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"Chacun s’adresse parfois aux réseaux sociaux comme si c’était Dieu."
BRUT PHILO. Les réseaux sociaux sont-ils vraiment "sociaux" ? On a posé la question au philosophe Michaël Fœssel.
(spoiler) : la réponse est oui, mais pas pour les raisons auxquelles vous pensez…

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Transcription
00:00Chacun s'adresse parfois aux réseaux sociaux comme si c'était Dieu.
00:03C'est-à-dire qu'il y a une tradition philosophique qui consiste à dire
00:05qu'on peut être sûr que les choses existent sous le regard de Dieu, au fond.
00:10Je vis quelque chose, mais je ne suis pas très bien sûr de le vivre,
00:13surtout une relation intime, est-ce que l'autre m'aime autant que je l'aime, etc.
00:17Et donc il y a une tendance philosophique qu'on appelle l'idéalisme
00:22qui consiste à dire finalement, il y a un point de vue des points de vue,
00:25un grand spectateur qui est Dieu, qui lui nous garantit
00:28que ce que je vois en un instant T existe vraiment.
00:32Alors bon, la croyance en Dieu n'est pas aussi partagée qu'elle l'était à l'époque
00:36où cet idéalisme était défendu dans l'histoire de la philosophie.
00:39Par conséquent, on a une tentation à substituer à ce grand spectateur
00:44une multitude de spectateurs.
00:46Plus la chose est vue, on voit ça sur un certain nombre d'ailleurs de réseaux sociaux,
00:50plus l'image est vue, plus la story est suivie,
00:53plus elle prend en quelque sorte de la réalité.
00:56C'est pourquoi les réseaux sociaux marchent si fort, enfin Internet, disons, marche si fort aussi
00:59et est à ce point encastré dans nos vies, où nos vies sont à ce point encastrées dans ce réseau,
01:04que c'est un système de confirmation.
01:07C'est-à-dire qu'au fond, l'algorithme, le nombre de vues, le nombre de likes,
01:11c'est une manière de nous rassurer de ce qui est une inquiétude fondamentale de la vie humaine
01:16mais qui fait aussi peut-être parfois son intérêt,
01:18c'est que finalement nous n'avons pas de certitude relativement à ce que nous vivons.
01:23Est-ce que ce que je vis, est-ce que ce que je suis aussi existe vraiment ?
01:26J'ai besoin du regard des autres pour en avoir la certitude,
01:30j'ai besoin de l'approbation des autres pour être certain de l'avoir vécu.
01:36C'est intéressant ce que vous dites parce que le terme sociaux des réseaux s'inscrit précisément là-dedans,
01:40ça devient société parce que c'est les autres qui valident notre propre vie ?
01:43Parfaitement, la société c'est de tout temps, je peux dire ça, c'est pas nouveau,
01:47la société c'est le principe de légitimation des existences individuelles.
01:51Alors évidemment dans les sociétés d'ancien régime,
01:53ça voulait dire que son existence était intégralement définie par sa position sociale,
01:58le cerf n'avait aucune chance de tomber,
02:00enfin s'il tombait amoureux de la princesse évidemment c'était impossible
02:05et si ça devait arriver ça aurait été absurde.
02:07Donc la société c'est un principe de légitimation,
02:10ça donne du capital symbolique, ça en ôte, etc.
02:13Alors à partir du moment où on est dans des sociétés tendanciellement démocratiques,
02:19cette hiérarchisation par la société elle est beaucoup plus fluide
02:23et c'est heureux, elle est beaucoup moins étanche,
02:25on peut espérer, alors si je fais un saut de l'ancien régime à aujourd'hui,
02:29on peut espérer que notre story sera vue autant que la story d'un acteur célèbre,
02:34on peut toujours l'espérer d'ailleurs, ou que d'une célébrité.
02:37Tout cela encore une fois c'est la promesse démocratique
02:41dans ce qu'elle peut avoir sur le papier de plus noble.
02:44Le problème c'est que comme toujours la société finit par refaire des hiérarchies
02:50et donc par conséquent les réseaux sociaux vont aussi,
02:54entre le bad et le positif, entre le like et l'unlike,
02:59entre ce qui est vu massivement et ce qui est ignoré,
03:03vont refaire des formes de hiérarchie.
03:06Les réseaux sociaux fonctionnent un peu comme la société
03:09mais dans une autre course, si je puis dire,
03:12celle du virtuel mais selon des mécanismes qui ne sont pas forcément très éloignés.
03:17Ce qui n'est peut-être pas désespérant dans la société des digital natives,
03:23de ceux qui sont vécus là-dedans, c'est leur désir de ne plus vivre totalement.
03:27C'est-à-dire que chez eux, le monde d'avant la mise en image de la vie,
03:34le monde d'avant la virtualisation et le monde du partage généralisé
03:40n'est pas l'objet d'une nostalgie puisqu'ils ne l'ont pas vécu,
03:44donc ça sera peut-être l'objet d'une réinvention.
03:47C'est-à-dire que je perçois peut-être à tort ou à raison une lassitude,
03:52parfois d'ailleurs aussi une souffrance liée à ça se retourne contre soi,
03:57qui va les amener, du moins peut-on l'espérer,
04:00à retrouver mais peut-être surtout à réinventer des liens
04:03qui sont des liens qui se font, je dirais, à la marge du monde virtuel.
04:08L'idée, c'est que nous pouvons essayer peut-être de vivre
04:11sans qu'il y ait une image de nos vies qui en quelque sorte la redouble.
04:15Moi, j'aimerais d'ailleurs mettre une lecture plutôt positive
04:19de ce qu'on nous annonce déjà comme une catastrophe politique et morale,
04:23c'est-à-dire les images artificielles.
04:26Après tout, peut-être que si on ne fait plus confiance aux images
04:29parce qu'elles risquent d'être des images faites par l'IA,
04:31on finira aussi par se méfier des images, même quand c'est nous qui les faisons.
04:33Parce qu'une image, c'est un peu le philosophe qui parle,
04:36une image, même si c'est une vraie image,
04:38n'est jamais que la saisie de la vérité en un tenté.
04:41Et par conséquent, la confiance dans les images, c'est peut-être cela
04:45avec quoi il faut peut-être un peu rompre
04:48et peut-être que de manière un peu dialectique, si je puis dire,
04:51l'IA dans les images nous y obligera.
04:53Ce que vous voulez dire, c'est qu'on ne croira tellement plus les images
04:56qu'on en produira moins ?
04:57On en produira moins ou on adhérera moins à celles
04:59puisqu'on ne saura plus si elles sont alors vraies ou pas.
05:02La question, c'est de savoir ce que c'est une vraie image.
05:03Je sais ce que c'est une vraie expérience, une vraie démonstration mathématique,
05:06un vrai amour, mais je ne sais pas ce que c'est une vraie image.
05:13L'image que je donne de moi-même, de mes amours, de mes goûts
05:17sur les réseaux sociaux, c'est au mieux la saisie fixe, d'ailleurs,
05:23figée, si je puis dire, de mon expérience en un tenté.
05:27Mais encore une fois, on a tous fait l'expérience
05:29et je pense que 20 minutes, deux mois ou deux ans plus tard,
05:33cette image n'aura pas été l'expression adéquate de ce que je suis soi-même.
05:40Un peu de méfiance à l'égard des images en général,
05:43y compris de nos images de nous-mêmes,
05:46ne peut pas faire de mal pour sortir de la caverne,
05:48comme aurait dit l'autre.

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