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"On s’est rendu compte que notre manière de parler de nos traumatismes c’était par l’absurde, par l’humour."

"Les femmes au balcon", c’est l’histoire de trois femmes et d’un appartement, en pleine canicule. Un film présenté à #Cannes2024 qui aborde le sujet des violences sexistes et sexuelles. Brut a suivi la réalisatrice, Noémie Merlant, qui montrait ce deuxième long métrage pour la première fois au public.
Transcription
00:00Le point de départ, c'est quelque chose de très réel.
00:03Il y a un moment de ma vie, il y a quelques années,
00:06tout le début du mouvement MeToo,
00:08j'ai eu une espèce de, comme dans le film,
00:10d'angoisse, d'étouffement, où du coup je me suis échappée de chez moi.
00:16Je vivais avec quelqu'un, avec un homme,
00:18et je peux le dire, j'ai eu beaucoup d'hommes dans ma vie,
00:22je n'ai jamais été célibataire.
00:24Et donc c'est la première fois que je...
00:27C'était après Portrait, de la jeune fille en feu,
00:29c'était donc tout le mouvement MeToo,
00:31et j'ai réalisé des choses, et ça n'allait pas.
00:34Et donc je me suis réfugiée chez mon amie Sandra Codreanu,
00:37qui joue dans le film.
00:39Pendant plusieurs mois, j'ai vécu comme ça avec des femmes,
00:41avec d'autres possesseurs.
00:43Dans la réalité, on était plusieurs chez elles.
00:46Et c'était un cocon, c'était...
00:48C'est la première fois où je...
00:51Je respirais.
00:53On avait énormément de dialogues
00:55sur justement le désir des femmes,
00:58sur la société, sur l'oppression, sur...
01:02Et en même temps, il y avait tellement d'humour entre nous,
01:05tellement de joie,
01:07tellement de relâchement dans nos corps.
01:09On a une connexion à nous-mêmes qui s'est faite assez forte.
01:13Et là, je me suis dit, je vais faire un film sur ça.
01:15Mais je n'avais pas l'histoire, j'avais juste cette sensation-là.
01:19Et en sachant que je voulais faire un film qui mélange les genres,
01:22et le gore.
01:23Les femmes avec qui j'écris le film,
01:25où on a toutes vécu des traumatismes,
01:27on s'est rendu compte que, nous, notre manière d'en parler,
01:30c'était par l'absurde, par l'humour.
01:32Et c'est ce qui nous permet de nous réapproprier nos histoires,
01:36de mettre à distance aussi.
01:38La violence, c'est aussi un moyen, dans le film,
01:43un moyen cathartique pour libérer des choses,
01:46pour s'emparer d'un sujet et de faire réfléchir.
01:51J'espère, en tout cas, d'ouvrir un dialogue.
01:59Merci au balcon !
02:13Comment c'était ? Comment tu te sens ?
02:15Beaucoup d'émotions, c'était hyper intense.
02:18Je ne m'attendais pas à ça.
02:21D'entendre les rires, d'entendre les silences,
02:24d'entendre les applaudissements pendant le film,
02:26c'était dingue.
02:28C'était magnifique.
02:30Le film parle de viols, de violences sexistes et sexuelles,
02:35des traumatismes que j'ai vécu,
02:38que mes amis ont vécu aussi.
02:41Donc j'avais le besoin d'en parler.
02:44On parle aussi du viol conjugal.
02:46Le viol conjugal, c'est le seul que je filme,
02:48parce que je pense qu'il n'est pas assez montré.
02:53Du coup, c'est un peu plou pour les gens.
02:57Qu'est-ce que le viol conjugal ?
02:58Parce que ça se passe parfois sans violence physique,
03:01sans violence verbale.
03:06Donc j'ai décidé, celui-là, de le filmer.
03:08J'ai l'impression que, de moins en moins,
03:10on voit des scènes de nudité, des scènes de sexe,
03:13parce que maintenant, on a peur.
03:14Et c'est normal, vu tout ce qui s'est passé.
03:18Mais je pense que...
03:22Il y a des femmes comme moi, par exemple,
03:24où je comprends qu'on ait envie de se cacher.
03:28Je comprends qu'il y en a qui ont envie, au contraire, de se...
03:31C'est pas de se montrer, mais juste d'être libre,
03:33comme un homme qui est torse nu dans la rue.
03:35Moi, j'ai envie d'être torse nu dans la rue quand il fait chaud.
03:38Et je comprends pas le problème avec la poitrine des femmes, en fait.
03:41Je n'arrive pas à comprendre le problème.
03:44C'est quoi ? Ça excite ?
03:47Moi, un homme torse nu, ça peut m'exciter,
03:49mais je garde ça pour moi.
03:50Donc pourquoi, nous, du coup, on devrait se cacher ?
03:54On a chaud, on a chaud, quoi.
03:55Ça reste de la peau, ça reste un téton,
03:57c'est la même chose, quoi.
03:58C'est juste que ça...
04:01Enfin, j'arrive pas à comprendre.
04:03Et j'ai envie de pouvoir, quand il fait chaud,
04:06me mettre torse nu, quoi.
04:08Et qu'il y ait pas de problème, quoi.
04:09Et j'ai envie, moi, qui ai commencé dans le mannequinat,
04:13où je me suis retrouvée à être vraiment mesurée chaque jour,
04:17à devenir anorexique, boulimique,
04:18alors que j'avais aucun problème avec la nourriture,
04:22à vraiment être vue comme un morceau de viande,
04:26j'avais envie de me réapproprier mon corps à moi.
04:30Donc c'est vraiment mon film, le premier film où...
04:35Parce que c'est moi qui filme aussi,
04:36où j'ai pas peur de me dire,
04:39j'ai pas besoin de me tenir droite,
04:40j'ai pas besoin de rentrer mon ventre,
04:42j'ai pas besoin de me dire,
04:43oh là, la lumière, on va voir ma cellulite.
04:46J'avais juste envie vraiment d'être moi,
04:47comme j'étais avec mes copines dans cet appartement,
04:49quand on était toutes les trois.
04:51En fait, entre nous, on s'en fout, quoi.
04:54Et même, on trouve ça mignon.
04:55Un corps, ça raconte tellement de choses.
04:59Chaque peau, chaque pli, chaque cicatrice,
05:03on voit aussi comment il se tient, comment il se pose,
05:07ça raconte énormément de choses,
05:08autant qu'un regard d'un acteur, un visage.
05:11Le corps raconte énormément de choses.
05:14Et donc, quand il est nu,
05:15il y a énormément de choses qui nous parviennent
05:17et qui nous parlent,
05:18et dans ces cas-là, on le sexualise pas.
05:21On voit un corps humain qui ressemble au nôtre,
05:24plus ou moins,
05:25homme ou femme,
05:26et qui raconte des choses très profondes, quoi.
05:30Et je voulais le libérer, ce corps.
05:31Donc, ça passe par des positions où elles sont nues,
05:35ça passe par des proutes.
05:37Pour moi, c'était primordial d'aller filmer
05:39une scène vulgarité chez les femmes, dans ce film,
05:44parce que c'est la seule manière d'arriver à une vérité,
05:46à une sincérité,
05:48et de leur autoriser une libération, quoi,
05:52par la vulgarité.
05:53La vulgarité, pour moi, peut...
05:57ça peut être de mauvais goût,
05:58mais en fait, c'est la vie,
06:01la vulgarité fait partie de la vie,
06:02et pour moi, ça raconte énormément de choses.
06:04Vous le disiez, ce film,
06:05il vient d'un endroit très personnel pour vous.
06:07Est-ce que vous avez l'impression
06:08d'avoir réparé quelque chose en vous,
06:11guéri quelque chose en vous, en faisant ce film ?
06:13Je pense avoir guéri quelque chose en moi.
06:19Peut-être pas guéri, mais je...
06:21Ça m'aide à avancer.
06:22Ça me permet d'avancer.
06:26Et surtout, ça me permet d'avoir des beaux dialogues
06:28avec les personnes avec qui c'est arrivé.
06:32De faire ce film m'a permis de leur en parler.
06:36Alors que je n'arrivais pas vraiment à le...
06:40à formuler clairement toute la complexité de...
06:45La complexité, au fond, c'est pas le mot,
06:47parce que parfois, c'est pas complexe,
06:48c'est juste qu'on devrait sentir
06:49que la personne n'a pas envie.
06:51Mais malgré tout, tous ces mécanismes-là,
06:53ça m'a permis de les mettre plus clairement,
06:56d'essayer de le faire entendre plus clairement.
07:00Et ça a été hyper intéressant,
07:02pour ces personnes-là, pour ces hommes-là
07:04qui l'ont entendu, j'ai l'impression.
07:08Et en fait, ça, c'était, au-delà de moi,
07:13l'avancée que ça m'a permis aussi de...
07:19De grandir.
07:21De m'apaiser.
07:22Ça a permis aussi, avec ces discussions,
07:25avec eux, de...
07:27d'avoir de l'espoir, que les choses avancent
07:29et qu'il y ait un dialogue.
07:31Parce que c'est primordial pour moi
07:34qu'il y ait un dialogue entre nous tous, quoi.
07:38Tout et tous.

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