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Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie et auteur de "L'énigme algérienne. Chroniques d'une ambassade à Alger", répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
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Transcription
00:00Il est 7h12 sur Europe 1. Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driancourt.
00:07Bonjour Xavier Driancourt.
00:08Bonjour, Dimitri Pavlenko.
00:10La France va-t-elle laisser tomber Boilem Sansa ?
00:12Alors on va se poser très concrètement la question ce matin à la lumière du sort de l'écrivain franco-algérien.
00:1780 ans, il est en détention depuis une semaine en Algérie.
00:20On se rappelle, il avait été arrêté cinq jours plus tôt, le 16, à sa descente d'avion en provenance de Paris.
00:26Il est accusé d'atteinte à l'intégrité du territoire national algérien.
00:30C'est assimiler un acte de terrorisme dans le Code pénal algérien.
00:33Concrètement, il risque la prison à perpétuité, voire la peine de mort.
00:37Boilem Sansa, c'est votre ami Xavier Driancourt.
00:39Justement, vous dignez avec lui la veille de son arrestation.
00:42Est-ce qu'il craignait de se faire arrêter ?
00:44Non, non, pas du tout. Il était particulièrement joué, content.
00:49Bon, il n'était pas très heureux de retourner le lendemain à Alger parce que voilà...
00:56Il y allait pour régler ses affaires, c'est ça ?
00:58Non, il habite à Boumerdès en réalité et il fait des allers-retours.
01:01Il faisait des allers-retours sur Paris régulièrement, sur la France,
01:06où il venait faire des signatures de son dernier livre sur la langue française.
01:10Mais il n'était pas particulièrement inquiet, non.
01:12Est-ce que c'est courant en Algérie qu'on arrête des écrivains ?
01:16Ou est-ce qu'il faut voir derrière cette arrestation plus que ce qu'elle est ?
01:19Il y a plus que Boilem Sansa dans cette affaire.
01:21Il y a plusieurs choses. En réalité, l'Algérie adresse trois messages.
01:25Un message à Boilem Sansa, intellectuel, un message à la France, c'est-à-dire le Maroc, etc.
01:32Et puis dans le fond, un message plus subtil à tous les intellectuels algériens ou franco-algériens.
01:39Parce que ça veut dire concrètement...
01:41Voyez, Boilem Sansa, il avait demandé la nationalité française, il a eu la nationalité française.
01:46Vous voyez, ça ne sert à rien en réalité parce qu'en Algérie, vous êtes algériens et vous êtes à notre main.
01:54Est-ce que vous citez le Maroc ?
01:56On va revenir sur la réaction des autorités françaises et le fait d'être français, est-ce que ça vous protège ?
02:02Visiblement non, en tout cas quand on est en Algérie.
02:04Est-ce que vous voyez un lien clairement entre le réchauffement des relations de la France avec le Maroc et l'arrestation de Boilem Sansa ?
02:10En quoi, effectivement, la marocanité du Sahara occidental qu'a reconnu la France pourrait être la raison de l'arrestation de Boilem Sansa ?
02:17Bien sûr, il y a un lien, mais en plus cette arrestation s'inscrit dans une séquence de dégradation de la relation franco-algérienne.
02:26Il y a eu la lettre du Président de la République au roi du Maroc sur le Sahara, il y a eu la visite d'Etat au mois d'octobre au Maroc,
02:32et puis il y a eu le prix Goncourt attribué à Kamel Daoud, qui est un peu la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
02:40Pour son livre Ouris ?
02:41Pour son livre Ouris, sur la décennie noire, sur la guerre civile algérienne, qui par la force des choses place la guerre de libération,
02:49la guerre d'indépendance de l'Algérie, au second plan.
02:52Donc tout ça, voilà, Boilem Sansa qui a ensuite fait des déclarations sur le Sahara marocain, sur les frontières...
03:00Oui, parce qu'en fait il paierait, dit-on, des déclarations qu'il a faites à la revue Frontières,
03:06dont il est membre du comité d'experts de Frontières, vous aussi d'ailleurs Xavier Driancourt.
03:09Qu'est-ce qu'il dit de si grave, Boilem Sansa, dans cette revue ?
03:13Il dit en gros que le nord et l'ouest de l'Algérie appartenaient autrefois au Maroc,
03:20et que la France ne s'était pas attaquée à la colonisation du Maroc, parce que l'Algérie c'est un petit truc, dit-il,
03:29par rapport au Maroc qui n'a jamais été colonisé par les Ottomans, et l'Algérie c'était un Etat.
03:34Et qui était, dit-il, un vrai Etat. Le Maroc était un vrai Etat, l'Algérie n'en était pas un.
03:37Donc dire ça dans la bouche d'un Algérien, dans la bouche d'un intellectuel connu à l'étranger, en France,
03:43qui publie en France, qui écrit en français, voilà, Boilem Sansa lui-même, aux yeux des Algériens, avait franchi la ligne rouge.
03:51Alors, plusieurs prix Nobel de littérature ont demandé sa libération, des personnalités politiques de droite aussi,
03:57Édouard Philippe...
03:58Pas seulement de droite, pas seulement de droite...
04:01Cazeneuve, Bernard Cazeneuve, Manuel Mars, Arnaud Montebourg, qui est président de l'association France-Algérie.
04:09Mais les autorités officielles, il n'y a pas eu grand-chose. Je vous cite par exemple la ministre déléguée chargée des Français de l'étranger, Sophie Primas,
04:15elle a demandé mardi à l'Assemblée la plus grande discrétion sur le cas Boilem Sansa.
04:20Est-ce qu'on est en train d'enterrer Boilem Sansa à la tête de l'État, Xavier Driancourt ?
04:24Non, je pense qu'il doit y avoir des discussions, des échanges discrets, effectivement, sur la situation Boilem Sansa,
04:31parce que, encore une fois, il est français.
04:34Il est français en Algérie, mais aux yeux des Algériens, des autorités algériennes, il est algérien.
04:40Et donc, c'est ça toute la difficulté.
04:42Et puis, comme je le disais dans l'interview que vous citiez au point,
04:45vous savez, travailler en Algérie, être ambassadeur en Algérie, c'est extrêmement difficile, compliqué.
04:52On n'a pas accès comme ça, on ne peut pas aller à Boumerdès, chez Boilem Sansa, sans autorisation, sans escorte policière.
04:59Mais justement, parlez-nous du régime algérien d'aujourd'hui,
05:02ce régime qui incarcère donc l'un de ses écrivains les plus célèbres, mais pas seulement,
05:07il y a plus de 200 intellectuels, journalistes, artistes, hommes politiques, militaires...
05:13C'est quoi le régime algérien aujourd'hui, Xavier Driancourt ?
05:16Le régime algérien, depuis 2020, c'est un régime militaire, en réalité.
05:21Ce sont les militaires qui ont toujours été, d'abord depuis 1962, la colonne vertébrale du système,
05:27mais depuis 2020, ils sont très clairement à la manœuvre.
05:32Alors que sous Bouteflika, c'était le cas dans mon premier mandat en tant qu'ambassadeur,
05:37je dirais qu'il y avait des espaces de liberté, notamment pour les journalistes, pour la presse, pour les intellectuels.
05:42Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, la presse a été mise au pas.
05:45D'ailleurs, vous êtes considéré par l'Algérie comme, je cite, faisant partie du lobby anti-algérien,
05:51les algérophobes, Xavier Driancourt.
05:54Oui, c'est un terme assez fort, effectivement.
05:56Alors, comment vous le vivez, vous qui aimez l'Algérie, qui connaissez ce pays ?
06:00Exactement, moi je connais bien, et puis j'ai beaucoup d'amis algériens, j'aime l'Algérie,
06:04j'y ai passé presque 8 ans, donc je n'y serais pas retourné pour un deuxième mandat d'ambassadeur
06:09si je n'aimais pas l'Algérie, mais je reconnais, je crois que j'emploie la formule,
06:14ils finissent par décourager leurs amis.
06:17La politique de rapprochement avec l'Algérie que voulait Emmanuel Macron,
06:21vous pensez qu'il a tourné la page, le Président de la République ?
06:23Le choix du Maroc en juillet dernier montre que, très clairement,
06:28le pari qu'il avait fait de l'Algérie se transforme en déception.
06:32Merci beaucoup Xavier Driancourt d'être venu sur Europe 1,
06:35on pense ce matin à Boilem Sansalle,
06:37et je renvoie d'ailleurs les auditeurs que ça intéresse vers la lecture de votre livre,
06:41de 2022.
06:43L'énigme algérienne, chronique d'une ambassade à Alger,
06:47c'est paru aux éditions de l'Observatoire.
06:49Bonne journée à vous, merci à vous.

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