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Depuis 13 ans, il présente le journal de 20 heures de TF1, l'émission quotidienne la plus regardée en France. Gilles Bouleau raconte les coulisses de la fabrication d'un JT, sa vie pas comme les autres, mais aussi comment il vit le chaos de l'actualité ainsi que les interviews qui l'ont profondément

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Transcription
00:00Vous êtes un peu agressif comme journaliste.
00:02Pourquoi pensez-vous qu'une guerre approche ?
00:05Pourquoi essayez-vous de faire peur à tout le monde ?
00:08Parce que l'Ukraine n'est pas loin d'ici.
00:09Il a des yeux, il vous regarde, il vous fixe comme ça, il répond
00:12vous savez, cette question-là, les journalistes russes,
00:16ils ne me la posent pas.
00:17Pleine guerre Poutine, pas la peine de lire dix biographies.
00:19Je savais à qui j'avais affaire.
00:21Vous avez eu peur ?
00:23Bonjour, Gilles Boulot.
00:24Bonjour.
00:25Ça fait plus de 12 ans que vous présentez le 20h de TF1.
00:2813, si on compte l'année où vous étiez le joker de Laurence Ferrari.
00:31On va discuter un petit peu avec vous, de vous, de votre métier,
00:35présentateur du 20h.
00:36Et puis, moi, je suis un peu curieux.
00:38J'ai essayé de voir un peu ce qui se passe aussi quand la caméra est éteinte.
00:40Eh bien, on est deux si on est curieux.
00:43Je voudrais commencer par vous.
00:44Vous êtes levé à quelle heure, par exemple, ce matin ?
00:45Parce qu'on se dit le 20h, c'est le soir.
00:47Mais à quelle heure vous levez ?
00:48Il y a souvent des gens qui me disent à quelle heure vous arrivez ?
00:51Ou à quelle heure vous attaquez ?
00:52Je dis 7h et ils me disent 7h pour 8h.
00:54Non, non, non, non, pas 19h, 7h.
00:57Ben oui, évidemment, j'attaque à 7h.
00:58Je travaille de 7h à 8h30 chez moi très efficacement.
01:01Voilà, je suis ici, je lis de la presse que je n'ai pas eu le temps de lire.
01:04Je me rafraîchis de tout ce qui s'est passé entre minuit et le matin.
01:09Et puis après, arrivé au travail, on élabore le journal, on trouve les angles.
01:14Et après, la journée, elle est très codifiée.
01:16Je suis comme un petit garçon de 8 ans, en fait.
01:18Vous avez vos routines, quoi.
01:19Dans le chaos de l'information, si vous n'avez pas des repères
01:22et des obligations que vous vous fixez, vous explosez en vol.
01:25C'est un métier de...
01:27Ce n'est pas un métier de moine, c'est un métier de discipline.
01:31Ça vous arrive de sortir le soir, de faire la fête ?
01:33Non, c'est impossible en semaine.
01:34Enfin, moi, je n'en suis pas physiquement capable.
01:36D'autres ont peut-être des dons que je n'ai pas.
01:37Non, je ne sais pas faire ça, non.
01:39Est-ce que ça veut dire que votre vie se résume à votre boulot ?
01:42Non, mais ce travail m'a toujours passionné.
01:45J'ai toujours voulu être journaliste, aussi loin que je me souvienne.
01:47À 8 ans, j'horripilais mes parents.
01:50Je passais mon temps à poser des questions.
01:51Je voulais comprendre, comprendre, comprendre.
01:53Je voulais quitter le lieu où j'habitais.
01:56Je voulais découvrir le monde.
01:58Et donc, je suis le plus heureux des hommes.
02:00Je fais le métier que je voulais faire quand j'étais un gamin.
02:02Mais le fait de travailler autant,
02:04parce que manifestement, quand on voit le volume horaire de votre travail,
02:07vous travaillez beaucoup.
02:08Est-ce qu'il n'y a pas le risque, les cueils, de se couper des gens ?
02:11C'est-à-dire qu'en fait, vous ne voyez plus les gens puisque vous travaillez.
02:13Est-ce que vous les voyez, les gens ?
02:14Est-ce que vous faites vos courses, par exemple ?
02:15Ah oui, je fais mes courses, je prends le métro.
02:18Je prends... Oui, je suis...
02:19Les gens ne me voient pas.
02:20Les gens vous parlent quand vous faites vos courses ?
02:21Oui, bien sûr, ils me reconnaissent.
02:23Alors, quelquefois, ils m'engueulent en me disant
02:27« Oh, la gile ! J'aime bien votre journal, mais on a pris cher il y a deux jours.
02:31Je leur ai annoncé une inondation, une hausse des prix de l'électricité,
02:35une catastrophe, une guerre civile, un fait d'hiver atroce. »
02:39Et à mon boulanger, souvent, je réponds,
02:44j'essaie de me faire pardonner vers 20h20, 20h25,
02:46en mettant des sujets qui nous récompensent,
02:49qui nous montrent la beauté du monde, la bonté des hommes,
02:53toutes choses que je n'ai pas dites dans les 20 premières minutes du journal.
02:56C'est quelqu'un qui me disait ça, qui fait des études,
02:58que c'est finalement un programme familial.
03:02C'est-à-dire que les gens sont assis avec des enfants,
03:04jeunes, 9 ans, 10 ans, 11 ans,
03:06et quelquefois, je réfléchis, j'ai un examen de conscience
03:08et je me dis quand même, c'est dur d'infliger ça.
03:11La guerre, la révolution, les catastrophes, c'est la vie.
03:16Est-ce que vous, vous arrivez à vous protéger ?
03:19Annoncer des mauvaises nouvelles tous les jours,
03:20ce n'est pas forcément agréable.
03:22Est-ce que parfois, ça vous pèse ?
03:24Alors, pendant longtemps, je me suis dit qu'il fallait que ça glisse
03:27comme sur les plumes du canard.
03:28Est arrivé le Covid 2020,
03:31et là, en fait, j'ai eu un moment un peu de schizophrénie,
03:34c'est-à-dire que ce dont je parlais était ce qui était en train de m'arriver à moi.
03:39Il y avait des bâches, ATF1, tout était vide.
03:43Il y avait deux informaticiens, trois pompiers,
03:45des gens de la rédaction, pas tous, certains étaient à distance.
03:48Dans cette grande tour, on s'est dit, mais on est où ?
03:51On parle de quoi ? En fait, on parlait de nous.
03:52On faisait des journaux qui faisaient 50 minutes,
03:54que 9, 10, 11 millions de Français regardaient.
03:57Enfin, c'était fou.
03:58Et donc, oui, ça m'a...
04:00Et puis, les guerres, les catastrophes m'affectent.
04:04Les images qu'on diffuse me touchent.
04:07Je pense malgré tout que pour être un bon médecin,
04:10il faut avoir de l'empathie avec ses patients
04:12et une saine distance malgré tout,
04:16pour bien imposer un diagnostic et bien guérir ses patients.
04:19Et pour être un bon journaliste, je pense qu'il faut de l'empathie.
04:23Mais vous allez vous effondrer si à chaque catastrophe,
04:27à chaque dysfonctionnement, à chaque révolte, à chaque guerre,
04:32vous prenez tout, tout, tout pour vous.
04:35Et ça, c'est quelque chose que vous avez en vous
04:36ou c'est quelque chose que vous avez appris avec le temps,
04:39à force de présenter le 20h tous les jours pendant 12, 13 ans ?
04:43Mais ça m'affectait trop, ça me touchait trop.
04:45Quand vous avez la gorge nouée en voyant les horreurs en Syrie
04:50il y a quelques années, quand vous voyez les choses atroces
04:53qui se passent dans le monde, vous vous dites,
04:55mais en fait, c'est ça la nature humaine ?
04:57Ça fait 15 minutes que je suis en train de parler de choses atroces.
05:00Il n'y a personne pour racheter la condition humaine.
05:03Et donc, forcément, ça m'affecte.
05:07Je sais ce que j'inflige au téléspectateur.
05:09Ce que j'inflige au téléspectateur, c'est la nature humaine.
05:13Et elle est parfois extrêmement sombre.
05:16Et parfois, on fait des portraits, des rencontres
05:18qui nous redonnent la foi, la foi dans l'homme.
05:22Ça, c'est la gestion des émotions.
05:23Mais il y a quelque chose qui est un peu lié, c'est la gestion du stress.
05:26C'est-à-dire que vous, tous les jours, à 20h,
05:28boum, ça commence, vous ne pouvez pas être ailleurs, c'est parti.
05:32Il y a des pains techniques, j'imagine, régulièrement, voire quotidiennement.
05:35Hier soir, c'est le prompteur.
05:36Ah, comment c'est passé alors ?
05:38Comme dans ma sorcière bien-aimée, il est parti, le prompteur.
05:42Au lieu d'avoir un texte, il y avait un blanc.
05:44Et donc, j'ai toujours un bristol, j'ai toujours mes bristols.
05:47Et donc, voilà, je suis passé en mode nominal, en mode dégradé.
05:51Qu'est-ce qu'on sent à ce moment-là ?
05:53Ça dépend.
05:54Non, non, si on sait 20 secondes avant qu'il n'y a plus de prompteur,
05:57qu'il y a une panne, vous vous y préparez.
05:59Le pire, ça arrive, parce que c'est quand même une technique assez compliquée et fragile,
06:03c'est que ça vous explose comme ça au milieu d'une phrase.
06:07Pire encore, que ce ne soit pas la bonne phrase.
06:08Hier soir, on vous l'a dit à l'oreillette ?
06:10Non, non, j'ai vu, j'avais un long lancement à faire,
06:13un lancement assez compliqué avec changement de caméra,
06:16une fresque qui était derrière moi, un magnifique reportage sur les États-Unis.
06:19Bof !
06:20Le prompteur se transforme en grande mare blanche, sans texte.
06:24Donc voilà, il faut se débrouiller.
06:28Il y a très très longtemps, je faisais des journaux sur LCI, c'était…
06:32– Il vous apportait la matinale, oui.
06:33– Voilà, c'était d'une assez grande fragilité.
06:35Donc voilà, ça ne marche pas, ça ne marche pas.
06:37Je suis là pour faire en sorte que tout se passe bien,
06:40même s'il y a des petits problèmes techniques, c'est normal.
06:42Ça, ça fait partie de mon job.
06:44– Et le stress quand même ?
06:45Outre la gestion des problèmes techniques, est-ce que vous êtes stressé ?
06:48– Oui.
06:49– Est-ce que vous gérez le stress mieux qu'avant ?
06:51Comment ça se passe, ça ?
06:52– En fait, on parlait de la fatigue et de la condition tout à l'heure.
06:55Et parfois, les journées sont longues,
06:57et je me suis beaucoup trompé au début des premières années.
07:01J'arrivais à 20 heures, j'étais épuisé.
07:03J'avais pas compris qu'en fait, une partie importante de mon job,
07:06c'était de me tenir, d'avoir l'esprit frais de 20h à 20h50.
07:12J'arrivais à rincer à force d'avoir écrit, réécrit, visionné, etc.
07:17Et j'arrivais, j'étais une serpillère.
07:20Et donc, j'ai beaucoup travaillé sur moi,
07:23et j'essaie d'arriver avec de la fraîcheur d'esprit à 20h,
07:27alors que c'est le bout de ma journée.
07:28Je suis un artisan, et au bout de la journée, je suis un peu rincé.
07:32Et donc, j'essaie de faire ça.
07:33Et puis parfois, pour une raison que vous ne savez pas,
07:36vous avez l'esprit troublé, un point de mécontentement, de contrariété.
07:43Vous êtes assailli par ça, vous arrivez du mal à être concentré.
07:47Et ce soir-là, vous bafouillez, votre interview est moins bonne,
07:51vous êtes moins pertinent, l'évidence devient moins évidente,
07:55vous oubliez un chiffre.
07:57Après, on fait son examen de conscience, mais il est trop tard.
08:00Non, mais c'est physiquement et nerveusement un métier assez difficile.
08:06C'est vrai, je ne dis pas ça pour me faire plaindre,
08:08mais parmi les qualités requises, il y a celle-là.
08:11– Ça inclut aussi la nourriture ?
08:12Vous faites gaffe à ce que vous mangez ?
08:13– Oui, oui, je ne suis pas un ayatollah du brocoli.
08:19Non, je fais attention quand même.
08:22– Vous présentez l'information, mais comment vous, vous vous informez ?
08:26– Alors moi, je pense que ceux qui vous regardent et qui me regardent vont hurler,
08:31je suis très old school.
08:33C'est-à-dire que pour moi, les sources primaires d'informations,
08:35c'est des sources d'informations qui elles-mêmes ont été produites
08:39par des professionnels de l'information.
08:41Donc, s'il y a une vidéo d'une voiture qui est emportée par les flots
08:45parce qu'il y a eu une inondation, ce n'est pas un journaliste qui l'a filmée,
08:48c'est de vraie information, sauf si elle a été truquée, mais c'est autre chose.
08:51En revanche, sur une analyse politique, économique, sportive,
08:56je lis, je lis plus que je ne regarde.
09:00Je lis les journaux plus que je ne regarde la télévision.
09:03Je suis un moins grand téléspectateur aujourd'hui
09:06que je n'étais il y a 10 ans, 20 ans, 30 ans.
09:07J'ai énormément regardé la télé, moins maintenant.
09:10Les journées donc 24 heures et les journées de travail sont très longues
09:14et donc je reconnais que s'informer de manière concentrée, dans le silence,
09:18en lisant un papier, un article qui a été écrit dans les règles de l'art
09:22par un journaliste qui sur tel ou tel point en sait infiniment plus que moi,
09:26c'est du temps bien employé.
09:28– Par exemple, on parlait tout à l'heure de votre matinée,
09:30vous vous levez à 7 heures, vous prenez un petit déjeuner,
09:33et vous faites quoi ? Vous lisez la presse en écoutant la radio ?
09:35Comment ça se passe précisément ? Quel média ?
09:37– J'écoute les radios, j'ai un zapping très régulier sur les radios,
09:42sur les diverses radios.
09:43– Lesquelles ?
09:44– Je fais du France Inter, du France Info, du Europe, du RTL, BBC4,
09:49je regarde un peu les chaînes infos, je regarde un peu la BBC, CNN,
09:55en fonction de l'info, si je suis à trois jours d'une élection présidentielle
09:59aux États-Unis, c'est mes premières amours en plus.
10:02– Bien sûr, vous êtes correspondant à Washington à Londres.
10:04– Voilà, pendant longtemps, donc je vais plutôt regarder la télé américaine,
10:06s'il se passe quelque chose en Angleterre,
10:09je vais regarder plutôt la télé britannique.
10:10Donc je me nourris et puis je suis quelqu'un de très très haute technologie,
10:15c'est-à-dire que j'emploie un carnet à spirale.
10:17Donc j'ai un carnet à spirale, j'ai un stylo bille que je trimballe absolument partout,
10:21tout le monde se moque de moi, et je marque jeudi 10 octobre par exemple,
10:26et là je note, sans rime ni raison, je note les chiffres,
10:31c'est des antisèches, des chiffres, des stimuli, un point d'exclamation,
10:34ça veut dire tiens, creuse cette piste-là, et donc voilà,
10:37et je les garde, j'en ai une armoire entière qui n'a ni queue ni tête,
10:41mais ça m'évite de m'encombrer la mémoire en me disant tiens, pense à ça.
10:45– Dans quelle mesure les gens influent sur le contenu du 20h ?
10:48Est-ce qu'il y a des discussions que vous avez eues avec des gens que vous croisez,
10:50ou des amis, je ne sais pas, et où vous vous êtes dit ah tiens, il y a un sujet ?
10:54Ou est-ce que c'est purement à travers les autres médias ?
10:57– Discuter avec les gens, en fait c'est la source de vérité,
11:01parce que la plupart du temps, quand vous allez interroger les gens avec une caméra,
11:06j'espère que je fais exception aujourd'hui,
11:09c'est horrible à dire mais ils vont vous vendre quelque chose,
11:12une revendication, une plainte, un objet de fierté,
11:18ils ne vont pas forcément être dans la sincérité.
11:20Vous discutez demain avec un plombier
11:21qui vous parle du problème d'embauche des alternants,
11:26vous discutez avec un chef d'entreprise,
11:28vous discutez avec la femme qui fait le ménage dans le bureau,
11:32vous dites ah ouais, d'accord, vous gagnez combien ?
11:36Vous mettez combien de temps en RER pour venir le matin ?
11:38Aucun homme politique ne me dit ça, donc c'est indispensable.
11:41Et donc comme j'ai fait ça pendant 25 ans,
11:43pendant 25 ans j'étais reporter partout dans le monde,
11:46mon métier c'était de recueillir la parole des gens,
11:48la parole vraie, la parole ressentie, subjectif, étayée par les faits,
11:52qu'importe, l'humanité, me frotter à l'humanité, et ça c'est formidable,
11:55et donc je n'ai pas perdu ça.
11:56Et donc il y a à la fois l'approche livresque,
11:59que dit un article, que dit la conférence de presse du chef de l'État de telle personne,
12:03et puis il y a ce que vous dites,
12:06discuter avec un conducteur de car, avec mon boulanger,
12:11ça c'est très important, on en apprend beaucoup.
12:13– Mais est-ce qu'on peut encore le faire quand on est Gilles Boulot et qu'on est connu ?
12:16En fait vous êtes connu, les gens vous parlent de manière différente.
12:18– Mais je n'ai aucun pouvoir sur eux, si j'étais leur député, leur maire,
12:21leur président, leur représentant syndical,
12:23pardon d'être familier mais ils me vendraient leurs trucs,
12:26mais que voulez-vous que je… je ne peux rien pour eux,
12:29je ne peux rien pour eux, je ne vais pas leur trouver une place
12:32dans une grande école pour leur enfant,
12:34je ne vais pas leur avoir une augmentation de salaire,
12:36donc il y a un langage de vérité.
12:38– Je comprends un peu la théorie et j'entends ce que vous dites,
12:40je vous crois sincère, mais malgré tout, la célébrité que vous avez acquise,
12:44parce que les gens vous voient tous les jours à 20h,
12:47est-ce que ça n'a pas changé quand même votre rapport aux gens ?
12:50Peut-être pas de votre faute,
12:51mais eux ils ont changé leur regard par rapport à vous sans doute ?
12:54– D'abord je ne suis pas sûr que le mot célébrité soit le bon mot.
12:57Un chanteur, un écrivain, un comédien, il est célèbre pour ce qu'il fait.
13:04Un homme politique, il est connu pour ce qu'il fait aussi.
13:10Quand vous êtes dans le salon des gens,
13:13et que vous êtes le vecteur, le facilitateur de l'actualité,
13:17célèbre ce n'est pas le mot, vous êtes… il y a une familiarité.
13:23Jean-Pierre Pernaut, que j'ai adoré,
13:26il avait, avec les millions de gens qui l'ont regardé pendant des années,
13:31une familiarité, pas célébrité.
13:33Et donc la familiarité ça va, ça vient, ça s'arrête un jour,
13:37mais je ne suis pas comme un chanteur et je ne suis pas Brad Pitt.
13:41– Vous êtes présentateur du 20h, mais les gens ne le savent peut-être pas,
13:44mais vous êtes aussi rédacteur en chef du 20h,
13:45alors vous n'êtes pas seul, mais vous n'êtes pas qu'à dire les lancements.
13:50– Ah non, je ne suis pas speaker, si c'est le sens de votre question.
13:53– Et les gens ne le savent pas forcément.
13:54– C'est quoi les questions qu'on se pose quand on est rédacteur en chef du 20h ?
13:59Comment on dit, tiens on va mettre ça d'abord,
14:01ouvrir avec ça, conclure avec ça, c'est quoi les questions qu'on se pose ?
14:04– On a trois heures devant nous ou pas ?
14:06– Un peu moins.
14:07– D'abord, comme les mousquetaires, on est quatre,
14:10il y a trois rédacteurs en chef et rédacteurs en chef adjoints et moi,
14:13et on est dans la gamberge et dans l'opposition de l'argument et du contre-argument
14:19toute la journée, jusque c'est y compris pendant le journal.
14:21Hier soir, on a inversé des séquences entières à 20h08 en disant,
14:26je pense que ça pèse moins, c'est un drôle de langage ce que je vous dis, ça pèse moins.
14:30En fait, ça veut dire qu'il n'y a pas de règles d'airain,
14:34il n'y a pas de règles mathématiques sur comment on va construire un journal.
14:37La question qui se pose, c'est aujourd'hui, nous sommes jeudi,
14:40qu'est-ce qui est important ?
14:41Qu'est-ce qui s'est passé dans les 23 dernières heures ?
14:44Qu'est-ce qui va se passer à partir de demain ?
14:46Et donc déjà, il faut avoir une vision claire de,
14:48pardon, j'enfonce une porte ouverte, à quelle heure est le journal ?
14:52Il est à 20h.
14:53Donc 20h, déjà dans le biorythme de téléspectateurs,
14:55vous projetez vers le lendemain.
14:57Donc vous n'êtes pas la voiture-balai de ce qui s'est passé dans la journée.
15:00C'est, qu'est-ce qui va prospérer le lendemain ?
15:03Qu'est-ce qui va se passer ?
15:06Et après, va se poser l'excellente question que vous posez qui est la hiérarchie.
15:10Par quoi un honnête homme a-t-il envie de commencer le journal ?
15:16J'essaie d'être dans cette situation-là.
15:18En quoi ?
15:19J'essaie de ne pas tordre l'actualité avec ce qui serait ma marotte,
15:23ma crainte ou mon envie secrète de promouvoir tel ou tel parti politique.
15:29Question qu'on me pose souvent.
15:30Et donc, en toute honnêteté intellectuelle et souvent en désaccord
15:34ô combien amical avec mes rédacteurs en chef, avec mon patron Thierry Tuilier,
15:38on passe notre journée à ça.
15:39On passe notre journée.
15:40– Vous venez hier soir à 20h08, on change, qui c'est qui tranche ?
15:44– Mon rédacteur en chef, moi, le chef d'édition, le satellite qui marche plus.
15:50La technique tranche parfois.
15:51– Mais si on est quatre, il y a bien un moment donné quelqu'un qui doit trancher.
15:54C'est vous qui…
15:56– Non, il n'y a jamais d'argument d'autorité.
15:58Je suis le chef, on fait ça.
15:59Moi, je ne fonctionne pas comme ça parce qu'on n'est pas dans un tableau Excel
16:04avec une vérité révélée.
16:05Je ne suis pas en train de dire, les gars, deux et deux font quatre,
16:08donc je vais dire quatre.
16:09C'est, il y a dans l'élaboration de journal télévisé,
16:14quelque chose qui tient de l'évidence, de la profondeur, du recul,
16:21de ce qu'on sait du monde et, j'ose le dire, un peu du feeling.
16:27– Il y a un mot que vous avez employé dans notre discussion, c'est le mot évidence.
16:30Moi, je me méfie de ce mot, parce que l'évidence, ce n'est pas évident.
16:33Par exemple, dans la structure d'un journal télé,
16:36on va dire, on va d'abord parler du national, après l'international
16:39et puis la culture, ça sera à la fin avec le sport.
16:41Pourquoi ? Pourquoi on ne parle pas du sport d'abord ou de la culture ?
16:44Pourquoi il y aurait des raisons comme ça ?
16:46– D'abord, dans notre journal, ce n'est pas forcément comme ça que ça se passe.
16:51Je pense que le jour où Michel Blanc meurt, c'est le bien au-delà de la culture.
16:55– C'est vrai, c'est une exception.
16:57– Non, parce que souvent, quand un artiste ou un sportif fait quelque chose,
17:02je ne lui souhaite pas de mourir, à chaque fois, je suis dans les couloirs,
17:05je cours en me disant, arrêtez, ce n'est pas du sport.
17:08Vous voyez, le jour où Raphaël Nadal annonce sa retraite, ça n'est pas du sport.
17:14Évidemment, je vénère Raphaël Nadal, mais ça n'est pas du sport, ça dit quelque chose.
17:19Donc voilà, c'est dans le champ commun de l'actualité.
17:22Et donc, s'il faut ouvrir avec Raphaël Nadal, on ouvre avec Raphaël Nadal.
17:25– Mais est-ce que votre questionnement, c'est qu'est-ce qui va intéresser les gens ?
17:28Ou est-ce que votre questionnement, c'est qu'est-ce que j'aimerais que les gens s'intéressent ?
17:32Est-ce que finalement, vous êtes la poule et l'œuf, sans doute ?
17:35– Non, non, non, c'est une question centrale.
17:38C'est, en quoi allons-nous pouvoir éclairer les gens dans ce fatras,
17:44dans cette jungle de stimuli, de push sur les téléphones portables ?
17:48Waouh ! Il est 20h, on va se poser un peu, on va prendre un tout petit peu de recul,
17:52et on va essayer d'expliquer à nos téléspectateurs ce qui est important et ce qui ne l'est pas.
17:58Déjà, le premier tri, c'est ce qu'on ne met pas dans le journal.
18:00On a 17 sujets, 16, 15, 17, je n'ai pas fait le compte précisément.
18:05Ça ne dure que 40 minutes, c'est long 40 minutes.
18:07Mais il y a des centaines de sujets qu'en un jour donné, nous ne traitons pas.
18:12Donc déjà, c'est un premier tri.
18:13Après, il y a la taille respective des sujets et il y a leur ordre.
18:17Tout ça pour répondre à votre question qui est, secrètement,
18:22le prof d'histoire géo frustré que je suis a envie de parler jusqu'aux dernières élèves en disant
18:28si, si, la troisième croisade, c'est intéressant, le débarquement, c'est intéressant,
18:33et les débuts de la cinquième république, c'est intéressant.
18:35J'ai envie que les gens soient passionnés par l'actualité.
18:40– Alors, on a parlé de votre métier de présentateur, votre métier de rédacteur en chef,
18:42vous êtes aussi interjouveur qui a un métier en soi quelque part.
18:45Dans nos 20 heures, vous interviewez des gens.
18:48C'est quoi pour vous une bonne interview ?
18:51– Une bonne interview, pour dire les choses brièvement,
18:56c'est une interview qui va apprendre quelque chose aux téléspectateurs.
19:01Je ne suis pas boxeur, je ne suis pas l'adversaire,
19:04ni le faire-valoir de l'homme politique ou de tel ou tel responsable.
19:10Je suis journaliste et je pose des questions au nom des téléspectateurs.
19:15Et donc, je ne vais pas jargonner, je ne vais pas faire,
19:18pour ce qui est de la politique, tourner autour du truc et faire de la politique petit bras.
19:23J'essaie d'éclairer et de prendre de la hauteur,
19:26et à chaque fois d'instiller des enjeux concrets dans une interview.
19:31Et donc, ça marche, quelquefois ça ne marche pas,
19:34quelquefois c'est moi qui ne suis pas bon parce que je n'écoute pas assez.
19:37– Par exemple, vous avez un exemple d'un moment où vous n'avez pas été bon ?
19:40– Oh oui, oui, mais j'allais m'excuser, j'allais présenter mes excuses.
19:43Quand je ne suis pas bon, c'est parfois de ma faute,
19:46parfois parce que pour danser le tango, il faut être deux,
19:49et celui, le comédien, le chanteur, l'homme politique, l'actrice,
19:54lui-même n'est pas généreux,
19:55ou il est arrivé avec des éléments de langage affreux,
19:58avec des bristols multicolores donnés par ses conseillers,
20:00et vous pouvez y aller à coup de masse, il ne se passera rien.
20:02– Est-ce qu'on vous parle beaucoup dans l'oreillette ?
20:04– Alors, dans le journal, pas tant que ça.
20:07Dans l'interview, ouais, je suis assez souvent avec mon rédacteur en chef,
20:13et on… comme ça, mais il y a juste un truc.
20:16– Il ne vous dit pas, par exemple ?
20:17– Ben, c'est très simple, je vais donner mes secrets de fabrication,
20:20je fais beaucoup trop de questions pour le temps qu'ils mettent en partie.
20:24J'arrive à 27 questions, sachant qu'il faut une minute par question,
20:27c'est totalement irré… je m'en fous.
20:30Je le fais quand même parce que la question numéro 9B,
20:33je trouve qu'elle est intéressante,
20:34et donc si l'autre ne se pose pas là… et je les numérote.
20:38Je n'ai pas le temps de faire de la philosophie pendant le journal.
20:40Et donc, quelquefois, je vais passer de la 8 à la 13,
20:43parce qu'en fait, celles qui sont entre celles-là,
20:46l'homme politique, il a déjà répondu à ça.
20:49Et donc, oui, il y a ça, et puis il y a des interviews incroyables,
20:52où vous préparez plein de questions, et en fait, il n'y a plus de questions.
20:56Et un jour, je reçois un coup de fil, je peux le dire puisque c'est publié,
21:01de Florent Pagny, et il me dit,
21:03« Gilles, tu m'inviterais ce soir dans le 20h ? »
21:08« Oui, on va parler de quoi ? »
21:11Il me dit, « Tu verras ».
21:14Bon, donc, il vient dans le journal de 20h, j'avais préparé des questions.
21:18– C'est un risque, quand même ?
21:19– Non, non, parce que c'est quelqu'un qui ne me sollicite pas,
21:25qui ne me harcèle pas tous les jours pour vendre je ne sais quoi.
21:27Pas du tout, du tout, du tout.
21:29C'est pour ça que j'ai pris son appel au sérieux,
21:30et qu'il y a eu un accord parmi nous tous.
21:33Et l'interview, j'avais prévu des questions.
21:35– Comment ça se passe ?
21:36– En fait, je n'ai posé qu'une question,
21:38qui était une question totalement neuneue, qui est,
21:40« Bonsoir Florent Pagny, comment allez-vous ? »
21:43Et l'interview était, je trouve, formidable, et je n'ai rien fait.
21:48– Pour qu'on comprenne, de quoi a-t-il parlé ?
21:50– Il a parlé de sa santé, il avait eu des soucis de santé,
21:53et je n'ai pas osé l'interrompre.
21:55– Il y en a d'autres qui se passent moins bien.
21:57Éric Zemmour, par exemple, même à l'antenne, il vous dit,
22:00c'était à la dernière campagne présidentielle,
22:02il dit « Vous n'avez même pas posé des questions sur mon programme ».
22:04– Le hors-antenne était un peu plus violent.
22:06– Oui, il parait que vous vous êtes traité de connard.
22:08– Ça arrive, ça arrive, mais après, là encore, on peut en parler longtemps,
22:12mais je ne veux pas me tromper de rôle,
22:15je ne suis pas l'adversaire politique
22:17ou le complice politique de telle ou telle personne.
22:20Dans cette interview, comme dans d'autres interviews,
22:22le responsable politique, souvent ce sont des gens très intelligents,
22:26dans un écosystème très violent, donc ils arrivent avec une stratégie.
22:30La stratégie de certains responsables politiques peut être
22:32de faire de vous un adversaire.
22:35Il va vous dire, de toute façon, vous, tous les journalistes,
22:37on le sait, vous êtes tous de gauche, vous êtes tous de droite,
22:39vous êtes tous contre moi, calmez-vous, je ne suis rien de tout ça, je suis là.
22:43Donc, ils vont vous mettre sur un terrain qui n'est pas le mien.
22:47Je ne suis pas l'adversaire du chef de l'État,
22:51du responsable de l'opposition, de M. X ou de Mme Y.
22:54Je suis là pour éclairer les téléspectateurs,
22:55mais j'ai bien compris leur stratégie, je ne suis pas…
22:57– Il y a un moment, dans cette interview politique,
23:00où vous avez appris quelque chose, où vous vous êtes dit,
23:03là, je comprends quelque chose que je ne comprenais pas avant,
23:06sur la façon d'interviewer un politique.
23:08– Oui, mais c'est aussi en discutant avec des copains journalistes.
23:12En fait, au tout début, parce que, comme je vous le disais,
23:14moi, pendant 25 ans, j'ai interviewé des gens normaux, anonymes.
23:19Ce n'est pas facile de faire de la maïotique,
23:21de faire en sorte que les gens parlent bien.
23:24Et là, en politique, je me suis bagné d'un dernier puits,
23:26donc je savais qu'ils arrivaient avec des éléments de langage,
23:28ils révisent leurs antisèches, ils sont comme ça,
23:30ils disent, il faut absolument que je place telle ou telle phrase.
23:33Mais j'ai appris qu'il fallait des plaints et des déliés dans une interview.
23:40Il ne faut pas, on n'est pas là pour aller à la bagarre,
23:42on n'est pas là pour laisser trop longtemps l'interviewé parler non plus.
23:46Donc c'est un problème de syntaxe.
23:47Et quand on me dit, question que vous ne m'avez pas posée,
23:49mais que plein de copains me posent,
23:52c'est qui qui est le plus dur à interviewer ?
23:55En fait, tout le monde est dur à interviewer
23:57en fonction de la syntaxe de la personne.
23:58Vous avez des responsables politiques qui ont une syntaxe très lâche,
24:01donc hop, hop, hop, vous pouvez vous mettre entre un sujet et un verbe en complément,
24:05ils l'interrompent, mais il ne faut pas trop l'interrompre.
24:07Vous en avez d'autres qui sont plus des plaideurs,
24:10et donc qu'on ne peut pas interrompre.
24:13Ce n'est pas non plus une bonne interview.
24:15– Je m'interromps ? – Et voilà.
24:16– Est-ce que vous les voyez en dehors des politiques ?
24:19Est-ce que vous ne dînez que des politiques ?
24:21– Je n'ai jamais dîné de ma vie avec un politique.
24:23– Jamais ? – Je ne tutoie aucun politique.
24:25Et je déjeune de temps en temps avec des politiques,
24:29pratiquement jamais seul, avec le responsable du service politique ici,
24:33avec le directeur de l'info, avec mon patron, avec tout le reste.
24:37– À quoi ça sert de déjeuner ?
24:38– Ah c'est intéressant, d'abord moi je ne les connais pas, je ne les pratique pas,
24:40je ne suis pas journaliste politique.
24:42Donc je me posais la même question que vous,
24:44mais à quoi ça sert de manger une salade avec un politique ?
24:49Et en fait c'est intéressant, précisément parce qu'il n'y a pas de micro,
24:52et donc vous pouvez poser des questions, je pose des questions, j'écoute,
24:57je dis tiens, je ne suis pas du tout d'accord avec ce qu'elle dit,
25:00mais elle a bien bossé, elle a beaucoup bossé ce dossier.
25:03Ce dossier du logement, de l'aide sociale, de que sais-je.
25:06Et franchement je trouve qu'en une heure, en étant petite souris,
25:09pas forcément en posant des questions, mais on comprend des choses.
25:12Et donc j'ai pu nourrir une certaine estime intellectuelle
25:16pour tel ou tel responsable politique, juste en regardant,
25:19tiens, sur ce point je suis vraiment en désaccord, mais c'est intéressant.
25:22– Mais en 12 ans, donc vous avez déjeuné, j'imagine,
25:24avec tous les principaux dirigeants politiques ?
25:26– Oui, pas tous, mais certains, oui, oui, certains.
25:28– Il n'y a pas l'écueil quand même,
25:29là les gens ils vont regarder cette vidéo, ils vont se dire,
25:32le journaliste il fait partie du pouvoir,
25:33ce n'est pas un contre-pouvoir, ils sont de mèche.
25:35– Pas du tout, je ne les connais pas, je ne pratique pas les hommes politiques,
25:38je n'ai pas leur téléphone portable pour la plupart,
25:40je ne les appelle pas, je ne les tutoie pas,
25:41je ne pars pas en week-end avec eux, et ce ne sont pas des pestiférés.
25:45Mais c'est exactement pour éviter cet obstacle-là,
25:49comment dire, je ne veux rien leur devoir.
25:51Et la grande réussite, je trouve, de notre journal ETF1,
25:55c'est que les politiques de tous bords viennent sans se dire
25:59qu'ils vont venir dans un piège, avec une hostilité préconstruite,
26:05ils viennent, et parfois c'est chaud, parfois c'est chaud,
26:08mais voilà, c'est la vie, c'est la vie.
26:10Et donc, j'essaie de me tenir à écuille-distance,
26:13je ne suis nulle part, je ne suis pas de leur monde.
26:15Ils le savent et c'est très bien.
26:16– Est-ce qu'il n'y a pas des pressions, pas forcément des hommes politiques,
26:19mais aussi par exemple TF1, c'est Martin Bouygues qui possède TF1,
26:23si vous interviewez quelqu'un, un ministre par exemple,
26:26qui va intervenir dans le cadre des fréquences 5G,
26:29est-ce que vous avez un appel ?
26:30Est-ce que Bouygues vous appelle ?
26:31Est-ce que vous avez des pressions économiques, économico-politiques ?
26:35– Je vais vous faire une confidence, mais je l'ai déjà faite.
26:37Quand je suis revenu des États-Unis en 2011 et que,
26:40quelques temps après, j'étais choisi pour faire le journal de 20h,
26:44on m'a dit, rendez-vous est pris avec Martin Bouygues.
26:47Je suis allé voir Martin Bouygues dans son bureau, que je ne connaissais pas,
26:51on a discuté quelques minutes, c'était très agréable,
26:54et avant de partir, il m'a regardé dans les yeux et il m'a dit,
26:58Gilles, je ne vous appellerai jamais, je ne vous enverrai jamais de messages,
27:03je ne vous demanderai jamais rien.
27:06C'était à l'été 2012, nous sommes à l'automne 2024,
27:11il a tenu parole, jamais, sauf une fois où des venus nous encourager
27:16au lendemain des attentats de novembre 2015.
27:18Il a passé la journée dans la rédaction.
27:21Qui peut demander mieux que ça ?
27:22Et donc je n'ai jamais eu de pression, une œillade,
27:28j'ai, et la rédaction a une liberté qui est juste incroyable,
27:32qui moi me rend très heureux, je ne pourrais pas vivre sans.
27:35– Des fois il n'y a pas besoin de pression, des fois c'est l'auto-censure.
27:37Est-ce que vous êtes déjà auto-censuré en vous disant, sans qu'on vous appelle ?
27:40– Non, mais parlons d'un truc très précis.
27:42Par exemple, on fait un sujet sur les travaux publics, la 4G, etc.
27:48À chaque fois en conférence, on fait tous des grands moulins,
27:50on dit tout le temps, le monsieur avec le casque là,
27:53est-ce que par hasard c'est une filiale Bouygues ?
27:55Oui, non, si c'est oui, vous pouvez vérifier les 200 derniers journaux,
27:58à chaque fois on met une phrase qui est filiale du groupe Bouygues,
28:02dont TF1 est aussi une filiale, et donc on le fait mais alors,
28:04et je n'ai jamais eu la moindre pression, jamais.
28:06C'est formidable, c'est très bien.
28:09– Alors en parlant de pression, je vais vous parler d'une interview,
28:12vous avez déjà parlé, chez Quotidien notamment, mais c'est assez marrant.
28:15Vous avez interviewé en 2014, enfin marrant, je mets des guillemets à marrant,
28:19vous avez interviewé en 2014 Vladimir Poutine avec Jean-Pierre Elkébache.
28:22Interview évidemment qu'on ne fait pas tous les jours.
28:24– Je ne l'ai jamais refaite.
28:26– Ça va être plus compliqué maintenant sans doute.
28:28– Je ne désespère pas, la vie est longue.
28:30– Racontez-moi un peu comment ça s'est passé,
28:32vous l'avez déjà un peu raconté mais tout le monde ne l'a pas forcément vu
28:34et c'est quand même intéressant, notamment dans le contexte actuel.
28:38– En fait, d'abord je veux dire que quand on interview quelqu'un,
28:42on a toujours des bagages avec soi,
28:44et mon bagage à moi, c'est de m'être intéressé très tôt au communisme,
28:50à la tyrannie soviétique, au refusnik, au goulag, et de bien connaître.
28:56Et l'autre avantage que j'ai, c'est que jeune journaliste,
29:00j'assistais au délitement de l'empire soviétique,
29:03en Hongrie, en Allemagne, etc. Donc on ne me la fait pas.
29:07Quand un chef d'État russe a passé les 35 premières années de sa vie au KGB,
29:12en martyrisant les installements à Dresde,
29:15je doute qu'à 55 ans, il devienne un grand démocrate.
29:19Donc Vladimir Poutine, pas la peine de lire 10 biographies,
29:22je savais à qui j'avais affaire, et Jean-Pierre Elkabbach aussi.
29:26Et donc vous arrivez à Sochi, pas loin de là où était la résidence de Staline,
29:31ayant en tête que Staline fatiguait, épuisait ses ministres,
29:35ses interlocuteurs en dormant le jour et en travaillant la nuit,
29:39en les épuisant, quand on a compris qu'au bout d'une heure,
29:42deux heures, trois heures, dix heures,
29:44il allait nous faire lanterner dans une petite pièce sans toilette.
29:47– Parce que vous arrivez à 14h et vous faites l'interview.
29:49– L'interview était prévue à 14h, on avait travaillé avec Jean-Pierre,
29:52les questions, c'était un bonheur de bosser avec lui,
29:54les questions, les rebonds, etc. Déjà, il y a une tension.
30:00Et puis on apprend petit à petit que ce n'est pas 14h mais 14h30,
30:02et puis 15h et puis 16h.
30:03Et là, on s'installe dans une pièce qui ressemble un peu à celle-là,
30:07avec des gars du FSB qui viennent doubler nos propres caméras.
30:11Je dis mais qui êtes-vous ?
30:12Et on s'aperçoit qu'en fait, derrière chaque caméraman de TF1,
30:15il y a un autre gars qui arrive, Oleg, Igor, et ils sont tous du FSB,
30:19et ils viennent filmer la même chose que ce que nous sommes en train de filmer.
30:22– Les services secrets russes, le FSB.
30:23– Pardon, digne successeur du KGB.
30:26Et donc, c'est bête à dire,
30:29on parlait tout à l'heure de l'exigence de forme physique,
30:31mais avec Jean-Pierre, on était fatigué, on n'en pouvait plus.
30:34Et donc, par un phénomène psychologique bien connu,
30:36on commence un peu à baisser les armes.
30:38C'est-à-dire que la première question,
30:40on s'était promis de faire une première question, punch it, etc.
30:44Quand il est 17h, vous êtes assis là, rien à manger,
30:47comme ça, vous dites, plus vite on en finit, mieux ce sera.
30:51Donc c'est formidable.
30:52Et donc, quand à 19h, 20h, la porte-parole de Poutine dit,
30:56il a encore deux ministres à consulter, il sera à vous,
31:00vous dites, à mon avis, à 21h c'est bon, puis 22h, puis 23h,
31:05et la libération, il est très tard dans la nuit,
31:07elle dit, voilà, l'agenda du Président Poutine,
31:10elle dit, il est à vous, après une courte sieste.
31:12Waouh !
31:14Et donc, l'interview commence à point d'heure,
31:17et là, on était en retard.
31:19– 1h du matin, je crois.
31:19– Il était 1h du matin, on était arrivés à 14h,
31:21et il fallait reprendre un avion.
31:24Jean-Pierre, il avait sa matinale,
31:25moi, il fallait qu'on revienne avec les cartes
31:28pour monter l'interview, la doubler, etc.
31:31Et donc, voilà, voilà pour l'ambiance.
31:35Et après, pendant l'interview, l'avantage des dictateurs,
31:40c'est qu'ils se donnent rarement des allures de gentil garçon.
31:43Et donc, comme il est là pour vous intimider,
31:47et à travers nous, donner aux Français qui regardaient
31:50ou qui écoutaient l'impression qu'il était un dur,
31:55ce qui n'est pas une impression trompeuse,
31:56il peut vous menacer, à mot couvert, par le geste, par une œillade.
32:02Et donc, voilà, quand je lui pose une question sur les Pussy Riots,
32:07qui était ce groupe féministe qui allait être condamné à une lourde peine,
32:12à cette question-là ou à une autre, évidemment, il répond,
32:15vous savez, cette question-là, les journalistes russes,
32:18ils ne me la posent pas.
32:19– Il vous dit dans l'interview, vous êtes un journaliste agressif,
32:22vous parlez d'invasion en Ukraine, pourquoi vous parlez de ça ?
32:26– Et puis je vous promets, jamais, vous m'entendez,
32:28jamais, je n'empiéterai d'un mètre carré sur l'Ukraine.
32:31– La guerre n'est pas très loin, à quelques centaines de kilomètres d'ici ?
32:35– Je pense… d'abord, je pense que vous exagérez un peu
32:43en disant qu'une guerre approche.
32:45Vous êtes un peu agressif comme journaliste.
32:48Pourquoi pensez-vous qu'une guerre approche ?
32:50Pourquoi essayez-vous de faire peur à tout le monde ?
32:53– Parce que l'Ukraine n'est pas loin d'ici.
32:56– Et alors ?
32:58– Et c'est là qu'il y a la guerre.
32:59Et quand il dit qu'il y a la guerre, elle est là.
33:04– Ce n'est pas une guerre, là-bas.
33:06C'est une opération de représailles que mène le pouvoir de Kiev
33:09contre une partie de sa population.
33:11Ce n'est pas une guerre étrangère, il y a là une grande différence.
33:14– J'ai aussi beaucoup lu les entretiens d'Hitler,
33:16avant l'Anschluss, avant le Tchécoslovaquie, avant ça.
33:20Donc les tyrans ont tous les mêmes méthodes.
33:23Mais j'étais, c'est vrai, fasciné d'être à deux mètres de lui.
33:27– Vous avez eu peur ?
33:30– Non, pas peur.
33:33C'est vous poser une très bonne question.
33:34Je n'avais pas peur, je ne voulais pas être désarmé.
33:37Ne pas avoir peur, ça ne suffit pas.
33:39Il n'allait pas s'en prendre physiquement à nous, je ne crois pas.
33:41Mais ne pas être désarmé par la fatigue, et puis l'emprise qu'il a.
33:47Il a des yeux, il vous regarde, il vous fixe comme ça,
33:48vous dites, pourquoi être méchant dans cette question ?
33:51De deux formulations, sur l'Ukraine, choisissons la plus sympatoche.
33:55Et puis j'aurai bien une réponse.
33:56Et c'est ça qui est compliqué dans ce combat, dans ce jeu d'échecs.
34:00Et je trouve qu'on s'en est plutôt pas mal sortis.
34:04On parlait d'une bonne interview,
34:06je pense qu'elle a bien vieilli, cette interview.
34:10– Il est heureux, d'une certaine manière,
34:11que vous ayez affaire le 6 juin à Barack Obama.
34:13Si vous aviez affaire à Hillary Clinton, les choses tourneraient peut-être mal.
34:17Elle a dit, il y a quelques jours,
34:19que ce que faisait la Russie en ce moment en Europe centrale
34:23ressemblait à ce qu'Hitler faisait dans les années 30.
34:26Vous avez pris ça comme une injure suprême,
34:28en tant que citoyen et président russe.
34:35– Vous savez, il est préférable de ne pas débattre avec les femmes.
34:39– En tant que journaliste, quand il y a un homme politique,
34:40en l'occurrence Vladimir Poutine, qui dit ça,
34:42est-ce que vous pensez qu'il faut relever ce propos sexiste ou pas ?
34:46– Je ne crois pas qu'il faille.
34:47Je crois, enfin, c'est tellement évident.
34:49D'abord, il est extrêmement intelligent.
34:52Pourquoi tenir ce propos-là à une télévision française
34:57sachant que les gens vont trouver ça abject, etc. ?
35:02Non, je n'avais pas envie de surligner au Stabilo
35:06en disant, mais c'est extrêmement sexiste.
35:08Après, il aurait fait un couplet sur les valeurs familiales,
35:12le rôle de la femme, etc.
35:14Ça m'embarquait.
35:16Le temps est rare en interview,
35:17donc ça nous aurait embarqué sur autre chose.
35:19On avait plein de questions à lui poser.
35:22En fait, vous vous souvenez de la réponse de Poutine,
35:24et pas tellement de ma question ou de celle de Jean-Pierre Elkabbach.
35:27Donc tout va bien.
35:28– Vous lui posez des questions.
35:29– Bien sûr, bien sûr.
35:30– Est-ce qu'il y a de l'opposition en Russie ?
35:31Vous lui dites, et les homosexuels ?
35:32– Bien sûr, bien sûr, mais à aucun moment il n'est surpris par nos questions.
35:37Vous ne pensez tout de même pas qu'il est à ce point
35:40dans une folie autoritaire qu'il pense diriger un État démocratique.
35:45Poutine sait que la Russie qu'il dirige est une oligarchie mafieuse
35:52qui se trouve être sur le plus grand pays du monde.
35:56– Vous avez parlé avec lui après, une fois la caméra éteinte ?
35:58– Beaucoup, beaucoup.
35:59– Qu'est-ce qu'il s'est dit à ce moment-là ?
36:01– Déjà, où ça s'est dit ?
36:02Ça s'est dit dans une pièce à 10 mètres sous plafond.
36:04Il nous a fait tester tous les champagnes pas très bons
36:07de tous les coins de Russie.
36:10Et il était extrêmement désert.
36:11Il y avait son interprète.
36:13Et là, on revient à la frustration de l'intervieweur.
36:16Il ne faut pas être au maquillage avec la personne avant,
36:19il ne faut pas prendre de café après.
36:20Parce que sinon, vous tapez la tête contre les murs, vous dites,
36:23qu'est-ce que j'étais bête ?
36:24Il m'a dit un truc-là qu'il ne m'avait pas dit pendant l'interview.
36:26Mais évidemment, pendant l'interview, on ne dit pas tout.
36:28Donc lui, je l'ai questionné sur la fameuse phrase qu'il avait prononcée
36:32sur la chute de l'URSS et la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle.
36:36Pour y dire, c'est la libération des peuples d'une monstrueuse tyrannie.
36:40Donc il sait très bien que ce qu'il dit est provocateur.
36:42Et après, je lui parle de Dresde et de Berlin-Est,
36:4689, septembre, octobre, novembre, avant la chute du mur.
36:49Et il me dit, vous savez, vous les Occidentaux,
36:52moi à Dresde et à Berlin, j'étais le roi.
36:55Les Est-Allemands, je les tenais comme ça.
36:57Et là, avec la chute du mur, c'est moi qui devais montrer des papiers
37:01pour bouger, pour faire 100 mètres.
37:02Je ne vous le pardonnerai jamais.
37:04Vous, c'est les Occidentaux, vous avez tout compris.
37:07Ce n'est pas la peine d'en rajouter.
37:08Et donc, ce genre de confidence de Poutine, sans remords, sans repentir,
37:15avec une certaine fierté d'avoir repressé les Est-Allemands
37:18et tous les pauvres peuples à l'est du rideau de fer, c'est Poutine.
37:22C'était Poutine en 2014, c'était lui en 89 et c'est lui en 2024.
37:26– Vous vous interviewez les gens, vous présentez le 20h,
37:28vous êtes rédacteur en chef.
37:29Vous avez aussi eu la chance, avec Léa Salamé, d'animer,
37:33je crois qu'on dit ça, animer le débat d'entre deux tours.
37:35– Arbitrer, animer, chronométrer.
37:38– Mais toute la question est là.
37:40Entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen,
37:43vous, votre point de vue, c'est d'intervenir à minima.
37:46S'il y a des fake news, comme on dit aujourd'hui,
37:48des fausses infos, ce n'est pas à vous de les corriger,
37:50c'est à l'un ou à l'autre des candidats.
37:54Comment vous l'avez vécu ce débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron ?
37:57– Je l'ai vécu sans frustration et sans attente particulière.
38:02J'avais téléphoné à d'autres journalistes qui avaient arbitré d'autres débats.
38:06– Même François Hollande, vous aviez appelé François Hollande.
38:07– Bien sûr, et les règles de l'ARCOM sont exactement celles que vous dites.
38:12C'est la Suisse.
38:13On est des coucous suisses et des gardes suisses.
38:15On est des coucous suisses parce qu'il y a des chronos.
38:19Il ne faut pas que les deux candidats soient à égalité.
38:21Il faut qu'ils soient à égalité dans chaque thème.
38:25Il ne s'agit pas de dire au bout d'une heure,
38:26vous avez chacun parlé 30 minutes.
38:28Donc vous êtes là, vous regardez les horloges,
38:30et votre obsession c'est un peu que l'un ne prenne pas trop d'avance
38:33ou de retard sur l'autre.
38:35Et deuxièmement, comme vous le disiez il y a un instant,
38:37si l'un des deux candidats nous dit, de notoriété publique,
38:40la terre est plate, ce n'est pas à moi, ce n'était pas à Léa Salamé de dire,
38:44non en fait, je crois que la terre est plutôt ronde.
38:48Si l'autre n'a pas la présence d'esprit de le dire, vous laissez.
38:50Donc ce n'est pas vraiment une interview.
38:52Vous êtes les garants d'une forme d'équité sur le plan quantitatif.
38:56Aucun des deux ne va parler plus que l'autre.
38:59J'allais dire des bonnes mœurs, de la bonne tenue du débat.
39:03On n'a pas besoin d'exercer ça d'ailleurs.
39:05C'est à peu près tout.
39:06Mais ce n'est pas frustrant, c'est intéressant.
39:08D'abord, moi j'ai envie d'être là où les choses se passent.
39:11Donc si vous avez envie d'être le jour de la prestation de serment d'Obama,
39:14ce que j'ai eu la chance de faire, ou au moment où le mur de Berlin va tomber,
39:17vous avez envie d'arbitrer ou de chronométrer un débat présidentiel.
39:21– Récemment, il y a eu un débat entre Donald Trump et Kamala Harris.
39:24Dans ce débat-là, Donald Trump a dit, en parlant d'immigrés,
39:30qu'ils mangeaient les animaux de pets, et le journaliste l'a repris,
39:37en lui disant que ça n'a pas été prouvé, etc.
39:39Vous, si vous aviez été à sa place, avec Trump, comment vous auriez agi ?
39:44– Il y a plusieurs manières quand quelqu'un dit quelque chose d'absolument faux.
39:51Vous pouvez par exemple dire, c'est faux, voici le rapport qui indique que…
39:57et là le journaliste en l'occurrence n'avait pas de rapport
39:59de la ville de Springfield disant, alors ben non, les haïtiens ne mangent
40:02ni les chats, ni les chiens, ni les animaux domestiques.
40:05Après, il y a une autre manière.
40:06Puisque c'est une forme de folie mensongère, vous pouvez changer de rôle
40:12et dire à Trump les yeux dans les yeux, vous êtes sérieux ?
40:16Vous croyez vraiment ça ? Vous l'avez vu de vos yeux ?
40:21Je pense que ça, ça peut le désarçonner plus que de dire, d'un air outragé,
40:25mais ce n'est pas vrai, parce que là, vous vous mettez dans la posture
40:28du monsieur cartésien, monsieur je-sais-tout.
40:32Et la stratégie de Trump est de balayer l'aspect cartésien des choses.
40:35En revanche, avec un peu de second degré, un peu de moquerie,
40:42mais plutôt sauce gribiche où ils font bouillir,
40:44comment ça, vous l'avez vu de vos yeux ?
40:47Et là, je pense qu'il y a peut-être quelque chose qui peut se jouer,
40:50mais ce n'est pas facile, ce n'est pas facile.
40:52– Vous savez que ça a été largement commenté sur les réseaux sociaux,
40:55est-ce que vous vous en tenez compte, vous, des réseaux sociaux,
40:57et quel regard vous portez sur les réseaux sociaux
40:59qui a largement impacté votre métier ?
41:01C'est-à-dire que depuis 12 ans que vous présentez le 20h,
41:03les réseaux sociaux ont pris une place grandissante.
41:07– Bon, je vais vous révéler une vérité qui n'est pas bonne à entendre.
41:12Après avoir, notamment, autour de l'année 2017 de l'élection
41:15qui avait été un peu tendue, injurié, menacé, moqué, etc.,
41:22j'ai arrêté de souffrir et donc je ne lis rien sur les réseaux sociaux
41:29et sur mon téléphone portable qui est là, il n'y a rien.
41:31– Mais ça impacte votre métier.
41:32Les gens, ils arrivent à 20h, ils ont vu toute l'info sur les réseaux.
41:35– C'est une question différente.
41:36C'est-à-dire, est-ce que je me laisse influencer, blessé, moqué, injurié
41:41ou félicité par les réseaux sociaux ? Non.
41:43Est-ce que c'est un manque ? Je vis très bien ça.
41:46Je trouve que c'est un métier qui est fragilisant, le fait de s'exposer.
41:49Je ne suis pas chanteur ou comédien,
41:50mais est-ce que ce soir, le journal a été bon ?
41:54C'est une question d'appréciation.
41:56Donc, si vous recevez un tombereau d'un jour en disant
41:59« c'est nul votre interview de Madame Machin, c'est une honte », etc.,
42:03vous doutez de vous-même.
42:04Moi, je n'ai pas la solidité pour me prendre des tombereaux d'un jour tous les soirs.
42:07Donc, puisque je ne suis pas armé contre ça, oust !
42:10Donc, je ne le lis pas, je ne le nourris pas, je ne le lis pas.
42:13Votre question différente est,
42:15est-ce que les journaux télévisés sont modifiés, ces dix dernières années,
42:23par le fait qu'il existe des réseaux sociaux ?
42:24Oui, ne serait-ce que parce que des images de première main
42:28apparaissent parfois pour la première fois sur les réseaux sociaux.
42:30C'est rarement des Français qui viennent en voiture à la tour de TF1
42:34nous apporter une image.
42:35Ces images, elles sont là, quelque part, vraies, fausses,
42:38trafiquées, authentiques, divulguées pour de saines raisons,
42:42pour des raisons qui correspondent à un agenda politique.
42:46Ça existe.
42:47Après, le journal de 20h, on n'est pas dans l'hystérie des réseaux sociaux.
42:51C'est-à-dire qu'on n'est pas là pour faire meute, pour faire masse.
42:55Moi, je pense plutôt qu'on en est l'antidote.
42:57C'est deux mondes, pas parallèles, mais on est en 2024, on est en France,
43:02il y a des réseaux sociaux, mais le journal télévisé, ce n'est pas ça.
43:05– Est-ce qu'il n'y a pas quand même le risque, je caricature,
43:07le journal de 20h est regardé par les vieux,
43:09les jeunes, ils regardent les réseaux sociaux,
43:10et du coup, vous n'informez qu'une partie de la population ?
43:12– C'est une vraie question, qui ne se pose pas uniquement à moi,
43:15qui se pose aux médias télé, globalement.
43:18Le risque, c'est pour ça que j'essaie de faire en sorte de tenir le choc,
43:24c'est que le risque, effectivement, c'est que les générations soient,
43:28il y a un schisme, en fait, entre les plus de 30, 35 ans,
43:32qui auraient le temps, la patience, la volonté d'approfondir tout,
43:37et puis les plus jeunes, de l'âge de nos enfants,
43:40qui se diraient, et j'en connais, je suis quelqu'un de construit,
43:45d'intelligent, d'instruit, je n'ai pas besoin
43:49d'apprendre ce qu'il y a dans l'actualité, c'est vertigineux pour moi.
43:53Comment peut-on se construire en tant qu'adulte, électeur, contribuable,
43:58comment, sans s'intéresser à l'actualité,
44:01et en étant uniquement obsédé par des verticales
44:03où on ne regarde que les trucs sur les châssis à mois,
44:05que le truc sur le ski nautique,
44:07que le truc sur la peinture sur faïence,
44:09ça me... c'est l'inverse de la curiosité naturelle vers laquelle on doit aller.
44:15Mais je reconnais qu'il faut faire un effort,
44:18qu'on fait tout le temps, pour s'adresser à tout le monde.
44:20Donc il y a des centaines de milliers de jeunes, de très jeunes,
44:23qui regardent le journal de 20h de TF1, et c'est super, il faut que ça dure.
44:26Donc je ne dis pas, ne venez pas nous voir, bien au contraire,
44:29venez, venez, venez.
44:30– On arrive au terme de notre conversation,
44:32il me reste quelques petites questions rapides,
44:34une qui vous concerne directement,
44:36vous avez un nouveau joker remplaçant, qui s'appelle Jean-Baptiste Boursier,
44:40ça vient de... c'est très récent,
44:41il n'a pas encore eu l'occasion de présenter le 20h sur TF1,
44:44même si les téléspectateurs le connaissent sans doute.
44:47Thierry Thulier, qui dirige l'information chez TF1,
44:50a dit notamment qu'il était rassurant pour le public,
44:52ça m'a fait marrer cette expression, rassurant pour le public.
44:54– Il n'a pas dit que ça, il a aussi dit que c'était un très bon journaliste,
44:57qui est la base, le socle sur lequel...
45:00– C'est vrai, effectivement,
45:02mais l'expression rassurant pour le public,
45:04qu'est-ce que ça veut dire en fait ? Il faut rassurer le public.
45:07– Je suis assez en accord avec cet adjectif,
45:09parce que ça s'applique à Jean-Baptiste, mais aussi je pense à d'autres...
45:11– À vous peut-être ?
45:12– Oui, oui, en fait, vous annoncez des nouvelles,
45:14on pourra en parler tout à l'heure, qui ne sont pas toujours bonnes,
45:16et je pense que le vecteur, la personne qui va dire cette actualité,
45:23il faut qu'il ou elle soit crédible,
45:26il faut qu'il ou elle ne soit pas contesté dans ce rôle,
45:32c'est ça que ça veut dire, ça veut dire, je vais vous dire quelque chose,
45:36et je vais le dire avec honnêteté intellectuelle,
45:39et ça, ça doit vous rassurer,
45:40je ne dis pas que tout ce que je vais vous dire est rassurant.
45:42– Vous en pensez quoi d'ailleurs de Jean-Baptiste Boursier ?
45:44– C'est un très bon journaliste, et je suis sûr qu'il va faire super bien le job.
45:46– Vous n'avez pas peur qu'il vous pique votre place un jour ?
45:48– Non, parce qu'on ne me piquera pas ma place, je partirai,
45:52tout a une fin, donc je partirai, et ce sera forcément quelqu'un d'autre.
45:56– Est-ce qu'on peut avoir des amis dans ce métier ?
45:58Est-ce que vous avez des amis journalistes ?
46:00Ou est-ce qu'il y a une telle concurrence ?
46:02– Ah non, mais c'est, comment dire,
46:05d'abord j'ai les mêmes amis depuis très très longtemps en dehors de ce métier,
46:09et puis j'ai les mêmes copains reporters que quand j'étais reporter
46:13de 24 ans jusqu'à 50 ans, ça fait quand même un bail,
46:16et oui, non mais ce n'est pas du tout la guerre de tranchées en fait,
46:19j'ai plein d'excellents copains sur M6, France 2, RTL, France Inter,
46:24des vrais copains, Hervé Béroux qui a été le grand patron de BFM,
46:29on était à l'école ensemble, Thien Lénard qui est sur France 2,
46:33Jean-Paul Chapelle, enfin après, il va me dire,
46:35attention c'est encore une autre mafia, c'est la mafia des écoles de journalisme,
46:38enfin on était tout jeunes, il y a prescription.
46:40– C'est FJ je crois.
46:40– C'est FJ, on avait 22 ans, j'en ai quelques années de plus, et d'autres.
46:44– Vous avez commencé justement à TF1 à 24 ans, en 86, 38 ans plus tard,
46:48aujourd'hui vous avez 62 ans, d'ailleurs vous ne l'avez fait pas, je peux le dire.
46:51– Je suis plutôt 61 et demi, mais la flagornerie faites attention.
46:54– C'est ça, j'essaie pour conclure d'être sympathique.
46:57Non mais est-ce que vous n'avez pas envie de faire autre chose ?
46:59– Non mais je ferai autre chose, je ferai AI au futur, je ferai autre chose un jour.
47:03Mais oui, tout a une fin.
47:05– Vous voulez faire quoi par exemple ?
47:06– Je ne sais pas, en tout cas moi, ce que je fais me passionne,
47:10c'est-à-dire que j'ai une boussole interne qui me dit, je me lève le matin,
47:17la page est blanche, et ça me passionne de raconter ça.
47:20– Beaucoup de gens qui regardent cette vidéo sont plutôt jeunes,
47:22j'ai l'impression que c'est regardé largement par les jeunes.
47:24Est-ce que vous avez un conseil pour quelqu'un qui aujourd'hui a 20 ans,
47:29ne souhaiterait pas forcément prêter le 20 heures, mais être journaliste ?
47:32– Mon conseil pour un jeune qui voudrait être journaliste, il y en a plusieurs.
47:35Le premier, c'est que contrairement à ce que les gens disent,
47:38ce n'est pas un métier bouché, on peut y arriver.
47:41Le deuxième, c'est d'être curieux, d'être curieux de tout.
47:45Le sport, l'économie, la politique, ce qui se passe dans le monde.
47:50Et en étant curieux, c'est un voyage merveilleux d'être journaliste.
47:54C'est quand même la satisfaction un peu égoïste de faire ce qu'on a envie de faire,
48:01c'est-à-dire d'assouvir sa curiosité.
48:03Donc si vous avez été un élève, ou si vous êtes un élève passionné
48:07par l'histoire géo, les sciences, le sport ou que sais-je,
48:11le journalisme c'est la continuation de ça en étant payé pour faire ça.
48:17Vous êtes là pour exercer avec honnêteté votre curiosité naturelle.
48:22C'est quand même formidable, c'est le plus beau des métiers.
48:26Aucun milliardaire, aucun chef d'État n'a pu faire, n'a pu aller
48:32où moi ou mes copains reporters en étaient allés.
48:35La jungle d'Amazonie avec Raoni, être à 30 mètres d'Obama
48:40un jour de janvier 2009 lors de la prestation de serment.
48:43Vous êtes comme ça.
48:44C'est ça qui vous a le plus frappé comme expérience, comme souvenir ?
48:47Tout m'a frappé, mais j'oublie, mais tout, il faudrait que je fasse une liste.
48:51Vous avez cité deux fois Obama.
48:53Ah ouais, ouais.
48:54J'étais aux États-Unis depuis plusieurs années correspondant
48:57et vous saviez que ça allait arriver.
48:59Il gagne l'élection donc déjà en novembre 2008
49:02et vous connaissez la date, janvier 2009, prestation de serment.
49:06La pièce, le texte, allais-je dire, est écrit.
49:10Mais c'est ce qui se passe ce matin-là, à 5 heures du matin,
49:12des centaines, il fait moins 12 degrés, grand ciel jaune, un froid terrible
49:17et des centaines de milliers de gens convergent vers le centre de Washington.
49:22Les tribunes sont là et vous vous pincez et vous dites, c'est advenu.
49:28Aujourd'hui, un président considéré comme noir par les Américains, bêtise,
49:33est président, que va-t-il dire ?
49:35Il va prêter serment et c'est vrai, c'est arrivé.
49:39Et vous dites, je suis dans un livre d'histoire
49:42et donc je vais essayer d'être à la hauteur de ça
49:45et de commenter cette prestation serment avec la hauteur qu'il sied à ce genre d'événement.
49:51Ah ouais, quel privilège, c'est formidable.
49:54Mais être au fond de l'Amazonie avec Raoni, c'est extraordinaire aussi.
49:58Et puis être avec quelqu'un qui travaille de nuit pour montrer ce qu'elle travaille de nuit,
50:03passer deux heures avec Paul McCartney, qui peut faire ça ?
50:06Ça aussi, c'était merveilleux.
50:08J'ai dit, vous préférez quoi pendant l'interview ?
50:10Guitare ou piano ?
50:11Il y avait une guitare et un piano, c'était un grand plan.
50:13Je dis, piano, elle vient.
50:15Puis après, on discute, comme on le fait là, sans but ni raison.
50:20Deux heures avec Paul McCartney, vous connaissez un métier qui permet de faire ça ?
50:23Un journaliste.
50:25Voilà, c'est un métier de privilégié, de rencontrer des gens talentueux, passionnés.
50:33C'est la rencontre de l'humanité, en fait, journaliste.
50:36Et au poste qui est le mien, d'une certaine manière, je continue à le faire,
50:39de manière un peu détournée, mais c'est quand même génial.
50:44Merci.
50:45Merci à vous, c'était un plaisir.

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