tête qui tremble, vous verrez parmi les dialogues, vous entendrez cette phrase,
00:34:44et surtout sur la circulation du désir. Donc voilà, vous pouvez lancer le deuxième extrait, Grand Central.
00:34:51Tony, ça fait quoi la dose ? Tu peux expliquer ça aux gamins ?
00:35:22Debout.
00:35:26Tu vois ? T'as tout vu, là ? La peur, l'inquiétude, l'inquiétude, l'inquiétude, l'inquiétude, l'inquiétude.
00:35:54La peur, l'inquiétude, la vue brouillée, la tête qui tourne, les jambes qui tremblent.
00:36:03C'est ça la dose. Ça fait ça.
00:36:10Et ça c'est une petite dose.
00:36:12Allez, va t'asseoir. Il a vraiment raison de dépousser sa gonzesse. Excuse-moi, elle a le feu au cul.
00:36:37En voyant cet extrait, je pense que vous l'avez compris, vous vous rendez compte également
00:36:41que Rebecca Zlotowski, jeune cinéaste, pourtant, renoue ici avec les grands récits épiques et héroïques d'hier,
00:36:49tout en les modernisant. C'est ça qui est intéressant dans sa démarche, c'est qu'elle les cite volontiers et qu'elle les assume.
00:36:54Et en même temps, elle arrive quand même à apporter quelque chose de neuf par rapport à ses grands récits.
00:36:59Par exemple, elle s'intéresse à ces hommes qui aiment, qui sont donc de souche populaire, qui aiment se retrouver ensemble.
00:37:04Mais ces hommes, ils acceptent aussi la liberté de leur femme, et ça c'est quelque chose d'un peu plus neuf et d'un peu plus contemporain.
00:37:11Et voilà, de la même façon qu'elle met en avant ces parias de l'atome, qui sont, la plupart du temps, soit négligés,
00:37:18soit carrément invisibilisés au cinéma. C'est assez rare de voir des films sur des ouvriers du nucléaire.
00:37:24Et ce que j'aime beaucoup chez elle, c'est qu'elle les rachète, en fait, enfin, elle rachète leur insignifiance avec mille guillemets,
00:37:31quand je dis ça, par la grandeur des sentiments qu'elle leur prête. C'est-à-dire qu'ici, il est question d'entraide, d'amitié, d'amour.
00:37:38Alors, évidemment, ce n'est pas la première à l'avoir fait. Renoir faisait ça également aussi avec ses personnages.
00:37:43Et on voit dans quel sillon elle s'inscrit, tout en faisant quelque chose de totalement personnel.
00:37:48Moi, j'aime beaucoup. Et on s'attache d'autant plus à ces protagonistes, qui sont incarnés par des comédiens puissants,
00:37:55dans une mêlée de corps et de gueules que je trouve atypique. Olivier Gourmet et Denis Ménocher en tête,
00:38:01le second surtout, qui réinventent avec une rare délicatesse, en une poignée de scènes et de regards,
00:38:07la figure du mari trompé. Alors, j'ai une toute petite réserve sur ce film, mais que j'aime beaucoup par ailleurs.
00:38:14Je trouve qu'on est peut-être davantage aimanté par la partie sociale et tribale du film,
00:38:21et qu'on reste peut-être un petit peu plus observateur ou observatrice de la partie sensuelle qui vient en contrepoint.
00:38:28Je parle de celle qui isole Manda et Carole. Alors, bien sûr, le cadre est flatteur.
00:38:34On est au bord de l'eau, je suppose que c'est le Rhône, puisqu'il y a une usine nucléaire juste à côté, une centrale nucléaire, pardon.
00:38:40Et ces scènes sont filmées de jour, puis de nuit, à la lumière d'une lune blonde et trompeuse.
00:38:45On pense bien évidemment à l'aurore de Murnau, puisque c'est Thilo, ce paradis interdit, va être contaminé, lui aussi, par le mensonge.
00:38:54Seulement, voilà, si la beauté plastique et les références cinématographiques sont au rendez-vous,
00:38:59et flattent notre rétine ou notre cinéphilie, la grâce, elle, me semble-t-il, ne pointe que par intermittence.
00:39:06Je me suis demandé pourquoi. Est-ce que c'est parce que la volupté de Léa Seydoux en Marilyn des Camping est quand même un peu appuyée,
00:39:14et qu'elle dilue donc le mystère ? Ou est-ce que c'est au contraire la passivité, un rien dérouté, un rien enfantine aussi,
00:39:21du personnage de Manda, et de l'acteur d'ailleurs, Tahra'im, qui empêche le trouble, ou hypothèque l'alchimie du couple ?
00:39:30J'aime beaucoup ces scènes, je vous l'ai dit, parce que d'abord, j'aime beaucoup la façon dont elles sont filmées,
00:39:36ces parenthèses sensuelles, c'est-à-dire qu'elles sont à la fois crues et pudiques,
00:39:39et ça c'est vraiment quelque chose qu'on retrouve dans toutes les scènes sensuelles filmées par Éboué Kazoutowski.
00:39:44Elles sont à la fois directes, et jamais malaisantes, ni incomodantes, ni intrusives.
00:39:49Je trouve que c'est quand même une façon assez intéressante et originale de filmer les corps et les ébats amoureux.
00:39:55Et puis l'autre chose bien sûr qui est intéressante dans ces scènes, c'est qu'elles essaient en tout cas de donner une représentation différente du féminin et du masculin.
00:40:04Elles aversent un peu les codes, on va dire, en s'impifiant à outrance.
00:40:08C'est-à-dire qu'ici c'est la femme qui décide, qui est dominante, et l'homme qui est tendre, qui est fragile et qui est dominé.
00:40:15Malgré tout, il faut attendre la révélation finale qui est franchement poignante.
00:40:22Mais je ne vais pas vous la révéler parce que c'est un film très romanesque,
00:40:24donc je ne veux pas vous divulgacher la raison pour laquelle finalement ces scènes fonctionnent.
00:40:29Mais ce que j'aime en effet, c'est qu'alors on se retrouve projeté dans quelque chose à la fois très romanesque et très cohérent.
00:40:36On voit et on comprend mieux cette chronique du danger de la fusion, qu'elle soit nucléaire ou amoureuse.
00:40:43Et c'est dire de toute façon, en parlant de romanesque, puisque c'est aussi un mot qui va revenir souvent,
00:40:48combien le désir de cinéma de Rebecca Zotowski est généreux.
00:40:53D'ailleurs ce film ne parle que de cela, de désir, en le démultipliant.
00:40:58Il y a d'abord le désir de Rebecca de filmer une communauté d'hommes, ça je vous l'ai dit au tout début.
00:41:03Et puis il y a aussi au sein de ce récit le désir amoureux, irrépressible.
00:41:08Et puis le désir de gagner sa vie pour mandat, ou de s'intégrer à un groupe, ou même le désir de maternité.
00:41:15Mais je n'en dirai pas davantage parce que là déjà je commence à vous dire des choses sur la fin.
00:41:19Et ce que j'aime beaucoup dans cette multiplication d'élans et de désirs, c'est qu'ils s'emboîtent parfaitement.
00:41:26Ce qui est quand même pour moi une prouesse scénaristique.
00:41:29Et ce qui n'est pas forcément le cas du troisième ouvrage de Rebecca Zotowski, Planetarium.
00:41:35Un film qui déborde de beauté, de fantômes, de poésie, que j'aime beaucoup.
00:41:41Mais qui déborde également de sujets, et peut-être un peu trop.
00:41:45Cette partie je l'ai intitulée Planetarium, ou le trop plein de désirs.
00:41:50Il y a une chose en tout cas à laquelle vous n'échapperez pas, c'est que ce troisième long métrage,
00:41:54qui est sorti en salles en 2016, ne déroge pas la loi du désir Zotowskienne,
00:41:59puisqu'il emprunte à nouveau une forme différente, qui n'a rien à voir avec le précédent et encore moins avec le premier film.
00:42:06Son premier film qui était un peu brutal, un peu brutiste, un brin autiste.
00:42:10Ensuite il y a eu cette fresque romanesque de Grand Central,
00:42:14qui puise même aux sources d'une forme de réalisme poétique très français.
00:42:19Et voilà qu'avec ce troisième long métrage, elle élargit son horizon.
00:42:23Elle s'aventure dans un film d'époque, nantie d'un casting international,
00:42:28puisqu'on a en tête d'affiche Nathalie Portman et Lily Rosedep.
00:42:32Donc en clair, on est assez loin de Rungis, on est aussi assez loin d'un camping au bord du Rhône.
00:42:37Alors je précise quand même, parce que c'est le moment de le faire, qu'il s'agit d'un film français,
00:42:41qui a été produit comme les précédents, par Frédéric Jouve, c'est un nom que vous reverrez sur chacun de ces génériques,
00:42:48et par les films du Velvet.
00:42:50A cela s'ajoutent pour celui-là les frères Dardenne, en coproducteur.
00:42:56Et précisons encore que si Rebecca a délaissé pour ce film Gaëlle Massé, qui était sa soeur de plume jusqu'alors,
00:43:02c'est pour mieux faire appel à Robin Campio, je pense que c'est un nom qui vous parle,
00:43:07qui est évidemment cinéaste et qui est auteur notamment du film et de la série Les Revenants.
00:43:12Et c'était un choix, on ne peut plus aviser, pour l'accompagner dans l'écriture de ce film qui est rempli de fantômes.
00:43:20Alors je reviens sur l'histoire du film, parce que je ne sais pas si vous l'avez vu ou pas.
00:43:24D'abord on est projeté dans le Paris de la fin des années 30, juste avant la seconde guerre mondiale,
00:43:30aux côtés de deux sœurs, qui sont interprétées par Nathalie Portman et Lily Rosedep,
00:43:35qui sont à la fois américaines et médium.
00:43:37On se retrouve également embarqués dans le même temps, dans la quête obsessionnelle d'un producteur de films,
00:43:44qui recrute, et qui est joué par Emmanuel Saint-Linger, que je trouve formidable dans le film,
00:43:49qui recrute les deux sœurs car il rêve de capter l'invisible par la technique cinématographique,
00:43:56ce que je trouve très beau comme idée.
00:43:58Et nous voilà entraînés enfin dans la chute de ce producteur,
00:44:02puisque cet homme de cinéma est juif et qu'il s'obstine à ne pas voir la montée de l'antisémitisme et du nazisme
00:44:09qui s'emparent alors de l'Allemagne et puis de l'Europe toute entière.
00:44:14Donc avant de rentrer plus avant dans ce film, je vous propose un extrait,
00:44:18qui commence par une phrase qui est pour le coup assez cohérente,
00:44:22puisqu'on entend quelqu'un dire « regardez bien, c'est très furtif ».
00:44:25Et en effet cet extrait est très court, c'est une séance de visionnage de Rush,
00:44:31où l'on découvre les images de l'expérience menée par ce producteur et par l'une des deux sœurs,
00:44:36sous l'égide d'un professeur, qui est une tentative d'enregistrer sur la pellicule
00:44:42la vision médiumnique de cette sœur qui s'appelle Kate.
00:44:47Et là encore, je trouve qu'en un extrait qui dure une minute, deux, peut-être je ne me rappelle plus,
00:44:54tout y est, c'est-à-dire à la fois le cinéma hollywoodien,
00:44:57puisque c'est un hommage au cinéma hollywoodien à l'âge d'or du cinéma hollywoodien,
00:45:02une réflexion sur le fantasme, sur le désir fraisant la folie aussi, sur l'illusion,
00:45:07et puis aussi sur l'aveuglement d'un homme, un homme d'image pourtant,
00:45:10et son incapacité à voir le réel menaçant.
00:45:14Donc je vous propose de regarder ce troisième extrait de Planetarium.
00:45:21Regardez bien parce que c'est très furtif.
00:45:38Attention, attention, ça vient, ça vient.
00:45:42Ça !
00:45:43Là !
00:45:45Ça !
00:45:47Voilà !
00:45:48Ça !
00:45:50Ça !
00:45:52Ça !
00:45:54Ça !
00:45:56Ça !
00:45:58Ça !
00:46:00Ça !
00:46:02Ça !
00:46:04Ça !
00:46:05Ça !
00:46:10Ça !
00:46:15Voilà !
00:46:36C'est extraordinaire, non ?
00:46:42Je vais retourner à ma chambre.
00:46:45André, c'est très sous-exposé.
00:46:49Je ne vois pas ce qu'on va pouvoir faire de ces images.
00:46:51Je pense que Servier aurait pu faire beaucoup mieux avec quelques effets spéciaux.
00:46:56Je ne sais pas.
00:46:57Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?
00:47:00Vous avez dépensé les deux tiers du budget pour financer cette caméra.
00:47:03Arrêtez avec ça.
00:47:05Alors au chapitre des vertus de cette plongée médiumnique,
00:47:09éminemment métaphorique elle aussi, comme toujours chez Servier,
00:47:12j'ai beaucoup aimé ce sens ardent pour le coup du romanès.
00:47:16Cette sensualité aussi.
00:47:17Il y a des scènes de sensualité à la fois frontale et farouche,
00:47:20dont je vous ai déjà parlé dans le film précédent.
00:47:23Cet hommage au cinéma classique hollywoodien.
00:47:26Et puis aussi la réinvention.
00:47:28C'est très ambitieux, stylé de l'époque.
00:47:31Je pense que le peu d'images que vous avez pu voir,
00:47:34on voit les décors, les costumes.
00:47:36C'est extrêmement riche.
00:47:38Et classieux.
00:47:39Et puis il y a le jeu aussi de ces trois comédiens principaux
00:47:42que je trouve très envoûtant.
00:47:45Et puis la mise en scène aussi très délicate du film,
00:47:48tout en reflet, tout en miroir,
00:47:50donc qui correspond effectivement aux propos de la réalisatrice.
00:47:54Après, au chapitre de ses faiblesses,
00:47:56c'est un film qui a été un peu moins bien reçu que les précédents,
00:47:59même si je trouve qu'il a des qualités éminentes.
00:48:03J'ai l'impression qu'il y a un peu plus d'ambiance.
00:48:06Il a des qualités éminentes.
00:48:08Je dirais que sa plus grande faiblesse,
00:48:10est-ce que c'est une faiblesse ?
00:48:11C'est sa trop grande générosité.
00:48:13La multiplicité des enjeux,
00:48:15la narration par trop éclatée aussi,
00:48:17finissent par nous détacher peu à peu
00:48:19des personnages et des situations.
00:48:21Il y a une espèce de trop-plein narratif.
00:48:23La montée du nazisme en Europe,
00:48:25l'histoire de ses deux sœurs
00:48:27qui sont d'abord visionnelles puis rivales,
00:48:29les oscillations entre spiritisme et mysticisme,
00:48:32la magie du cinéma,
00:48:34l'anglement collectif, ça fait beaucoup de choses.
00:48:36Ça fait une espèce de tourbillon un peu cérébral
00:48:39et surtout assez théorique
00:48:41qui freine et qui, à mon sens,
00:48:43empêche un peu l'émotion.
00:48:45D'autant que certaines pistes sont sacrifiées.
00:48:47Je pense à la relation entre les deux sœurs
00:48:50qui s'étiole un peu au fur et à mesure.
00:48:52Alors, est-ce à dire que trop de désir
00:48:55tue le désir
00:48:57et que Rebecca teste là
00:48:59les limites de son désir de cinéma ?
00:49:02Pas tout à fait.
00:49:03Disons qu'ici, le désir s'éparpille
00:49:05avant que celui du spectateur
00:49:07ne se dilue un peu
00:49:09mais reste en tête néanmoins,
00:49:11durablement, vous ferez l'expérience
00:49:13si vous voyez le film,
00:49:15l'étrangeté réelle persistante du film
00:49:17et sa beauté,
00:49:19ce qui n'est déjà pas si mal,
00:49:21surtout que ces deux pôles magnétiques,
00:49:23la beauté et l'étrangeté,
00:49:25vont à nouveau s'inviter dans son film suivant,
00:49:27pour le coup plus resserré
00:49:29et plus abouti.
00:49:31Je veux bien sûr parler d'une fille facile
00:49:33qui date donc de 2019
00:49:35et qui nous parle d'un autre désir
00:49:37et même de plusieurs désirs.
00:49:39Alors, changement de décor,
00:49:41maintenant vous savez comment elle procède,
00:49:43changement de genre
00:49:45et puis changement de point de vue,
00:49:47là c'est intéressant.
00:49:49Une fille facile, donc ce quatrième long-métrage,
00:49:51relate l'été inoubliable
00:49:53sur la côte d'Azur
00:49:55d'une jeune fille et d'une jeune femme
00:49:57qui se prénomment pour l'une Naïma
00:49:59et pour l'autre Sophia,
00:50:01deux cousines issues d'un milieu modeste
00:50:03et qui entendent bien son extraire.
00:50:05La première a 16 ans
00:50:07et se donne le temps des vacances
00:50:09pour réfléchir à ce qu'elle veut faire plus tard.
00:50:11C'est Mina Farid
00:50:13qui l'interprète
00:50:15et que j'ai trouvé justement
00:50:17ronde et abrupte, comme on peut l'être
00:50:19quand on a 17 ans ou 16 ans.
00:50:21C'est elle qui prend en charge le récit
00:50:23par le biais d'une voix off
00:50:25et la seconde
00:50:27qui mène une vie
00:50:29mystérieusement gratifiante
00:50:31à Paris,
00:50:33affiche les courbes
00:50:35impeccables de ses 22 printemps
00:50:37sur la plage, comme sur les yachts
00:50:39des milliardaires alentours
00:50:41et ces aïats de
00:50:43art, brûlantes de vérité à force
00:50:45d'artifice, qu'il incarne.
00:50:47C'est elle
00:50:49qui attise les regards
00:50:51et tous les regards, raison pour laquelle
00:50:53je pense qu'on peut parler de
00:50:55l'expression du désir. D'ailleurs, le film
00:50:57s'ouvre sur son corps,
00:50:59son corps dévêtu,
00:51:01libre, au fer,
00:51:03dans l'eau, puis sur la plage.
00:51:05La caméra s'attarde sur lui,
00:51:07niché dans la beauté déserte
00:51:09d'une calanque,
00:51:11le sac et le ressac de la mer,
00:51:13le chant des cigales. Aucun cliché
00:51:15ne manque à l'appel.
00:51:17Aucun trouble
00:51:19inquisiteur ne vient
00:51:21déranger cette séquence
00:51:23et c'est pour ça que c'est intéressant.
00:51:25C'est à la fois les clichés et puis un regard
00:51:27autre, différent de celui
00:51:29qui nous est donné d'habitude à voir
00:51:31sur ce genre de lieu et sur ce genre
00:51:33de corps.
00:51:35Et de fait,
00:51:37on comprend assez vite
00:51:39que cette surféminité
00:51:41assumée
00:51:43distille un sentiment
00:51:45de jeu et de mise
00:51:47à distance
00:51:49et en fait ce prologue,
00:51:51parce que c'est la séquence d'ouverture,
00:51:53annonce gentiment la couleur. Une fille facile
00:51:55est à la fois un conte
00:51:57narquois et mélancolique
00:51:59qui interroge notamment,
00:52:01pas que, on y viendra plus tard,
00:52:03la représentation du féminin,
00:52:05donc la libido,
00:52:07généralement masculine,
00:52:09qui d'ordinaire lui colle
00:52:11à la peau. Et ça n'est pas
00:52:13un hasard si Rebecca Zlotowski
00:52:15multiplie les regards sur
00:52:17Sophia dans ce film.
00:52:19Qu'il soit admiratif,
00:52:21comme celui de sa jeune cousine,
00:52:23qu'il soit avide, comme celui
00:52:25de son amant richissime,
00:52:27qu'il soit condescendant,
00:52:29comme celui d'une grande bourgeoise
00:52:31vieillissante qu'elle va croiser à un moment donné
00:52:33qui est interprétée par Clotilde Couraud,
00:52:35ou qu'il soit
00:52:37jaloux, comme celui du meilleur ami
00:52:39de Neima,
00:52:41la ronde et vive, certes,
00:52:43mais elle témoigne surtout
00:52:45d'une complexité inhabituelle
00:52:47pour regarder ce genre de fille,
00:52:49ce genre de fille facile,
00:52:51et d'une grande mélancolie aussi.
00:52:53Et je vous propose
00:52:55à nouveau de rebondir sur
00:52:57un extrait. Alors c'est un extrait,
00:52:59je pense que c'est le plus long de tous ceux que j'ai choisis,
00:53:01mais parce que comme c'est un conte
00:53:03et que cet extrait raconte lui aussi
00:53:05une morale de quelque chose,
00:53:07je voulais que vous l'ayez dès le départ.
00:53:09Au départ, c'est donc la rencontre
00:53:11entre les deux filles qui sont sur la plage
00:53:13et puis les hommes
00:53:15sur le yacht, au loin,
00:53:17et le jeu de regard qui se joue
00:53:19entre
00:53:21Sophia
00:53:23et le milliardaire, au loin, sur son yacht,
00:53:25tandis que deux garçons
00:53:27arrivent par les rochers
00:53:29et viennent déranger ce jeu de regard,
00:53:31un jeu de regard qui va être très vite
00:53:33maîtrisé
00:53:35par Sophia,
00:53:37la cousine de Neima.
00:53:39Et jusqu'au bout,
00:53:41il faut être attentif parce qu'ensuite,
00:53:43il y aura une espèce de leçon de morale
00:53:45donnée par Sophia que je trouve très intéressante
00:53:47également. Donc voilà, vous pouvez lancer
00:53:49l'extrait.
00:53:51...
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00:55:27...
00:55:29...
00:55:31...
00:55:33...
00:55:35En fait, toi, tu es comme une oursine, hein ? Tu piques, hein ? Tu piques.
00:55:41Mais moi, je pique pas. Au contraire. Regarde.
00:55:47T'as vu ? C'est doux, hein ? Là aussi.
00:55:52Mais... c'est là que c'est le plus doux.
00:56:00C'est doux parce que j'ai les laveries pilées.
00:56:05Elle est folle, ma cousine.
00:56:07Quand t'as parlé à toi ?
00:56:09Quand tu parles à ma cousine, c'est comme si tu parlais à moi.
00:56:18Alors, qu'est-ce que ça me dit ?
00:56:20Chance pour les chevassons.
00:56:22Merci.
00:56:35Tu prends ton sac. Je prends la serviette.
00:56:51Les filles, les filles, hein ! Ne passez pas ! Venez, venez !
00:56:55Viens, je veux te voir, moi ! Viens !
00:56:58Vas-y, laisse tomber !
00:57:00Venez, venez ! Arrêtez ! Venez !
00:57:03Laisse tomber ! Tu vas passer des putes !
00:57:05À qui tu parles, toi ?
00:57:07Ouais, des putes !
00:57:09Ah, tu parles à qui, toi ? Là, toi, là !
00:57:11Qu'est-ce que t'as, toi ? Vas-y, remets-y ta mère, là ! Casse-toi !
00:57:13Ah, toi, t'es un fou, toi ! Tu m'as dit des putes comme ça !
00:57:15Allez, pichez-vous sur ça, là, et arrêtez de me prendre la tête !
00:57:18Vas-y, vas-y ! Casse-toi de là !
00:57:20Ah, Sophie, il a dit des putes, il dit rien !
00:57:23Et alors ? C'est grave ?
00:57:28Il me traite de clocharde et il a dit rien.
00:57:31Bande de batringues !
00:57:33Des gros sous-putes !
00:57:35Regarde-moi, qu'est-ce qu'il t'a apporté, le mec, là, avec qui tu étais cette année ?
00:57:38Comment il s'appelle, déjà ?
00:57:40Enzo ?
00:57:41Ouais, alors ?
00:57:42Tu parles de l'amour ?
00:57:44Ouais, l'amour.
00:57:46Moi, l'amour, ça m'intéresse pas.
00:57:48Tout le monde s'intéresse à l'amour, pas moi.
00:57:50Moi, ce que j'aime, c'est les sensations, l'aventure.
00:57:53Pour moi, les sentiments, ça compte pas du tout.
00:57:57Tu veux que je te donne un conseil ?
00:57:59On doit jamais rien attendre.
00:58:01On doit tout provoquer par nous-mêmes.
00:58:03Tu comprends ?
00:58:05Tu comprends ?
00:58:09Voilà, on aurait presque pu appeler cet extrait l'éducation sentimentale, aussi.
00:58:14Moi, je trouve que ces quatre minutes qui sont assez délectables de désirs et de tensions,
00:58:18et de tensions multiples, pas seulement entre les personnages,
00:58:21mais ce qui joue aussi entre les classes sociales est très important.
00:58:24Et c'est vrai qu'une fille facile n'oublie pas, en marge de cette sensualité,
00:58:30de dévoiler les zones d'ombre de ce soleil trompeur à nouveau,
00:58:34à savoir les conflits de classes qui rongent ces lieux de désirs.
00:58:38On est sur la Côte d'Azur, comme vous l'avez compris.
00:58:40En quelques scènes à peine dialoguées,
00:58:42Rebecca Zlotowski saisit très justement les violences sourdes qui opposent les riches aux pauvres.
00:58:48On l'a vu, les deux filles sur la plage et le yacht qui est au loin,
00:58:53mais qui quand même observe ces deux filles.
00:58:55Il y a aussi la scène, alors vous ne l'avez pas vue,
00:58:58mais si vous regardez le film, vous allez vous en délecter,
00:59:00avec la grande bourgeoise qui est interprétée par Clotilde Couraud,
00:59:04qui est une scène de mépris social assez ahurissante.
00:59:07Et une fois encore, Sofia, qui maîtrise très bien le jeu de séduction,
00:59:11maîtrise également très bien cette violence sociale
00:59:15et renvoie la balle d'une façon assez remarquable.
00:59:18Et puis, il y a quelque chose de plus subtil encore dans ce film,
00:59:22que je trouve vraiment assez remarquable.
00:59:24C'est la violence qui se joue à l'intérieur des mêmes classes.
00:59:28C'est-à-dire, par exemple, il y a un personnage qu'on ne voit pas dans cet extrait,
00:59:32mais si vous l'avez vu ou si vous allez le voir, vous y serez très attentif.
00:59:36C'est le personnage qui est interprété par Benoît Magimel.
00:59:39C'est un très grand acteur, on le sait.
00:59:41Il joue ici le bras droit de ce méliardère.
00:59:44Il fait complètement rêver la jeune cousine,
00:59:46parce que c'est la première fois qu'elle a accès à cet univers de luxe et de richesse.
00:59:50Et lui, en fait, il sait qu'il n'est rien d'autre qu'un larbin,
00:59:53un larbin de luxe, mais un larbin.
00:59:55Il le joue magnifiquement, avec une espèce de tristesse refoulée.
00:59:58Il sait que c'est un faux puissant.
01:00:00Et il y a cette espèce de haine de soi aussi,
01:00:02qui est un motif qu'on retrouve dans plusieurs des films de Rebecca Zotowski.
01:00:06Enfin bref, je trouve que ce film raconte effectivement l'émergence d'une jeune fille,
01:00:12de plus en plus solaire,
01:00:14donc Naïma de plus en plus assurée.
01:00:16Mais il dit aussi son premier contact avec la cruauté.
01:00:20Et je ne sais pas pourquoi, mais en le regardant,
01:00:23je me suis dit qu'en fait, il y avait aussi des liens avec l'univers de François Sagan.
01:00:27Et c'est ce qu'on a appelé sa petite musique.
01:00:30Moi, j'ai toujours trouvé une grande, petite musique.
01:00:32C'est apparemment frivole et en même temps profondément lucide.
01:00:37Un peu ce qu'on retrouve dans son roman,
01:00:40Ce film que je trouve être un des plus aboutis,
01:00:43les plus intéressants de Rebecca Zotowski.
01:00:45Il me semble qu'il est quand même audacieux à bien des égards
01:00:48et qui montre qu'elle a franchi une nouvelle étape avec lui.
01:00:51D'abord parce qu'il se confronte à l'archétype de la bimbo,
01:00:55une démarche rare de la part d'une femme cinéaste,
01:00:58surtout qu'elle retourne à peu près tous les stéréotypes sur cette bimbo.
01:01:01C'est vrai qu'elle est très bien épaulée par Zaya,
01:01:05qui, je trouve, est assez stupéfiante dans cette espèce de bardo des années 2010.
01:01:11Mais c'est aussi le talent de Rebecca Zotowski
01:01:13que de savoir bien choisir ses interprètes.
01:01:16On l'a vu avec Léa Seydoux.
01:01:18Et puis, il y a autre chose que j'aime beaucoup dans ce film et dans cette audace,
01:01:23c'est qu'il se frotte avec Malice au conte moral.
01:01:26Alors, c'est une tradition assez française.
01:01:28On parle souvent de Romère.
01:01:31Et c'est vrai que ce film, on aurait pu aussi bien l'appeler un conte d'été.
01:01:34Et puis, j'aime bien aussi qu'il immerge ses héroïnes dans un bain cinéphile inédit.
01:01:41C'est-à-dire que je vous parlais de Romère,
01:01:43mais il y a aussi les ondes sensuelles des comédies à l'italienne.
01:01:46Moi, je n'ai pas le souvenir d'avoir vu ce mélange entre ces deux univers
01:01:50qui pourraient sembler presque un peu antagonistes.
01:01:52Et là, ça fonctionne extrêmement bien.
01:01:55C'est un mélange que je ne suis pas la seule à avoir trouvé rafraîchissant,
01:01:59puisqu'il y a à peu près 85 000 spectateurs qui ont vu le film.
01:02:04Alors, vous allez me dire que ce n'est pas énorme par rapport au blockbuster
01:02:07et autres films franchisés.
01:02:09Mais on voit quand même qu'il y a une étape qui a été franchie avec ce film.
01:02:12Alors, évidemment, comme ça parle de désir et que c'est assez frontal,
01:02:17et même assumé avec ce personnage de Sofia,
01:02:19ça fait toujours un petit peu peur.
01:02:21Et c'est peut-être ça qui fait qu'il n'y a pas eu peut-être autant de spectateurs
01:02:24qu'elle aurait pu en avoir.
01:02:27Et c'est vrai que le public, le grand public, va lui préférer la mélodie plus douce,
01:02:33plus nuancée, plus poignante de son film suivant.
01:02:36Alors même que ce film explore lui aussi une intimité rarement montrée au cinéma,
01:02:42mais dans une forme et dans une approche peut-être plus classique et plus rassurante.
01:02:47Je veux bien sûr parler de son dernier film sorti en salle,
01:02:51c'est-à-dire Les enfants des autres,
01:02:53qui nous parle cette fois d'un désir entravé et peut-être sublimé aussi.
01:03:00Donc quand je vous dis désir entravé, je suppose que pour vous ça évoque,
01:03:04j'espère, le mélodrame.
01:03:06Parce que de fait, c'est un mélodrame, un pur mélo même,
01:03:09un genre que notre cinéaste avait déjà un peu fréquenté dans Grand Central,
01:03:14mais jamais de manière aussi littérale et assumée.
01:03:18Alors évidemment, pourquoi le mélodrame ?
01:03:21Parce que le mélodrame explore un monde qui, en général,
01:03:24ne s'accorde pas au désir de ses protagonistes.
01:03:28Et c'est le cinéma alors qui endosse un rôle, disons, cathartique
01:03:32pour le cinéaste, pour les spectateurs et aussi pour les personnages.
01:03:36Et c'est pour ça que j'ai donc titré Les enfants des autres ou Le désir entravé.
01:03:42Alors de quoi s'agit-il ?
01:03:44Le cinquième long métrage de Rebecca Zotowski suit quelques heures
01:03:48ou plutôt quelques mois dans la vie d'une femme, Rachel, 40 ans,
01:03:53qui aime sa vie, qui est prof, qui aime ses élèves, qui aime ses amis,
01:03:57qui aime même son ex, ses cours de guitare.
01:03:59Enfin, tout va bien.
01:04:00Bon, elle n'a pas d'enfant, mais apparemment,
01:04:02ce n'est pas un problème plus que ça.
01:04:04Jusqu'au jour où elle tombe amoureuse d'un dénommé Ali
01:04:08et qu'elle s'attache, sans y prendre garde au départ, à Leïla,
01:04:13la fille d'Ali, qui a quatre ans.
01:04:15Et bientôt, elle l'aime même comme la sienne,
01:04:17sauf qu'aimer les enfants des autres, c'est compliqué
01:04:21et c'est parfois un risque à prendre.
01:04:23Et la première réflexion immédiate que je me suis faite en re-revoyant ce film,
01:04:28c'est que ça peut dire que Les enfants des autres,
01:04:32qui est sorti en salle donc en 2022,
01:04:34s'apparente à une expérience personnelle à peine travestie.
01:04:38Donc voyez que là aussi, comme le premier film,
01:04:41on retrouve quelque chose de l'ordre de l'autobiographie,
01:04:43en tout cas de l'autofiction.
01:04:45Je pense même que c'est l'oeuvre la plus autobiographique
01:04:48de Rebecca Zotowski, qui d'ailleurs ne s'en est pas cachée
01:04:51au moment de la sortie en salle.
01:04:53Rachel est professeure comme l'a été Rebecca.
01:04:55Elle a été élevée par son père, Woef,
01:04:58aux côtés de sa sœur dont elle est très proche.
01:05:01Et le père de Rebecca Zotowski joue d'ailleurs dans ce film,
01:05:05et joue le père de Rachel, Michel Zotowski.
01:05:08Et puis l'action se situe à Paris,
01:05:10qui est la ville natale de Rebecca,
01:05:12la ville où elle vit aussi.
01:05:14Elle la filme ici pour la première fois.
01:05:16Donc elle assume, je pense, comme jamais,
01:05:19ce désir de proximité.
01:05:21Et puis surtout, au travers de ses interviews,
01:05:24elle a reconnu qu'elle avait traversé
01:05:26ce que vit son héroïne, mais en décalé.
01:05:29Puisqu'au moment d'écrire ce film,
01:05:31Rebecca, qui avait 40 ans, n'arrivait pas à tomber enceinte.
01:05:35Et dit-elle, elle avait fini par se dire
01:05:37qu'on peut très bien être une femme sans enfant,
01:05:39et être épanouie.
01:05:41Sauf que, pendant la production,
01:05:44elle est tombée enceinte, contre toute attente.
01:05:47Et alors elle dit que c'était un état finalement,
01:05:49c'était juste avant le tournage,
01:05:51donc elle était enceinte au moment du tournage.
01:05:53Et elle dit qu'en fin de compte,
01:05:55ça lui a permis de prendre une distance salutaire
01:05:57avec le personnage,
01:05:59tout en lui restant loyale,
01:06:01puisqu'elle avait connu effectivement
01:06:03ce que son héroïne éprouve tout au long de ce film.
01:06:06C'est vrai que Les enfants des autres
01:06:08est souvent considéré, vous me direz après
01:06:10si vous partagez cet avis ou pas,
01:06:12comme le film le plus accompli
01:06:14de Rebecca Slotowski.
01:06:16C'est-à-dire qu'il nous donne à voir
01:06:18un regard contemporain
01:06:20sur une figure peu traitée
01:06:22et souvent maltraitée au cinéma,
01:06:24qui est celle de la belle-mère.
01:06:26Et cela à travers une forme classique,
01:06:28parfaitement maîtrisée.
01:06:30Il y a là une rondeur, une fluidité,
01:06:32une plénitude tout à fait remarquable
01:06:34dans son récit.
01:06:36Et sur la forme comme sur le fond,
01:06:38il y a donc plein de raisons
01:06:40de céder au désir
01:06:42de voir ce nouveau long-métrage,
01:06:44si j'arrive à tourner ma page,
01:06:46voilà,
01:06:48qui a d'ailleurs été son plus grand succès.
01:06:50Et alors là, on passe à une barre
01:06:52bien plus élevée,
01:06:54puisqu'elle a eu 400 000 spectateurs,
01:06:56ce qui pour elle était formidable.
01:06:58Et pour nous aussi,
01:07:00puisque je pense que c'est vraiment un film à voir,
01:07:02et qui a fini par l'installer
01:07:04quand même petit à petit.
01:07:06Alors à une époque, on appelait ça
01:07:08les films du milieu,
01:07:10et je trouve que ça lui correspond assez bien
01:07:12cette expression qui avait été trouvée
01:07:14par Pascal Ferrand.
01:07:16Et je trouve qu'il est intéressant
01:07:18parce qu'il montre
01:07:20quelqu'un qui souffre
01:07:22de ne pas se confronter
01:07:24à un schéma social dominant,
01:07:26donc être mère,
01:07:28qui se ménage la possibilité d'en inventer
01:07:30d'autres de schémas.
01:07:32Et c'est vrai que
01:07:34Rebecca Slotowski a toujours dit
01:07:36« tout ce qui est une réinvention du script familial me paraît familier »,
01:07:38arguant donc de sa situation
01:07:40d'orpheline quand elle était enfant,
01:07:42et donc ce sentiment d'avoir toujours été
01:07:44décalé par rapport aux autres.
01:07:46Ensuite, l'autre
01:07:48chose que je trouve vraiment intéressante
01:07:50dans ce film, et très réussie,
01:07:52c'est la présence, je dirais, corporelle,
01:07:54physique, du couple,
01:07:56donc de son couple
01:07:58de vedettes, on va dire. En l'occurrence,
01:08:00c'est Virginie Effera qui interprète Rachel,
01:08:02et c'est Roche Dizem
01:08:04qui interprète Ali.
01:08:06Et je trouve que l'un et l'autre sont d'une sensualité
01:08:08assez remarquable, et même assez définitive.
01:08:10Elle n'a jamais aussi bien
01:08:12filmé, à mon sens, « Les Roses en action ».
01:08:14Et enfin,
01:08:16parce que si ce film raconte
01:08:18bel et bien, en fin de compte,
01:08:20l'impuissance d'une femme,
01:08:22il évite
01:08:24toute pathos et toute facilité.
01:08:26Ici, la bienveillance
01:08:28l'emporte sur la rivalité.
01:08:30Ici, l'homme
01:08:32accepte sa part féminine.
01:08:34Ici, les archétypes
01:08:36se déconstruisent en douceur,
01:08:38en faisant un simple pas
01:08:40de côté. Et j'en veux pour preuve
01:08:42l'extrait qu'on va regarder,
01:08:44qui est également très court.
01:08:46C'est un
01:08:48échange furtif, vers la fin
01:08:50du film, cette fois-ci,
01:08:52entre Rachel
01:08:54et l'ex-femme d'Ali.
01:08:58Un échange où on comprend
01:09:00que Rachel ramène l'enfant à sa mère
01:09:02parce qu'Ali a décidé
01:09:04de retourner vivre avec son ex-femme.
01:09:06Ce genre de scène qu'on a vu
01:09:08assez souvent, beaucoup même,
01:09:10dans les films, en général,
01:09:12ça donne lieu, on va dire,
01:09:14soit des remarques amères ou acerbes,
01:09:16soit éventuellement une espèce de crépage
01:09:18de chignon entre deux femmes qui se déchirent
01:09:20contre un homme. Là, rien de tel.
01:09:22C'est très court, je trouve ça d'une grande
01:09:24élégance, probablement aussi
01:09:26peut-être d'un grand idéalisme,
01:09:28dirons-les, cynique. Mais bon,
01:09:30j'avais envie de vous la présenter parce que je pense
01:09:32que c'est vraiment un choix qu'a fait
01:09:34Rebecca de filmer
01:09:36de cette façon-là ces deux femmes,
01:09:38soi-disant rivales, et qui malgré tout
01:09:40se retrouvent sœurs
01:09:42sur un certain côté.
01:09:44Je vous propose de regarder cet extrait.
01:09:46Bonjour.
01:09:48Bonjour, Alice.
01:09:50Voilà.
01:09:52Maman !
01:10:00Je suis désolée, Rachel.
01:10:04Non.
01:10:06C'est Ali qui me fait souffrir,
01:10:08c'est pas vous.
01:10:10On va arrêter de s'excuser à la place des hommes.
01:10:18Au revoir.
01:10:20Au revoir, Rachel. Au revoir, Alice.
01:10:22Au revoir.
01:10:32Je vais chercher le courrier.
01:10:34J'arrive.
01:10:48Voilà.
01:10:56C'est un extrait qui me touche profondément.
01:10:58Je l'ai choisi aussi
01:11:00parce qu'il me semble
01:11:02qu'à travers lui,
01:11:04on comprend que
01:11:06Les enfants des autres est à ce jour
01:11:08le film de Rebecca Zlotowski
01:11:10qui répond le mieux à sa question
01:11:12liminaire que j'ai posée au tout début de ce cours,
01:11:14à savoir que se passe-t-il
01:11:16quand les femmes ne sont plus seulement regardées
01:11:18mais regardantes ?
01:11:20Voilà ce qui se passe.
01:11:22Elles ouvrent tout bonnement
01:11:24de nouvelles perspectives
01:11:26et cela avec une vitalité
01:11:28qui en l'occurrence dans le cinéma de Rebecca Zlotowski
01:11:30me semble sans limite
01:11:32comme le prouve l'élan
01:11:34et même l'allant
01:11:36de sa filmographie.
01:11:38Non seulement Rebecca Zlotowski
01:11:40est là pour rester, pour reprendre le titre
01:11:42en forme de manifeste de ce cycle,
01:11:44elle vient d'ailleurs
01:11:46d'achever le tournage de son sixième long-métrage
01:11:48qu'elle a appelé pour l'instant
01:11:50« Vie privée » qui va être un thriller
01:11:52donc un nouveau film de genre
01:11:54avec Jodie Foster notamment
01:11:56et Virginie Heffera qui fait très envie.
01:11:58Donc non seulement elle est là
01:12:00pour rester mais elle est là aussi
01:12:02pour donner à voir autrement
01:12:04ce qui au départ nous semble
01:12:06familier, en l'occurrence là une scène
01:12:08de confrontation
01:12:10entre deux femmes rivales.
01:12:12Tel est son désir,
01:12:14son seul désir qui emprunte
01:12:16évidemment de nombreux chemins
01:12:18puisqu'il est pluriel, puisqu'il est furteur
01:12:20et qu'il s'autorise surtout
01:12:22de plus en plus de liberté.
01:12:24De l'adolescente orpheline
01:12:26de mer, fascinée
01:12:28par ses motards
01:12:30trompe-la-mort, à la belle-mère
01:12:32en mal d'enfant et en mal de mère aussi d'ailleurs
01:12:34tiraillée
01:12:36entre son horloge biologique
01:12:38et son cheminement vers d'autres modes de transmission
01:12:40On relève bien sûr
01:12:42des constantes notables
01:12:44signe que cette œuvre est éminemment
01:12:46personnelle et cohérente
01:12:48mais surtout des évolutions
01:12:50remarquables, toutes placées
01:12:52sous le signe de l'émancipation
01:12:54toutes placées aussi
01:12:56sous le signe de la générosité
01:13:00Que le désir de
01:13:02Rebecca Zotowski se place sur le terrain
01:13:04de la libido, on a vu comment son regard
01:13:06sur les hommes mais aussi sur les femmes
01:13:08s'est transformé
01:13:10tout au long de ses 14 années de création
01:13:12Qu'il se place sur celui
01:13:14des rapports sociaux ou même de l'identité
01:13:16et je fais une petite incise
01:13:18sur sa série Les Sauvages
01:13:20qui est une série de politique-fiction
01:13:22qui relie évidemment l'intime au collectif
01:13:24avec une intimité rare
01:13:26et qui sonde surtout comme rarement ça a été fait
01:13:28en France et dans une série
01:13:30Une France aux mille visages
01:13:32justement
01:13:34Ce désir n'entre en tout cas
01:13:36jamais dans une logique
01:13:38de substitution, d'exclusion
01:13:40et encore moins de domination
01:13:42D'ailleurs je pense
01:13:44que c'est aussi pour ça
01:13:46qu'on a souvent
01:13:48qualifié
01:13:50le filmage et la façon de filmer
01:13:52de Rebecca de doux
01:13:54et on a parlé de douceur
01:13:56pour caractériser ses films
01:13:58En fait je pense que c'est surtout
01:14:00parce que son idée n'est pas de remplacer
01:14:02quiconque ou quoi que ce soit
01:14:04par exemple un male gaze
01:14:06par un female gaze pour reprendre l'expression
01:14:08du début
01:14:10Non, ce qu'elle veut, ce qu'elle désire
01:14:12par-dessus tout, c'est augmenter
01:14:14ce regard masculin
01:14:16d'une autre culture, d'une autre façon de voir
01:14:18et il me semble
01:14:20en tout cas j'espère que vous partagez aussi
01:14:22cet avis, que c'est une démarche
01:14:24autrement plus excitante
01:14:26Voilà, c'est terminé

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