Pour ce nouvel épisode de "Chocs du monde", Édouard Chanot reçoit Alain de Benoist.
L’année 2024 a-t-elle été celle de l’effacement de la France ? Nous devions devenir sous Emmanuel Macron, la "start up nation" mais nous vivons une crise gouvernementale qui s’ajoute aux crises économique, sécuritaire, identitaire, démographique, et à la guerre à nos portes.
Pendant ce temps, le monde s’émancipe de l’Occident. L’entrée en fonction de Donald Trump accéléra-t-elle le basculement vers un nouveau monde ou fera-t-elle perdurer l’empire américain ?
Auteur prolifique, Alain de Benoist a fondé la revue Éléments, dont le dernier numéro porte sur cette fin de la suprématie occidentale.
L’année 2024 a-t-elle été celle de l’effacement de la France ? Nous devions devenir sous Emmanuel Macron, la "start up nation" mais nous vivons une crise gouvernementale qui s’ajoute aux crises économique, sécuritaire, identitaire, démographique, et à la guerre à nos portes.
Pendant ce temps, le monde s’émancipe de l’Occident. L’entrée en fonction de Donald Trump accéléra-t-elle le basculement vers un nouveau monde ou fera-t-elle perdurer l’empire américain ?
Auteur prolifique, Alain de Benoist a fondé la revue Éléments, dont le dernier numéro porte sur cette fin de la suprématie occidentale.
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00:00Madame, Monsieur, il ne reste que quelques jours avant le 31 décembre
00:04pour collecter les dons nécessaires à la diffusion et au développement de TVL en 2025.
00:10Soyons clairs, ce message est un premier signal d'alerte.
00:14Malgré la mobilisation, notamment celle de nouveaux donateurs,
00:17nous accusons un retard important par rapport à l'an passé.
00:21Pourtant, en novembre dernier, nous avons battu un nouveau record,
00:258 400 000 vues, chiffre Google, sur YouTube,
00:29un niveau jamais atteint depuis la création de TVL.
00:32Avec ce succès, une mobilisation exceptionnelle et donc indispensable,
00:37nous avons besoin de vous.
00:39Répondez dès maintenant à cet appel aux dons.
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00:45Faire un don, c'est aussi reprendre le contrôle de votre impôt,
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00:52plutôt que de financer des médias qui vous méprisent.
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01:00Vous êtes les acteurs d'un changement,
01:02puisque vous transformez votre impôt en un acte révolutionnaire.
01:06Faites un don à TVL, investissez dans la liberté d'informer,
01:09dans la liberté à tout prix.
01:53Bonsoir à tous et bienvenue dans Chocs du Monde,
01:57le magazine des crises et de la prospective internationale de TVL.
02:00L'année 2024 a-t-elle été celle de l'effacement de la France ?
02:04Nous devions avoir la Startup Nation dirigée par Emmanuel Macron,
02:08mais finalement, nous subissons une crise gouvernementale
02:11qui s'ajoute aux crises économiques, démographiques et j'en passe,
02:14et même à la guerre à nos portes.
02:16Alors, tandis que pendant ce temps,
02:18le reste du monde semble s'émanciper de l'Occident.
02:21Alors, comment devons-nous vivre ce nouveau rapport au monde ?
02:24Pour en parler, je reçois Alain de Benoist.
02:26Alain de Benoist, bonsoir.
02:27Bonsoir.
02:28Merci beaucoup de répondre une nouvelle fois présent à l'appel de Chocs du Monde.
02:31Vous êtes journaliste, philosophe, essayiste.
02:34Vous avez fondé la revue Éléments, dont d'ailleurs le dernier numéro
02:37porte sur cette fin de la suprématie occidentale.
02:40Vous êtes un auteur prolifique.
02:41Vous avez eu publié près de plus de 120 ouvrages,
02:44dont récemment Contre l'esprit du temps, Explication,
02:47ou encore La nouvelle droite au XXIe siècle, Orientation,
02:50face aux années décisives, aux éditions de la Nouvelle Librairie.
02:53Alors, cette dramatisation, celle des années décisives, bien sûr, n'est pas neuve.
02:57Mais Alain de Benoist, pourquoi sommes-nous,
02:59plus qu'il y a 10, 20 ou 30 ans, face à des années décisives ?
03:04Je rajouterais qu'on a quand même le sentiment
03:06que quelque chose va se jouer en 2025.
03:092025 sera-t-elle une année décisive ?
03:12Oui, ce sera certainement une année décisive.
03:15Mais vous avez raison de dire que la problématique n'est pas nouvelle.
03:18Le titre « Années décisives », c'était le titre d'un livre de Schmengler
03:22paru au tout début des années 30.
03:25Plutôt que le terme d'année décisive, que j'ai employé moi aussi,
03:30mais qui est un peu galvaudé,
03:32je dirais que nous sommes au centre d'une époque de transition,
03:37une époque d'interrègne.
03:39C'est-à-dire que nous voyons s'effondrer
03:41un monde que nous avons bien connu, et parfois aimé,
03:45et puis nous voyons arriver un monde nouveau, au contour incertain,
03:51et on voit cela par le fait qu'on rebat les cartes un petit peu partout,
03:55dans la politique internationale, dans la politique intérieure.
03:59Je rappelle qu'en politique intérieure, dans les pays occidentaux,
04:04le fait principal, c'est la désagrégation progressive
04:08de ce qu'on appelait autrefois les grands partis de gouvernement,
04:12et qui aujourd'hui s'effiloche au profit de partis,
04:17de mouvements plus atypiques, auxquels on desserne volontiers
04:22l'appellation polémique de populisme.
04:27Alors pour ce qui concerne la France,
04:29là il y a quelque chose d'absolument fascinant,
04:32c'est que nous assistons en direct à une fin de régime.
04:37Ça s'effondre.
04:40Il y a un côté absolument pathétique, et je le répète,
04:43également d'un peu fascinant.
04:45Alors revenons un instant en arrière.
04:47Aux dernières élections européennes,
04:50le Rassemblement national l'emporte haut la main.
04:53Macron est très mécontent, bien sûr, et il a cette idée géniale,
04:57du moins le croit-il, que s'il dissout l'Assemblée,
05:01dans la perspective des élections législatives,
05:06on trouvera bien les petits arrangements,
05:08des combines diverses qui permettront,
05:11par le jeu notamment des désistements,
05:13de limiter l'avance du Rassemblement national.
05:19Bon, manque de chance.
05:21Les élections législatives limitent effectivement
05:26la progression du Rassemblement national,
05:29mais il reste qu'il y a deux partis qui montent,
05:32très nettement, par rapport aux consultations précédentes.
05:35C'est d'une part le Rassemblement national,
05:38de l'autre le Front de gauche, les Insoumis, etc.
05:43Et qu'il y a au contraire un tiers parti qui lui s'effondre,
05:48c'est le fameux bloc central, c'est-à-dire Macron.
05:52Ce qui fait qu'on se retrouve dans cette situation inédite
05:55de trois blocs centraux, de trois blocs distincts, je veux dire,
05:59dont aucun ne parvient à réunir une majorité.
06:05Alors la logique et l'expérience historique
06:08auraient voulu que Macron appelle à gouverner,
06:12ou à tenter de gouverner, un représentant des deux forces montantes.
06:16Il a choisi de faire appel au contraire à une puissance descendante,
06:20à savoir la sienne.
06:22Alors on a vu les discussions, je passe les détails,
06:25on a eu Barnier, ça a fini par une censure,
06:28et je pense qu'il était bon qu'il soit censuré,
06:31parce que c'est une façon de mettre un terme aux équivoques.
06:35Et puis maintenant, on a tiré du chapeau un nouveau lapin
06:39qui s'appelle Bayrou.
06:42Est-ce que Bayrou est mieux placé que Barnier
06:46pour trouver une majorité de rechange ?
06:49Et c'est dur, les uns s'en fassent chez les autres.
06:52L'homme passe pour être habile, il est en tout cas ambitieux,
06:56il est surtout patient,
06:58il s'est quand même présenté trois fois aux présidentielles
07:01sans jamais être élu.
07:03Maintenant, il arrive au poste de Premier ministre,
07:06mais selon la formule connue, dans quel État arrive-t-il ?
07:10Alors, il a eu l'intelligence de ne jamais heurter frontalement
07:15le Rassemblement national, d'entretenir des amis ici ou là,
07:19mais je ne suis pas sûr que ça réussisse.
07:22Par conséquent, il y a tout lieu d'être sceptique
07:25sur sa capacité à gagner du temps, à aller un peu plus loin.
07:30Est-ce qu'il y aura encore une censure ?
07:33Quand pourra-t-on avoir une dissolution ?
07:35Pas avant juillet, on va renduer.
07:37Bref, on est en train de rejouer la 4e République empire
07:41avec le record, quand même,
07:44qui n'avait pas été atteint depuis longtemps,
07:47de quatre premiers ministres en un an.
07:50Ce qui fait quand même beaucoup.
07:52J'ai l'impression d'un effondrement...
07:55Vous savez, c'est comme quand on regarde au cinéma
07:59un grand immeuble qu'on a truffé d'explosifs
08:03et qui s'effondre, mais on le passe en ralenti.
08:06On voit tout ça qui s'effondre.
08:08C'est exactement ce qui se passe à l'heure actuelle.
08:11Vous évoquez le côté à la fois pathétique et fascinant
08:15de ce que vous supposez à un fin de régime.
08:18Quelqu'un d'autre, une personnalité publique,
08:20a évoqué cela à la télévision aux Français.
08:22Il s'agit de Dominique de Villepin.
08:23Je vous propose d'écouter ses propos.
08:25Nous sommes peut-être en bonne forme
08:27pour organiser une photo en marche de Notre-Dame,
08:31mais nous ne comptons pas.
08:33Le 14 décembre sur France 5,
08:35Dominique de Villepin a violemment chargé Emmanuel Macron.
08:39Les dégâts causés par sa politique,
08:41par sa personne à la France et aux Français,
08:44font qu'il aura énormément de mal à assumer sa charge.
08:47La question de sa démission sera posée.
08:50On lui demande à tout le moins d'avoir un peu de dignité
08:53et de respect de la fonction.
08:55Là, ce sont les Français et la France qui plongent.
08:58Il y a un effet de sidération, d'humiliation et de colère profonde.
09:03Nous voyons notre pays s'effacer de la carte internationale.
09:07Des changements majeurs se produisent en Ukraine, au Moyen-Orient.
09:12Échec gouvernemental, donc échec géopolitique.
09:16Dominique de Villepin était, bien sûr, diplomate.
09:19Il lit donc les deux.
09:21A-t-il raison de poser cette corrélation
09:23entre la vie de la cité, la France et le monde international ?
09:27On a l'impression qu'il y a quand même une analogie.
09:30Oui, il y a tout à fait une analogie.
09:32Je suis sûr que Dominique de Villepin,
09:35qui a montré par le passé qu'il est très attaché
09:37à l'indépendance de la France,
09:39notamment vis-à-vis des États-Unis,
09:43le mesure pleinement.
09:46Maintenant, ses paroles tombent un peu dans un certain désert.
09:50Car l'effacement de la France,
09:53c'est un effacement beaucoup plus global.
09:57J'évoquais la période de transition.
09:59Aujourd'hui, tout est en crise.
10:01Toutes les institutions sont en crise.
10:03Tous les secteurs professionnels se plaignent.
10:07Et on a l'impression d'une désagrégation
10:11à la fois sociologique, politique, intellectuelle, morale,
10:15et tout ce que l'on veut.
10:17Vous savez, aujourd'hui,
10:19justement en raison de ce climat mortifère,
10:22beaucoup de gens parlent de guerre civile.
10:25On était au bord de la guerre civile.
10:27Ce sont des formules un peu faciles.
10:29De même, je ne suis pas né de la dernière inverse.
10:34Je me souviens qu'il y a,
10:36dans mon enfance ou mon adolescence,
10:38il y avait encore des gens, déjà des gens,
10:40qui disaient, nous sommes en 1788,
10:44on est au bord du volcan,
10:46il est minuit moins cinq, ça va péter, etc.
10:49Bon, on attend ces rapports.
10:50Mais il est bien sûr qu'à un moment,
10:52ça finit par péter quelque part,
10:54pour dire les choses de façon un peu populaire,
10:57sinon vulgaire.
11:00Simplement, on m'a interrogé souvent,
11:04pour me dire, est-ce que vous croyez à la guerre civile ?
11:06Moi, je ne crois pas à la guerre civile.
11:08Alors, ça surprend,
11:09parce que les gens pensent que je suis très optimiste.
11:12Je ne suis pas optimiste du tout.
11:13Je crois que nous allons vers quelque chose de pire
11:16que la guerre civile.
11:17La guerre civile,
11:19ce n'est pas des émeutes ici ou là,
11:22des dysfonctionnements qui se produisent
11:25à tel ou tel endroit.
11:26La guerre civile, c'est quelque chose de bien précis,
11:28dans un pays, il y a deux camps,
11:30qui sont également armés,
11:31qui volent également en découdant.
11:34Et les choses sont finalement relativement simples.
11:36Aujourd'hui, ce n'est pas du tout comme ça.
11:38Ça, c'est frite de parcours.
11:40Parce qu'il n'existe pas de camp ni de volonté.
11:42Oui.
11:44Et nous sommes dans une époque de grand nihilisme,
11:47pour parler de plus, de façon plus intellectuelle,
11:50pour prendre une image plus facile.
11:53Je dirais tout simplement
11:55que là où beaucoup de gens voient la guerre civile,
11:57ou l'annonce de la guerre civile,
11:59moi je vois la lente montée du chaos.
12:02Et le chaos,
12:04quand c'est le chaos climatique,
12:08pensez à Mayotte.
12:10Quand c'est le chaos géopolitique,
12:13pensez à la bande de Gaza.
12:15Quand c'est le chaos où plus rien ne fonctionne,
12:19pensez aux pays européens,
12:21et tout particulièrement à la France.
12:23J'aimerais qu'on se projette
12:25sur les questions internationales,
12:27parce que, revenir sur vos réflexions
12:29depuis au moins 30 ans,
12:31parce que vous avez été avant-gardiste
12:33à bien des égards, Alain de Benoît.
12:35Pour dire les choses le plus simplement du monde,
12:37vous avez mené une réflexion sur le fait
12:39que l'Occident n'était pas seul.
12:41Vous avez été très critique de l'Occident.
12:43Vous avez, d'une certaine manière,
12:45perçu l'émergence d'un monde polycentrique,
12:47l'émergence d'un monde multipolaire.
12:49Oui, alors c'est une chose que j'ai faite
12:51à plusieurs niveaux.
12:53Au niveau politique, bien sûr,
12:55en dénonçant un monde bipolaire,
12:57qui a volé en éclats
12:59avec la chute de l'Union soviétique,
13:01et a laissé croire,
13:03de l'autre côté de l'Atlantique,
13:05qu'on allait à une sorte de fin de l'Histoire,
13:07de mondialisation heureuse.
13:09On a vu ce qu'il en est passé.
13:11Je l'ai fait à un niveau plus philosophique,
13:13en critiquant les formes d'universalisme politique,
13:15c'est-à-dire cette idée
13:17qui remonte à la philosophie des Lumières,
13:19selon laquelle
13:21une bonne politique,
13:23une bonne gestion, une bonne constitution
13:25qui vaut pour un pays,
13:27vaut pour tous les autres, parce que les hommes
13:29sont fondamentalement les mêmes.
13:31Ce que je crois être une grande erreur.
13:33Donc, là où j'en parlais
13:35de monothématique,
13:37moi je vois
13:39une polymathique,
13:41un plurivert, si vous voulez,
13:43à la place de l'univers.
13:45Et c'est ce qui se passe
13:47avec la montée.
13:49Dans les années 80,
13:51j'avais écrit un livre qui avait étonné certains,
13:53qui s'appelait Europe tiers monde, même combat.
13:55Ce qu'on appelait à l'époque
13:57l'Europe tiers monde,
13:59c'est les BRICS d'aujourd'hui.
14:01Et ce sont les BRICS qui sont cette force
14:03émergente qui
14:05refuse les dictates
14:07de l'Occident
14:09et sur lesquels il faut être
14:11extrêmement attentif, non pas de manière
14:13idéaliste, car entre les pays,
14:15entre les BRICS, il y a aussi des divergences
14:17d'intérêt et d'orientation.
14:19Mais il y a quelque chose
14:21qui leur est commun, c'est le désir
14:23de trouver en eux-mêmes, dans leur identité
14:25propre, le système
14:27de valeur, le système politique qui leur
14:29permet le mieux d'accroître
14:31leur présence au monde.
14:33Alors, pour autant,
14:35vous décrivez un monde qui prend fin et donc un autre
14:37qui prend forme, pour autant
14:39le monde qui se dessine, d'une certaine manière,
14:41vous enchante-t-il, Alain de Benoist ?
14:43Le monde qui se dessine vous enchante-t-il ?
14:45Non, il ne m'enchante pas, je sais simplement
14:47d'abord que l'histoire est toujours ouverte,
14:49donc on ne peut pas prolonger
14:51à l'exponentiel les tendances que nous
14:53voyons à l'œuvre aujourd'hui,
14:55et deuxièmement que ça va
14:57extrêmement vite dans les bonnes transitions.
14:59Il suffit d'un petit cliquet, et plouf,
15:01les vannes
15:03débordent.
15:05Mais bon,
15:07comme on n'a pas énormément de temps,
15:09si on veut aller sur les affaires internationales,
15:11il y a évidemment deux sujets
15:13qui retiennent au premier chef
15:15l'attention, ce sont ceux dont
15:17parlait à l'instant Dominique de Villepin,
15:19c'est l'Ukraine,
15:21et c'est la Syrie.
15:23Ce qui me frappe
15:25dans ces deux affaires,
15:27et là je crois
15:29que c'est une réflexion qui se fait en amont
15:31de l'actualité, si on a le nez
15:33sur l'actualité, on ne voit pas grand-chose,
15:35vous savez, Jean Cocteau disait
15:37« la mode c'est ce qui se démode,
15:39l'actualité c'est ce qui devient très vite inactuel ».
15:41Donc pour voir les grandes lignes
15:43de force et grandes dynamiques,
15:45il faut prendre un petit peu de recul.
15:47Quand on prend du recul,
15:49on s'aperçoit de ceci.
15:51Quand une guerre éclate,
15:55les pays qui ne sont pas directement
15:57partie prenante dans cette guerre,
15:59en général se prononcent, ou ne se prononcent pas.
16:01Il est rare qu'ils se prononcent
16:03tous dans le même sens.
16:05Et généralement,
16:07ils se prononcent en fonction de quoi ?
16:09Ils se prononcent en fonction
16:11de leurs intérêts.
16:13Est-ce que la France et l'Europe
16:15ont un intérêt existentiel
16:17en Ukraine ?
16:19Ou un intérêt existentiel
16:21au prochain millennium ?
16:23La réponse est non, de toute évidence.
16:25Alors dans ce cas-là, qu'est-ce qu'on fait ?
16:27Soit on s'abstient, c'est-à-dire
16:29qu'on adopte une position tierce,
16:33soit on utilise
16:35cette position tierce pour servir
16:37de médiation.
16:39La France, qui n'a aucune
16:41capacité à aller rouler
16:43les mécaniques sur quelque champ de bataille
16:45que ce soit, en a, ou en avait,
16:47de grandes, sur le plan politique
16:49et diplomatique, pour proposer
16:51sa médiation, pour essayer de trouver
16:53un règlement politique
16:55à ce problème politique qui a dégénéré
16:57en guerre.
16:59Or, ce n'est pas du tout ce qui se passe.
17:01Et pourquoi ?
17:03Deuxième réflexion, parce que
17:05les guerres ont changé.
17:07Nous ne sommes plus dans les guerres
17:09classiques, issues du
17:11traité de Westphalie, avec des ennemis
17:13qu'on combattait avec acharnement,
17:15mais qu'on pouvait à la limite
17:17respecter et comprendre, ou admettre
17:19que ce pays a lui aussi ses raisons.
17:21Nous sommes rentrés dans
17:23le surgissement des idéologies
17:25qui a fait que tout ce qui
17:27était envisagé politiquement
17:29devient moral.
17:31Il n'y a plus du tout
17:33telle ou telle faction, il y a le camp du bien
17:35et le camp du mal. Comment s'explique
17:37l'extraordinaire
17:39alignement de la France
17:41et de tous les pays de l'Union Européenne
17:43sur les positions américaines
17:45concernant l'Ukraine ?
17:47Par une vassalité,
17:49et par l'idée que, devant une guerre de ce type,
17:51il ne s'agit pas du tout de se demander
17:53ce qui est en jeu politiquement ou géopolitiquement,
17:55il s'agit de savoir
17:57où sont les gentils, où sont les méchants.
17:59Ce qui est totalement
18:01impolitique,
18:03au sens que Julien Freund
18:05donnait à ce mot.
18:07Je prends mon exemple. Moi, j'ai beaucoup d'amis ukrainiens
18:09et j'ai beaucoup d'amis russes.
18:11Je n'éprouve aucun plaisir à les voir se massacrer
18:13aujourd'hui et, par conséquent,
18:15je voudrais que cette guerre s'arrête.
18:17Mais j'essaye d'en comprendre le sens,
18:19évidemment. Alors, aujourd'hui,
18:21comme nous sommes à une époque
18:23qui considère que,
18:25finalement, la guerre,
18:27bien que ça ait toujours existé, c'est quand même
18:29une pathologie, c'est quand même une chose de pas normale
18:31et qu'il faut porter
18:33un jugement moral.
18:35Les guerres qu'on est obligé de faire,
18:37on les appelle opérations de police, opérations
18:39humanitaires,
18:41guerres défensives, etc.
18:43Et dans ce contexte, la notion
18:45d'agresseur prend une importance
18:47disproportionnée.
18:49Le responsable, c'est toujours l'agresseur.
18:51Mais c'est naïf, parce que
18:53l'agresseur peut lui-même
18:55réagir contre autre chose.
18:57Dont est-ce que, disait très justement,
18:59il y a ceux qui font les guerres
19:01et il y a ceux qui les rendent inévitables.
19:03Voilà. Donc, aujourd'hui,
19:05on est sommé
19:07de choisir entre le camp
19:09du bien et le camp du mal.
19:11Or, quelqu'un qui est un réaliste politique
19:13et qui s'en suit, par ailleurs,
19:15aux souffrances qui ont lieu ici et là,
19:17résonne tout à fait
19:19autrement.
19:21Nous attendons, évidemment, l'entrée
19:23en fonction de Donald Trump, qui aura lieu
19:25janvier. Est-ce une chance ou une menace
19:27pour l'Europe ? N'avons-nous pas l'impression de
19:29trop en attendre de Donald Trump ?
19:31D'autant plus qu'on ne sait pas
19:33s'il accélérera le Nouveau Monde ou s'il
19:35renforcera la puissance américaine
19:37face à l'Europe, face à la Chine,
19:39face à je ne sais qui.
19:41Absolument. Il y a une très grande ambiguïté
19:43de Donald Trump.
19:45Les Européens ne sont
19:47généralement pas contre. Je suis frappé de voir
19:49comment à droite, tout le monde applaudit
19:51à l'arrivée de Donald Trump,
19:53parce qu'il a les mêmes
19:55préoccupations, les mêmes ennemis
19:57que nous, le wokisme,
19:59l'immigration, etc. Oui,
20:01mais Donald Trump, c'est un Américain.
20:03Son
20:05inscription fétiche, c'est
20:07« Make America Great Again ».
20:11Remettez
20:13l'Amérique en position de puissance.
20:15Ce n'est pas remettre l'Europe en position
20:17de puissance. Donc la question,
20:19en dernière analyse, qu'ils opposent, c'est
20:21parce qu'il est bon que les États-Unis
20:23ont déjà une puissance pour nous qui sommes
20:25si faibles et si dépendants par rapport à eux.
20:27Voilà le problème.
20:29Sur le point précis que vous soulevez,
20:31je crois que
20:33Donald Trump a
20:35compris au moins une chose, c'est que ça ne sert
20:37à rien d'augmenter
20:39perpétuellement une aide
20:41à l'Ukraine qui a déjà
20:43atteint des Himalayas
20:45de dollars,
20:47de matériel militaire et autre,
20:49et qu'il faut...
20:51Ça ne sert à rien parce que la guerre est perdue.
20:53La guerre est finie sur le terrain.
20:55Depuis
20:57cette année,
20:59les Russes ont conquis plusieurs centaines
21:01de villages.
21:03Les Ukrainiens,
21:05en dépit de l'aide massive qui leur a
21:07été apportée, ont été défaits
21:09et l'OTAN a été défait
21:11avec lui.
21:13Ça, je crois que
21:15Donald Trump l'a très bien
21:17compris, qu'ils veulent
21:19aboutir à une solution politique.
21:21Ça paraît
21:23une bonne chose puisqu'il n'y a
21:25de solution à une guerre
21:27que par une paix. Quand on fait
21:29la guerre, c'est pour arriver à une paix, si possible
21:31en bonne position, et la paix,
21:33on ne peut la faire qu'avec l'ennemi
21:35que l'on combat. Donc
21:37l'on arrive à une paix par des moyens
21:39politiques et diplomatiques,
21:41c'est une bonne chose. Maintenant, évidemment,
21:43s'il y a négociation, chacune
21:45des parties voudrait y arriver
21:49de la façon aussi fringante
21:51que possible, et par conséquent,
21:53c'est là où ça risque d'être
21:55embrouillé, et
21:57le point sur lequel il ne faut pas trop
21:59s'engager. Ce n'est pas parce que
22:01Poutine va peut-être rencontrer Zelensky
22:03que le problème est réglé.
22:05Parce qu'au-delà de la
22:07guerre d'Ukraine, au-delà
22:09du coût que ça représente
22:11pour des pays européens qui sont déjà
22:13complètement
22:15à bout de force, et
22:17de l'avantage que ça peut représenter
22:19pour le complexe techno-
22:21militaro-industriel
22:23américain,
22:25il reste quand même
22:27que géopolitiquement parlant,
22:29la Russie reste une puissance
22:31concurrente des
22:33États-Unis. Que cette
22:35guerre l'a amené à se rapprocher
22:37de la Chine, à
22:39se dégager son propre
22:41axe de résistance, pour prendre le
22:43terme à la mode, dans
22:45quantité de pays du monde,
22:47dont la puissance économique
22:49additionnée dépasse aujourd'hui
22:51le G20.
22:53Par conséquent,
22:55tout est appelé à bouger.
22:57Vous avez évoqué
22:59l'essai que vous avez publié en 1986,
23:01Europe tirant de même combat.
23:03C'était encore la guerre froide, bien sûr,
23:05vous fustigiez à l'époque le soviétisme, mais aussi
23:07l'Occident libéral, qui désagrège selon
23:09vous les sociétés organiques et dépersonnalise
23:11les peuples. Vous avez dit plus récemment,
23:13je vous cite, je suis passionnément attaché
23:15à la diversité du monde.
23:17Aujourd'hui, on a le sentiment que c'est cette diversité
23:19qui réapparaît, mais que c'est un
23:21retour de l'histoire, devrions-nous dire ?
23:23Alors, vous mettez le doigt sur
23:25quelque chose de très important,
23:27qui est la façon dont le mot diversité,
23:29qui a priori est
23:31et reste pour moi un mot positif,
23:33a été complètement
23:35manipulé. Quand on vous dit les gens
23:37issus de la diversité, en France,
23:39vous savez ce que ça veut dire, n'est-ce pas ?
23:41Alors, pour bien mesurer
23:43ce dont il s'agit, prenons encore un peu
23:45de recul et
23:47on fera très vite le constat suivant.
23:49Au cours de l'histoire, pendant des siècles,
23:51des millénaires, le monde était
23:53profondément divers.
23:55Il y avait des cultures variées,
23:57des civilisations variées,
23:59des langues, des peuples variés, sur toute la
24:01surface de la Terre. Et chacune
24:03de ces cultures, par contre, avait
24:05une relative
24:07homogénéité.
24:09Les Français ressemblaient à des Français,
24:11les Russes à des Russes, les Chinois à des Chinois
24:13et ainsi de suite. Mais
24:15à l'échelon du plurivers,
24:17c'est-à-dire du monde entier,
24:19il y avait une formidable diversité
24:21qui était la richesse de l'humanité.
24:23Aujourd'hui, on a inversé la
24:25formule, c'est-à-dire qu'à l'intérieur
24:27des peuples et des cultures,
24:29on essaie d'introduire une fausse diversité
24:31qui consiste simplement
24:33à un changement de peuple,
24:35à l'implantation plus ou moins
24:37autoritaire d'individus qui sont
24:39de toutes les cultures,
24:41tandis qu'à l'échelle de la
24:43Terre, au contraire, on assiste à une
24:45homogénéisation des modes de vie
24:47induite par la technologie
24:49et tous les phénomènes
24:51que nous connaissons bien.
24:53Ce qui fait que la Terre devient
24:55de plus en plus homogène, en se
24:57fondant sur des populations
24:59de plus en plus hétérogènes, alors
25:01qu'autrefois, c'était exactement l'inverse.
25:03Vous aviez un monde hétérogène
25:05de populations homogènes.
25:07Et quand on réalise ça,
25:09on voit le chemin
25:11qui a été parcouru. Voilà pour la
25:13diversité.
25:15Vous avez aussi, Alain de Benot, annoncé une réflexion sur
25:17le déclin, voire la décadence occidentale.
25:19Vous avez contribué à la compréhension
25:21de nombreux auteurs. Vous avez évoqué,
25:23dès l'introduction de cet épisode, l'allemand
25:25Oswald Spengler. Ma question,
25:27c'est comment vivre, en fait, ce déclin ?
25:29Une question qui angoisse,
25:31évidemment, les Français.
25:33Sommes-nous condamnés à faire comme
25:35cette sentinelle romaine à Pompéi, qui n'a pas
25:37quitté son poste pendant l'éruption du Vésuve ?
25:39Ou avons-nous, quand même, quelques raisons
25:41d'espérer, Alain de Benot ?
25:43Vous savez, ça, c'est l'éternelle question.
25:45Est-ce qu'on peut encore espérer
25:47quelque chose dans l'état où nous sommes ? Je dirais
25:49oui, parce que j'ai
25:51confiance.
25:53Je ne suis pas optimiste du tout,
25:55mais j'ai confiance dans le fait que l'histoire
25:57n'est jamais close.
25:59N'étant pas close,
26:01elle est imprévisible
26:03et toujours ouverte.
26:05Cela dit, bien sûr qu'il y a
26:07des circonstances et des conjectures
26:09qui sont plus désespérantes
26:11que d'autres, mais vous savez, il y en a eu
26:13beaucoup dans l'histoire.
26:15Donc, voyons un peu
26:17la longue durée.
26:19Ce qui nous perturbe,
26:21c'est qu'on se sent
26:23impuissant. Lorsque vous portez
26:25votre regard sur le monde qui vous entoure,
26:27que vous le trouvez triste,
26:29laid, abject,
26:31parfois, vous vous dites
26:33« Qu'est-ce que je peux faire ? »
26:35Alors, il faut attendre le jeu
26:37décliqué qui va créer des circonstances
26:39différentes, et puis, il y a,
26:41je dirais, une réponse
26:43éthique à donner pour chacun de nous.
26:47Je crois que c'est Michel Onfray
26:49qui évoquait
26:51les gens qui étaient sur le pont
26:53du naufrage
26:55du Titanic.
26:57Et il disait, on peut dire,
26:59chacun d'entre nous peut dire
27:01« Le nihilisme, la décadence,
27:03ça ne passera pas par moi. »
27:05Voilà.
27:07Si on dit ça,
27:09si beaucoup de gens disent « Le nihilisme,
27:11la décadence, ça ne passera pas par moi. »
27:13Déjà,
27:15on fait avancer un petit peu
27:17les choses.
27:19La vie, c'est pas un long chemin,
27:21c'est un long escalier.
27:23À tout moment de la vie, on peut monter une marche,
27:25on peut en descendre une.
27:27Descendre, c'est facile. Monter, c'est un peu plus dur.
27:29Mais quand on monte, on se sent beaucoup mieux.
27:31Essayez d'en monter une. Dites,
27:33« Ça ne passera pas par moi. »
27:35« Ça ne passera pas par moi. Le nihilisme et la décadence
27:37ne passeront pas par moi. » Ce sera le mot de la fin.
27:39Alain de Benoît, merci encore d'avoir répondu présent
27:41à l'Appel de Choc du Monde, le magazine des crises
27:43et de la prospective internationale de TVL.
27:45Surtout, merci à tous
27:47d'avoir suivi cette émission. N'oubliez pas de commenter
27:49et de partager. Merci et à très bientôt.