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"La peur qu'il y a à parler dans ce milieu, elle est colossale…"

Marie Portolano a enquêté sur les violences sexistes et sexuelles à l'hôpital pour son documentaire "Des blouses pas si blanches", coréalisé avec Grégoire Huet. Elle raconte.

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Transcription
00:00Il me plaque contre un bureau, donc moi je vais avoir le réflexe de poser mes mains contre ce bureau et de me repousser et il va me mettre une fessée.
00:08Je lui crie dessus, je lui dis qu'il n'a pas le droit, que je ne veux pas qu'il me touche, qu'il faut qu'il sorte immédiatement.
00:14Et au moment où je lui crie dessus, je vois que son visage se décompose et qu'il est surpris de ma réaction, comme s'il ne pensait pas qu'il y aurait une réaction.
00:23La peur qu'il y a à parler dans ce milieu, elle est colossale.
00:27Ce que j'ai découvert, c'est que dans le milieu hospitalier, il y a vraiment un système pyramidal de domination assez forte
00:36et qui est difficilement contournable par le simple fait qu'il y a une toute puissance des chefs de service dans les hôpitaux.
00:44C'est-à-dire que vraiment les internes et les externes sont à la merci des chefs de service.
00:50C'est les seules personnes qui peuvent valider ou non les stages.
00:54Donc si ça se passe mal, ça se passe mal.
00:58J'ai eu beaucoup de témoignages de gens qui me disaient, oui mais c'est comme ça qu'on fonctionne, vous ne pouvez pas comprendre, vous ne faites pas partie de ce milieu.
01:07Évidemment, oui, avec l'humilité qu'on avait avec Grégoire Huet, on ne pouvait pas comprendre, on ne fait pas partie du milieu.
01:13En revanche, ce qu'on constate de l'extérieur, c'est cette violence dès le début des études.
01:20Et donc du coup, on s'est dit, pourquoi y a-t-il besoin d'autant de violence pour soigner les gens ?
01:26Et quand je parle de violence, je parle de violence mentale, de violence sexuelle, de violence sexiste.
01:31Donc c'est pour ça qu'on a voulu chercher de ce côté-là.
01:34Il y a une vraie plongée au cœur des études de médecine et de ce que c'est que de faire des études de médecine.
01:39Je vais rendre à César ce qui appartient à César.
01:41Grégoire Huet, qui a co-réalisé le documentaire, a insisté lourdement pour qu'on fasse cette plongée-là.
01:46Moi, je ne pensais pas que c'était nécessaire.
01:48Et c'est lui qui a vraiment dit, mais si, parce qu'il faut qu'on comprenne d'où ça vient.
01:52Donc il a insisté pour qu'on enquête sur les études de médecine.
01:56Qu'est-ce que vous avez découvert ?
01:57Qu'il y a beaucoup, beaucoup de stress et donc qu'il y a besoin de beaucoup, beaucoup de décompression.
02:02Et que la décompression passe par l'alcool et aussi les rituels des bureaux d'étudiants.
02:11Vraiment, ça m'a marquée d'entendre Cassandra, qui est aujourd'hui médecin légiste,
02:17raconter que pour obtenir le poste de présidente du BDE de son école,
02:23elle a dû passer par plein de moments très difficiles,
02:28notamment un toucher rectal devant un témoin,
02:30qu'elle a dû refaire ce toucher rectal pour passer son titre à sa successeur.
02:36Donc voilà, c'est quand même des codes qui, moi, me paraissent totalement aberrants,
02:41qui sont défendus par les gens qui le vivent.
02:44Et aujourd'hui, Cassandra, quand elle a accepté de nous parler, elle a dit,
02:48je parle parce que j'en ai... En fait, non, ça n'est pas normal.
02:52On pense que c'est normal parce que c'est comme ça qu'on nous élève.
02:55On nous dit, c'est ça, c'est la tradition.
02:56Mais à un moment donné, quand la tradition fait trop mal,
02:59peut-être qu'il faut la déconstruire un peu.
03:01Les arguments qui sont utilisés pour justifier ce genre de comportement,
03:04c'est nous avons un rapport différent avec le corps.
03:08Comme on est médecin, on voit des corps toute la journée,
03:11donc une main aux fesses, c'est pas pareil pour nous que pour vous.
03:14Sinon, c'est on a besoin de ça pour décompresser.
03:16Je pense que c'est un documentaire qu'il faut voir pour comprendre le Me Too hôpital,
03:21et aussi parce que c'est une parole qu'on entend peu.
03:25Le milieu de l'hôpital étant un milieu très fermé,
03:28forcément, c'est une parole qui est difficile à entendre.
03:31Et aussi pour saluer le courage de celles qui ont osé parler,
03:35même les femmes anonymes qui se sont succédées et qui disent toute la même chose,
03:40c'est que quand même, il y a un petit problème.

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