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Cours de philosophie diffusé le 05/12/ 2024 sur la plateforme du Projet Europe, Éducation, École :
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Transcription
00:00Bonjour, bienvenue à tous sur la plateforme du projet Europe éducation et école qui,
00:20dans sa deuxième partie de ce matin, propose avec Philippe Touchet, professeur de philosophie en
00:26première supérieure au lycée Gustave Monod en Guyane-les-Bains, une réflexion inspirée par la
00:33lecture du texte de Bergson sur la notion de création et plus précisément la création du
00:39possible. Cher Philippe, nous nous abandonnons au plaisir de poursuivre ce travail avec toi,
00:46je te remercie infiniment d'avoir accepté notre invitation et je m'abandonne au plaisir de t'écouter.
00:53Merci, donc si nous résumons ce que nous avons dit jusque là, il nous faut tenir compte de toutes
01:06les conséquences de cette imprévisible nouveauté dès lors qu'elle est pensée comme une réalité
01:15fondamentale de l'être par Bergson et dire que bien évidemment cette émergence, cette inédit,
01:26ce fait que tout n'est pas déjà donné, cette impossibilité de prévoir, cette manière dont
01:37le futur est futur précisément et n'est pas parfaitement déjà présent dans le présent,
01:47tout cela nous oblige à réinterroger la question même du rapport entre le possible et le réel.
02:00Cette question du rapport entre le possible et le réel est une question extrêmement ancienne,
02:08on ne va pas entrer dans le détail technique mais on va dire quand même un tout petit peu
02:16quelque chose. Un certain nombre de philosophes repris en cela en quelque sorte par la science
02:24et par les déterministes considèrent que pour qu'une chose soit réelle, c'est-à-dire qu'elle
02:38se réalise comme par exemple une bataille, comme par exemple je ne sais pas moi une motion de censure,
02:48il faut qu'elle soit précédée par une possibilité, c'est-à-dire qu'il faut
03:00qu'elle soit en puissance possible avant d'être réelle. D'une certaine façon l'argument,
03:11qui est en fait le fameux argument des Mégarites, bon bref peu importe, c'est que
03:16si la chose était impossible avant qu'elle soit réelle, elle ne se produirait pas. Donc par
03:34exemple il est impossible que l'homme devienne immortel, donc on ne s'attend pas à ce qu'il
03:47puisse le devenir. Donc ce qui est impossible parce qu'il entretient un rapport contradictoire
03:58avec la nature ne peut pas advenir et émerger. Donc les Mégarites vont dire
04:06ce qui est impossible est de tout temps impossible. Et c'est la raison pour laquelle si ce qui est
04:19impossible de tout temps est impossible, soit une chose est possible et dans leur esprit elle est
04:29possible de tout temps, soit elle n'existe pas. Donc ce qui est impossible est impossible de tout
04:39temps restera toujours perpétuellement impossible. Et par conséquent ils ont conclu que ce qui est
04:47possible doit être possible de tout temps. Il faut que, alors on va prendre un exemple ça va
04:54être plus simple, il faut que la symphonie numéro 9 de Beethoven soit possible antérieurement à sa
05:07composition dans l'esprit, dans le génie, dans la tête si je puis dire de Beethoven avant qu'elle
05:16ne soit réelle. Parce que si elle était impossible, par exemple si Beethoven avait fait
05:22un AVC et qu'il ne dispose plus de toutes ses facultés, eh bien si elle était impossible à
05:31intenter elle serait impossible pour toujours. Donc dans l'esprit de la métaphysique antique et au-delà
05:42des déterministes, le possible précède le réel et dans une certaine mesure le détermine. Le détermine,
05:50le limite, le prévoit. On dit souvent qu'on ne peut agir que dans la mesure du possible. Je vais
06:03voir ce qui est possible. Vous voyez dans la formule on ne dit pas je vais voir ce qui sera
06:09possible demain. On dit je vais voir ce qui est possible. Je vais essayer de faire dans la mesure
06:17du possible. Et on sous-entend qu'il y a une mesure, il y a quelque part dans l'être, dans la nature que
06:23sais-je, une mesure du possible qui précède le réel et qui le limite. Tout n'est pas possible.
06:33Eh bien cette théorie, cette théorie qui fait du possible le préalable du réel et qui laisse
06:44entendre que ce qui doit émerger doit d'abord être possible avant d'être réel est évidemment
06:50une théorie qui contrevient totalement à l'idée de création. Parce que qu'est-ce que l'idée de
06:58création ? C'est l'idée que précisément ce qui émerge dans le réel n'était pas même seulement de
07:06l'ordre du possible. Ce qui émerge dans le réel ne pouvait pas s'expliquer par les conditions de
07:19possibilité qui le précédaient. Donc Bergson va s'interroger sur le fait qu'on doit d'une
07:35certaine façon inverser l'équation du possible pour faire comprendre la nouveauté, la création
07:49d'un prévisible nouveauté et d'une façon générale pour faire comprendre le réel puisque le réel nous
07:56donne à voir, comme je l'ai dit tout à l'heure, de l'émergence de la nouveauté, de la création
08:05à même l'intimité de notre être d'une part et à même la quotidienneté de notre existence.
08:11Et donc il va dire au fond c'est précisément parce qu'on a pensé le possible comme précédent
08:23le réel qu'on s'est interdit en fait que l'intelligence s'est interdit totalement de penser
08:32la création et donc de penser la réalité de l'être. Et donc il va dire ceci au fond disons,
08:42là je le cite, que dans la durée envisagée comme une évolution créatrice et donc je m'arrête là,
08:54je précise que le terme d'évolution créatrice ne désigne plus seulement la durée au sens de
09:00la conscience intime du temps mais désigne bien l'être dans son ensemble. Le livre l'évolution
09:07créatrice est une théorie de l'être dans son ensemble, une théorie de la nature. Donc je répète
09:13disons donc que dans la durée envisagée comme une évolution créatrice il y a création perpétuelle
09:20de possibilités et pas seulement de réalité. Autrement dit, qu'est-ce qu'il veut dire ? La
09:25création est création de possibilités et non de réalité. La création est continue car elle
09:35indétermine en permanence toutes les déterminations qu'elle produit dans l'évolution. C'est un peu
09:46complexe de m'expliquer mais je redis. Le présent se laisse en permanence en quelque sorte fécondé
09:56par le futur. Quelle incroyable inversion ! Le présent se laisse en permanence indéterminé par
10:06le futur de sa propre possibilité. Alors c'est suffisamment difficile à comprendre cette idée
10:15que le possible ne précéderait pas le réel mais en serait finalement la texture pour que Bergson,
10:25qui comme vous le savez était en effet un immense professeur aussi, se propose de donner un exemple
10:34et un exemple, une anecdote qui est restée relativement célèbre. Cette anecdote est
10:41mentionnée dans la conférence « Le possible et le réel ». Il raconte qu'au cours de la
10:45grande guerre un journaliste est venu le voir avec la tâche de lui demander, en vue du plaisir des
10:59lecteurs qui voulaient ne pas avoir seulement à lire dans le journal des nouvelles désespérantes
11:06de la guerre, des tranchées et autres, et donc le journaliste était en charge de faire en sorte
11:15qu'une nouvelle idée, de nouvelles idées, de l'avenir puissent être un peu pensées. Et le
11:23journaliste vient le voir en lui demandant ceci. Il lui demande ce qui se passerait plus tard lorsque
11:34la presse serait revenue et il lui demande comment lui, Bergson, qu'il prend pour un génie au-dessus
11:44du siècle un petit peu, se représenterait l'avenir de la littérature. Bergson répond
11:54l'avenir de la littérature, donc on va dire la littérature d'après-guerre alors qu'ils sont
11:59encore dans la guerre. Bergson répond un peu confus, dit-il, je déclarais un peu confus que
12:07je ne me le représentais pas. Alors évidemment le journaliste insiste, n'apercevez-vous donc pas,
12:15tout au moins me dit-il, certaines directions possibles ? Admettons qu'on ne puisse pas
12:24prévoir le détail, vous avez du moins vous, philosophe, une idée de l'ensemble. Comment,
12:31par exemple, concevez-vous la grande oeuvre dramatique de demain ? La grande oeuvre dramatique
12:38de demain. Et Bergson va encore décevoir affreusement le journaliste, il va dire je
12:47me rappellerai toujours la surprise de mon interlocuteur quand je lui répondis si je
12:53savais ce que serait la grande oeuvre dramatique de demain, je la ferai. Je vis bien qu'il concevait
13:05l'oeuvre future comme enfermée dès alors dans je ne sais quelle armoire au possible. Je devais,
13:14en considération de mes réservations très anciennes avec la philosophie, avoir obtenu
13:18d'elle la clé de l'armoire. Mais lui dis-je l'oeuvre dont vous parlez n'est pas encore possible. Il
13:29faut pourtant bien qu'elle le soit puisqu'elle se réalisera dit le journaliste. Réponse non,
13:38elle ne l'est pas. Je vous accorde tout au plus qu'elle l'aura été lorsqu'elle se sera parlé.
13:46Qu'entendez-vous par là? Demande le journaliste. C'est bien simple. Qu'un homme de talent ou de
13:55génie surgisse, qu'il crée une oeuvre, la voilà réelle et par là même elle devient rétroactivement
14:04et rétrospectivement possible. Elle ne le serait pas et elle n'aurait pas été si cet homme n'avait
14:16pas surgi. C'est pourquoi je vous dis qu'elle aura été possible aujourd'hui mais qu'elle ne l'est
14:22pas encore. Le journaliste est hors de lui. Il s'exclame. C'est un peu fort. Vous n'allez
14:32tout de même pas soutenir que l'avenir influe sur le présent, que le présent a produit quelque
14:41chose dans le passé et que l'action remontre le cours du temps et vient imprimer sa marque en
14:49arrière. Personne ne répond. Ça dépend. Alors je m'arrête là dans la lecture de ce passage pour
14:57le commenter. La grande oeuvre dramatique du futur, de demain, n'est pas contenue comme puissance dans
15:11une armoire des possibles dont quelques génies que l'on prête aux philosophes disposeraient
15:18de la clé. Parce que si elle existait comme possibilité avant sa manifestation, ça voudrait
15:28dire qu'elle serait déjà faite. Si elle était déjà faite, celui qui en posséderait la possibilité
15:36la ferait. Or, il est évident que demain, lorsque cette grande oeuvre émergera, par exemple le
15:50voyage au bout de la nuit de Céline, il faudra bien qu'elle ait émergé sur la base de quelque
16:01chose qui ne la rendait pas au départ possible, mais qu'au contraire c'est elle qui ensuite,
16:07par un mouvement en quelque sorte rétrograde, n'aura pas seulement créé sa réalité, mais aura
16:15créé en même temps que sa réalité, sa propre possibilité. Et donc, effectivement, elle produira
16:26une ouverture du présent, mais elle produira rétroactivement une ouverture dans le passé,
16:35parce que le passé sera repris à partir d'elle et réinterprété à partir d'elle. Ce que font
16:44les critiques littéraires. Ils liront dans la littérature de la guerre les prémices de la
16:54possibilité de la littérature d'après-guerre, mais il faudra que la littérature d'après-guerre,
16:58que Céline en l'occurrence, soit apparue et surgit pour que la littérature d'avant-guerre
17:08apparaisse comme en étant la préfiguration, l'annonce, la préparation. Ce n'est que par
17:19un travail rétrograde que l'avenir viendra en quelque sorte ouvrir, féconder et d'une
17:27certaine manière éclairer le passé. Bergson dit encore « au fur et à mesure que la réalité se
17:37crée, imprévisible et neuve, son image se réfléchit derrière elle dans le passé indéfini. Elle se
17:51trouve ainsi avoir été de tout temps possible, mais c'est à ce moment précis qu'elle commence
17:57à l'avoir toujours été ». Et voilà pourquoi je disais que sa possibilité, qui ne précède pas
18:06sa réalité, l'aura précédée seulement une fois que la réalité sera apparue. Le possible est donc
18:19le mirage du présent dans le passé, et comme nous savons que l'avenir finira par être du présent,
18:27comme le mirage continue et s'enrelâche à se produire, nous nous disons que dans notre présent
18:34actuel, qui sera le passé de demain, l'image de demain est déjà contenue, quoique nous n'arrivions
18:41pas à le saisir. Voilà ce que la détermination ne peut pas comprendre, la théorie de la
18:52détermination ne peut pas comprendre. La création, si le temps est efficace, si le temps est la clé
19:02de l'être, la détermination n'est pas un pur présent. La détermination est une ouverture,
19:15une fondation vers une possibilité qui peut en amont réouvrir le passé vers des possibilités
19:22que ce passé lui-même ne pouvait pas soupçonner, ne pouvait pas saisir. Et donc la philosophie,
19:34le philosophe, quelle est sa tâche ? Il n'est pas de prévoir demain, il n'est pas non plus,
19:49comme voyait Hegel, de dire le sens du passé une fois échoué, comme la chouette de Minerve.
19:56Le philosophe doit nous placer devant l'ouverture du présent, en tant que le présent n'est pas un
20:07espace du temps, mais en tant que le présent est duré, et que durer cela veut dire s'indéterminer.
20:18À la fin de la conférence, Bergson dit si la philosophie se fait désormais philosophie du
20:34possible, au sens cette fois, n'est-ce pas, d'un possible qui est le fruit de la création du RL,
20:41donc je répète, création de possibilités, non pas seulement de nouveautés, le philosophe y
20:49gagnera de trouver, dit-il, quelque chose d'absolu dans le monde mouvant des phénomènes. Il y gagnera
21:01en réalité la possibilité d'une nouvelle métaphysique, c'est-à-dire, il y a dans le
21:09monde mouvant des phénomènes une source de création, une source de RL qui n'est pas encore
21:18donnée avant qu'il émerge, mais qui une fois qu'il émerge donne droit à la réalité de devenir
21:26soudainement autre. Et il conclut sa conférence en disant voilà, nous y gagnerons si nous acceptons
21:39cette inversion de la représentation, si nous acceptons cette destitution de la prévision,
21:48si nous acceptons de ne pas connaître, calculer, mais si nous acceptons de participer même dans
22:01notre intimité de la réalité de la durée, si nous sympathisons avec le temps, nous en serons,
22:12dit-il, plus joyeux et plus forts. Plus joyeux, dit-il, parce que la réalité qui s'invente sous
22:22nos yeux donnera sans cesse à chacun de nous certaines de ces satisfactions que l'art par
22:31ailleurs nous procure. Nous serons plus riches d'une réalité ouverte à la condition expresse
22:39que nous soyons capables d'accepter que la réalité s'invente elle-même en permanence.
22:47Nous serons plus joyeux parce que nous verrons que tout n'est pas échu, que tout n'est pas
22:55désacheté et que le possible se trouve à même l'être. Voilà. Et donc, il conclut sa conférence
23:06en disant que ce qu'il vient de dire n'est pas une simple spéculation, dit-il, n'est pas un simple
23:15travail de philosophe, même si, vous l'avez compris, elle l'est aussi, mais que cela peut
23:23être une préparation à bien vivre, donc, en d'autres termes, une sagesse.
23:29Merci. On n'entend pas ces slaves.
23:43Nico.
23:46Désolé. Merci beaucoup, cher Philippe, pour cette deuxième reprise de tes analyses très
23:56riches, passionnantes. Je ne cesse de méditer quand même une sorte de rapprochement entre ce
24:05que tu viens de dire à propos du possible et peut-être tel ou tel extrait du savoir absolu
24:12de Hegel. Il y a quelque chose qui pourrait peut-être se chercher de ce deux côtés,
24:18de voir que dans l'instant tel qu'il est, tel qu'il existe, il y a toujours la possibilité
24:27d'une émergence de quelque chose d'irréductible à nos prévisions, à nos déterminations. Et ce
24:35quelque chose pourrait relever non pas d'une intelligence scientifique qui l'analyse,
24:39mais d'une sagesse, ou si tu préfères, peut-être une sorte de savoir absolu. Je ne sais pas ce que
24:48tu penses de ce rapprochement. Je suis toujours très réticent au rapprochement parce qu'évidemment
25:01la philosophie de Hegel est en même temps une philosophie dans laquelle la réconciliation de
25:12la différence et de l'identité est toujours à l'œuvre, alors qu'ici il y a quand même chez
25:21Bergson cette idée que l'identité n'est jamais achevée, que l'identité est toujours en instance
25:30de sa décomposition, de sa recomposition, de sa création. Et donc on a affaire avec cette théorie
25:45de la durée et à l'idée que les catégories de la métaphysique classique, c'est-à-dire les
25:52catégories de l'identité, la différence, de la continuité, de la discontinuité, du mouvement
26:01et du repos ne sont pas de nature à rendre raison de ce qui est en jeu dans l'évolution créatrice.
26:12Oui, certes, ce sont les mots que l'on emploie. Oui, certes, Bergson revisite les termes de la
26:21métaphysique ou les termes de la philosophie de Kant, notamment il y a toute une grande analyse
26:26de Kant dans l'évolution créatrice, mais il se propose de montrer que ces oppositions entre
26:38le mouvement et le repos, entre l'identité et la différence, qui structurent dialectiquement le
26:47mouvement même de la vie de l'esprit, que ces oppositions sont de nature à nous empêcher de
26:54saisir quelque chose d'autre qui est la catégorie, mais ce n'est pas une catégorie justement,
27:00tout simplement la réalité de l'émergence. Je ne crois pas qu'on peut parler, à proprement parler,
27:11de création dans la théorie de Hegel. Je pense qu'il y a une différence fondamentale entre
27:21la question de Hegel qui est celle de l'histoire de la vie de l'esprit, l'histoire du concept,
27:32le temps comme processus d'absolue négation, le temps comme calvaire de l'esprit absolu,
27:42et ici le temps comme source de création, au sens où la négation même est encore une
27:56préfiguration, une projection du passé sur le présent. Non, ici il s'agit de rendre au présent,
28:06de rendre à l'imprévisibilité du présent toute sa puissance de réalisation et donc sa puissance
28:18de possibilité. La possibilité en ce sens échappe au terme même d'une dialectique.
28:28Oui, mais j'aurais voulu rapprocher un peu cette puissance irréductible à quelque
28:36raisonnement que ce soit, à quelque chose d'absolu précisément.
28:40Ah oui, alors s'il s'agit de penser en termes absolus, il suffit de lire
28:48la conférence suivante qui s'appelle l'intuition philosophique, et là je serais tout à fait
28:56d'accord avec toi pour dire que la grande thèse de Bergson dans l'intuition philosophique c'est
29:04que notre participation à la durée est ce qui nous redonne totalement accès à l'idée d'un absolu.
29:13Ça c'est tout à fait certain, ça c'est tout à fait certain. Et d'ailleurs je viens de te lire
29:20une phrase, je la relis, c'est la fin de la conférence, la philosophie il gagnera de trouver
29:27quelque chose d'absolu dans le mouvement, dans le monde mouvant des phénomènes. D'ailleurs il
29:34termine par une sorte de paradoxe mais c'est un paradoxe qui est destiné à destituer les
29:41catégories de l'intelligence classique. Mais donc n'oublions pas en effet que Bergson assume
29:50entièrement la reconstitution d'une métaphysique de l'absolu par-delà ce qu'il appelle les faux
29:58problèmes de la métaphysique classique. Merci Philippe, je retourne vers Antoine.
30:07Antoine, y a-t-il une remarque, une question, une proposition de ta part ?
30:12Oui, je me pose la question de savoir s'il ne faut pas prendre le terme d'absolu au sens
30:19presque étymologique, c'est-à-dire absence de tout lien et de toute cause. Est-ce que ce serait ça
30:26finalement la véritable liberté ? Oui, alors absolument. C'est d'ailleurs exposé comme ça
30:34dans la conférence. Il considère que le problème de l'intelligence, qu'elle soit fabricatrice ou
30:41qu'elle soit scientifique, c'est qu'elle pose toute chose à partir de la relation. Relation
30:50d'un phénomène à un autre phénomène, relation de mes idées entre elles, connexion des idées,
30:57relation de mon corps avec les autres corps. En d'autres termes, une théorie de la simple
31:10création serait une théorie dans laquelle il serait possible de restaurer l'idée d'une intuition
31:20sans aucune relation, sans aucune liaison. Voilà, ce présent, cette présence est une présence sans
31:32relation. Je te lis là un texte toujours extrait de cette fois de la première introduction de
31:41la pensée et le mouvant. « Nous avons tant de peines à distinguer entre la succession dans la
31:52durée vraie et la juxtaposition dans le temps spécial, entre l'évolution et le déroulement,
31:57entre la nouveauté radicale et un réaménagement du préexistant qu'on ne saurait éclairer cette
32:05distinction par trop de côtés à la fois. Disons donc que dans la durée envisagée comme évolution
32:11créatrice, il y a création perpétuelle de possibilités et non pas seulement de réalité. »
32:16Et il ajoute « La métaphysique fut conduite à chercher la réalité des choses au-dessus du temps,
32:28par-delà ce qui se meut et ce qui change, en dehors par conséquent de ce que nos sens et
32:36notre conscience perçoivent. » Donc pour te répondre, cette métaphysique ancienne,
32:44cette métaphysique classique a cherché à rapporter le présent à quelque chose qui était déjà là,
32:58à quelque chose qui était déjà passé, et elle ne le fait pas seulement sur les phénomènes,
33:04elle ne le fait pas seulement sur ce qui est susceptible de succession,
33:10mais elle le fait aussi par exemple dans le domaine de la morale, en prétendant que par
33:15exemple le choix serait en réalité un choix de possibilités déjà existantes.
33:23Ce qui rejoint un peu les stoïciens à cet égard. On ne choisit que ce qui est déjà
33:34choisi comme une possibilité quand même.
33:40Oui, alors pour aller dans ton sens simplement, pour dire que si on ne choisit que ce qui est de
33:46l'ordre de la possibilité, on peut se poser la question de savoir si le choix est véritablement
33:51un choix libre. Je te renvoie de ce point de vue-là à la très belle analyse que Sartre fait
33:59dans l'Etre et le Néant de cela, dans une logique qui là pour le coup peut-être entrerait
34:07en concordance avec ce que dit Bergson, à savoir que la liberté ne précède pas le choix mais
34:17elle la suit, c'est-à-dire ce n'est pas parce que je suis libre que je choisis, c'est parce que
34:24je choisis que je suis libre, il n'y a pas d'autre liberté que celle de l'émergence précisément de
34:33cette décision initiale et cette décision initiale est une rupture, une rupture est une négation de
34:44tout ce qui est. Et d'autant que je choisis en situation. Est-ce qu'à cet égard de la
34:53situation, est-ce que ça n'agit pas comme une cause, un effet et que donc on retomberait chez
34:59Sartre dans quelque chose qui serait de l'ordre de la relation que contredit Bergson. On est dans
35:07la relation mais la situation, ne l'oublions pas, n'est rien sans la liberté qui lui donne son sens
35:15de relation, c'est-à-dire que je ne perçois la situation comme une série de conditions
35:24contraignantes que par le projet que j'ai de m'en libérer. Il n'y a pas de situation sans liberté,
35:34il n'y a de liberté que par ma situation. Autrement dit, la situation n'enferme pas
35:42ni le choix ni l'acte dans le cercle étroit des possibilités, la situation réclame d'abord
35:53le choix de la conscience de donner un sens à cette situation. Dès lors, je reviens parce que
36:00je suis vraiment un opiniâtre, et pardonne-moi, mais je reviens à l'idée que c'est dans l'usage
36:06de mon âme que je détermine effectivement la situation en tant que telle. C'est dans le bon
36:13usage que je fais de la représentation de la situation que je m'engage, que je suis dans
36:20l'engagement et de mon choix et de ma liberté, et que je les engage tous les deux. Oui, sauf que
36:26avoir une bonne représentation de mes choix de la situation peut s'entendre comme une manière de
36:38renoncer à en être l'auteur et admettre que cette situation m'échappe. Ou qu'elle était déjà
36:47écrite. Elle était déjà écrite ou elle m'échappe. Or Bergson, pas plus que Sartre, ne dirait cela,
36:53il ne dirait pas que je dois choisir dans le cadre d'une situation qui m'échappe. Sartre dirait
37:01la situation, quand je dis qu'elle m'échappe, c'est que je détermine le sens de la situation
37:10à partir du projet de ne pas la nier. Donc, je dis qu'elle m'échappe non pas parce qu'elle
37:21m'échappe objectivement, mais parce que j'ai le projet de me soumettre à la situation. C'est
37:28tout à fait différent. Merci à toi. Merci cher Antoine pour cette analyse des questions posées
37:42par Philippe Toucher sur la création, la nouveauté. Je remercie beaucoup également Jean-Luc
37:50Cafard qui a rendu possible la diffusion de ce programme sur notre chaîne Twitch et sur Dailymotion.
37:55Notre matinée sera donc disponible en vidéo et en podcast d'ici quelques jours. Merci pour
38:04l'intérêt que vous portez à nos initiatives pédagogiques en ligne et soyez toujours les
38:09bienvenus dans nos diffusions en différé. Merci beaucoup cher Philippe d'avoir accepté l'invitation,
38:15d'avoir proposé ton travail à nos partenaires des lycées français et francophones en Europe
38:22et ailleurs qui ne sont pas disponibles pour des raisons diverses et variées, un petit peu
38:28accidentelles et hasardeuses, ce matin. Mais ils nous attendent pour la diffusion en différé.
38:34Très bonne journée à tous et au plaisir de vous retrouver dans notre prochain programme.
38:39La date n'est pas encore tout à fait définie, sans doute le 9 janvier prochain.
39:09– Sous-titrage Société Radio-Canada

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