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BRUT BOOK. Une société obsédée par la transparence, où l’on peut même voir l’intérieur de la maison en verre de ses voisins... Bienvenue en 2049, dans "Panorama", le roman dystopique de Lilia Hassaine qui mêle roman policier et anticipation pour mieux dénoncer les travers de la société d’aujourd’hui...

Dans ce format Brut Book, plusieurs écrivains racontent à Brut pourquoi et comment ils ont écrit leur nouveau roman publié à l’occasion de la rentrée littéraire.
Transcription
00:00C'est une histoire qui se passe en 2049, on est 20 ans après une nouvelle révolution française,
00:05au cours de laquelle certains citoyens se sentent en danger, ils sont inquiets pour leur sécurité,
00:11et donc cette nouvelle révolution va déboucher sur un changement d'urbanisme total,
00:15dans lequel les maisons telles qu'on les connaît aujourd'hui, les maisons en pierre, en béton,
00:20sont transformées en maisons de verre.
00:22Donc c'est cette société où tout le monde observe tout le monde, où chacun peut observer ses voisins,
00:28chacun est vu aussi de ses voisins, c'est une société dans laquelle il y a logiquement une baisse de la criminalité,
00:35une baisse des violences, sauf que dans ce monde utopique, dans cette époque utopique,
00:41une famille disparaît, la mère, le père et leur petit garçon de 8 ans, comment est-ce possible ? Mystère.
00:47Je suis Lilia Hassane, j'ai 31 ans, et je viens de publier un roman qui s'appelle Panorama, aux éditions Gallimard.
00:54La nouvelle démocratie française n'est pas une dictature.
00:57Vous êtes libre de vivre en sécurité dans des quartiers transparents,
01:00ou d'habiter dans des zones de non-droit en marge des villes.
01:04La transparence est un pacte citoyen fondé sur la bienveillance partagée et la responsabilité individuelle,
01:10d'après le préambule de la constitution de 2030.
01:12Je ne voulais pas d'une dystopie, avec une figure autoritaire, avec la figure du dictateur qui me semblait un peu,
01:19en tout cas pour nos démocraties modernes, ça ne me semblait pas être le danger le plus immédiat.
01:23Au moment du confinement, dans ce choix entre sécurité et liberté,
01:27finalement c'est la sécurité qui avait primé, mais comme souvent quand il y a une situation de crise,
01:31une situation d'urgence, qui est un réflexe totalement humain,
01:34et à ce moment-là la société s'est autorégulée, donc on est de plus en plus dans ces systèmes-là.
01:39À l'entrée de nos villes aujourd'hui, les panneaux qu'on voit, ce n'est pas nos voisins vigilants,
01:43c'est cet œil qui n'est pas cette figure du Big Brother qui surplombe le monde,
01:49mais chacun est le Big Brother de chacun.
01:51Je me dis qu'on est quand même arrivé dans une société de la méfiance,
01:54où l'autre représente potentiellement un risque, et ça c'est quand même quelque chose d'assez nouveau.
01:59Et donc on entre dans une habitude où chacun veut montrer un peu pas le blanc, chacun veut montrer qu'il est sain.
02:07Il y a un truc qui est un peu marrant, c'est que la discussion qu'on est en train de faire,
02:10elle est filmée et puis elle va être diffusée sur les réseaux sociaux.
02:12Or le thème de votre livre, en creux et parfois même de manière très directe,
02:16puisque Instagram par exemple est cité, c'est, dites-moi si je me trompe, une critique, en partie en tout cas, des réseaux sociaux.
02:22C'est quoi le problème avec les réseaux sociaux ?
02:25Alors ce n'est pas un problème avec les réseaux sociaux, puisque ce serait, encore une fois,
02:29ce serait extrême de critiquer les réseaux sociaux, c'est ok boomer, comme disent les gens plus jeunes que moi.
02:35Donc non, ce n'est pas une critique des réseaux sociaux, les réseaux sociaux ils ont plein d'avantages qu'on connaît.
02:40On ne va pas reparler des révolutions arabes en 2010, ni de ce qui s'est passé en Iran.
02:44Les réseaux sociaux ont une utilité très grande.
02:47Ce qui me gêne plus, c'est la promotion de soi-même.
02:50De plus en plus, il faut tout rendre visible, et ça c'est une tentation qui est née quand même beaucoup des réseaux sociaux.
02:57Et en même temps, qui existe aussi dans le milieu de l'édition.
02:59C'est-à-dire qu'on demande aux auteurs, aux autrices, de publier des stories.
03:04Alors moi, on ne me l'a jamais demandé, et par ailleurs, par exemple, je n'ai jamais mis ma photo sur mes livres.
03:11Très sincèrement, le jour où mes livres se vendent sans que j'aie besoin d'en parler, je m'arrêterais.
03:16Je suis plutôt dans une... J'ai plutôt envie, moi, du silence.
03:20J'ai plutôt envie de disparaître.
03:21L'objectif à terme, c'est de ne plus me montrer.
03:25Ces corps qu'on ne montre pas, c'est-à-dire que certaines femmes choisissent de montrer en disant qu'elles sont féministes,
03:31c'est des corps qui sont culpabilisants pour d'autres femmes aussi.
03:35Quelle représentation de la femme ?
03:36Et en réalité, il y a beaucoup de jeunes femmes de 15-16 ans, et moi je me dis toujours, à cet âge-là,
03:42ça aurait été horrible pour moi d'avoir Instagram, etc.
03:45Parce que je comprends à quel point c'est un espace de liberté,
03:48mais je vois aussi à quel point c'est aussi un espace de capitalisme exacerbé.
03:53C'est à quel point on se transforme en vitrine publicitaire nous-mêmes en permanence.
03:58Une sorte de complexité, parce que le féminisme, ça peut être aussi justement de décider de montrer son corps, quelque part.
04:05Exactement, c'est pour ça que la question qui se pose, c'est quelle représentation ?
04:10Si être représentée en objet de désir, c'est un choix, pourquoi pas ?
04:17Mais il faut savoir ce que ça entraîne.
04:19En réalité, à qui on fait du tort ?
04:22On fait du tort, encore une fois, à certaines jeunes femmes dont on voit très bien ce que ça provoque
04:26en termes d'uniformisation des corps, en termes de regard sur elles-mêmes.
04:32Je dois vous paraître rétrograde, mais je suis consciente que ce mouvement a démarré il y a longtemps déjà,
04:37quand chaque photo Instagram était une fenêtre sur nos vies.
04:40On dévoilait nos intérieurs, nos corps et nos opinions.
04:42Très vite, la discrétion a eu l'air d'une affreuse prétention.
04:45Refuser de montrer, c'était dissimuler.
04:47Aujourd'hui, le fait de ne pas vouloir dire, c'est quelque chose de plus en plus suspect.
04:53Si vous ne voulez pas vous exprimer sur un sujet d'actualité et que vous êtes journaliste,
04:56on va vous suspecter de mal penser.
04:59J'ai déjà eu des messages, même sur mes réseaux sociaux,
05:03et je pense que le livre vient aussi de tout ça,
05:05de gens qui m'écrivaient en me disant « mais vous ne vous êtes pas exprimé sur ça,
05:09vous n'avez pas mis le carré bleu pour tel événement,
05:11il y a quand même des enfants qui sont morts, etc. »
05:14À chaque fois, il y a cette émotion première, et si on ne réagit pas à chaud,
05:18non, il faut pouvoir montrer pour pouvoir être accepté socialement, sinon c'est bizarre.
05:24La transparence a produit les mêmes effets dans toutes les villes.
05:27Les communautés des réseaux sociaux ont pris corps.
05:29Nos amis virtuels, ceux qui nous ressemblent et partagent nos opinions, sont devenus nos voisins.
05:33Le vivre ensemble a cédé la place au vivre ensemble entre soi.
05:38Alors oui, j'ai l'impression que sous couvert de cette ouverture
05:43provoquée par les réseaux sociaux, de plus en plus, on est dans une forme de repli.
05:46Mais d'ailleurs, ça se voit concrètement, Twitter par exemple,
05:50est en train de devenir de plus en plus une plateforme
05:55où on retrouve à peu près les mêmes idéologies qui se segmentent,
05:58qui en réalité ne voient que des contenus qui sont des contenus avec lesquels ils sont d'accord.
06:04Mais quand on va chercher la contradiction, c'est pour se battre,
06:08pour s'affronter sur des idées extrêmes.
06:10En réalité, les communautés qu'on se constitue, et ce mot de communauté, il est quand même assez parlant,
06:17ce communautarisme virtuel, c'est un communautarisme dans lequel on ne supporte de voir,
06:22et c'est ce que j'explique dans le livre, avec ces maisons transparentes,
06:25c'est aussi une métaphore de tout ça, on n'accepte de voir que ce qui nous ressemble.
06:28Une famille traditionnaliste, elle n'acceptera pas de voir dans la maison d'à côté une famille homosexuelle.
06:35Donc finalement, les gens en viennent à vivre les uns à côté des autres,
06:39ce qui est déjà un peu le cas de toute façon dans nos quartiers.
06:42Quand on vit à Paris, on voit que déjà il y a cette dimension-là,
06:47mais il y a encore plus accentué aujourd'hui, notamment dans le domaine de l'opinion.
06:52C'est ce que j'écris un moment dans le livre, c'est qu'on s'adresse à sa communauté comme à ses amis,
06:58comme à sa famille, le langage est très intéressant.
07:01Quand on écrit, on s'intéresse au langage.
07:04La manière qu'on a de s'appeler mes loulous d'amour, mes chéris, on ne connaît pas les gens.
07:10C'est quand même très parlant.
07:12Il y a une sorte de jeu social aussi, qui consiste à faire croire à sa communauté,
07:16qu'elle fait justement partie d'une communauté,
07:19alors qu'en réalité, profondément, ce qu'on cherche, c'est en général la recherche d'un profit personnel.
07:25C'est votre troisième roman qui a un sujet, La transparence,
07:28et vous l'abordez de manière assez frontale.
07:30C'était une volonté, ça ?
07:33Oui, c'était voulu, et je dirais même plus que ça.
07:38Je pense que c'était totalement assumé.
07:41Je n'ai pas voulu lire, par exemple, des scènes.
07:44J'avais toutes les dystopies en tête que j'avais déjà lues à l'école,
07:50mais je n'ai pas fait un travail sur la dystopie,
07:53je ne suis pas allée me renseigner.
07:55Je n'ai pas fait un travail de recherche comme on peut faire pour certains romans, etc.
07:59Je voulais, au contraire, que tout vienne de mon imagination.
08:01Et à certains moments, comme malgré tout, on a des antennes, on écoute,
08:06je tombais sur un article d'un philosophe, etc.
08:09La tentation était grande, à certains moments, d'injecter des savoirs.
08:14J'aurais pu parler plus longuement de Baudrillard, que j'ai mis en exact de mon livre,
08:18qui a parlé de la transparence du mal.
08:20J'aurais pu parler de l'architecture fasciste.
08:23Il y a énormément de références que j'ai captées au fur et à mesure de l'écriture.
08:29Et de temps en temps, quand j'écrivais, j'ai des références qui venaient,
08:34et donc je dissertais un peu.
08:36Et à chaque fois que je me relisais, je supprimais ces passages-là.
08:41Je ne voulais pas faire mon intérêt suivant, comme disent les enfants.
08:44Donc, à chaque fois, j'enlevais...
08:46Qu'est-ce que vous avez coupé, finalement ?
08:47J'ai coupé l'équivalent de mon livre.
08:50J'ai un livre qui fait 240 pages, je crois.
08:53J'ai 240 pages de notes, de réflexions, de choses.
08:58Mais en relisant, je me disais, c'est super pour un essai.
09:03C'est très bien, parce que ça a l'air très intelligente,
09:06mais ce n'est pas bon du tout, en fait.
09:09Je préférais créer le sentiment inverse, une sorte de simplicité, de fausse simplicité,
09:13qu'on regarde, qu'on lise le livre en se disant,
09:16bon, voilà, et qu'on ne voit pas tout ce qu'il y avait derrière.
09:19Parfois, je cherchais une espèce d'égalité rythmique qui n'est pas très belle.
09:23Mais qui me semblait correspondre aussi à ce monde totalement lissé que je décrivais.
09:29Pour moi, l'écriture n'a pas grand-chose à voir avec la séduction.
09:32Donc, je ne cherche pas à montrer au lecteur que je sais écrire.
09:37En tout cas, ça, c'est des choses qu'on fait parfois pour un premier roman.
09:40On a envie de montrer...
09:42Et en fait, avec le temps, plus le temps passe, d'ailleurs, moins ça m'intéresse.

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