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Jeanne Added n'a pas attendu d'être connue pour faire entendre sa voix. En 2018 qu'elle se fait connaître du grand public avec son titre « Mutate » issu de son album « Radiate » grace auquel, elle remporte l'année suivante deux Victoires de la musique. Dès son adolescence, elle se politise pour défendre des valeurs qui lui sont chères et qu'elle qualifie de « humaines ». À l'époque, elle rejoint le mouvement de Lutte ouvrière. Jeanne Added explique les origines de son engagement par un profond désaccord avec le fonctionnement de la société et ce, depuis des années.C'est en ce sens qu'elle a décidé de soutenir l'association SOS Méditerranée. « Comment justifie-t-on de tourner le regard ailleurs en déshumanisant ces personnes ? », telle est la question qu'elle se pose. Quand on lui demande si une chanson peut changer les choses, elle est mitigée. Jeanne Added cite en exemple le célèbre titre d'Alain Souchon, « Foule sentimentale ». Elle s'étonne qu'une musique si forte de sens et d'une telle popularité n'ait pas eu l'effet retentissant qu'elle aurait mérité. Pour elle, une chanson accompagne des états, amplifie les forces et les énergies. Certes, la musique ne change pas les choses, mais elle rassemble."A quoi sert une chanson ?"... si elle est désarmée ? » chantait Julien Clerc sur un texte d'Etienne Roda-Gil. Les chanteurs ont toujours été témoins et acteurs des grandes mutations sociales, politiques et culturelles. Ils sont le reflet et le porte-voix des luttes, des espoirs et des révoltes... on pense bien sûr à Léo Ferré, à Serge Gainsbourg ou encore à Renaud et d'autres grandes voix, mais aujourd'hui, avec l'omniprésence des réseaux sociaux et le clivage qu'ils génèrent, les prises de position des artistes sont de plus en plus périlleuses. Dans une série d'entretiens menés par Didier Varrod, directeur musical des antennes de Radio France, des artistes explorent la force de leurs oeuvres en lien avec l'engagement sous toutes ses formes.Lucky Love, figure montante de la scène musicale qui sort son premier album, se distingue par son combat pour la reconnaissance des minorités et son engagement pour l'égalité des genres. Son titre « Masculinity » est devenu l'hymne de plusieurs causes, jusqu'à devenir un moment fort de l'ouverture des Jeux paralympiques de Paris. Olivia Ruiz partage son parcours de femme engagée, le choc de la vague #Metoo et l'influence de ses racines familiales sur sa création. Alex Beaupain est quant à lui connu pour ses textes sensibles et engagés et n'a jamais caché son engagement politique à gauche.A travers ces discussions, chaque artiste dévoile à Didier Varrod comment une chanson peut devenir le miroir de ses convictions et celles de son public, voire même, au-delà de sa première raison d'être, un vecteur de changement de notre société : « A quoi sert une chanson ? »

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Transcription
00:00Can you feel the vibration waving through me ?
00:06It's unusual, ah ah, mutate
00:14It's unusual, ah ah, mutate
00:20Bonjour Jeanne Adède. Bonjour.
00:22Je suis ravi de vous recevoir. Vous êtes autrice, compositrice, interprète.
00:25Vous avez produit quatre albums studios, des centaines voire des milliers de concerts depuis que vous avez démarré,
00:32avec cette singularité qui vous appartient de vous réinventer à chaque fois.
00:37Et je me suis posé la question, finalement, cette capacité extrême que vous avez de vous réinventer,
00:43est-ce que ce n'est pas quelque part un geste politique par rapport à une industrie musicale qui est assez conservatrice ?
00:51Alors, moi j'ai l'impression que c'est plutôt peut-être même une conséquence de l'industrie musicale,
01:01c'est-à-dire que l'industrie musicale demande de la nouveauté insatiablement,
01:07c'est-à-dire que c'est constamment, elle a un appétit sans fin pour le nouveau,
01:14et peut-être que c'est ça qui pousse à se renouveler, mais en fait en vrai.
01:19Ça c'est ce que je comprends de l'industrie musicale, peut-être que je me trompe et c'est fort possible,
01:24mais le fait de se renouveler pour moi c'est un truc de mon propre rapport à la musique,
01:34c'est-à-dire que c'est moi qui n'ai pas envie de m'ennuyer,
01:39et c'est moi qui ai envie de découvrir des nouvelles choses, d'apprendre des nouvelles choses tout le temps.
01:43Donc c'est plutôt dans ce sens-là que ça va.
01:46On pourrait s'ennuyer en faisant de la musique, vous pensez ?
01:49Oui, je pense. Il y a des gens qui font ce métier en y mettant le strict minimum.
01:56Même moi, entre le moment où j'étais étudiante, le moment où j'ai chanté pour d'autres,
02:01le moment où j'ai fait mes premières chansons et où je jouais ma vie tous les soirs,
02:05et maintenant où je joue plus que me mettre en danger, moi je suis plus dans un truc de jeu.
02:13Ça évolue constamment, donc il y a plein de façons de faire ce travail.
02:17Quels sont vos premiers souvenirs de rage adolescente ?
02:21Est-ce que c'est au contexte de la musique des Béruriers Noirs, par exemple ?
02:25Non, je crois qu'ado, j'avais envie de m'engager politiquement,
02:30j'avais envie de coller des affiches, j'avais envie de manifester,
02:34j'avais envie de monter au front, etc.
02:38À l'époque, je suis tombée sur une formation politique qui ne correspondait pas complètement à mon énergie.
02:46J'étais plus dans un truc punk, organisation d'un futur politique, étatique, etc.
02:55Et ça m'a un peu coupé les pattes, je parle de ça quand j'étais au lycée.
02:59Cette organisation politique, c'était laquelle ?
03:02C'était l'utouvrière.
03:04L'utouvrière !
03:05J'aurais dû aller chez les communistes révolutionnaires,
03:08parce que je me serais mieux entendue avec eux, j'avais envie de foutre le barzing.
03:13Foutre le feu ?
03:14Ouais.
03:15Ça vient d'où, ça, de votre point de vue ?
03:17J'en sais rien, je pense que c'est un truc de l'âge aussi,
03:21et c'est un truc d'ado, d'avoir aussi envie d'ado,
03:27j'ai pas complètement perdu d'ailleurs,
03:29mais de désaccord fondamental avec la société telle qu'elle fonctionne,
03:33telle qu'elle est régie,
03:36qui me semble complètement absurde personnellement,
03:39et donc du coup, avec cette énergie et cette naïveté-là,
03:42qu'on pense vraiment qu'on peut changer les choses
03:45et avoir envie de rentrer dans l'art du truc.
03:48Vous avez du respect pour ceux qui continuent à vouer leur vie à la militance ?
03:53Mais immense ! Vous avez pas idée.
03:55C'est vrai ?
03:56Mais immense, parce que...
03:58Personnellement, moi, je suis...
04:01J'ai pas... Comment dire ?
04:03J'ai pas ça en moi.
04:05Mais par contre, je suis, le mot est moche,
04:09mais une consommatrice du travail
04:14de ces personnes-là,
04:17qui m'expliquent ce qui se passe,
04:19qui m'expliquent comment les choses fonctionnent,
04:22qui me racontent le monde,
04:25qui me font découvrir des choses
04:27qu'on m'a pas expliquées à l'école,
04:29qu'on m'a pas racontées.
04:33Tout ça, c'est le fruit de travail de militants
04:36et de chercheurs, d'ailleurs,
04:38qui sont bien souvent des têtes pensantes
04:41et chercheuses hyper smarts
04:44et, enfin, indéniables,
04:46et leur travail, moi, je leur suis...
04:49Je vous fais une reconnaissance infinie
04:51à ces personnes-là qui font ce travail-là,
04:53d'éducation, en fait, de la société.
04:56Lorsque vous démarrez la musique,
04:59vous commencez plutôt dans le monde du jazz,
05:02qui est aussi un monde assez masculin,
05:06comme le monde de la pop,
05:08comme le monde du rap...
05:10Comme le monde.
05:12Comment vous avez trouvé le moyen
05:15d'imposer votre vérité de femme
05:18dans un milieu majoritairement masculin ?
05:21J'ai pas trouvé ce moyen-là.
05:23Ce que j'ai trouvé, c'est...
05:25C'est justement de ne pas être femme.
05:28Et de...
05:29Ca veut dire quoi ?
05:31Ca veut dire qu'à partir du moment
05:33où ce qu'on te dit, c'est que chanteuse...
05:36Donc, chanteuse, c'est féminin.
05:38Féminin ou nulle.
05:40Donc, je vais être chanteuse,
05:42mais pas comme sont les femmes.
05:44Donc, en étant très technique,
05:46en étant quasi instrumentale,
05:48en chantant pas de paroles,
05:50en chantant sans vibrato,
05:52parce que vulgaire...
05:54Non, mais sérieusement.
05:55En vrai, c'est ça.
05:56Je le comprends maintenant.
05:58J'ai un peu la rage en ce moment,
06:00mais je le comprends maintenant,
06:01parce que justement,
06:02je travaille avec d'autres chanteurs
06:04et que je suis en train de me réconcilier
06:06avec un endroit de mon identité de chanteuse
06:08et peut-être même de femme.
06:10Mais il y a tout un pan,
06:12même de ma pratique musicale,
06:14que j'ai complètement gommé
06:16pour pouvoir survivre dans ce milieu-là,
06:19qui était extrêmement méprisant
06:21vis-à-vis des meufs et du chant,
06:24qui était, du coup,
06:25l'apanage de la femme dans la musique.
06:29Parce qu'il y a une représentation
06:31de la chanteuse, effectivement,
06:33qui est souvent le fruit de l'imaginaire
06:35d'un ou de plusieurs hommes,
06:37ça oblige à la déconstruction, Jeanne Adède ?
06:41Oui, c'est sûr que moi,
06:43cet imaginaire-là,
06:44je ne l'ai pas du tout embossé ni incarné.
06:46J'ai fait exactement l'inverse,
06:48en tout cas, je m'y suis attelée.
06:52Mais c'est un imaginaire qui fonctionne encore,
06:54puisque bien souvent,
06:56les jeunes chanteuses y sont cantonnées,
06:58à être sexualisées,
07:00à être regardées comme telles
07:03et elles sont moins attractives
07:05le moment où elles commencent à perdre ce truc-là.
07:09Moi, j'ai construit mon travail
07:11et j'ai essayé, en tout cas,
07:13en dehors de ça,
07:14et je ne sais pas par quel miracle ça a fonctionné,
07:16mais en tout cas, j'avais pas d'autre choix
07:18que de faire ce métier-là comme ça.
07:22Si je m'étais soumise à ça,
07:24j'aurais été très malheureuse
07:26et ça ne se serait pas passé.
07:28On ne serait peut-être pas ensemble.
07:30Non, je pense que j'aurais fait autre chose.
07:33Vous dites que Camélia Jordana vous a réveillée.
07:36Qu'est-ce que cela veut dire ?
07:38Ça date d'un moment
07:40où elle s'est pris une sorte de tsunami médiatique.
07:44Je crois, si je me rappelle bien,
07:46ça s'est passé au peu près aussi
07:48au moment de la mort de George Floyd.
07:50Tout à fait.
07:51Camélia, on se connaît depuis longtemps.
07:53Je l'ai connue quand elle était encore toute jeune femme,
07:56même jeune fille, quasi,
08:00et en fait, elle m'a hallucinée de courage.
08:05Enfin, dans sa prise de parole,
08:07dans sa...
08:09Ouais, dans sa droiture, en fait,
08:13d'expression...
08:15C'est même pas politique, même si ça l'est, évidemment,
08:18mais c'est de son expérience,
08:20de ses convictions,
08:22qui, à mon sens, sont d'ordre humain,
08:24c'est-à-dire de comment on vit en tant qu'humains,
08:26les uns avec les autres,
08:28et à ce stade-là, où on en est rendus aujourd'hui,
08:30je pense que c'est vraiment de cet ordre-là,
08:32plus que droite-gauche,
08:34qu'on n'en a rien à faire,
08:38c'est vraiment...
08:40C'est de l'humanité, en fait,
08:42et c'est pour ça qu'elle a mis les gens hors d'eux.
08:44C'est-à-dire qu'on voyait chez quelqu'un
08:46quelque chose de naturel et d'hyper fort,
08:48là où Dauquin
08:50était en train de se raconter plein d'histoires
08:52pour, en fait,
08:54éviter sa propre humanité,
08:56sa propre empathie, etc.,
08:58et être bien, et rester dans son propre confort,
09:00et trouver tout un tas d'excuses
09:02pour ne surtout pas sortir
09:04de son confort personnel
09:06et de son petit pouvoir.
09:08Donc, à ce point de vue-là,
09:10moi, elle m'a dégommée,
09:12parce que c'était tellement clair
09:14et tellement puissant,
09:16ça m'a réveillée, ouais, c'est ça.
09:18Vous aimez l'expression
09:20femme puissante ?
09:22Je sais pas,
09:24c'est une question piège ?
09:26Non.
09:28Comme si, naturellement,
09:30les femmes ne pouvaient pas être puissantes,
09:32c'est ça, le soubassement
09:34de ma question.
09:36Enfin...
09:38Moi, je crois que c'est l'exact inverse,
09:40en fait.
09:42C'est parce qu'elles sont
09:44très puissantes qu'on a besoin
09:46de les maintenir,
09:48de les rabaisser.
09:50Après, aujourd'hui,
09:52le mot femme, moi, c'est...
09:56Il comporte plein de choses
09:58qui me...
10:00Enfin, je ne me pense
10:02même plus dans ces termes-là,
10:04mais historiquement, effectivement,
10:06je pense que la puissance des femmes est indéniable
10:08et c'est sans doute pour ça,
10:10et c'est sûr que c'est pour ça, d'ailleurs,
10:12la puissance créatrice qui a eu besoin
10:14d'être contrôlée.
10:16Après, je ne suis pas pour
10:18l'essentialisation du genre,
10:20donc je vais m'arrêter là.
10:22On a la sensation, quand même,
10:24pour ceux qui vous connaissent,
10:26que votre engagement, depuis une dizaine
10:28d'années, s'est vraiment structuré
10:30par votre pratique instrumentale,
10:32votre pratique d'interprète,
10:34votre pratique au contact d'autres
10:36musiciens et musiciennes.
10:38Ça a un sens pour vous,
10:40le mot engagement, aujourd'hui, Jeannette Dede ?
10:44Disons qu'il me fait vachement moins peur
10:46qu'avant, peut-être.
10:48La question ne se pose plus.
10:50Il y a eu des shifts, comme ça,
10:52dans notre histoire récente, en tant que pays
10:54et société, qui ont fait que
10:56peut-être les réserves
10:58que je pouvais avoir il y a quelques années
11:00ont complètement sauté.
11:02Et les digues ont sauté.
11:06Je ne me reconnais tellement pas
11:08dans les valeurs
11:10qui sont définies comme...
11:12Majoritaires.
11:16Ça ne me coûte absolument plus rien
11:20de m'inscrire
11:22contre ces choses-là.
11:24C'est ça qui a changé.
11:26Mais c'est le monde qui a changé.
11:28Je pense que le monde m'a radicalisée.
11:30C'est vrai.
11:32Il y a des engagements
11:34visibles. Je vais en citer deux,
11:36parce qu'ils sont particulièrement
11:38forts.
11:40Votre combat aux côtés de SOS Méditerranée.
11:42Vous pouvez en parler ?
11:44Je ne fais pas grand-chose,
11:46mais ils me font l'amitié.
11:48Ils me font l'amitié de venir sur mes
11:50concerts, de temps en temps.
11:52Quand ils sont là, j'en parle pendant le concert.
11:54Ça permet au public
11:56d'aller à leurs rencontres.
11:58Ensuite, le travail
12:00d'SOS Méditerranée, c'est le bas à bas
12:02de ce qui devrait être fait
12:04de nos jours.
12:06Laisser des personnes
12:08qui sont en détresse,
12:10alors qu'on a l'obligation
12:12légale de les sauver,
12:14de leur venir en aide,
12:16c'est ahurissant,
12:18en fait.
12:22SOS Méditerranée fait un travail magnifique,
12:24hyper important, que ne font pas
12:26les Etats. Heureusement qu'ils sont là.
12:28Après, moi,
12:30ce que ça m'évoque très fort,
12:32c'est un truc vieux comme le monde,
12:34c'est comment on justifie
12:36de tourner le regard ailleurs
12:38en déshumanisant les gens.
12:40C'est-à-dire que c'est la déshumanisation
12:42des populations
12:44qui font
12:46ces trajets-là,
12:48qui...
12:50Et si tu tires le fil
12:52qui bosse dans les sweatshops
12:54à l'autre bout de la planète,
12:56la déshumanisation de tout un pan
12:58de la population humaine de cette planète
13:00qui justifie notre mode de vie,
13:02et ça, c'est hallucinant, en fait,
13:04et qui a justifié, si tu retires encore
13:06la colonisation,
13:08l'exploitation des richesses
13:10de territoires entiers
13:12et donc
13:14de populations entières,
13:16bon...
13:18Il y a un truc que je ne comprends pas,
13:20et qu'on s'est raconté des tonnes d'histoires
13:22et on continue à s'en raconter
13:24des milliards pour justifier ça.
13:26Mais bon, ben voilà,
13:28les sweats méditerranéens font
13:30ce qu'il est nécessaire de faire,
13:32ce qui est la bonne chose à faire,
13:34ce qui est la chose normale de faire.
13:36Et ça coûte une fortune, donc il faut les soutenir
13:38absolument. C'est notre humanité
13:40qui est en jeu en ce moment.
13:42C'est incompréhensible pour moi.
13:44C'est l'impression, en vous écoutant,
13:46que votre parole traduit
13:48un peu de colère aussi, d'indignation,
13:50de colère.
13:52Oui.
13:54Il y a de quoi être en colère, mais c'est au-delà de la colère.
13:56Parce que c'est...
14:00Oui, c'est au-delà de la colère.
14:02C'est une incompréhension totale
14:04de comment on réussit à fonctionner
14:06et à vivre tranquillement
14:08nos petites vies, dans nos petits conforts
14:10occidentaux, en se disant que c'est
14:12OK, en fait, de continuer
14:14de consommer comme on le fait,
14:16de détruire cette planète
14:18comme on le fait, juste pour...
14:20Pourquoi ? Pour gagner
14:22du pouvoir
14:24les uns sur les autres ?
14:26Il y a un truc qui me dépasse complètement,
14:28franchement. Mais bon.
14:30Deuxième engagement, peut-être
14:32moins visible, mais, pardon,
14:34pour moi, très important.
14:36Vous avez été signataire, et ils sont rares,
14:38les artistes qui ont signé cette pétition,
14:40pour la sauvegarde d'un
14:42service public non fusionné.
14:44Alors...
14:46Pourquoi vous avez signé cette pétition ?
14:48Ça m'a paru tellement...
14:50Ah ! J'ai dit,
14:52enfin !
14:54On était dans un truc macro, là, on revient dans
14:56quelque chose de plus...
14:58Non, mais c'est normal !
15:00Et c'est très bien, parce qu'en fait,
15:02en vrai, dans les choses qui sont
15:04plus concrètes de notre vie de tous les jours,
15:06notre service public,
15:08ça fait quand même partie des choses
15:10qui sont positives dans notre
15:12pays, la France,
15:14et c'est qui est connu pour ça, d'ailleurs.
15:16Et...
15:18La casse sociale
15:20qui est en train d'être faite depuis des années,
15:22de tout ce système-là,
15:24que ce soit d'une information
15:26indépendante,
15:28d'une...
15:30Sous prétexte de profit, une fois encore,
15:32pour moi, il n'y a pas
15:34de doute quant au fait
15:36de soutenir ça, évidemment, et en plus,
15:38en tant que musicienne, tout simplement,
15:40c'est que ça veut dire plein de choses,
15:42c'est-à-dire qu'un audiovisuel
15:44public permet
15:46d'avoir des moyens,
15:48et comme une politique
15:50culturelle publique forte
15:52permet d'avoir des moyens de soutenir
15:54non seulement
15:56les endroits de recherche en culture,
15:58en musique, en théâtre,
16:00en danse, etc., qui sont
16:02vitaux pour
16:04notre humanité,
16:06encore une fois, pour notre éveil,
16:08notre...
16:10Un mode de transcendance, c'est ça ?
16:12Oui, transcendance, qui est quand même
16:14un peu le propre de l'être humain.
16:16En fait, le propre de l'être humain,
16:18c'est justement d'être capable
16:20de grandir, en fait,
16:22et d'apprendre,
16:24et de devenir de plus en plus
16:26beau, pas dans un
16:28sens trivial.
16:30Esthétique.
16:32Esthétique, mais dans un sens,
16:34oui, dans un sens de notre amour
16:36des uns avec les autres,
16:38de notre capacité
16:40à se comprendre,
16:42à s'accepter,
16:44à s'accueillir...
16:48Bref, qu'est-ce que je disais ?
16:50C'était important
16:52pour l'humanité.
16:54C'est que nos politiques culturelles participent de ça,
16:56et donc l'audiovisuel public
16:58fait partie de ce truc-là,
17:00et qu'il n'y a pas que le divertissement.
17:02On n'est pas là... Evidemment, c'est génial
17:04de pouvoir se divertir
17:06et de rire ou de regarder
17:08un film tranquillement sous sa couette.
17:10Génial. Mais...
17:12Les deux ne peuvent pas
17:14et ne doivent pas
17:16s'exclure l'un l'autre.
17:18Je crois pas.
17:20Vous avez récemment rendu
17:22hommage à la culture protestataire
17:24à travers la chanson, la musique,
17:26la pop-musique.
17:28Est-ce que c'est...
17:30Le chant protestataire, c'est
17:32une esthétique à part ?
17:34Je crois.
17:36J'ai l'impression. Après...
17:40C'est marrant. Je pense souvent à Souchon.
17:42Non, mais c'est vrai.
17:44À Full Sentimentale, par exemple.
17:46La chanson est géniale,
17:48évidemment, mais c'est pas forcément bien,
17:50parce que je me dis, une chanson
17:52qui a un sens tellement fort,
17:54qui a été un tel succès,
17:56et qui, en même temps, n'a strictement
17:58rien changé...
18:00Sur, justement,
18:02notre rapport à ce monde-là
18:04et à notre superficialité,
18:06en fait,
18:08de consommateur,
18:10tu te dis, bah, merde.
18:12C'est beau, ce que vous dites,
18:14parce que cette émission s'intitule
18:16Les Grands Entretiens. À quoi sert
18:18une chanson si elle est désarmée ?
18:20Propos de Roda Gilles.
18:22C'est une question que vous vous posez
18:24souvent, Jeanne Haddad. À quoi sert
18:26une chanson ?
18:28On peut pas se poser que cette question-là,
18:30évidemment, parce que ça peut être
18:32paralysant,
18:34de se dire,
18:36il faut que ça serve à quelque chose,
18:38et du coup, bah...
18:42Moi, je sais à quoi ça me sert,
18:44à moi, c'est la même chose
18:46que pour plein de gens, évidemment,
18:48c'est à me mettre
18:50dans une ambiance,
18:52dans un état,
18:54que ce soit un état triste, joyeux,
18:56combatif,
18:58amoureux,
19:00où je crois que ça accompagne
19:02des états,
19:04c'est comme si c'étaient des accompagnateurs
19:06des moments de vie.
19:08Je suis pas sûre, malheureusement,
19:10que ça puisse changer grand-chose,
19:12par contre, ça peut accompagner,
19:14elles peuvent amplifier les forces
19:16et les énergies,
19:18ça, c'est sûr, c'est des...
19:22Mais le mouvement,
19:24le mouvement de révolution,
19:26de révolte, de désaccord, de réveil,
19:28il est de notre fait
19:30à nous, en tant que société,
19:32en tant que groupe humain.
19:34Quand je vous écoute et que je vous regarde,
19:36je pense toujours à cette chanson
19:38War Is Coming.
19:40J'ai la sensation que vous avez fait évoluer cette chanson
19:42au gré des arrangements,
19:44au gré de vos expériences musicales,
19:46et que vous la chantiez doucement
19:48ou brutalement.
19:50Cette chanson, en fait,
19:52c'est la fondation de votre réalité artistique.
19:54War Is Coming.
19:56Oui, oui, oui.
19:58Il y a un truc,
20:00ce qu'elle pourra rappeler en deux secondes,
20:02c'est qu'elle dit, en gros,
20:04ma sensation, parfois,
20:06de me noyer dans un verre d'eau
20:08alors que le monde est en feu
20:10autour de nous.
20:14C'était une grosse réaction
20:16de moi à moi-même à ce moment-là,
20:18quand je l'ai écrite,
20:20à ce moment-là,
20:22justement, de mon incapacité
20:24à agir ou à sortir
20:26de mon propre corps alors qu'il y a
20:28tellement de choses à faire.
20:30Je sais pas si j'y arrive mieux maintenant,
20:32mais en tout cas, ma conscience
20:34de ce qui se passe autour,
20:36elle est toujours là.
20:38Après, je me trouve pas forcément au niveau.
20:40Mais...
20:42Mais bon.
20:44Je pense qu'on a besoin
20:46de beaucoup d'imagination en ce moment,
20:48à inventer,
20:50en tant que nous tous,
20:52c'est-à-dire, il y a du lien
20:54à faire vraiment entre chacun d'entre nous.
20:58Nos individualités n'empêchent pas
21:00voir, au contraire,
21:02permettre, plus elles sont claires,
21:04le lien et la rencontre.
21:06Et de ça, on va sortir
21:08grandis et plus forts,
21:10parce que nous ne sommes pas la minorité,
21:12loin de là.
21:14Devenir plus engagée
21:16qu'on ne l'a été à l'adolescence,
21:18dans un chemin,
21:20ça nécessite aussi une forme
21:22d'exemplarité.
21:24Et c'est compliqué
21:26d'être exemplaire
21:28tout le temps, à chaque seconde
21:30de la vie.
21:32Vous, vous vous êtes mis en pratique
21:34un certain nombre d'exemples.
21:36Vous avez rejoint une structure
21:38Crybaby, qui, en elle-même,
21:40porte des valeurs fondamentales
21:42d'égalité,
21:44d'inclusivité, de progressisme.
21:46Mais, au quotidien,
21:48est-ce que c'est toujours facile
21:50d'être exemplaire ?
21:52Je ne suis pas du tout exemplaire,
21:54loin de là.
21:56Après, il y a différents endroits dans la vie.
21:58Il y a la vie personnelle,
22:00où, des fois,
22:02on n'a pas l'énergie,
22:04et ça, c'est humain.
22:06Il n'y a pas de sujet.
22:08Il n'y a pas de sujet, là-dessus.
22:10Après, il y a l'endroit professionnel.
22:12C'est l'endroit de ma vie de musicienne
22:14qui, certes,
22:16prend une place monumentale
22:18dans ma vie,
22:20mais qui est quand même
22:22autre chose que moi,
22:24toute seule dans ma chambre,
22:26quand il n'y a plus personne.
22:28Et ça, c'est cet endroit-là
22:30où je me retrouve à embaucher des gens,
22:32à travailler,
22:34même sur un boulot
22:36qui est quand même vraiment hors normes,
22:38puisque ce sont des jobs dans lesquels
22:40on vit ensemble, où il n'y a pas d'heure,
22:42il n'y a pas d'horaire, ou quasi pas,
22:44où on est en train d'essayer
22:46d'inventer ces choses-là
22:48pour essayer de cadrer quelque chose
22:50qui est incadrable,
22:52faire quelque chose qui soit viable
22:54pour tout le monde, pour que tout le monde
22:56puisse avoir des vies correctes
22:58et où on ne se perd pas complètement
23:00dans nos métiers, ce qui est quand même
23:02une des possibilités de ces métiers
23:04de saltimbanque, comme on disait tout à l'heure.
23:06Et c'est vraiment ça.
23:08Et à cet endroit-là, c'est vrai,
23:10et ce n'est pas facile tous les jours, d'ailleurs,
23:12à cet endroit-là, moi, j'ai fait le choix,
23:14oui, effectivement,
23:16de politiser ma façon de faire ce métier.
23:18Mais...
23:20Mais parce qu'en fait,
23:22à un moment donné,
23:24j'ai commencé à avoir du pouvoir, en fait,
23:26aussi. C'est-à-dire,
23:28qui est-ce que t'embauches quand tu commences
23:30à pouvoir choisir qui t'embauche ?
23:32Bon, là, t'as le choix.
23:34Soit tu fais comme tout le monde fait,
23:36t'embauches que des mecs,
23:38soit tu dis, bah non, moi, je pense que c'est mieux
23:40qu'il y ait une équipe mixte
23:42et paritaire. Donc,
23:44t'embauches des filles aussi.
23:46Et voilà, c'est des questions
23:48basiques, mais qui...
23:50qui se sont posées à moi
23:52et que j'ai embrassées,
23:54avec joie, d'ailleurs,
23:56comme étant, justement, quelque chose de très concret
23:58par rapport à ce que je pense
24:00dans la vie de tous les jours.
24:02Pour terminer, Jeanne Haddad, ce sera la dernière question.
24:04Est-ce que t'aimais ce monde en feu,
24:06ce monde en guerre ?
24:08C'est dur, hein.
24:12Euh...
24:14J'aime bien votre silence.
24:16C'est dur
24:18parce que...
24:22Moi, j'aime les gens dedans.
24:24J'aime la planète, j'aime la nature,
24:26j'aime les fruits, j'aime ouvrir un fruit,
24:28voir le miracle que c'est.
24:30Euh...
24:34Mais vraiment,
24:36on dit souvent que la planète,
24:38elle continuera sans nous,
24:40mais je trouve ça hallucinant
24:42qu'on soit en train de gâcher
24:44un truc aussi beau.
24:46Parce que c'est un peu ça qui se passe
24:48un peu beaucoup.
24:50Après,
24:52la sagesse, elle est
24:54vraiment, à mon sens,
24:56chez les gens qui...
24:58qui vivent avec la nature
25:00et qui ont toujours vécu avec la nature
25:02et qu'on a regardé comme des sauvages
25:04depuis des centaines d'années.
25:06Euh...
25:08Moi, je pense qu'il faut
25:10complètement changer
25:12l'endroit où on voit
25:14la sagesse
25:16et ce qui est beau et ce qui est
25:18juste et souhaitable.
25:20On nous a bien...
25:24bien farcis le crâne
25:26de grosses bêtises.
25:28Et donc ce monde, il a un potentiel
25:30de fou,
25:32mais il faut y aller,
25:34quoi, pour se réveiller un petit peu.
25:36On va se réveiller ensemble
25:38au contact surtout de votre
25:40musique. Merci infiniment,
25:42Jeanne Haddad, d'avoir accepté cette invitation.
25:56Musique
25:58Musique
26:00Musique

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