« C'est à un homme de l'ombre, au sommet du pouvoir, : le Secrétaire Général de l'Élysée. Celui qui voit tout, entend tout, mais, lorsqu'il est en fonction, ne dit rien, ou presque, de son rôle après du chef de l'État. Mais alors, quel est le pouvoir du principal conseillé du Président de la République ? Jean-Pierre Gratien retrouve, en plateau, le politiste et co-réalisateur, Vincent Martigny, et l'ancien Secrétaire Général de l'Élysée sous François Hollande de 2012 à 2014, Pierre-René Lemas.
LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.
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NewsTranscription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous.
00:00:17C'est à un homme de l'ombre, au sommet du pouvoir,
00:00:20que s'intéresse aujourd'hui l'Evadoc,
00:00:22le secrétaire général de l'Elysée.
00:00:24Avec le documentaire qui suit, tout d'abord,
00:00:26l'homme du président.
00:00:28Pour la première fois,
00:00:29sept anciens secrétaires généraux de l'Elysée y témoignent,
00:00:32vous allez le voir,
00:00:33de l'avis de celui qui voit tout, entend tout,
00:00:36mais lorsqu'il est en fonction, ne dit rien, ou presque,
00:00:39de son rôle auprès du chef de l'Etat.
00:00:41Je vous laisse le découvrir et je vous retrouverai après,
00:00:45sur ce plateau, en compagnie du co-réalisateur de ce film,
00:00:48le politiste Vincent Martini,
00:00:50et de l'ancien secrétaire général de l'Elysée, Pierre-René Lemas.
00:00:53Avec eux, nous nous interrogerons
00:00:55sur le pouvoir du principal conseiller
00:00:58du président de la République.
00:01:00Bon doc.
00:01:06Mesdames et messieurs,
00:01:07conformément à l'article 8 de la Constitution,
00:01:10le président de la République,
00:01:12qui a nommé les membres du gouvernement,
00:01:14qui a nommé sur la proposition du Premier ministre,
00:01:17Mme Édith Cresson,
00:01:18M. Emmanuel Macron,
00:01:19Bernard Kouchner,
00:01:21Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat,
00:01:23Mme Simone Veil, ministre d'Etat,
00:01:25ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville.
00:01:28Je vous remercie.
00:01:29Une des choses tristes à propos de la fonction de secrétaire général,
00:01:33c'est que pour beaucoup de gens, c'est uniquement le type qui lit.
00:01:36Sur le piron, si c'était...
00:01:38Si c'était que ça, je ne pense pas qu'on ferait un film sur le sujet.
00:01:41C'est l'histoire d'un inconnu de la République.
00:01:44L'histoire d'un homme de l'ombre qui voit tout,
00:01:47entend tout,
00:01:48et qui, le plus souvent, ne dit rien.
00:01:50Plus proche qu'au laborateur du président de la République,
00:01:53il n'existe aucune définition officielle de son rôle,
00:01:57au point qu'on le soupçonne parfois d'être un Premier ministre bis,
00:02:00un vice-président non élu.
00:02:06Cet homme, c'est le secrétaire général de l'Élysée.
00:02:12Pour la première fois,
00:02:14sept secrétaires généraux ayant servi sous cinq présidents
00:02:16ont accepté de nous raconter les coulisses de la République.
00:02:21Au-delà des styles et des personnalités,
00:02:23leurs témoignages révèlent une autre histoire
00:02:25de la vie politique française depuis un demi-siècle.
00:02:28Vous savez, vous levez la tête,
00:02:30au-dessus de vous, il y a juste le président de la République.
00:02:51Au nom de la France, je vous demande de répondre oui !
00:02:55Oui !
00:02:571958.
00:02:59La République se dote de nouvelles institutions
00:03:01voulues par le général de Gaulle.
00:03:03Élu président de la République,
00:03:05il souhaite s'entourer d'hommes fidèles pour asseoir son nouveau pouvoir.
00:03:09Il décide alors de faire du secrétaire général
00:03:11son principal collaborateur.
00:03:13Cette fonction inventée sous la Troisième République
00:03:15était jusqu'ici strictement administrative.
00:03:18Le général résume son rôle d'un mot.
00:03:21Le secrétaire général doit être au centre de tout, au courant de tout.
00:03:24Je dirais, pour prendre une comparaison militaire,
00:03:28que le secrétaire général est le chef d'état-major
00:03:30sous l'autorité du commandant-chef.
00:03:32Au minimum, le secrétaire général doit être informé de tout,
00:03:35de tout ce que fait la machine gouvernementale,
00:03:38l'appareil d'État, évidemment, les collaborateurs du président.
00:03:41C'est une sentinelle parce qu'il protège
00:03:45à la fois le président de la République,
00:03:47c'est-à-dire l'exercice de sa fonction, mais même sa personne.
00:03:50Et puis, le secrétaire général est aussi une vigie.
00:03:53Il doit être attentif aux alertes,
00:03:55il doit être attentif à l'actualité, et cela dans tous les domaines.
00:03:58C'est un des postes exposés de la République,
00:04:01moins bien sûr que celui du président ou du Premier ministre,
00:04:03mais qui est sans arrêt face à des surprises,
00:04:06mauvaises surprises, des difficultés, des imprévus.
00:04:09Et donc, il faut bien dormir la nuit.
00:04:11Quand la porte se referme
00:04:13et que je m'assoie dans le bureau du secrétaire général,
00:04:15le poids qui vous tombe sur les épaules est énorme.
00:04:19C'est un moment écrasant.
00:04:22Aux côtés du président et en liaison avec le Premier ministre,
00:04:25le secrétaire général aide d'abord
00:04:27à la constitution du gouvernement de la France.
00:04:30Il faut calmer le bal des ambitieux, gérer les départs,
00:04:33ou au contraire, inciter telle ou telle personnalité
00:04:36à entrer au gouvernement.
00:04:38Un numéro d'équilibriste.
00:04:41Donc, en fait, il y a toute une cuisine,
00:04:43mais dans le bon sens du terme.
00:04:44Un travail de préparation qui se fait
00:04:47entre le président et le Premier ministre,
00:04:49et aussi avec le rôle du secrétaire général
00:04:51et souvent du directeur de cabinet de Matignon.
00:04:53François Hollande le savait bien,
00:04:55quel était mon principal défaut
00:04:57et mes principaux centres d'intérêt
00:04:59lorsque j'étais secrétaire général de l'Elysée.
00:05:03Et avant, d'ailleurs, c'était les nominations.
00:05:06Ça m'a toujours passionné.
00:05:09Été 2014.
00:05:11Après avoir déclaré publiquement sa proximité
00:05:13avec les frondeurs du PS,
00:05:15Arnaud Montebourg, ministre de l'Économie,
00:05:17est sommé de démissionnaire.
00:05:19La contrainte au traissement de la France, oui, bien sûr !
00:05:22Bien sûr !
00:05:24Jean-Pierre Jouyé,
00:05:25alors secrétaire général de François Hollande,
00:05:27va jouer un rôle décisif
00:05:29dans la mise en orbite d'un inconnu,
00:05:31Emmanuel Macron.
00:05:34On discute de la succession d'Arnaud Montebourg.
00:05:37Vient le nom d'Emmanuel Macron,
00:05:40qui avait été sollicité auparavant,
00:05:44mais je n'étais pas là,
00:05:45pour être ministre du budget.
00:05:48Je lui ai dit, s'il voulait déjà être ministre du budget,
00:05:51il y a même pas de raison qu'on ne le nomme pas l'économie,
00:05:54il connaît les entreprises par cœur,
00:05:56il a travaillé dans le privé.
00:05:59Jean-Pierre Jouyé parvient à convaincre le président et le Premier ministre.
00:06:03La décision de nommer Emmanuel Macron à Bercy
00:06:06est prise dans les derniers jours de l'été,
00:06:08juste avant l'annonce du gouvernement d'Emmanuel Valls.
00:06:11Lorsque vous êtes secrétaire général
00:06:13et que vous annoncez une liste du gouvernement,
00:06:15vous l'annoncez d'un ton totalement neutre,
00:06:17en lisant un tout.
00:06:19Et comme je ne suis pas toujours un homme de protocole,
00:06:23je n'ai pas pu résister à exprimer mon bonheur.
00:06:28Monsieur Emmanuel Macron,
00:06:30ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.
00:06:36C'est une sorte de faute par rapport au protocole
00:06:38et par rapport aux fonctions de secrétaire général que j'ai commises,
00:06:41parce que ça ne se fait et ça ne s'est jamais fait.
00:06:44C'était lié aux relations personnelles et affectives
00:06:48que j'avais avec Emmanuel Macron.
00:06:51Après la nomination officielle,
00:06:53il est le premier à féliciter le jeune ministre,
00:06:55un inspecteur des finances comme lui.
00:06:58Bon, ça va être bien.
00:06:59C'est quand même exaltant, à cet âge-là,
00:07:02d'avoir en charge l'économie, les entreprises, l'industrie, tout ça.
00:07:07Le numérique.
00:07:08Tu te rends compte, le numérique, tout ce que j'aurais aimé faire ?
00:07:11Je pensais quand même à l'inspection des finances être quand même le maître.
00:07:16Maintenant, c'est toi qui vas être le maître.
00:07:18Je vais envoyer les inspecteurs vers toi.
00:07:22Mais tout le monde à l'Élysée n'apprécie pas autant Emmanuel Macron.
00:07:25Le prédécesseur de Jean-Pierre Joullier, Pierre-René Lema,
00:07:28apporte un éclairage plus critique sur celui qui fut son adjoint
00:07:31entre 2012 et 2014.
00:07:36Ce qui est vrai, c'est qu'Emmanuel Macron, très tôt, prenait la lumière.
00:07:40J'ai tellement lu que l'équipe que je dirigeais était terne.
00:07:45Oui, on assumait d'être terne,
00:07:47mais quand, par nature, on n'est pas terne
00:07:50et qu'on prend bien la lumière,
00:07:54ça ressort d'autant plus.
00:07:55Ce qui m'agacait, c'était le fait qu'au fond,
00:08:00on sentait chez lui une volonté de se créer
00:08:03un espace de savoir et donc d'autonomie.
00:08:05Je trouve qu'il manque un truc, qui serait le point de fuite
00:08:08qu'on pourrait avoir, mais qui est, je ne sais pas si on l'assume,
00:08:11c'est la France 2020. Quel est mon agenda ?
00:08:13Et donc, au fond,
00:08:17le futur président de la République
00:08:19apprenait l'Etat dans toutes ses dimensions.
00:08:22En même temps, j'étais un peu le maître d'école
00:08:26qui devait dire à chacun
00:08:29qu'il n'était pas absurde de rester à son banc.
00:08:34Quelques années plus tôt, lorsque François Fillon est chargé
00:08:36par Nicolas Sarkozy de former un gouvernement en mai 2007,
00:08:40l'heure est à l'ouverture,
00:08:42c'est-à-dire au débauchage de personnalités.
00:08:45Le secrétaire général Claude Guéant est à la manœuvre.
00:08:52J'ai appelé un certain nombre de personnalités
00:08:55de gauche, comme par exemple Jean-Yves Le Drian,
00:08:59qui, je le rappelle, a mis quand même 24 heures à réfléchir.
00:09:03Donc, ce n'est pas complètement fini, c'est pas fini.
00:09:06Il peut y avoir tout un système qui a été élaboré
00:09:09en deux jours de conversations, de rencontres, de discussions,
00:09:12et qui achoppe, finalement, parce qu'il y a quelqu'un qui a été clé,
00:09:15qui ne veut pas rentrer, ou s'il y a tel autre, il ne va pas venir.
00:09:19Borlo, or, notre Borlo, c'est la question qui agite
00:09:22le landerneau politique parisien.
00:09:24Sera-t-il homme de la situation pour Nicolas Sarkozy ?
00:09:28Jean-Louis Borlo était pressenti pour être garde des Sceaux.
00:09:32Jean-Louis Borlo était d'accord, et tout d'un coup,
00:09:34pas d'attrape, vers 5h30 de l'après-midi,
00:09:36il appelle en disant, je ne veux plus être membre du gouvernement.
00:09:40Donc, il a fallu tout recommencer.
00:09:42Sur la proposition du Premier ministre,
00:09:45le président de la République a nommé.
00:09:47Parce que c'est un équilibre entre les partis politiques, par exemple.
00:09:50Donc, il fallait quelqu'un de la sensibilité de Jean-Louis Borlo.
00:09:55Le gouvernement est formé.
00:09:57Pour le secrétaire général,
00:09:59la tâche et les difficultés ne font que commencer.
00:10:01Passer le moment qui dure 30 secondes,
00:10:03où les gens disent, je suis très honoré,
00:10:05je remercie le président, remercie-le pour moi,
00:10:08c'est merveilleux, la confiance qu'il me fait,
00:10:10mais ce n'est pas possible que telle direction
00:10:12échappe à mon ministère, ce n'est pas possible.
00:10:14Et puis, je vais absolument prendre comme directeur de cabinet,
00:10:16j'ai un truc, il ne faut pas m'en empêcher.
00:10:18Après, il y a une discussion de marchand de tapis.
00:10:19Mon souvenir global, là-dessus,
00:10:21c'est que c'est plutôt pénible, cette phase.
00:10:25Pierre Berugauvois avait donné à Ségolène Royal
00:10:28l'occasion d'être, de devenir ministre de l'Environnement.
00:10:32Et j'ai eu un appel de Ségolène, qui m'appelait pour me dire,
00:10:35c'est injuste pour ce pauvre François.
00:10:37C'est-à-dire François Hollande.
00:10:45Dans la nomination au poste clé de la République,
00:10:48le secrétaire général doit résister aux sollicitations
00:10:51et aux pressions.
00:10:54On se fait des ennemis quand on ne satisfait pas
00:10:57ceux qui sont venus vous demander un job ou un poste
00:11:01et qui se voient préférer quelqu'un d'autre.
00:11:03Chirac m'a dit un jour, avec vous,
00:11:07il valait mieux être socialiste qu'être de mon parti.
00:11:11Et je me souviens lui avoir dit,
00:11:13on a nommé des gens de tous les partis,
00:11:16à condition qu'ils soient bons.
00:11:18Et on a essayé de prendre les meilleurs.
00:11:20Je me souviens d'un ancien élu, un élu ancien, je devrais dire,
00:11:25qui, un jour, était venu me voir en me disant,
00:11:27ça fait 20 ans que je suis député,
00:11:30ça fait 20 ans que je fais toutes les foires au vin
00:11:33de ma circonscription législative, je n'en peux plus,
00:11:37je ne suis pas idiot, j'ai joué un rôle important au Parlement,
00:11:40je voudrais devenir ministre.
00:11:42Bon, il l'est devenu.
00:11:43J'avais plus de marge et plus de responsabilité
00:11:47dans le choix des collaborateurs du président.
00:11:49Il me laissait vraiment une liberté énorme.
00:11:52On définissait tous les deux le profil de la personne à remplacer.
00:11:56Je faisais une première exploration avec 4 ou 5 noms.
00:11:59Je me permettais avec lui une plaisanterie,
00:12:00dans la mesure où il était très critique
00:12:02sur l'École nationale d'administration.
00:12:04Je lui disais, j'ai un excellent candidat,
00:12:06et ils n'en parlent même pas parce qu'il sort de l'ENA.
00:12:09Une chose qui m'a frappé dans ces longues périodes de nomination,
00:12:13c'est qu'il y a quand même des lobbies,
00:12:16des lobbies, que je ne nommerais pas, mais qui existent.
00:12:19Donc c'est arrivé que je reçoive 15 coups de fil dans les deux jours.
00:12:24Ils ont dit, il est question de remplacer untel,
00:12:28c'est une mauvaise idée.
00:12:30Mais comment le savez-vous ? Je le sais, bon, tout ça.
00:12:33Donc c'est vrai qu'il y a, dans l'appareil d'État,
00:12:35différents lobbies qui s'organisent à un moment donné
00:12:38pour protéger untel, imposer untel, c'est cela.
00:12:42Bon, c'est là où il faut quand même que l'État garde la capacité,
00:12:46les décideurs en dernier recours dans l'appareil d'État,
00:12:49la capacité de ne pas être trop soumis à ça.
00:12:54À l'Élysée, le secrétaire général est toujours le premier arrivé
00:12:58et le dernier parti.
00:13:00Chaque journée réserve son lot de surprises et de rebondissements.
00:13:04On ne sait jamais, quand on rentre le matin relativement tôt
00:13:08dans le bureau, ce qui va se passer.
00:13:09Parce que d'abord, l'actualité va pénétrer de manière extrêmement violente.
00:13:13Il y a toujours un choc qui va complètement déstabiliser la journée.
00:13:17L'État ne peut pas avoir 30 secondes, 2 minutes, un quart d'heure
00:13:20pendant lesquelles il ne fonctionne pas.
00:13:22Je vous donne un exemple.
00:13:23Le soir de l'installation du président de la République,
00:13:26il était convenu qu'il aille saluer la chancelière allemande,
00:13:28madame Merkel.
00:13:30On prend l'avion, on avait organisé tout ça.
00:13:32Et l'avion a un problème,
00:13:35parce qu'il y a la foudre, la tempête.
00:13:38Comme vous savez, la pluie a beaucoup poursuivi
00:13:41l'équipe de François Hollande et de lui-même
00:13:43tout au long de ce quinquennat pluvieux,
00:13:46dont il riait beaucoup d'ailleurs lui-même.
00:13:48Vous avez une décision immédiate à prendre.
00:13:49Est-ce que l'avion continue ? Est-ce qu'il revient ?
00:13:51Donc, il faut donner les coups de téléphone,
00:13:54il faut avoir la bonne réaction de l'état-major militaire du palais,
00:13:58avoir Matignon, avoir le ministre de la Défense,
00:14:01il y a des tas d'acteurs de la vie publique.
00:14:05Mais c'est des additions de petites décisions
00:14:07qui font que l'État continue.
00:14:08Le président de la République, finalement, est arrivé à bon port.
00:14:11L'ajout des types d'un secrétaire général de l'Élysée
00:14:13commence assez tôt, et à mon époque, par l'écoute des radios.
00:14:17Et donc, il s'agit de sauter d'une radio à une autre
00:14:20pour entendre notamment les éditorialistes politiques.
00:14:22Mon rôle est d'aiguiller.
00:14:24D'aiguiller et de ne pas perdre le sens du moyen terme et du long terme.
00:14:27Donc, il faut toujours résister à la pression de l'urgence
00:14:31et se demander, dans les réunions qu'il faut faire,
00:14:33dans les décisions qu'il faut préparer,
00:14:34qu'est-ce qu'il y a dans une semaine,
00:14:37quinze jours, un mois, deux mois, trois mois,
00:14:39et de penser toujours à avoir cette perspective du temps long
00:14:42qu'on doit avoir surtout à l'Élysée
00:14:43et qu'on doit avoir pour préparer à la fois les déplacements,
00:14:46l'agenda et les choix du président de la République.
00:14:50Tous les jours, le président était là.
00:14:52J'étais entre 7h et 7h15 dans son bureau
00:14:56et je recueillis ses directives.
00:14:58La journée type, c'est d'avoir tous les matins
00:15:00une réunion avec les principaux collaborateurs pour voir
00:15:04quelles sont les priorités de la journée, de la semaine.
00:15:08Ensuite, ce sont les différents rendez-vous,
00:15:12soit des ministres qui souhaitent vous faire passer des messages,
00:15:16soit avec des personnalités politiques ou du monde économique.
00:15:22Il y a des déjeuners qui sont pour moi très souvent des déjeuners de travail,
00:15:25soit avec quelques collaborateurs de l'Élysée ou de Matignon,
00:15:28soit avec des personnalités, parce qu'une des tâches du secrétaire général,
00:15:31c'est d'être le réceptacle de beaucoup d'informations.
00:15:33Avec le président, il n'y avait pas de réunion organisée,
00:15:36pas de réunion fixe, mais un nombre tout à fait considérable.
00:15:39D'abord, il y a tout le flux des notes permanentes
00:15:42qui va vers lui, qui reviennent.
00:15:44Est-ce qu'il y a des observations sur la rédaction du début ?
00:15:48J'ai vu vos corrections.
00:15:50Les notes que je transmets au président me reviennent avec vue.
00:15:54Une des grandes tâches du secrétaire général de François Mitterrand
00:15:57est de devenir un décrypteur des vues.
00:16:00En effet, les vues peuvent vouloir dire des choses très diverses.
00:16:02Vue égale, merci de m'avoir informé.
00:16:05Vue égale, vous me cassez les pieds, mais par respect, je ne vais pas vous le dire.
00:16:08Vue égale, débrouillez-vous comme vous voulez.
00:16:10Vue égale, agissez dans le sens de la note,
00:16:12mais avec ce qu'un prof du président appelait un feu orange clignotant.
00:16:16Je faisais parvenir au président au moins une fois par jour,
00:16:20souvent deux fois par jour, un petit dossier.
00:16:23Je me souviens, c'était un dossier cartonné vert, pas très épais,
00:16:28qui exigeait qu'il soit tout de suite informé
00:16:31et qu'il prenne tout de suite une décision.
00:16:33Avec Jacques Chirac, il n'y a pas de rituel.
00:16:35En permanence, il va passer, revenir, repartir, vous appeler.
00:16:39La salle de réunion qui est au milieu, c'est un vaste couloir où tout est ouvert.
00:16:44Et puis, il est disponible.
00:16:46Nous nous voyons en fin d'après-midi.
00:16:47Ce sont des moments à la fois très utiles pour l'exécution de ma tâche.
00:16:51J'ai regardé un certain nombre de ces... J'ai lu le texte.
00:16:54La proposition que je vous ferai, M. le président, c'est de faire deux types de textes.
00:16:57Chacun de nous, en commençant par le président,
00:16:59a sa liste des questions qu'il faut qu'on traite
00:17:01dans une relation de confiance assez détendue.
00:17:02Il n'y a pas de téléphone qui sonne, pas de gens qui rentrent ou qui sortent.
00:17:05Et puis, j'ai tout un travail de kalénothérapie à faire
00:17:09pour celles et ceux qui, pardonnez-moi l'expression,
00:17:11se shootent au président de la République.
00:17:12Et s'ils ne le voient pas régulièrement, n'en peuvent plus.
00:17:14Ma tâche, c'est bien difficile de leur dire ce que le président pense,
00:17:18à quel point ils sont formidables et à quel point leurs idées sont importantes.
00:17:21Ça, ça me prend... Je fais un peu de kalénothérapie tous les jours
00:17:24pour éviter des rancœurs, voire des haines.
00:17:28Avec Nicolas Sarkozy, les choses changent.
00:17:31Le secrétaire général Claude Guéant devient l'homme des missions spéciales,
00:17:35au point de concurrencer Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères.
00:17:39En 2007, Nicolas Sarkozy s'engage publiquement
00:17:42à obtenir la libération de cinq infirmières bulgares
00:17:44emprisonnées par la Libye du colonel Kadhafi et condamnées à mort.
00:17:48C'est dans une cage que les cinq infirmières bulgares
00:17:51apprenaient leur condamnation.
00:17:53Accusées d'avoir volontairement inoculé le virus du sida,
00:17:57à plus de 400 enfants,
00:17:59le feuilleton judiciaire dure maintenant depuis six ans.
00:18:02Je suis entré en contact avec les autorités libyennes.
00:18:07Ensuite, à deux reprises, avec Cécilia Sarkozy, nous sommes allés là-bas.
00:18:12Nous avons négocié et puis nous avons obtenu la libération,
00:18:17qui d'ailleurs, jusqu'au dernier moment, n'allait pas de soi.
00:18:20Nous avions été impressionnés par la tristesse
00:18:25qui était celle du visage de vos compatriotes.
00:18:29Ce matin, quand elles sont montées dans l'avion,
00:18:33leur visage a immédiatement rayonné de bonheur
00:18:36à la perspective de revoir leur famille, leurs amis, leur pays.
00:18:45Plus de dix ans plus tard,
00:18:47Claude Guéant lève enfin le voile sur les dessous financiers de cette histoire.
00:18:51Il y a eu, à cette libération,
00:18:54deux compensations.
00:18:55Une première n'a pas été apportée par la France,
00:18:59mais par le Qatar,
00:19:00qui a, au nom de l'Union européenne, pour lui rendre service,
00:19:03parce qu'elle n'avait pas les moyens de mettre en place ces moyens de financement,
00:19:08fait une avance à la fondation Kadhafi
00:19:11de l'indemnisation qu'elle avait payée aux familles des enfants décédés.
00:19:16Et puis la deuxième compensation, ça a été la promesse,
00:19:19dans le sillage de cette volonté de renouer,
00:19:22d'une visite en France.
00:19:26L'invitation passe mal, jusqu'au sein du gouvernement.
00:19:29Ramayad, alors secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, s'insurge.
00:19:33On nous retrouve avec une journée des droits de l'homme sur les bras
00:19:36et Kadhafi sur le tarmac d'Orly.
00:19:38Que Kadhafi vienne à Paris, d'accord,
00:19:40mais qu'on lui tienne un discours rigoureux sur la question des droits de l'homme.
00:19:45C'est absolument indispensable,
00:19:46parce que la France n'est pas seulement une balance commerciale.
00:19:49Il fallait parfois admonester des ministres,
00:19:52ou leur faire des reproches.
00:19:53Ce sont des choses que j'aimais pas faire,
00:19:55parce que j'aime bien Ramayad,
00:19:57mais je lui ai quand même remis à sa place.
00:20:01Elle était secrétaire d'Etat en charge des droits de l'homme.
00:20:04Elle n'avait pas à porter une sorte d'appréciation négative
00:20:08sur une décision diplomatique prise par le président de la République.
00:20:13Et je le dis très clairement que c'était la dernière fois.
00:20:16Et que si elle refaisait la même chose,
00:20:19elle ne serait plus membre du gouvernement.
00:20:22S'il vous plaît !
00:20:26Pourquoi le secrétaire général,
00:20:28que ce soit à l'égard du collègue Kadhafi,
00:20:32à l'égard de Bachar el-Assad, à l'égard du roi d'Arabie saoudite,
00:20:35à l'égard d'autres encore,
00:20:37est celui qui est choisi pour faire ces missions spéciales ?
00:20:39C'est parce qu'il est le plus proche collaborateur du président
00:20:43et, en quelque sorte, son porte-parole.
00:20:46C'est lui qui traduit sa pensée, qui peut s'engager pour lui.
00:20:51À certains égards, il est même plus important
00:20:53que le ministre des Affaires étrangères,
00:20:56compte tenu de cette relation personnelle.
00:20:59Fort de cette relation professionnelle et personnelle étroite avec le président,
00:21:03le secrétaire général peut parfois se transformer en gardien de sa vie privée,
00:21:07lorsque les mystères de l'État se confondent avec les secrets d'un homme.
00:21:12Quand je suis nommé secrétaire général de la présidence de la République en 1982,
00:21:16je ne connais pas l'existence de Mazarine Pinjot.
00:21:18J'étais dans son bureau, deux coups de téléphone,
00:21:20où il appelait manifestement Anne Pinjot, la mère de Mazarine,
00:21:25pour convenir d'un déjeuner ou d'un dîner.
00:21:27Je me retirais, il me faisait signe de rester.
00:21:29C'était une manière de dire, je sais que vous savez et que vous ne direz rien.
00:21:32C'était un peu avant Noël, il me dit, au fait,
00:21:35j'y pense, les jeux électroniques que vous m'avez montrés l'autre jour,
00:21:37est-ce que vous pensez que ça pourrait convenir à une petite fille ?
00:21:39Ça n'est arrivé que dans un ou deux voyages,
00:21:43il me demande d'aller acheter des jouets, en fait.
00:21:46Parce que j'ai un fils aîné qui a à peu près le même âge,
00:21:49mais il ne m'a jamais rien dit.
00:21:51On se dit, oui, c'est sa vie, où est le problème ?
00:21:53Ce n'est pas mon sujet, on n'a pas à s'occuper de ça.
00:21:56Donc je n'ai pas eu à organiser le secret, c'était autre chose.
00:21:59Puis la vie de François Mitton était très compartimentée.
00:22:08Lorsque la vie privée du président devient un enjeu politique,
00:22:12le secrétaire général se retrouve le témoin de situations délicates.
00:22:16Ce fut le cas pour Jean-Pierre Jouillet,
00:22:17avec Valérie Trierweiler à l'Élysée.
00:22:20Moi, j'étais l'homme du président à titre privé et à titre amical.
00:22:24Il est certain que les éléments privés ont pesé sur ce quinquennat,
00:22:29notamment la rupture avec Valérie Trierweiler.
00:22:33320 pages de merci pour ce moment.
00:22:35Le livre de Valérie Trierweiler allume un nouvel incendie
00:22:38au pied de l'Élysée.
00:22:39S'agira-t-il d'un feu folet ou dévastera-t-il le palais présidentiel ?
00:22:44Sur les relations avec les compagnes du président,
00:22:49il s'en remettait davantage à mon épouse qu'à moi,
00:22:53et il avait raison.
00:22:54J'ai vécu tous ces moments...
00:22:57d'une grande intensité.
00:23:01Je ne ferai pas de commentaire.
00:23:06En mai 2007,
00:23:07l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République
00:23:10coïncide avec une période difficile de sa vie personnelle.
00:23:14Sa femme, Cécilia, le quitte quelques semaines après son entrée en fonction.
00:23:18Dans ces moments, son secrétaire général, Claude Guéant,
00:23:21devient le confident d'un homme blessé
00:23:24et celui qui l'aide à organiser la vie d'après.
00:23:31Il était dévasté.
00:23:33Absolument dévasté.
00:23:35Il me dit, Claude, Cécilia vient de me quitter.
00:23:38Et puis, ensuite, il y a eu sa vie solitaire,
00:23:43il y a eu des rebondissements,
00:23:44mais le secrétaire général peut aussi contribuer
00:23:48à la protection des secrets en tarissant la source, je dirais.
00:23:55Je me souviens que, quand il s'est marié
00:24:01avec sa deuxième épouse, Carla Bruni,
00:24:04troisième, d'ailleurs,
00:24:05c'est moi qui organisais la cérémonie de mariage.
00:24:09Avec Carla, nous avons décidé de ne pas mentir.
00:24:13Nous ne voulons rien instrumentaliser,
00:24:16mais nous ne voulions pas nous cacher.
00:24:18Je ne voulais pas qu'on prenne une photo de moi au petit matin.
00:24:21Glauque.
00:24:23Et puis, vous l'avez compris, c'est du sérieux.
00:24:26Il se dit, j'aimerais bien me marier à l'Elysée.
00:24:29Est-ce que c'est possible ?
00:24:30Je me souviens, j'avais convié le maire de l'arrondissement,
00:24:34M. Lebel, je me souviens,
00:24:36nous avons regardé les textes, c'était juridiquement possible,
00:24:39et j'ai organisé ce mariage à l'Elysée, un samedi matin,
00:24:42dans le salon vert.
00:24:50Le secrétaire général dispose d'une influence considérable.
00:24:53Mais lorsque l'homme de l'ombre sort de sa réserve,
00:24:56il prend le risque d'être accusé de déséquilibrer les relations délicates
00:24:59entre le président et le Premier ministre.
00:25:02Ce fut le cas durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy,
00:25:05avec l'omniprésent Claude Guéant.
00:25:09J'ai été, dans les fonctions de secrétaire général,
00:25:11attentif à ce que la politique du président
00:25:15soit effectivement mise en oeuvre.
00:25:17Quoi de plus normal ?
00:25:19Le numéro un a le droit d'être certain
00:25:23que sa politique est effectivement mise en oeuvre par ses ministres.
00:25:26Je ne citais pas à tous les entretiens
00:25:29entre le Premier ministre et le président de la République.
00:25:31Au début, si.
00:25:33Ensuite, François Fillon a souhaité
00:25:35que je ne sois plus là systématiquement.
00:25:37Je venais sur demande.
00:25:39Peut-être était-il gêné par le fait que quelqu'un,
00:25:42devant le président de la République,
00:25:43puisse avoir des opinions différentes de celles qu'il exprimait,
00:25:46étant tout autant informé que lui.
00:25:49Rompant avec toutes les traditions,
00:25:51Claude Guéant intervient dans les médias
00:25:52pour porter la parole présidentielle en lieu et place des ministres.
00:25:56Une première dans l'histoire de la Ve République.
00:25:59Est-ce qu'en parlant ici, vous représentez le chef de l'État ?
00:26:02Est-ce qu'un ministre peut s'exprimer sans avoir votre aval ?
00:26:06Est-ce que vous avez un rôle politique de ce fait ?
00:26:09Oui, bien sûr. On n'avait jamais vu ça.
00:26:11J'étais interrogé, effectivement,
00:26:13sur la totalité du spectre
00:26:16de l'action gouvernementale et publique.
00:26:19On dit même que François Fillon, qui était Premier ministre,
00:26:24était capable de faire la même chose.
00:26:25Il avait plus d'expérience que moi, en a été un peu froissé,
00:26:29parce que je faisais la même chose que lui.
00:26:32Ça, c'était à la demande express du président, bien entendu.
00:26:35Peut-être qu'il n'y a plus assez de place pour le Premier ministre.
00:26:37Comment, vous, à l'endroit où vous êtes, Claude Guéant,
00:26:40vous percevez ces choses-là ?
00:26:41Le président de la République sous la Ve République
00:26:45est notamment depuis l'instauration du quinquennat,
00:26:48notamment depuis la coïncidence
00:26:50entre les élections législatives et l'élection présidentielle
00:26:54et celui qui gouverne.
00:26:56Il a été dit souvent que notre férule était trop forte
00:27:00sur l'activité gouvernementale,
00:27:02je dirais, avec le recul,
00:27:04que je regrette qu'elle n'ait pas été plus forte encore.
00:27:08J'observe que celles de M. Macron et de son équipe
00:27:12sont beaucoup plus précises,
00:27:14et je crois que M. Macron a raison.
00:27:17Et on a bien vu, après, qu'il y avait eu,
00:27:19d'ailleurs, de la part de François Fillon,
00:27:22une sorte d'hostilité, peut-être de haine,
00:27:25qui s'était créée à force de couleuvres avalées,
00:27:30de son point de vue.
00:27:31Je considère que j'aurais sans doute,
00:27:33pour l'efficacité du quinquennat de Nicolas Sarkozy,
00:27:37dû être plus précis encore,
00:27:40plus attentif dans le suivi de la politique gouvernementale.
00:27:44Lorsque certains de mes successeurs ont commencé à apparaître
00:27:46dans des émissions de radio ou de télé,
00:27:49j'ai eu une première réaction qui n'était pas négative,
00:27:51en disant que c'est au fond un personnage important,
00:27:54le secrétaire général.
00:27:55C'est pas inutile qu'on découvre
00:27:57ce qui est simplement une silhouette porte-parole
00:28:01ou une ombre dans les photos prises sur le perron de l'Elysée.
00:28:04Mais j'ai très vite constaté qu'il leur arrivait,
00:28:08je vais pas faire de personnalité,
00:28:11d'aller au-delà de l'explication de ce que faisait le président,
00:28:14de jouer un rôle qui apparaissait comme une critique du Premier ministre.
00:28:18Et ça, pour moi, c'est mortel pour la République.
00:28:21Si vous introduisez un personnage sans légitimité,
00:28:25qui est le secrétaire général,
00:28:26quelque part entre le président de la République et le Premier ministre,
00:28:30et qui, parce qu'il parle, parce qu'il donne un avis,
00:28:34parce qu'il annonce des décisions,
00:28:35viendrait parasiter cette relation
00:28:38du président de la République au Premier ministre,
00:28:40et du Premier ministre au président de la République,
00:28:42je pense qu'on sort des clous
00:28:44du fonctionnement harmonieux des institutions.
00:28:47323 jours à Matignon, Édith Cresson, première femme, Premier ministre,
00:28:50détient le record du séjour le plus court de la Ve République.
00:28:53Elle y est arrivée avec pour mission de donner un nouvel élan
00:28:56à la France pour préparer les échéances européennes et électorales de 93.
00:29:01Elle s'en va, tombée au champ d'honneur
00:29:02de la déroute électorale socialiste.
00:29:04Elle s'était donnée deux ans pour réussir.
00:29:07Il y avait une tension réelle dans le gouvernement
00:29:08entre Édith Cresson, choisie par le président Mitterrand,
00:29:11et les grands ministres,
00:29:13qui, en gros, ne reconnaissaient pas son autorité.
00:29:15Pierre Bérigauvois, Jacques Lang, Laurent Fabius, Roland Dumas,
00:29:18des gens comme ça.
00:29:19Édith Cresson a tendance à penser que l'Élysée,
00:29:23c'est-à-dire, en clair, le secrétaire général,
00:29:25c'est-à-dire Hubert Védrine,
00:29:27soutenait les grands ministres
00:29:28dans leur contestation du rôle du Premier ministre,
00:29:31Édith Cresson.
00:29:32C'était assez difficile,
00:29:33ce qu'humainement, je regrettais à l'époque et encore maintenant,
00:29:36parce que c'est quelqu'un de très estimable.
00:29:38C'était plutôt une question d'inadaptation à la fonction, vous voyez.
00:29:44Critiquer publiquement le Premier ministre ou l'un de ses prédécesseurs,
00:29:48c'est l'erreur que commet Jean-Pierre Jouyé,
00:29:50secrétaire général de François Hollande, en novembre 2014.
00:29:54Une erreur qui manque de lui coûter son poste.
00:29:56Jean-Pierre Jouyé, le secrétaire général de l'Élysée,
00:29:59et selon Le Quotidien, il lui aurait réclamé, je cite,
00:30:02de taper sur Sarkozy.
00:30:05Révélé publiquement,
00:30:06l'information prend la tournure d'une affaire d'État.
00:30:09La presse et l'opposition accusent le secrétaire général
00:30:12de diriger un cabinet noir,
00:30:14où s'organiseraient complots et coups tordus.
00:30:17Poursuivi pour diffamation par François Fillon,
00:30:20Jean-Pierre Jouyé manque de devoir démissionner
00:30:22pour avoir trop parlé à deux journalistes du monde.
00:30:26C'est pour moi l'épisode professionnel
00:30:30le plus douloureux que j'ai connu à titre personnel.
00:30:37Parce que là, j'ai eu vraiment le sentiment de m'être fait avoir.
00:30:43Là, je sais bien que vous m'enregistrez,
00:30:45je sais bien que je vous parle,
00:30:48mais à l'époque, je ne le savais pas du tout.
00:30:51François Fillon accuse son ancien ministre, Jean-Pierre Jouyé,
00:30:54de mentir et de comploter contre lui.
00:30:56Jean-Pierre Jouyé dément, puis confirme,
00:30:58deux versions en trois jours, sous la menace d'enregistrement.
00:31:01On voit mal comment on pourrait s'en arrêter là.
00:31:02Je me souviens être resté chez moi deux ou trois jours
00:31:07et je voyais bien que cela avait des conséquences
00:31:10aussi sur ma famille, sur mes enfants et tout,
00:31:15ce qui me peinait très fortement.
00:31:19Jean-Pierre Jouyé,
00:31:21qui est la première personnalité de la présidence de la République,
00:31:24a menti aux Français.
00:31:26Il a dit une chose, formellement, et puis il a démenti ensuite.
00:31:31Jean-Pierre Jouyé n'a donc pas d'autre choix
00:31:34que de remettre sa démission du secrétariat général de l'Élysée.
00:31:37J'ai songé, effectivement, à partir,
00:31:41parce que je ne voulais pas gêner le président de la République.
00:31:44Après, j'ai suivi les instructions du président de la République,
00:31:49j'ai apporté un démenti,
00:31:51j'ai quand même mis 48 heures à le faire.
00:31:56Ça m'ennuyait à l'égard de François Fillon.
00:32:00Voilà, après, j'ai été discipliné, quoi.
00:32:05Jean-Pierre Jouyé est secrétaire général de l'Élysée
00:32:09et c'est un bon secrétaire général de l'Élysée.
00:32:11Je crois qu'il voulait montrer aussi,
00:32:15là qu'il faisait preuve d'autorité,
00:32:17que ce n'étaient pas les autres qui décidaient
00:32:19de l'arrivée ou du départ du secrétaire général.
00:32:23Le secrétaire général est en première ligne
00:32:25dans les crises qui secouent le quinquennat.
00:32:28Il est souvent celui qui annonce au président les mauvaises nouvelles.
00:32:32En décembre 2012, Jérôme Cahuzac, alors ministre du budget,
00:32:36est accusé de détenir des comptes en Suisse et à Singapour.
00:32:40Pour François Hollande, élu sur une promesse d'exemplarité,
00:32:44le coup est rude.
00:32:48Jérôme Cahuzac est notre invité ce matin.
00:32:50Bonjour.
00:32:51Bonjour, Jean-Jacques Bordin.
00:32:52Jérôme Cahuzac, on va revenir sur cette affaire de comptes en Suisse,
00:32:56ces accusations de Mediapart.
00:32:58Évidemment, tout le monde est interrogatif et heurté.
00:33:01Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
00:33:03Donc, les autorités, c'est-à-dire le président de la République,
00:33:06le Premier ministre et moi, à mon niveau,
00:33:08on fait ce qu'on doit faire dans ces cas-là,
00:33:10c'est-à-dire poser la question.
00:33:11C'est vrai, c'est pas vrai.
00:33:13Moi, j'ai eu Cahuzac au téléphone, Jérôme Cahuzac.
00:33:15Je lui ai dit, écoute, qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
00:33:18C'est vrai, c'est pas vrai.
00:33:19Des yeux dans les yeux.
00:33:21Est-ce que vous avez eu un compte en Suisse ou pas ?
00:33:24Je n'ai pas, je n'ai jamais eu de compte en Suisse, Jean-Jacques Bordin.
00:33:28À aucun moment.
00:33:29À aucun moment.
00:33:31Et la réponse apportée aux autorités françaises par la Suisse
00:33:35permettra, je l'espère, et très vite,
00:33:38et le plus vite serait le mieux, d'en finir avec ces saletés.
00:33:42Donc, il dit à l'ensemble des autorités,
00:33:44modestement, en moi, que tout ça n'est pas vrai.
00:33:47Que tout ça n'est juste pas vrai.
00:33:50Le ministre a dit lui-même devant le Parlement,
00:33:52je sais plus quelle était la phrase, mais disant, c'est pas vrai.
00:33:55C'est pas vrai.
00:33:56Je démontre catégoriquement
00:33:58les allégations contenues sur le site Mediapart.
00:34:02Je n'ai pas, monsieur le député, je n'ai jamais eu
00:34:05de compte à l'étranger, ni maintenant, ni avant.
00:34:08C'est un moment terrible
00:34:11qu'un ministre ait pu dire à la représentation nationale
00:34:13et au président quelque chose qui n'était pas vrai.
00:34:17On était deux, trois dans le bureau du président de la République.
00:34:20Il était blessé, furieux et blessé. Vraiment.
00:34:23Il y a des silences qui, chez François Hollande,
00:34:27parlent plus que beaucoup de mots.
00:34:29Moi, ça reste une blessure, cette histoire.
00:34:32Ça reste une blessure, à la fois personnelle
00:34:37et fonctionnelle.
00:34:40Je me suis beaucoup posé la question de savoir
00:34:43si on aurait pu savoir.
00:34:45Est-ce que j'ai failli quelque part ?
00:34:49Est-ce que j'aurais pu ?
00:34:50J'ai été très exaspéré par une partie, évidemment,
00:34:54de la classe politique, qui disait qu'ils devaient le savoir,
00:34:57c'est pas possible qu'ils ne le sachent pas.
00:35:00Si on l'avait su,
00:35:03je dis on, si on l'avait su,
00:35:08on aurait mis fin à ça tout de suite.
00:35:10Clichy-sous-bois s'est de nouveau embrasé.
00:35:15Il est 21h quand plusieurs centaines de jeunes
00:35:18commencent à provoquer les forces de l'ordre.
00:35:20Quand il y a eu la crise dans les banlieues,
00:35:22tout, dans ce sujet, me prenait aux tripes.
00:35:26Je suis un enfant de l'immigration.
00:35:28Mon père n'est pas né français.
00:35:30En revanche, il a réussi très, très vite,
00:35:33grâce à la méritocratie française.
00:35:37Il était d'origine tunisienne, ma mère d'origine marocaine.
00:35:41La question qui était posée à travers cette révolte,
00:35:44c'est qu'il y a un mur de vertèles qu'on n'est plus capable
00:35:47de passer à travers.
00:35:49Je sentais bien, à la fois, la dimension affective des choses
00:35:53et ce qu'il y avait de vrai
00:35:56dans l'expression de cette colère-là.
00:36:00Il y a une première parole qui est ratée.
00:36:03Il descend, il fait noir,
00:36:06il dit des mots qui ne sont pas suffisants.
00:36:08Tout ça donne une impression d'impuissance dans le clair-obscur.
00:36:11Et ça ne marche pas.
00:36:13Aujourd'hui, la priorité absolue,
00:36:15c'est le rétablissement de la sécurité et de l'ordre public.
00:36:21Et puis, il y a un moment,
00:36:24il y a la prise de parole qu'il faut,
00:36:26et avec les mots qu'il faut,
00:36:27quand il dit, en réalité, ce que les gens attendent
00:36:30derrière l'explosion, c'est-à-dire un message affectif.
00:36:34Vous êtes tous les filles et les fils de la République.
00:36:38C'est dans les mots et les regards,
00:36:42avec le cœur et dans les faits,
00:36:45que se marque le respect auquel chacun a droit.
00:36:51Et je veux dire aux enfants des quartiers difficiles,
00:36:57quelle que soit leur origine,
00:37:00qu'ils sont tous les filles et les fils de la République.
00:37:06On n'imagine pas la puissance de la parole présidentielle.
00:37:10Quand un président de la République dit quelque chose,
00:37:13ça doit être des mots qui sont bien décidés, bien choisis,
00:37:16bien réglés, parce que la puissance de feu est immense.
00:37:20Et c'est pas seulement des mots.
00:37:22Les mots du président ont une valeur qui est politique.
00:37:25Vous prenez, par exemple, pour Jacques Chirac,
00:37:28son impact en termes de capacité à apaiser
00:37:32une blessure historique profonde
00:37:35qui continue à faire souffrir la société est immense.
00:37:40Protéger le président, c'est l'obsession du secrétaire général.
00:37:44Mais quand la maladie frappe le chef de l'État,
00:37:46des questions nouvelles se posent.
00:37:48Comment faire face aux rumeurs et à la vacance possible du pouvoir ?
00:37:53Dès que François Mitterrand est élu,
00:37:55il y a des rumeurs qui tournent autour d'un cancer.
00:37:57Le système de santé, tous les six mois,
00:37:59c'est déjà un rythme accéléré par rapport à mes prédécesseurs.
00:38:06D'un autre côté, je ne peux pas passer mon temps
00:38:08à me promener dans la rue,
00:38:10la poitrine nue, avec un stéthoscope,
00:38:14un chirurgique et un instrument pour mesurer ma tension,
00:38:20qui est excellente, sous le signal 12-8, ça ne bouge jamais.
00:38:23Je prends cela, nous prenons ça comme des offensives de gens
00:38:26qui veulent déstabiliser le pouvoir.
00:38:29En réalité, on le sait maintenant, le président avait,
00:38:31dès le début du septennat, peut-être même avant un cancer,
00:38:35d'ailleurs, le président avait institué l'idée
00:38:37de publier des bulletins réguliers, mais qui étaient des bulletins trompeurs.
00:38:40Moi, je n'ai rien appris de sérieux, de valable,
00:38:43avant d'être secrétaire général, en fait. Rien avant.
00:38:46Les seuls qui savent, c'est le docteur Gubler,
00:38:49son médecin personnel et Michel Charas.
00:38:51Je ne crois pas que Jacques Attali soit au courant
00:38:53en tout cas, pas à l'époque. Moi, je ne le suis pas non plus.
00:38:55Il a été pratiqué tout un bilan pour ne laisser aucune zone d'ombre.
00:38:59Le président le souhaitait, ça a été fait
00:39:02et les conclusions sont parfaitement satisfaisantes.
00:39:05Nous vivons avec François Mitterrand tous les jours.
00:39:08On voyage avec lui.
00:39:09J'ai dû faire plusieurs tours du monde avec lui.
00:39:11Et il nous éreinte par sa résistance physique.
00:39:19Donc, l'idée que ce Mitterrand-là qu'on connaît, ce président,
00:39:22soit malade de quoi que ce soit,
00:39:24a fortiori une maladie grave, c'est complètement absurde.
00:39:27Donc, il est arrivé que quelques ministres bavards
00:39:29se répandent partout en disant, il va mourir, je l'ai vu.
00:39:33Le service de presse de l'Elysée était submergé d'appels
00:39:35en disant, pourquoi vous ne dites pas qu'il est mort ?
00:39:37Choquant du point de vue de la démocratie,
00:39:40compréhensible du point de vue de quelqu'un
00:39:42qui est athlète à cet âge historique,
00:39:43mais choquant du point de vue de la démocratie,
00:39:44pas spécialement choquant à l'égard de moi, oui.
00:39:46C'est quelque chose qui serait totalement impossible aujourd'hui
00:39:48et d'un certain point de vue, tant mieux.
00:39:53Jacques Chirac est en bonne forme.
00:39:55Déclaration du Premier ministre qui quitte à l'instant
00:39:57le chef de l'État hospitalisé au Val-de-Grâce depuis hier.
00:40:00Jacques Chirac, victime d'un léger accident vasculaire
00:40:03qui a occasionné un trouble de la vue.
00:40:05La classe politique dans son ensemble
00:40:07lui souhaite un prompt rétablissement.
00:40:09Moi, je suis fils de médecin, je connais très bien les hôpitaux.
00:40:11C'est-à-dire qu'il n'y a pas une caisse de résonance
00:40:15plus importante qu'un hôpital.
00:40:17Tout ce, c'est le diagnostic, il est su à la seconde.
00:40:20La règle, c'est pas de communication progressive,
00:40:23on dit tout, tout de suite.
00:40:24On n'a strictement rien caché.
00:40:28Je l'aurais jamais laissé faire pour une raison assez simple,
00:40:31c'est qu'en matière médicale, rien ne se cache.
00:40:34Les hôpitaux sont des passoires totales.
00:40:37Personne n'est plus bavard qu'un médecin.
00:40:39Si on avait commencé à dire,
00:40:41c'est pas ci, c'est pas ça, etc., c'était fini.
00:40:44Je commençais à avoir hâte de sortir.
00:40:48Ça, c'est un fait.
00:40:49Je commençais à trouver le temps long,
00:40:52surtout à l'heure du déjeuner,
00:40:54que je suis très content maintenant d'aller prendre.
00:40:57À cet instant,
00:40:59le temps où Jacques Chirac regardait devant lui son avenir,
00:41:04s'est arrêté.
00:41:05C'est là aussi la fonction du secrétaire général.
00:41:09Tu es le gardien des derniers moments du président.
00:41:13J'irai jusqu'au bout et je m'ouvrirai l'estomac
00:41:15pour que ça se passe bien et que ça se finisse bien.
00:41:23La fin approche.
00:41:25Bientôt l'Elysée se videra, le téléphone ne sonnera plus,
00:41:29les conseillers s'en iront.
00:41:31Dans ces derniers instants,
00:41:33le secrétaire général est le compagnon du crépuscule.
00:41:37C'est assez simple et en réalité assez mélancolique.
00:41:41Le président de la République présidait une remise de décorations
00:41:45comme ça arrive souvent.
00:41:46Après la remise de décorations,
00:41:49on entend bien brisser ce petit monde de l'Elysée.
00:41:52Le président de la République doit faire une déclaration
00:41:55télévisée dans un studio qui est le studio de l'Elysée.
00:41:59Un vieux studio un peu sinistre.
00:42:02Mes chers compatriotes,
00:42:04je m'adresse à vous ce soir
00:42:06pour vous faire connaître la décision que j'ai prise
00:42:08dans la perspective de la prochaine élection présidentielle.
00:42:11Il m'avait informé un mois auparavant
00:42:14qu'il ne souhaitait pas se représenter.
00:42:17En tant que secrétaire général, je lui écoute.
00:42:22Tu n'es pas obligé de le dire maintenant
00:42:25et tu fais comme les autres présidents
00:42:27sortant sous la Vème République,
00:42:30tu attends le mois de janvier.
00:42:31Voilà. Et je regrette encore fortement
00:42:35qu'il n'ait pas suivi mon conseil.
00:42:37J'ai décidé de ne pas être candidat
00:42:40à l'élection présidentielle,
00:42:42au renouvellement donc de mon mandat.
00:42:44Je tenais ici à vous en faire part directement,
00:42:48comme je m'y étais engagé.
00:42:50Dans ces moments-là,
00:42:52comme dans les moments les plus graves,
00:42:55François Hollande est extrêmement pudique
00:42:58et s'exprime peu.
00:43:00Et il reste très silencieux
00:43:03et cela reste à l'intérieur de lui-même.
00:43:11Mes chers compatriotes,
00:43:13vous l'imaginez,
00:43:15c'est avec beaucoup d'émotion
00:43:18que je m'adresse à vous ce soir.
00:43:21Il vient le moment où il faut qu'il dise aux Français
00:43:24qu'il s'en va.
00:43:26Je voulais qu'il dise aux Français qu'il les aimait.
00:43:29Pas une minute.
00:43:31Je n'ai cessé d'agir pour servir cette France magnifique.
00:43:35Et qu'il prononce la phrase...
00:43:37Cette France que j'aime autant que je vous aime.
00:43:41Cette France que j'aime autant que je vous aime.
00:43:44Pendant des jours,
00:43:46il a refusé et il a biffé.
00:43:48On a fait plein de versions de ce texte qui était important.
00:43:52Et donc, il l'a enlevé, je lui remettais,
00:43:57jusqu'au moment où je lui ai dit
00:44:00qu'il ne me ferait qu'une seule fois confiance.
00:44:03Mais faites-le sur cette phrase-là.
00:44:06Et il a fini par le dire.
00:44:12Bon, à tout à l'heure.
00:44:19Il était à Chamalières.
00:44:20Donc, je l'ai appelé à 16h et je lui ai dit qu'il allait être battu.
00:44:24Et il m'a dit, j'en ai eu la préscience
00:44:26en regardant voter à Chamalières.
00:44:29Il m'a dit, il faut que la transition se passe de manière exemplaire,
00:44:34ainsi que ça doit être dans une démocratie.
00:44:37Nicolas, Nicolas, Nicolas...
00:44:45Quand il y a des soirées électorales,
00:44:47on installe un poste de télévision dans une pièce.
00:44:49C'était le poste de télévision dans mon bureau.
00:44:51Et Nicolas Sarkozy fait son discours.
00:44:54Et ne prononce pas le nom de Jacques Chirac.
00:44:57Et à ce moment-là, je le regarde.
00:44:59Et là, je vois le visage qui devient une statue de pierre.
00:45:05On voit bien la souffrance extrêmement profonde de cet instant.
00:45:12On était dans son bureau.
00:45:14Il y avait pour lui quelque chose d'irréel
00:45:16de voir son ancien collaborateur être devenu aussi indépendant
00:45:21et accéder à ses responsabilités.
00:45:27Comme je connaissais le nouveau président et son époux,
00:45:30j'étais heureux qu'il soit élu
00:45:35et heureux pour lui qu'il soit élu.
00:45:40C'est très, très simple, ça ressemble à la mer qui se retire.
00:45:44D'un seul coup, le téléphone cesse de sonner,
00:45:48les visiteurs ne viennent plus,
00:45:51les commandeurs n'ont plus rien à obtenir,
00:45:54donc il s'installe un calme qui était inconnu jusque-là.
00:45:58Après, le secrétaire général a une grosse tâche,
00:46:00c'est de recaser les gens.
00:46:02François Mitterrand a demandé à plusieurs reprises,
00:46:05il pensait pas qu'à lui.
00:46:06Est-ce que vous êtes occupé ? Il faut qu'il soit pas en l'air.
00:46:10Il y a tout un travail qui prend plusieurs semaines à la fin.
00:46:13Après, il y a une sorte d'attente.
00:46:15Les gens se parlent. Tu vas faire quoi ?
00:46:18C'est ça, l'ambiance.
00:46:19C'est un peu surréaliste, mais c'est pas très politique.
00:46:22Musique sombre
00:46:25En réunissant pour la dernière fois le secrétariat général,
00:46:30je leur ai dit, j'aurais aimé vous dire
00:46:33que MacArthur, nous reviendrons,
00:46:35mais j'en suis pas sûr.
00:46:38Musique sombre
00:46:43Jacques Chirac, c'est comme dans la chanson de Lama,
00:46:46même au bord des larmes, il faudra croire qu'il s'en fout.
00:46:49Musique sombre
00:46:52A la fin de la présidence de François Hollande,
00:46:54Jean-Pierre Jouillet bénéficie d'une position exceptionnelle.
00:46:58A la fois meilleur ami du président de la République
00:47:00et très proche de son successeur Emmanuel Macron,
00:47:03il vit la transition de manière singulière.
00:47:06Le nouveau président est quelqu'un que je connais bien,
00:47:11et qui je m'entends bien.
00:47:14Et je vois beaucoup de gens qui viennent me voir,
00:47:17je ne me suis pas ennuyé.
00:47:19Pour avoir de nouvelles responsabilités
00:47:24avec le nouveau président.
00:47:26C'est ce qui a animé le plus ma fin de mandat à l'Elysée.
00:47:31Musique sombre
00:47:33Alors que le président sortant s'apprête à céder la place à son successeur,
00:47:37le secrétaire général remplit sa dernière mission,
00:47:40organiser la passation de pouvoir et assurer la continuité de l'Etat.
00:47:44Musique sombre
00:47:45Ça s'est passé très, très bien, j'ai vu Alexis,
00:47:48que je connaissais depuis longtemps parce que j'avais recruté au Trésor,
00:47:52puisqu'il n'y avait pas de première dame.
00:47:53C'est mon épouse qui a accueilli Brigitte Macron à l'Elysée.
00:48:00Comme souvent, c'est sans doute ma femme qui a joué un plus grand rôle.
00:48:03Musique sombre
00:48:05C'était de mon devoir d'accueillir M. François Mitterrand.
00:48:10Je lui ai dit que le président voulait s'entretenir en tête à tête avec lui
00:48:13pour lui parler d'un certain nombre de choses secrètes, il m'a dit oui.
00:48:16Musique sombre
00:48:21On voit sur des photos, M. François Mitterrand qui est là,
00:48:24je suis à côté, légèrement en retrait.
00:48:27On est complètement flottant, en fait.
00:48:29Musique sombre
00:48:32Le dernier jour, pour moi qui suis là depuis le 21 mai,
00:48:36qui est passé quand même, à cette époque-là,
00:48:38les trois quarts de ma vie avec Mitterrand, d'une façon ou d'une autre.
00:48:42C'est un rêve cotonneux, un peu.
00:48:43Musique sombre
00:48:47Il y a la grande salle de réception de l'Elysée
00:48:51où le grand chancelier va introniser, entre guillemets,
00:48:55le nouveau président de la République.
00:48:56Donc je vois la porte entrebâillée,
00:48:59mais je passe par derrière pour partir par l'entrée secondaire.
00:49:03Mais voilà, à ce moment-là, je suis redevenu moi-même.
00:49:07Musique sombre
00:49:12Ce que j'ai retenu, c'est qu'il n'est jamais facile non plus
00:49:17de travailler avec son ami le plus proche.
00:49:20Parce qu'il ne faut pas confondre les deux,
00:49:24ce que faisait très bien le président,
00:49:27et que pour celui qui est le secrétaire général,
00:49:32surtout lorsqu'il a,
00:49:37ce qui était mon cas, un tempérament affectif,
00:49:41vous avez du mal à distinguer ce qui est professionnel
00:49:45de ce qui est affectif.
00:49:49Et ça, j'avoue que je n'ai jamais su le faire,
00:49:55et que maintenant, je crains que ce n'est pas aujourd'hui
00:50:00que je vais changer.
00:50:01Dans les toutes dernières semaines de la présidence de François Mitterrand,
00:50:05il y a une sorte de soulagement qui commence à apparaître en disant
00:50:08qu'il a tenu bon, on a tenu bon.
00:50:10Et puis, François Mitterrand part
00:50:13pour s'arrêter à Haute-Solferie,
00:50:15où à l'époque, il y avait le siège du Parti Socialiste.
00:50:18C'est incroyable, c'était une épopée,
00:50:21une aventure, c'est fini.
00:50:23C'est fini.
00:50:25Bon, vous voyez, il y a un espèce de tristesse douce
00:50:29par rapport à ça.
00:50:33C'est le temps des adieux et du retour à la vie ordinaire.
00:50:37Hier, au sommet de l'État,
00:50:39le secrétaire général redevient un homme parmi les hommes.
00:50:42Je suis rentré chez moi,
00:50:44je n'ai pas eu un sentiment de soulagement.
00:50:47Je me suis dit, à 19h,
00:50:50j'appelle le président,
00:50:53je vais lui donner mon point de vue sur ce qui s'est passé aujourd'hui,
00:50:58et je vais lui dire comment ça s'est passé sur le marché de l'échange,
00:51:02puisque c'est une chose qui l'intéresse toujours,
00:51:04c'est l'ancien ministre des Finances,
00:51:06et c'est ce que j'ai fait.
00:51:08Et pendant des semaines,
00:51:10je lui ai téléphoné tous les soirs.
00:51:13Il faut gérer l'atterrissage en douceur,
00:51:15il ne faut pas forcer les choses.
00:51:17Quand tout s'arrête,
00:51:18quand le parapluie du président de la République n'est plus là,
00:51:22parce que la fonction s'est terminée,
00:51:24vous êtes ramené à vous-même,
00:51:26et là, il y a quand même un choc assez considérable
00:51:30pour des raisons physiques, physiologiques, hormonales.
00:51:32Tu es bourré d'adrénaline,
00:51:34tu ne bascules pas dans une nouvelle vie comme ça.
00:51:38Il faut des mois pour passer le pic,
00:51:41qui est le pic de la dépression physique,
00:51:45et puis ensuite, pour passer d'une vie à une autre.
00:51:49C'est vrai que le secrétaire général est aussi,
00:51:52par définition même, quelqu'un qui ne trahit pas le président,
00:51:56ni pendant qu'il est en fonction, ni après.
00:52:00Quand, au fond, la vocation qui est la vôtre depuis tout petit,
00:52:04c'est de servir la République,
00:52:07vous avez peu d'occasions
00:52:11de servir comme ça, la République.
00:52:14...
00:52:20Avec ce documentaire réalisé par Joseph Beauregard
00:52:23et Vincent Martini, et pour la première fois,
00:52:257 anciens secrétaires généraux de l'Elysée
00:52:28témoignent ici, vous venez de le voir,
00:52:30du rôle et du pouvoir de celui qui voit tout, entend tout,
00:52:33mais lorsqu'il est en fonction, ne dit rien ou presque,
00:52:36de son rôle auprès du chef de l'Etat.
00:52:39Vincent Martini est avec nous sur ce plateau de débats d'octobre,
00:52:42en compagnie de l'un d'entre eux.
00:52:44Bienvenue, Vincent Martini.
00:52:46Vous êtes politiste, professeur à l'université de Nice
00:52:49et à l'école polytechnique,
00:52:51chercheur associé au Cevipov,
00:52:52le centre de recherche de la vie politique de Sciences Po,
00:52:55co-réalisateur de ce documentaire
00:52:57avec Joseph Beauregard.
00:53:00On va, évidemment, revenir sur ce qu'est le rôle
00:53:03de ce fameux secrétaire général de l'Elysée.
00:53:06Pierre-René Lemas, bienvenue.
00:53:08Vous faites partie des 7 anciens secrétaires généraux
00:53:11entendus dans ce film, dans ce documentaire.
00:53:13Une fonction que vous avez exercée durant 2 ans
00:53:16auprès de François Hollande, entre 2012 et 2014,
00:53:19autrement dit, au début de son quinquennat.
00:53:22Vous êtes aujourd'hui le président de France Active.
00:53:25On va le rappeler.
00:53:26Mouvement associatif de soutien aux entreprises
00:53:28et associations de l'économie sociale et solidaire.
00:53:31On vous doit, entre autres, ce livre,
00:53:33des princes et des gens, ce que gouverner veut dire,
00:53:36un ouvrage disponible au Seuil,
00:53:38où vous racontez, vous témoignez, justement,
00:53:41de ce qu'a été ce passage à l'Elysée
00:53:43en tant que secrétaire général auprès de François Hollande.
00:53:46C'est pas évident de vendre un film comme celui-ci.
00:53:50J'imagine de proposer un film comme celui-ci
00:53:53parce que ce qu'on découvre, c'est un homme de l'ombre,
00:53:56un homme secret.
00:53:57Comment vous est venue cette idée de parler
00:54:00du secrétaire général de l'Elysée, avec ses témoignages, ses archives ?
00:54:04Au départ, l'idée, c'était de résoudre une énigme.
00:54:06Qui est cet homme qu'on croit connaître,
00:54:09puisqu'on le voit sur le perron de l'Elysée,
00:54:11à chaque fois qu'il y a un remaniement ministériel ?
00:54:14C'est une curiosité pour les coulisses.
00:54:16Moi, je commençais à m'intéresser sur un plan scientifique
00:54:20à la question des collaborateurs du pouvoir exécutif,
00:54:23qui était un sujet d'intérêt pour moi.
00:54:25Très vite, je suis arrivé sur ce personnage,
00:54:27dont j'avais eu l'occasion de discuter
00:54:29avec un des secrétaires généraux que j'ai interviewés,
00:54:32qui me disait qu'il y a beaucoup plus que l'homme du perron,
00:54:36c'est Hubert Védrine,
00:54:37il y a beaucoup plus dans ce rôle, et ça vaut le coup.
00:54:40Ce film, vous l'avez proposé à France Télévisions,
00:54:43qui était assez dubitatif.
00:54:44Il me disait comment on va faire pour réunir 7 personnes,
00:54:477 hommes d'un certain âge, en costard-cravate,
00:54:50que personne ne connaît,
00:54:51et comment faire pour les rendre intéressants,
00:54:54pour les rendre distincts les uns des autres.
00:54:56Un gros travail qu'on a fait avec le co-réalisateur,
00:54:59le monteur et le producteur,
00:55:01c'est de réfléchir à assumer leur singularité,
00:55:04de faire ressortir la singularité de leur expérience,
00:55:07mais aussi de leur conception de la République, de l'Etat,
00:55:10du service de la France,
00:55:11et de leur relation avec leur président.
00:55:14On voit Pierre-Henri Le Ma, par exemple,
00:55:16qui ouvre le film et qui le clôture.
00:55:19Là, je crois que chacun de ces personnalités interrogées
00:55:22ont réussi à mettre en avant,
00:55:24et c'est ma fierté aussi, on a réussi à le faire avec eux,
00:55:27ce qu'ils ont pu faire et pourquoi ils le voyaient
00:55:30de manière très affective.
00:55:32Un premier extrait du film,
00:55:33ce sont vos prédécesseurs qui s'expriment
00:55:36sur les missions du secrétaire général de l'Elysée.
00:55:40Au minimum, le secrétaire général doit être informé de tout,
00:55:43de tout ce que fait la machine gouvernementale,
00:55:46l'appareil d'Etat,
00:55:47évidemment, les collaborateurs du président.
00:55:49C'est une sentinelle parce qu'il protège
00:55:53à la fois le président de la République,
00:55:55c'est-à-dire l'exercice de sa fonction, mais même sa personne.
00:55:58Et puis, le secrétaire général est aussi une vigie,
00:56:01il doit être attentif aux alertes,
00:56:03il doit être attentif à l'actualité,
00:56:05et cela dans tous les domaines.
00:56:07C'est un des postes exposés de la République,
00:56:09moins bien sûr que celui du président ou du Premier ministre,
00:56:12mais qui est sans arrêt face à des surprises,
00:56:14des difficultés, des imprévus.
00:56:16Et donc, il faut bien dormir la nuit.
00:56:19On vient d'écouter successivement Hubert Védrine,
00:56:21Claude Guéant et Jean-Louis Bianco.
00:56:23C'est lui qui sera resté le plus longtemps à ce poste,
00:56:26dans l'histoire des secrétaires généraux de l'Elysée,
00:56:29il sera resté neuf ans auprès de François Mitterrand.
00:56:32Il faut bien dormir la nuit, nous dit ici Jean-Louis Bianco,
00:56:35justement.
00:56:36Elle est aussi harassante que ça, cette fonction.
00:56:39C'est comme ça que vous l'avez vécue, vous aussi ?
00:56:41-"Comme harassante", oui. C'est fatigant.
00:56:44Est-ce qu'on dort bien la nuit ?
00:56:45Il vaut mieux.
00:56:47La réalité, c'est qu'on dort peu la nuit.
00:56:49Comme il se passe quelque chose partout dans le monde
00:56:52et qu'il peut, à un moment donné,
00:56:54ou à un autre, concerner le président de la République,
00:56:57il arrive aussi que, dans la nuit, qui est courte,
00:57:00on soit réveillé parce qu'il se passe quelque chose
00:57:02à l'autre bout de l'univers.
00:57:04C'est vous qu'on contacte en premier lieu
00:57:06s'il se passe quelque chose à n'importe quelle heure
00:57:09et moment de la journée avant de remonter l'information
00:57:12au président de la République.
00:57:14C'est ça, la règle, c'est que le dernier,
00:57:16avant le président de la République,
00:57:18celui qui est prévenu, c'est le secrétaire général de l'Unité
00:57:22qui lui-même va prévenir le président de la République.
00:57:25De manière générale, ça se passe comme ça.
00:57:28L'appareil d'Etat est assez compliqué.
00:57:30Donc, lorsqu'il se passe quelque chose dans le monde,
00:57:33c'est le quai d'Orsay qui est informé,
00:57:35faut-il et dans quelles conditions prévenir
00:57:38le président de la République, c'est là où on vous appelle.
00:57:41Il se passe toujours quelque chose en France,
00:57:43que ce soit dans le domaine de l'ordre public
00:57:46ou des affaires plus générales.
00:57:48Faut-il prévenir le président ? On appelle le secrétaire général.
00:57:52Dans tout ce qui a été dit dans la définition du poste,
00:57:55moi, j'aurais ajouté, c'est aussi une espèce de centre d'aiguillage.
00:57:59Vous voyez ?
00:58:00Certains disent garde-triage.
00:58:02Moi, je dirais plutôt un aiguilleur du ciel.
00:58:05Il faut regarder ce qui se passe dans l'appareil d'Etat,
00:58:08dans la société, faire remonter au président de la République.
00:58:12Le président de la République, il n'est pas dans un univers éthéré.
00:58:15Lui-même a des canaux d'informations directes, par ailleurs.
00:58:19Néanmoins, si j'ai bien compris,
00:58:21votre bureau se trouve au premier étage,
00:58:23là aussi, où celui du chef de l'Etat,
00:58:25il y a le salon vert où se réunissent les conseillers
00:58:28avec le président.
00:58:29Votre bureau, c'est le seul passage direct
00:58:32vers le chef de l'Etat.
00:58:33Même physiquement, vous êtes la vigie,
00:58:36la dernière vigie avant l'entrée dans le bureau du chef de l'Etat.
00:58:39C'est une légende.
00:58:40Il y a une possibilité d'entrer dans le bureau du président
00:58:44de la République, dit directement par son secrétariat.
00:58:47Vous avez un hall dans lequel vous avez des huissiers
00:58:49qui sont là depuis toujours,
00:58:51qui sont des gens serviteurs de l'Etat depuis longtemps,
00:58:54avec des chaînes.
00:58:55D'un côté, le bureau du secrétaire général,
00:58:58de l'autre, le bureau du président de la République.
00:59:01Il y a le salon vert, ce qu'on appelait le salon vert.
00:59:04Souvent, les visiteurs viennent voir le secrétaire général
00:59:07qui est conduit par lui chez le président.
00:59:09C'est pas toujours le cas, c'est un peu une légende.
00:59:12J'allais dire, il y a beaucoup de secrétaires généraux
00:59:15qui attachaient une importance, à mon avis, excessive,
00:59:18mais c'est comme ça, au fait qu'il devait être le sas
00:59:23permettant au président de la République
00:59:25de ne recevoir que... Voilà.
00:59:27Mais c'est pas vrai.
00:59:29En tous les cas, à mon époque, c'était pas vrai.
00:59:31Vous racontez une anecdote dès la passation de pouvoir
00:59:34entre Nicolas Sarkozy et François Hollande.
00:59:37C'est ce fameux voyage à Berlin
00:59:39qu'entreprend le chef de l'Etoile,
00:59:40le soir même de sa nomination à l'Elysée,
00:59:43de la prise de pouvoir de François Hollande à l'Elysée.
00:59:46Ce que vous ne racontez pas dans ce film,
00:59:48mais que vous faites dans votre livre,
00:59:50c'est que vous arrivez à l'Elysée le jour de la passation de pouvoir
00:59:54et vous découvrez qu'aucun ordinateur ne marche.
00:59:57Tout est vide, en réalité.
00:59:58Il n'y a pas de papier.
01:00:00Il y a tout à faire.
01:00:01C'est une tradition française
01:00:02que le prédécesseur ne laisse rien dans le bureau,
01:00:05y compris le système informatique.
01:00:07C'est une tradition française qui remonte
01:00:09au début de la Troisième République, absolument aberrante,
01:00:13parce que même quand les gouvernements
01:00:15sont de la même majorité, c'est la même chose.
01:00:18C'est vrai des cabines ministérielles,
01:00:20c'est vrai de l'Elysée.
01:00:21Vous arrivez, vous avez un entretien
01:00:23avec votre prédécesseur,
01:00:25puis après, vous vous installez
01:00:27et vous découvrez avec stupéfaction
01:00:29qu'il faut refaire marcher le téléphone,
01:00:31l'ordinateur,
01:00:33et il faut aller chercher les ramettes de papier.
01:00:35Voilà. C'est une tradition
01:00:38tout à fait, franchement, absurde.
01:00:40Je trouve que l'usage républicain,
01:00:42ce serait plutôt de laisser
01:00:43des éléments d'information à son successeur écrits.
01:00:47Mais si on laisse de l'écrit, ça reste.
01:00:50Pendant que François Hollande remontait
01:00:52les Champs d'Elysée en 2012 sous la pluie,
01:00:54vous installiez l'informatique du côté de l'Elysée
01:00:57et vos propres équipes à l'Elysée.
01:00:59Il y a plusieurs moments forts.
01:01:01Les nominations, ça, c'est vraiment...
01:01:03C'est central, visiblement,
01:01:04pour ceux qui occupent cette fonction.
01:01:07Et puis, ce jeu de cours qui, en permanence,
01:01:09revient dans ce que nous racontent
01:01:11ceux qui ont témoigné dans votre film.
01:01:13Absolument. Les nominations,
01:01:15elles expliquent aussi le jeu de cours.
01:01:17Le secrétaire général, plus ou moins
01:01:19en fonction des personnalités de la proximité
01:01:22entre le secrétaire général et le président,
01:01:24participe à la réflexion autour de la composition du gouvernement.
01:01:28C'est un jeu qui se joue entre le président et le Premier ministre,
01:01:32mais on oublie cette fonction de secrétaire général
01:01:34qui va discuter avec le président et avoir une série de fonctions.
01:01:38D'abord, lorsqu'il s'agit d'un premier gouvernement,
01:01:41comme pour Pierre-René Le Ma,
01:01:42il réfléchit au brainstorming.
01:01:44Qu'est-ce qu'on veut dans le gouvernement ?
01:01:47Ceux qui sont déjà imposés par le parti,
01:01:49ceux des proches du président.
01:01:51Il y a aussi une série de places vacantes
01:01:53où on a besoin de techniciens, de gens qui viennent d'ailleurs
01:01:56dans la coalition du Parlement,
01:01:58celle de l'équipe Brodéjean, évidemment,
01:02:01puisque le quinquennat de Hollande a été un des premiers
01:02:04à faire une parité parfaite.
01:02:05C'est un architecte du gouvernement
01:02:07en accord avec le chef de l'Etat et le Premier ministre.
01:02:10Le Premier ministre, bien sûr.
01:02:12Quand il y a un remaniement, il a une mission plus délicate
01:02:15parce qu'il est chargé, par exemple,
01:02:17de tâter le terrain sur des ministres
01:02:19dont on n'est pas sûr qu'ils se sont d'accord,
01:02:22soit parce qu'ils viennent de la société civile,
01:02:24soit, parfois, et c'est plus difficile,
01:02:27de dire à certains ministres qu'ils ne seront plus au gouvernement.
01:02:30C'est aussi une des fonctions diplomatiques
01:02:32du secrétaire général de l'Elysée, un peu de lisser tout ça.
01:02:36Le président ne décroche pas son téléphone.
01:02:38Hubert Védrine nous parle de ces fameuses nominations.
01:02:41Une chose qui m'a frappé dans ces longues périodes de nomination,
01:02:45c'est qu'il y a quand même des lobbys,
01:02:47des lobbys que je ne nommerai pas, mais qui existent.
01:02:51Donc, c'est arrivé que je reçoive 15 coups de fil.
01:02:55Dans les deux jours.
01:02:57Disons, il est question de remplacer untel.
01:03:00C'est une mauvaise idée.
01:03:02Mais comment le savez-vous ? Je le sais, bon, tout ça.
01:03:05Donc, c'est vrai qu'il y a, dans la pari d'Etat,
01:03:07différents lobbys qui s'organisent, à un moment donné,
01:03:10pour protéger untel, imposer untel, si c'est le cas.
01:03:15Bon, c'est là où il faut quand même que l'Etat garde la capacité,
01:03:19les décideurs, en dernier recours, dans la pari d'Etat,
01:03:21la capacité de ne pas être trop soumis à ça.
01:03:24La soumission aux lobbys, vous l'avez sentie,
01:03:27lorsqu'il a été question de nomination.
01:03:29Alors, nomination à un poste dans l'appareil d'Etat,
01:03:32dans la haute fonction publique,
01:03:35ou nomination, peut-être, au sein d'un gouvernement.
01:03:37Oui. Non, les lobbys, ça existe.
01:03:40Je ne peux pas vous dire que ça existe.
01:03:42C'est un même surpris, Berbédrine, visiblement.
01:03:44J'avais fait beaucoup de cabinet ministériel avant,
01:03:47donc je n'étais pas trop surpris par les lobbys.
01:03:50J'ai voulu y revenir.
01:03:51Non.
01:03:53Un, les nominations, c'est important,
01:03:55mais ce n'est pas l'essentiel, il faut quand même le dire.
01:03:58Dans la composition d'un gouvernement,
01:04:01la première question qui se pose, ce n'est pas le casting.
01:04:04Ces derniers temps, il m'a semblé qu'on parlait de casting
01:04:07dans la composition des gouvernements.
01:04:09L'essentiel, c'est comment va être constitué le gouvernement.
01:04:12Est-ce que les transports vont avec l'équipement,
01:04:15qu'ils vont avec l'écologie et qu'ils vont avec l'énergie ?
01:04:18Comment ça marche ?
01:04:19Est-ce que la décentralisation est avec le ministère de l'Intérieur
01:04:23ou est-ce qu'un ministère comme aujourd'hui,
01:04:25je ne sais plus comment ça s'appelle,
01:04:27des relations avec les collectivités territoriales ?
01:04:30C'est la première question importante,
01:04:33parce que c'est le signal politique.
01:04:35Après, vous faites le casting.
01:04:36La règle du jeu, telle que je l'ai vécue,
01:04:39et c'est la Constitution, c'est le Premier ministre
01:04:42qui fait les propositions, puis il en parle avec le président.
01:04:45Le président vous en parle ?
01:04:47Voilà. Le secrétaire général est associé.
01:04:49On peut dire oui, mais non, mais voilà.
01:04:52Donc, la composition du gouvernement,
01:04:54à la fin des fins, elle revient au président de la République,
01:04:57en tous les cas en régime de fonctionnement classique
01:05:00des institutions, hors cohabitation
01:05:02et hors étrange période d'aujourd'hui.
01:05:05Le secrétaire général y est associé.
01:05:07Après, vous avez toutes les nominations
01:05:09dans l'appareil d'Etat et ailleurs.
01:05:11On nomme des patrons d'entreprises publiques,
01:05:13d'états généraux.
01:05:15Les lobbies peuvent intervenir ?
01:05:16Les lobbies interviennent, oui.
01:05:21Moi, l'expérience que j'en ai, c'est que j'écoutais pas.
01:05:24Les lobbies, les lobbies, je les écoutais pas.
01:05:26Et donc, vous aviez des noms en tête,
01:05:28vous les soumettiez à François Hollande,
01:05:31vous soumettiez une short liste,
01:05:33mais l'initiative vient plutôt de vous, dans ce cas-là.
01:05:36Elle vient de moi, de la directrice de cabinet.
01:05:38J'avais une directrice de cabinet auprès du président de la République.
01:05:42Elle vient des ministres.
01:05:44Hollande avait une conception très parlementariste
01:05:47du fonctionnement des institutions,
01:05:49en tous les cas, à l'époque où j'y étais.
01:05:51Le rôle du Premier ministre, l'article 20,
01:05:53devait vraiment être préservé.
01:05:55Donc, on veillait à ce que les propositions
01:05:58remontent de l'appareil gouvernemental.
01:06:00Vous savez, quand un ministre est ministre,
01:06:03il a auprès de lui des directeurs d'administration centrale,
01:06:06il vaut mieux qu'ils s'entendent bien.
01:06:08C'était pas la vision de Claude Guéant,
01:06:10on va l'écouter et on en parle juste après,
01:06:12parce que lui serait une exception à la règle non-dite
01:06:15de la discrétion absolue du secrétaire général de l'Elysée
01:06:19lorsqu'il est en poste.
01:06:20-"Rompant avec toutes les traditions,
01:06:22Claude Guéant intervient dans les médias
01:06:24pour porter la parole présidentielle
01:06:26en lieu et place des ministres.
01:06:28Une première dans l'histoire de la Ve République."
01:06:31Est-ce qu'en parlant ici, vous représentez le chef de l'Etat ?
01:06:34Est-ce qu'un ministre peut s'exprimer sans avoir votre aval ?
01:06:39Est-ce que vous avez un rôle politique de ce fait ?
01:06:41Oui, bien sûr.
01:06:42-"Nicolas Sarkozy et son secrétaire général de l'époque,
01:06:46Claude Guéant, avaient une vision
01:06:48tout autre que celle que vient de nous dépeindre
01:06:50à l'instant notre invité présent sur ce plateau."
01:06:53-"C'est ça qu'il faut bien comprendre,
01:06:55c'est qu'à partir de 2007, il y a un changement de conscience
01:06:59de la présidence de la République et du rôle du président
01:07:02qu'on a nommé sous le nom d'hyperprésidence
01:07:04ou du tournant hyperprésidentiel à la suite du mandat
01:07:07de Sarkozy. Le président de la République considère
01:07:10qu'il doit être en première ligne sur toutes les décisions politiques
01:07:14parce qu'il est responsable en dernier recours
01:07:16étant le seul acteur politique élu en suffrage universel direct.
01:07:20Il va étendre cette présidentialisation
01:07:22au pouvoir de son cabinet. Il augmente les ressources de pouvoir
01:07:25de son cabinet, c'est-à-dire qu'il considère que ses collaborateurs,
01:07:29le premier d'entre eux, doit pouvoir porter la parole présidentielle
01:07:33puisque c'est lui qui décide.
01:07:35Le Premier ministre n'est qu'un collaborateur.
01:07:37C'est comme ça qu'il avait appelé François Fillon.
01:07:40Il n'avait pas beaucoup apprécié, mais les deux ou trois premières années
01:07:44du quinquennat à Sarkozy, c'est une marginalisation du Premier ministre.
01:07:48Dans ce contexte, qui prend cette place laissée plus ou moins vacante
01:07:52par le Premier ministre ? C'est Claude Guéant,
01:07:54secrétaire général de l'Elysée, qui va porter cette parole
01:07:58dans les médias et alimentant, finalement,
01:08:00une sorte de tension extrêmement grande du gouvernement
01:08:03qui va se considérer comme directement mise en cause
01:08:06par le pouvoir du secrétaire général,
01:08:08jusqu'à la fin, dire à Nicolas Sarkozy,
01:08:10c'est simple, si tu veux que je reste Premier ministre,
01:08:13il faut que Claude Guéant arrête d'être secrétaire général
01:08:17de l'Elysée. A ma connaissance, c'est pour cette raison
01:08:20que Guéant sera nommé ministre de l'Intérieur.
01:08:22Est-ce que, de ce point de vue-là, on peut dire que Claude Guéant
01:08:26aura été celui qui aura exercé le plus de pouvoir
01:08:28dans cette fonction précise de secrétaire général ?
01:08:31Je lui ai posé cette question lorsque je l'ai interviewée
01:08:34pour le film, et il m'a dit que j'ai eu ce pouvoir
01:08:37parce que je m'exprimais dans l'espace public,
01:08:40mais en réalité, lorsque je vois Alexis Kohler,
01:08:42le nouveau secrétaire général de l'Elysée d'Emmanuel Macron,
01:08:46il est beaucoup plus interventionniste que je ne l'étais.
01:08:49On se souvient qu'à l'époque, Nicolas Sarkozy avait demandé
01:08:52à Claude Guéant d'adresser des lettres de résultats
01:08:55en disant que s'il ne les avait pas, il devait débarquer.
01:08:58Et nous disait Claude Guéant, en réalité,
01:09:00ses lettres de mission, on les a faites,
01:09:03mais on ne les a pas suivies.
01:09:04Alexis Kohler disait regarder sa pratique,
01:09:07même si elle est plus discrète que la mienne,
01:09:09elle ne dit rien en public, mais elle est plus puissante,
01:09:12plus affirmée dans la façon d'imprimer son autorité.
01:09:15Alexis Kohler, qui ne figure pas dans ce documentaire,
01:09:18il y a une raison ?
01:09:19On l'a contacté, il ne nous a jamais répondu.
01:09:22Fidèle aussi à ce qu'ont compris les secrétaires généraux
01:09:25qui ont succédé à Claude Guéant.
01:09:27Parler n'est pas toujours une bonne idée
01:09:29pour un secrétaire général de l'Elysée.
01:09:32Alexis Kohler, qui a fait le premier quinquennat
01:09:35auprès du chef de l'Etat, Emmanuel Macron,
01:09:37à ce poste, et qui a également commencé le second à ses côtés.
01:09:40Apparemment, vous avez eu des consignes à votre arrivée,
01:09:44c'est de faire de l'anti-Guéant,
01:09:46et vous dites que vous étiez un no-body.
01:09:48J'ai pas eu de consignes de faire de l'anti-Guéant.
01:09:51Il y a eu un traumatisme Guéant ?
01:09:53Non, d'autant que mon arrivée avec Claude Guéant,
01:09:55il y a eu un secrétaire général très discret,
01:09:58un garçon de grande qualité qu'on n'a pas beaucoup vu
01:10:01dans les médias.
01:10:02On vous a demandé de faire de l'anti-Guéant.
01:10:05Non, on m'a demandé de ne pas communiquer,
01:10:07de revenir à la tradition, ce qui était bien mon intention.
01:10:10La tradition, c'est un secrétaire général,
01:10:13il fait son job, c'est l'homme du président,
01:10:16il dépend du président, il est nommé par lui,
01:10:18il n'a pas de fonction publique
01:10:20au sens de fonction ostentatoire,
01:10:23et il doit faire son job, si j'ose dire,
01:10:26il doit exercer sa mission dans l'ombre et dans le secret.
01:10:29C'est ma conception.
01:10:30C'était la conception du président Hollande,
01:10:33ça a toujours été la mienne.
01:10:35J'étais un vieux collaborateur,
01:10:36qui disait qu'il n'y a pas de cabinet,
01:10:39ça n'existe pas.
01:10:40Il y a le ministre, il existe,
01:10:42il a une responsabilité politique,
01:10:44l'administration, elle existe,
01:10:46ils sont nommés conseillers des ministres,
01:10:48il y a des directeurs d'administration centrale,
01:10:51puis entre les deux, à l'Elysée, comme à Matignon,
01:10:54dans les ministères, il y a ce sas intermédiaire
01:10:57entre politique et administratif, on l'appelle les cabinets.
01:11:00A l'Elysée, c'est le secrétariat général.
01:11:03Quelle est sa légitimité ?
01:11:04Il n'a d'autres légitimités
01:11:06que celles que lui donne le président de la République.
01:11:09Moi, je considère que c'est une faute, une erreur.
01:11:12En tous les cas, on se trompe de constitution
01:11:15lorsque le secrétaire général devient
01:11:17une espèce de chef d'Etat-major,
01:11:19au sens du chief of staff du président des Etats-Unis.
01:11:22On n'est pas aux Etats-Unis,
01:11:23on est dans un régime parlementaire
01:11:26avec, évidemment, la dimension présidentialiste
01:11:30que tout le monde constate depuis des années.
01:11:32D'autant que sur ce sujet,
01:11:34le secrétaire général de l'Elysée,
01:11:36son décret de nomination ne s'est assorti
01:11:39d'aucune précision sur ses attributions.
01:11:41C'est-à-dire que...
01:11:42Il n'a aucun statut juridique.
01:11:44Aucun statut juridique.
01:11:46Et aucun contrôle, d'ailleurs.
01:11:47Aucun contrôle. C'est-à-dire qu'on va même dire
01:11:50que l'espèce de situation dans laquelle
01:11:52le président de la République est pénalement irresponsable
01:11:55s'étend à tout son cabinet, y compris au secrétaire général.
01:11:59C'est une faute très grave, mais comme il n'existe pas,
01:12:02ça laisse une latitude extrêmement grande,
01:12:04mais ça alimente aussi les fantasmes
01:12:06de tous ceux qui disent qu'il y a un cabinet noir.
01:12:09Dans l'histoire de France,
01:12:10le secrétaire général de l'Elysée a été nommé
01:12:13sous le Second Empire, sous la Troisième République,
01:12:16il y a une longue construction.
01:12:18Comme le président était moins puissant qu'aujourd'hui,
01:12:21il est arrivé, à partir de la Ve République,
01:12:23que d'abord, un très proche du président de la République,
01:12:26de Charles de Gaulle, qui avait une conception
01:12:29de secrétaire général comme aide de camp,
01:12:31comme premier secrétaire général de l'Elysée,
01:12:34progressivement, ce rôle va s'affirmer,
01:12:36et il va aussi s'affirmer politiquement.
01:12:38Il y a un tournant, non pas avec Nicolas Sarkozy,
01:12:41mais avec François Mitterrand, Pierre Bérégovoy,
01:12:44qui a été un très bref secrétaire général de l'Elysée,
01:12:47mais c'est lui qui a promis le tout premier,
01:12:49François Mitterrand, et il a posé toutes les bases
01:12:52de fonctionnement du secrétaire général de l'Elysée,
01:12:55mais aussi d'un secrétaire général de plus en plus politique,
01:12:58qui doit avoir un rôle administratif,
01:13:00mais aussi un rôle politique auprès du président.
01:13:03On va voir, d'ailleurs, vous êtes une des exceptions,
01:13:06que les anciens secrétaires généraux de l'Elysée
01:13:08vont devenir soit ministre, soit président du Conseil général,
01:13:12soit maire, et on assiste à une majorité quasiment,
01:13:1560 % des anciens secrétaires généraux de l'Elysée
01:13:17vont faire de la politique active après avoir quitté ces fonctions.
01:13:21J'en profite pour dire qu'il y en a eu trois
01:13:23qui sont devenus premiers ministres,
01:13:25Dominique de Villepin, Pierre Bérégovoy,
01:13:28Edouard Balladur, on l'oublie,
01:13:29auprès de Georges Pompidou,
01:13:31il y en a même qui sont devenus ministres,
01:13:33Jean-Louis Bianco, Hubert Védrine, Claude Guéant, Philippe Bas.
01:13:37Ca donne accès à une promotion ministérielle,
01:13:40voire un accès à Matignon.
01:13:41Jean Castex, secrétaire général adjoint
01:13:43sous Nicolas Sarkozy, premier ministre,
01:13:46et un jeune adjoint de M. Lema, qui est devenu président,
01:13:49c'était M. Macron.
01:13:50C'était M. Macron.
01:13:51Il fallait bien qu'il y ait un secrétaire général de l'Elysée
01:13:54qui reste discret, pendant que le secrétaire général adjoint
01:13:58prenait la lumière.
01:13:59L'une des nominations que vous avez eues à piloter,
01:14:02c'est pas vous qui avez tranché, c'est le chef de l'Etat,
01:14:05mais c'est vous qui le proposez comme secrétaire adjoint.
01:14:08Oui, voilà un exemple de proposition.
01:14:11Quand vous êtes nommé secrétaire général de l'Elysée,
01:14:16le président vous dit qu'il forme une équipe.
01:14:20Donc on forme une équipe.
01:14:21C'est incroyable, le nombre de copains que vous avez,
01:14:24à ce moment-là.
01:14:25C'est étonnant.
01:14:27C'est ce qui ressort de ce film.
01:14:29Nombre de gens qui vous adorent et qui ont envie de travailler avec vous.
01:14:32Parmi les gens dont on me recommandait les mérites,
01:14:35il y avait Emmanuel Macron, qui était brillantissime,
01:14:38et que j'ai proposé comme adjoint au président de la République.
01:14:43Alors, on n'arrive pas n'importe comment à ce poste,
01:14:47bien évidemment.
01:14:48Sciences Po, ENA, c'est un peu la voie d'or
01:14:50qui est décrite aussi dans ce documentaire.
01:14:53Lorsqu'on regarde les profils, vous avez été préfet
01:14:56à plusieurs reprises.
01:14:57Vous avez fait les cabinets mystérieux, préfet en Corse,
01:15:00préfet en Lorraine, et il y a une proximité avec François Hollande.
01:15:04La promotion Voltaire de l'ENA, c'est la même que François Hollande.
01:15:07Là où je veux en venir, c'est qu'il y a une proximité.
01:15:10Quoi qu'il en soit, c'est quelqu'un que vous connaissiez bien.
01:15:14Il y a une dimension affective dans ce poste
01:15:16qu'on voit transparaître à travers un certain nombre de personnages.
01:15:20On se demande où est la frontière
01:15:22entre l'affectivité qu'on doit mettre dans ce poste
01:15:25et ce qui est l'épure de cette fonction.
01:15:27Avez-vous eu ce problème avec François Hollande ?
01:15:30Je le connaissais bien, il me connaissait bien.
01:15:33Non, j'ai pas eu ce problème.
01:15:34J'avais pas avec lui des relations d'amitié très proches, intimes,
01:15:38comme mon successeur Jean-Pierre Jouyet.
01:15:41Mais on avait des relations très cordiales.
01:15:43Vous savez, il faut un peu d'expérience administrative.
01:15:47C'est vrai que moi, j'étais déjà un vieux préfet.
01:15:50J'avais fait beaucoup de choses dans la vie,
01:15:52beaucoup de direction d'administration centrale.
01:15:55Une sensibilité politique.
01:15:57On ne peut pas faire ça si on n'est pas de la même sensibilité
01:16:00que le président. C'est impossible.
01:16:02Il faut se comprendre. Et puis, il faut une certaine complicité.
01:16:05C'est la complicité intellectuelle.
01:16:08Il faut une certaine complicité interpersonnelle.
01:16:11Le président de la République, en pratique, vous disiez,
01:16:15il y a un bureau d'un côté, un bureau de l'autre,
01:16:17et puis un bureau-couloir au milieu.
01:16:20Il rentrait dans mon bureau à toute heure du jour et de la nuit.
01:16:23Je me permettais de taper à sa porte à n'importe quelle heure.
01:16:27Ca permet d'avoir une espèce de complicité quotidienne,
01:16:30de la vie quotidienne.
01:16:32On finit par se comprendre au regard, en réalité.
01:16:34Et ce type de relations, je ne sais pas le qualifier,
01:16:37mais il faut les trois.
01:16:39Il faut de l'expérience, si possible un peu de compétence.
01:16:43Il faut une complicité intellectuelle.
01:16:45Et puis, il faut des relations humaines cordiales.
01:16:48Vous avez eu des dossiers difficiles à gérer,
01:16:51qui concernaient peut-être plutôt, d'ailleurs,
01:16:54les tabloïds que la vie de l'Etat français.
01:16:56Valérie Triervaler, la séparation
01:16:59entre le chef de l'Etat de l'époque et Valérie Triervaler,
01:17:02ça...
01:17:03Là, il y a quand même un degré d'affectivité
01:17:06à mettre dans la gestion de ce type de dossiers.
01:17:08C'est sans doute pas celui que vous avez préféré.
01:17:11C'est pas celui que j'ai préféré.
01:17:13Mais vous avez effectivement...
01:17:16Quand vous avez une histoire comme ça,
01:17:18ou un événement...
01:17:19L'événement privé, me regardez-vous pas.
01:17:22Là, on est dans l'affaire privée.
01:17:24L'événement privé, me regardez pas,
01:17:26et j'ai rien à en dire.
01:17:28Les répercussions que ça peut avoir sur la vie publique...
01:17:32D'une manière ou d'une autre, on est obligé de regarder.
01:17:35Il faut gérer ça avec le plus de doigtés possible,
01:17:38même si, à la fin des fins, c'est le président qui tranche.
01:17:41Mais voilà, c'est...
01:17:43Il y a... Je n'avais pas de...
01:17:46Je n'avais pas de traque record
01:17:48en matière de relations humaines de cette nature.
01:17:51Je vous donne la parole tout de suite après.
01:17:54L'affaire Cahuzac, ça fait partie du dossier que vous avez géré.
01:17:57J'ai du mal à croire
01:18:00qu'à aucun moment, de l'endroit où vous vous situez,
01:18:03vous n'aviez pas les moyens d'obtenir l'information
01:18:07et la vérité sur ce qu'était le cas Cahuzac.
01:18:10Votre question fait la démonstration
01:18:12du fantasme autour du secrétaire général.
01:18:15C'est-à-dire, c'est un homme qui est au sommet du pouvoir,
01:18:18donc, là-haut, on sait tout, quoi.
01:18:20Là-haut, on ne sait que ce qu'on sait
01:18:22dans le cadre de la République telle qu'elle est.
01:18:25C'est pas... On n'est pas...
01:18:26On n'est pas un empire policier
01:18:29au sens d'un poil et on troit du terme.
01:18:31Non, on ne le savait pas.
01:18:33Et d'ailleurs, si... Je l'avais su.
01:18:36Si le président de la République l'avait su.
01:18:39Si quelqu'un en haut de l'appareil d'Etat l'avait su,
01:18:42ça n'aurait pas eu lieu.
01:18:44Et donc, il y a un paradoxe à dire,
01:18:46à la fois, ils devaient bien le savoir,
01:18:48et pourquoi ont-ils mis autant de temps
01:18:52à demander à Cahuzac de quitter le gouvernement ?
01:18:55C'est pas l'un et l'autre, c'est l'un ou l'autre.
01:18:58Voilà. Et...
01:19:00Pour moi, ça reste un moment très douloureux, en réalité.
01:19:03Vous souhaitiez réagir à ce qui a été dit ?
01:19:06Sur la question des rapports personnels,
01:19:08il faut voir que la plupart des secrétaires généraux
01:19:11de l'Elysée que nous avons interviewés
01:19:14correspondent à deux types de relations.
01:19:16Vous êtes une sorte d'exception.
01:19:18Soit les gens sont des proches du président de la République,
01:19:21soit qu'il l'était avant.
01:19:23C'est Claude Guéant, collaborateur de Nicolas Sarkozy
01:19:26lorsqu'il devient son secrétaire général.
01:19:28C'est le cas de Jean-Pierre Jouyé,
01:19:30défini par François Hollande comme son meilleur ami.
01:19:33Je le rappelle qu'il avait été ministre d'un gouvernement Fillon,
01:19:37c'est-à-dire un ministre de droite.
01:19:39C'était compliqué pour lui.
01:19:40Il le disait avec beaucoup d'humour dans l'interview.
01:19:43Il disait qu'il n'avait pas de problème avec les conseils du président.
01:19:47Je parlais en défendant le président parce que c'est mon ami
01:19:50et en faisant mon travail parce que je connais
01:19:53le rouage de l'administration,
01:19:55l'importance de connaître la machine de l'Etat
01:19:57qui est décisive.
01:19:58C'est une première catégorie.
01:20:00Vous avez une deuxième catégorie de gens
01:20:02qui ne connaissaient pas le président
01:20:04sans avoir de lien d'amitié.
01:20:06C'était le cas de Jean-Louis Bianco,
01:20:08qui ne connaissait pas du tout le président,
01:20:10qui était un collaborateur
01:20:12et qui devient secrétaire général de l'Elysée
01:20:14à sa propre surprise.
01:20:15Il va, au fur et à mesure de la relation avec le président,
01:20:19établir des rapports qui ne seront jamais intimes,
01:20:21mais qui vont quand même le conduire parfois
01:20:24grâce à, si ce n'est des dilemmes,
01:20:26des situations comme Hubert Védrine,
01:20:28autour de la fille, Mazarine Pinjot,
01:20:30la fille de François Mitterrand.
01:20:32Qu'est-ce qu'il faut dire ?
01:20:33Comment interagir avec un président très secret ?
01:20:36C'est le cas de M. Salabarou,
01:20:38qui a été le secrétaire général de Jacques Chirac,
01:20:41jusqu'à épouser la fille de Jacques Chirac,
01:20:43Claude Chirac, qui dit, pour Jacques Chirac,
01:20:46je me serais ouvert le ventre.
01:20:47C'est la formule qu'il utilise dans notre documentaire.
01:20:50À la toute fin, souvent,
01:20:52les secrétaires généraux ont une histoire,
01:20:54qui est une histoire professionnelle,
01:20:56mais aussi personnelle, souvent affective avec le président,
01:21:00qui donne la singularité de cette charge,
01:21:02qui est différente de tous les hauts fonctionnaires,
01:21:05ceux qui sont nommés dans l'état présidentiel,
01:21:07qui vont passer des années totalement au service de la République,
01:21:11mais aussi d'un homme.
01:21:12C'est pour ça qu'on a appelé le film L'homme du président.
01:21:15Est-ce que ce film donne la réalité de ce poste,
01:21:18le pouvoir réellement effectif de ce poste ?
01:21:20Est-ce qu'il ne surévalue pas un tout petit peu
01:21:23la réalité du pouvoir de ce poste ?
01:21:25En sortant de ce film, on se dit que c'est presque
01:21:28un vice-président ou un vice-premier ministre.
01:21:31Je trouve que le film est plus nuancé que ça.
01:21:35Mais non, le président de la République,
01:21:39même s'il est d'une qualité exceptionnelle,
01:21:43le cas échéant en Jupiter, il n'est rien.
01:21:45Il ne peut pas tout faire tout seul.
01:21:47Il faut qu'il ait autour de lui des collaborateurs
01:21:50un peu ses pseudopodes,
01:21:51qui permettent de savoir ce qui se passe dans la société,
01:21:54de dire ses consignes aux ministres ou aux premiers ministres,
01:21:58de vérifier la cohérence de l'action du gouvernement.
01:22:01Il ne peut pas faire ça tout seul, le président de la République.
01:22:04Il y a une cinquantaine de collaborateurs à l'Elysée.
01:22:08C'est du ouf.
01:22:09Il y a du monde.
01:22:10Je ne parle pas des affaires internationales
01:22:12ou des affaires militaires.
01:22:14J'ai vécu, par exemple, la guerre du Mali.
01:22:16Voilà.
01:22:18Il faut qu'il ait autour de lui des collaborateurs.
01:22:20Il faut qu'il y ait un chef d'Etat-major
01:22:23qui pilote l'ensemble de ses collaborateurs
01:22:25et soit en confiance avec le président pour orienter les choses.
01:22:29Le rôle du secrétaire général, c'est ça.
01:22:31C'est un rôle important.
01:22:32Je ne veux pas dire que ce n'est pas un rôle politique,
01:22:35que ce n'est pas un rôle nécessaire et utile dans la République.
01:22:39Ce serait inexact.
01:22:40Mais ça ne se confond pas
01:22:43avec le fonctionnement normal des rouages institutionnels.
01:22:46Le secrétaire général, ce n'est pas le président Biss
01:22:49et ce n'est pas non plus le Premier ministre Biss.
01:22:52C'est même toute la difficulté de l'exercice.
01:22:54C'est comment jouer ce rôle
01:22:56entre le président de la République
01:22:58et l'ensemble des responsabilités qu'il a sur les épaules
01:23:01et le Premier ministre, à la tête du gouvernement,
01:23:04qui est responsable aussi devant le Parlement
01:23:07et qui pilote un anclage ministériel.
01:23:09La difficulté, c'est ça.
01:23:11C'est moins de faire que de faire faire.
01:23:13Et ce faire faire est un exercice assez complexe
01:23:18et qui prend du temps.
01:23:19Pour le mot de la fin...
01:23:21Ce qu'on essaie de dire dans le film,
01:23:23c'est pas que le secrétaire général est un Premier ministre Biss
01:23:26ou un président Biss, mais il a un double pouvoir.
01:23:29Et ce pouvoir, il est non négligeable.
01:23:31Il a un pouvoir d'abord administratif,
01:23:34puisqu'il est le chef de l'administration,
01:23:36vers qui toutes les décisions remontent.
01:23:38Il prend des décisions que le président n'a pas le temps de prendre,
01:23:42qu'il considère, que le président lui fait confiance.
01:23:45Ce sont des décisions...
01:23:46Organisationnelles.
01:23:48En revanche, peut-être que la question se porte
01:23:50sur le pouvoir politique.
01:23:52Vous reconnaissez que cette fonction a une dimension politique.
01:23:55Je vois un deuxième pouvoir,
01:23:57qui est lié à la proximité avec le président,
01:24:00proximité géographique, de travail au jour le jour,
01:24:02et qui, de fait, est un pouvoir politique.
01:24:05C'est pas un pouvoir politique comme le Premier ministre.
01:24:08Il n'a pas un pouvoir d'apparaître,
01:24:10c'est un pouvoir de l'ombre considérable.
01:24:12Mais je dirais, et c'est pour finir,
01:24:14ce qu'on a voulu dire dans ce film,
01:24:16c'est que plus un président a une conception
01:24:19extrêmement forte du pouvoir exécutif,
01:24:21plus, de ce fait, le secrétaire général de l'Elysée
01:24:24participe de la même trajectoire.
01:24:26C'est le cas du secrétaire général de l'Elysée actuel,
01:24:29dont il a beaucoup de pouvoir.
01:24:30C'est moins le cas de secrétaires généraux comme vous,
01:24:33qui avaient une conscience plus aiguë du Parlement
01:24:36et des contre-pouvoirs.
01:24:38Plus le président a un pouvoir modéré, qui est contrôlé,
01:24:41et plus le secrétaire général est un homme comme les autres.
01:24:45Plus c'est l'inverse, plus c'est un homme exceptionnel,
01:24:48mais aussi dans le bon et le mauvais côté.
01:24:50Vous voyez la difficulté pour le secrétaire général,
01:24:53parce qu'il y en a qu'un qui a choisi d'être
01:24:56en même temps un homme public, dans les médias.
01:24:58On voit bien la difficulté de trouver une frontière
01:25:01entre le rôle du secrétaire général et du Premier ministre.
01:25:05Et on voit bien ce qui a amené quelques constitutionnalistes
01:25:09à dire, écoutez, supprimons le poste de Premier ministre.
01:25:13Le secrétaire général de l'Elysée suffira à tout.
01:25:15Ca correspondait aussi à la mise en place
01:25:18et l'arrivée du quinquennat dans cette Ve République.
01:25:21Un grand merci à tous les deux, après votre documentaire,
01:25:24consacré à l'homme du président,
01:25:26les secrétaires généraux de l'Elysée.
01:25:29Vos réactions, ce sera sur hashtag débadoc.
01:25:32Et Victoria Bélé m'a aidé à préparer,
01:25:34comme à l'est coutumier, cette émission.
01:25:37Je vous donne rendez-vous pour un prochain débadoc,
01:25:40avec son documentaire et son débat. A très bientôt.
01:25:43SOUS-TITRAGE ST' 501