À 7h50, l'actrice Adèle Haenel est l'invitée de Sonia Devillers, quelques jours après la fin du procès du réalisateur Christophe Ruggia, qu'elle accuse de l'avoir agressée sexuellement alors qu'elle était mineure. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/adele-haenel-2610582?gdfsvg
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00:00Il est 7h48, Sonia Devillers, votre invitée ce matin est actrice, elle a porté plainte
00:05contre le réalisateur Christophe Ruggia pour agression sexuelle sur mineurs.
00:10Les faits se seraient produits à partir de ses 12 ans après un tournage où la petite
00:15fille a interprété un rôle particulièrement sexualisé.
00:18Dès la semaine suivante, le cinéaste a reçu la très jeune actrice en tête à tête,
00:23chaque samedi après-midi chez lui, jusqu'à ce qu'elle atteigne l'âge de 15 ans et
00:27qu'elle refuse d'y retourner.
00:29Bonjour Adèle Haenel.
00:30Bonjour.
00:31Ce procès que vous avez attendu depuis 2019 a eu lieu la semaine dernière à Paris.
00:36Le tribunal rendra sa décision le 3 février prochain.
00:39D'ici là, Christophe Ruggia demeure présumé innocent.
00:42Lorsque la procureure a requis 5 années de prison, dont 2 fermes, contre Christophe
00:47Ruggia, elle a dit, je la cite, « Cette audience est là pour rappeler l'interdit,
00:52pour rappeler qui est l'enfant et qui est l'adulte, et pour remettre chacun à sa
00:56place.
00:57Quelles sont les sensations que vous avez, Adèle Haenel, que ce procès a remis chacun
01:01à sa place ? »
01:02Je pense que la réquisition de la procureure l'a fait, effectivement.
01:08Je pense que ce procès a permis d'entendre tout le monde, y compris M. Ruggia, qui prétend
01:16que vraiment on l'a empêché de parler, que c'est un tribunal médiatique, etc.
01:19Là, il a eu beaucoup de temps pour parler, et clairement, il n'a donné aucune explication.
01:23Donc voilà, je pense que ça a rendu les choses très claires, oui.
01:27Très claires.
01:28Mais est-ce que ça a remis les choses à leur place ? C'est-à-dire, est-ce que vous
01:32êtes redevenue la petite fille que les adultes auraient dû protéger, et lui, l'adulte
01:37qui n'aurait pas dû agir ainsi vis-à-vis d'une petite fille ?
01:39Moi, si vous voulez, je suis un peu là en représentant de cet enfant, quoi, qui a disparu,
01:47que personne n'a protégé, ni ses parents, ni la production du film.
01:52Personne, en fait.
01:53Aucun adulte, aucun adulte n'a pris ses responsabilités.
01:55Et oui, effectivement, l'axe de défense de M. Rougiat, ça va être de sexualiser l'enfant,
02:02de le responsabiliser, de dire « ah, elle avait des yeux d'actrice pornographique, etc. »
02:06Enfin, voilà, quoi.
02:07Et de se plaindre, de se plaindre tout le temps, et d'essayer d'attirer la pitié sur lui,
02:12et que ce serait lui la victime de cette histoire.
02:14Ce n'est pas le cas.
02:15On parle d'un adulte qui a 36 ans, presque 40 ans, au moment des faits, et qui s'organise
02:21pour avoir chez lui, tout seul, une enfant de 12 ans, en fait, et l'agresser sexuellement
02:27tous les week-ends, quoi.
02:28Comment vous avez vécu ces deux jours d'audience ? La presse vous a décrit très nerveuse,
02:33très tendue, marchant sans cesse.
02:36Il faut voir la violence que c'est, en fait, la situation.
02:39C'est-à-dire, moi, je suis concentrée.
02:41On me demande de parler dans le cadre judiciaire.
02:43J'essaie de le faire au maximum.
02:45J'essaie d'être le plus claire possible, d'aller directement aux faits.
02:48Après, il faut voir la violence que c'est, en fait, d'entendre tous ces mensonges accumulés,
02:54d'essayer de rester calme dans cette situation.
02:56C'est vraiment difficile.
02:57Je pense que je ne suis pas la seule personne victime qui se retrouve face à cette violence,
03:02quoi.
03:03Et lorsque votre avocate, maître Michelin, a plaidé, s'adressant à la petite fille
03:08que vous étiez à l'époque, elle a dit « On dit que le silence, c'est d'or.
03:12Ici, le silence, c'est la mort.
03:14» Qu'est-ce qui vous a fait pleurer à ce moment-là ?
03:16Je ne sais pas, moi, quand on parle à l'enfant, ça me fait pleurer, quoi.
03:20Je n'ai jamais eu l'occasion d'être cette enfant, en fait.
03:22On l'a tout le temps adultisé, cet enfant, en fait.
03:24Il a toujours été responsable.
03:26Même moi, j'ai capté, au fur et à mesure, à partir de 2019, quand j'ai commencé
03:30à parler.
03:31Moi, je me suis dit « Je parle dans Me Too, en tant que femme.
03:33» Et j'ai capté, plus tard, en fait, c'est au fur et à mesure que j'ai compris sur
03:36moi.
03:37En fait, j'avais douze ans.
03:38J'ai tellement oublié que je n'ai jamais eu douze ans, quoi.
03:40On m'a toujours dit que j'étais un adulte dans un corps d'enfant.
03:43Donc, c'est tardivement que j'ai pris la mesure de ce que ça veut dire, un enfant
03:47de douze ans, en fait.
03:48Qui vous a dit que vous étiez un adulte dans un corps d'enfant ?
03:51C'est M. Roudia.
03:52La procureure, au moment des réquisitoires ?
03:55Par ailleurs, excusez-moi, je le dis juste.
03:56Tous les adultes à côté se sont défaussés en disant « Ah oui, mais Adèle, elle est
04:01extrêmement mature ». Et elle l'a dit très bien, la procureure, en disant « En fait,
04:04ça ne s'équilibre pas.
04:05Un enfant de douze ans mature et un adulte de quarante ans qui fait semblant d'être
04:08un gamin.
04:09Ça ne s'équilibre pas, en fait ».
04:10D'ailleurs, vos avocats ont insisté pour que soient diffusés pendant l'audience des
04:15extraits du film « Les Diables » que vous avez tourné quand vous avez douze ans.
04:18C'était la première fois que vous tourniez au cinéma avec Christophe Roudia pour s'interroger
04:23sur d'où venait cette sexualisation de la petite fille que vous veniez.
04:27Oui, c'est des éléments de contexte, on va dire, dans le cadre du procès.
04:31Mais oui, il y a eu… Moi, quand je vois les images, je suis atterrée, je suis atterrée
04:37qu'on ait fait faire ça à des enfants, des scènes de sexe à des enfants.
04:40Qu'est-ce qu'il y a à dire ? Et là, oui, en fait, on parle pas… Bien sûr, il y a
04:43le réalisateur, mais il y a un ensemble de corps de métier autour.
04:46Par un tournage, c'est quand même une cinquantaine d'adultes, en fait.
04:49Donc, c'est insupportable à regarder, aujourd'hui, ces extraits de film ?
04:52Pour moi, c'est douloureux, oui, de les regarder.
04:54Donc, vous l'avez dit, Adèle Haenel, et c'est important d'en parler, depuis que
04:58l'affaire est sortie dans la presse en 2019, depuis que vous avez parlé à Mediapart,
05:02Christophe Ruggia se dit privé du droit de se défendre, désigné comme d'emblée
05:06coupable.
05:07C'est le terme de procès stalinien qu'il a utilisé à ce moment-là.
05:13La question, c'est, est-ce que respecter la présomption d'innocence, ça empêche
05:19de parler, ou pas, quand on se dit victime ?
05:23Non.
05:24Déjà, M.
05:25Ruggia, il se balance tout seul dans ses propres écrits.
05:26C'est lui qui parle d'actrices avec des yeux pornographiques au sujet d'un enfant
05:30de 12 ans, etc.
05:31Je ne vais pas faire la liste précise, mais il y a un texte de 119 pages, qui a été
05:36écrit par Christophe Ruggia, qui vous décrit en effet comme largement sexualisé et comme
05:40lui subissant les assauts de votre sensualité très précoce, et ce texte aujourd'hui,
05:45il l'assume parfaitement.
05:46En fait, pour parler de la question de la présomption d'innocence, c'est quelque
05:49chose qui a valeur dans le cadre judiciaire, et c'est toujours utilisé dans un cadre
05:53extrajudiciaire, en ce qui concerne les violences sexuelles, pour nous dire de nous taire.
05:56Mais le fait que la justice, elle détermine la vérité, c'est-à-dire en dessous de
06:00tout doute raisonnable, son critère de réalité, c'est celui-là, ne doit pas nous empêcher
06:05à nous, les victimes, de prendre la parole dans les médias, et de parler en fait de
06:09notre vérité.
06:10Parce que le critère de la preuve en dessous de tout doute raisonnable, c'est 0, 1% ou
06:151% de doute.
06:16Mais en fait, moi, je suis désolée, je ne vois pas pourquoi on devrait se cantonner
06:23à ce modèle de réalité qui est adossé au fait de dire que l'État peut prononcer
06:28des peines de prison, la gravité de la peine prononcée, pour que nous, les personnes
06:32civiles, on ait le droit de parler.
06:33Et en fait, c'est des outils de silenciation, c'est des outils de silenciation en fait.
06:38Et l'axe de défense, globalement, c'était « taisez-vous dans la sphère médiatique
06:42parce que ça n'a pas lieu, et attention, peut-être cette personne est présumée innocente
06:46même si en fait, il se balance tout seul, etc. ». Et après, dans la sphère judiciaire,
06:51de dire « ah mais en fait, quand même le doute raisonnable, puisque la porte était
06:54fermée, puisque le huis clos a été créé, bon ben, on ne peut rien dire ». Voilà.
06:58Alors, pour le coup, la procureure a reconnu, elle-même, que ça n'était pas un procès
07:04parole contre parole, ce qui est souvent le cas dans les affaires de viol ou d'agression
07:08sexuelle, c'est-à-dire que ça s'est passé à l'intérieur d'une chambre, fermée,
07:12et qu'on ne sait pas qui croire parce que c'est parole contre parole.
07:15Là, la procureure a reconnu qu'il y avait beaucoup de témoins, beaucoup de pièces
07:19au dossier, qu'il y avait des agendas, qu'il y avait des écrits.
07:21Oui, bien sûr, là, ils se balancent, mais en fait, je veux dire, qu'est-ce qu'on
07:27fait de toutes ces victimes, en fait, qui ont été derrière la porte fermée avec
07:30leur agresseur ? Après, on leur dit qu'il faut parler à la justice, mais si le fait
07:33de fermer la porte, que l'agresseur ferme la porte, constitue, je veux dire, un fondement
07:38suffisant pour créer le doute raisonnable, j'ai envie de dire, il y a beaucoup, beaucoup
07:41de gens qui restent derrière la porte.
07:44Oui, c'est le concept, en fait, d'une agression, et c'est le concept d'un rapport de pouvoir,
07:48de pouvoir fermer la porte de la chambre ou du garage, et d'isoler.
07:51« Mais ferme ta gueule », c'est ce qui a surgi de vous en pleine audience, c'est
07:59ce qui a été repris par tout le monde.
08:00Franchement, il faut voir la violence que c'est d'entendre tous ces mensonges, en
08:03fait.
08:04Cette pile de mensonges accumulées par un homme qui a agressé sexuellement l'enfant
08:07que j'étais, qui l'a fait disparaître, qui l'a assassiné, en fait, c'est dur
08:11d'entendre ça.
08:12Donc, moi, j'essaie de me tenir dans la cour, d'essayer de te donner autant que
08:17possible des éléments concrets, matériels, à la cour, et lui, il raconte n'importe
08:21quoi.
08:22Et là, là où ça m'a rendue, c'était l'agression de trop, c'est quand il dit
08:26« Ah oui, c'est moi qui lui ai donné son nom, Adèle Haenel », je suis genre « Mais
08:28c'est pas vrai, en fait, c'est pas vrai, c'est faux, c'est un mensonge, c'est
08:31une violence de plus ». Et moi, ça me renvoie à quand j'étais sur son canapé et où
08:35il me dit « Ah, mais sans moi, t'es rien, en fait, c'est moi qui t'ai créé ».
08:38C'est la même chose qu'il fait, là.
08:39C'est sa violence, c'est son arrogance, c'est ça qui me fait péter un câble.
08:41J'ai pas pu m'empêcher, j'ai essayé de respecter le protocole, et juste là,
08:48c'est trop de violence à un moment.
08:50En accusant Benoît Jacot et Jacques Doyon d'agressions sexuelles et même de viols,
08:55Judith Godrech, qui est actrice aussi, elle avait 14 ans quand elle a joué avec Benoît
08:59Jacot, elle a mis en lumière un mythe très tenace dans la culture contemporaine, c'est
09:04le mythe du Pygmalion, de la jeune fille qui est modelée par l'adulte, par le cinéaste,
09:10et d'ailleurs, quand Christophe Ruggia s'est adressé à Mediapart, il y a quelques années,
09:14en 2019, il a dit ça, il a dit « J'ai commis l'erreur de jouer les Pygmalions ».
09:18Après, elle a eu la définition, il a dit « Ah non, non, non, c'est pas ça que je
09:21voulais dire, en fait ! ». Bref, il se balance tout seul, tout le temps.
09:24Mais oui, c'est un problème.
09:25Ils sont toujours là à faire comme s'ils nous avaient créés, mais ils nous détruisent.
09:28C'est ça qu'il faut entendre.
09:29Judith Godrech, qu'est-ce qu'il a fait ? Il lui a volé son histoire, il lui a volé
09:32sa jeunesse.
09:33Qu'est-ce que j'ai à dire, en fait ? Il se raconte l'histoire qu'il veut.
09:36Monsieur Ruggia, lui, il était trop content, tant qu'il pouvait se pavaner en disant
09:39« Oui, j'ai une histoire sulfureuse avec une actrice, bon, c'est un peu jeune, mais
09:42c'est sulfureux ». Mais quand moi, je dis « Non, en fait, ça s'appelle des agressions
09:45sexuelles », et là, il est dégoûté ! Ils sont dégoûtés qu'on mette les termes,
09:48en fait.
09:49C'est comme Amazon, ils sont dégoûtés qu'on mette les termes, ils s'en foutent
09:52de « commettre les crimes ». Ce qu'ils ne veulent pas, c'est que nous, on parle
09:55pour nous-mêmes et qu'on mette les termes dessus et qu'on dit que c'est des agressions
09:57sexuelles.
09:58Merci Adèle Haenel.