Xerfi Canal a reçu Norbert Alter, professeur à sciences Po, pour parler de la théorie de l'escalator en management.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Bonjour Norbert Halter.
00:10Bonjour Jean-Philippe Denis.
00:11Norbert Halter, professeur à Sciences Po, professeur de sociologie,
00:15auteur de Pour en finir le machin, les désarrois d'un consultant en management,
00:19suite d'une longue série d'ouvrages et l'innovation ordinaire, sans classe ni place.
00:24Vous êtes le penseur de l'innovation ordinaire et c'est passionnant, c'est vraiment passionnant.
00:29Alors dans l'ouvrage, vous nous évoquez une théorie, la théorie de l'escalator.
00:35J'avoue que je n'avais jamais entendu parler de cette théorie de l'escalator,
00:38mais elle est lumineuse pour comprendre comment le machin veut précisément aussi en finir avec
00:45l'escalator et comme ça peut être beaucoup plus complexe que tout ça.
00:49Alors la théorie de l'escalator.
00:52Alors, replaçons cette théorie dans son concept.
00:55Le personnage que je mets en scène dans ce livre est un consultant en organisation,
01:02en management, dans un grand cabinet conseil américain et il assiste à la présentation
01:12de l'un de ses collègues à l'occasion de la modernisation d'une entreprise publique.
01:19Et le collègue en question critique l'avancement à l'ancienneté qui est censé, censé, je dis bien,
01:30gouverner la gestion des ressources humaines dans les services publics, les entreprises publiques à
01:36cette époque-là, c'est-à-dire, je crois, à peu près dans les années 95-2000 si je me
01:40souviens bien des dates dans l'ouvrage. Il dit l'avancement à l'ancienneté c'est comme
01:46l'escalator. On se met à l'entrée de la vie active sur la première marche et puis sans faire
01:56aucun effort, au bout de 37 ans et demi, c'était la durée de la vie active à l'époque, on se
02:02trouve en haut de l'escalator sans avoir fait aucun effort, au plus haut niveau du grade auquel
02:11on appartient. Et dit-il, l'avancement à l'ancienneté ça détermine la paresse. Et mon
02:21personnage est très intrigué par cette analyse et il a une espèce de pathologie qui est celle de
02:29l'observation. Il ne peut pas s'empêcher d'observer les choses telles qu'elles sont. Il va donc
02:36regarder un escalator et ce qu'il voit est complètement différent de la théorie qui
02:43lui a été présentée. C'est-à-dire que sur un escalator il y a des gens qui se laissent porter,
02:49ils se mettent à droite parce qu'il y a une discipline sociale sur l'escalator qui veut
02:57qu'on laisse la file de gauche pour ceux qui veulent aller plus vite, qui veulent additionner
03:04à la vitesse de l'escalator la vitesse de leur effort. Il y a même des règles du jeu qui veulent
03:14que lorsqu'on sent que quelqu'un d'encore plus rapide sur la file de gauche commence à souffler
03:20dans l'oreille, c'est un peu comme sur l'autoroute avec les appels de phares, il faut se pousser à
03:24gauche, à droite pardon. Et puis il y a des gens qui ne prennent pas l'escalator, qui montent à
03:30pied à toute vitesse ou parce qu'ils sont claudiquants. Mais ce que ça veut dire c'est
03:37que tout le monde n'adopte pas le même comportement par rapport à l'escalator. C'est-à-dire tout le
03:44monde ne profite pas d'un système avantageux du point de vue de l'effort consenti pour en faire
03:53le moins possible sur un escalator. Dans une entreprise publique, c'est exactement la même
04:01chose. C'est-à-dire qu'il y a des gens qui courent sur l'escalator pour des raisons qui sont les
04:11leurs. Mais c'est fréquent, c'est fréquent. Il est fréquent de voir dans des services d'une
04:19administration des gens qui sont là tard le soir parce qu'ils veulent finir leur dossier pour des
04:24raisons qui sont les leurs mais qui ne sont certainement pas des raisons de carrière au
04:29sens étroit du terme. C'est peut-être des raisons de reconnaissance, des raisons de concurrence. Mais
04:39ce ne sont pas des raisons de carrière stricto sensu. Et le problème de cette affaire de la
04:44théorie de l'escalator, c'est que même si Frédéric, mon personnage, explique aux théoriciens
04:52de l'escalator qu'il raconte une énorme ânerie à propos de la théorie de l'escalator, ça n'empêche
05:00pas le théoricien en question de définir tout un projet d'intervention dans l'entreprise qui
05:10consiste à motiver les gens, c'est-à-dire en leur retirant l'énergie proposée par l'escalier
05:17mécanique et en leur disant, mobilise-toi, mobilise-toi. Bien évidemment, ça les démobilise.
05:26Pourquoi ? Parce qu'on ne reconnaît pas que bien souvent, ils sont sur la gauche de l'escalator et
05:32que malgré le mécanisme, ils font des efforts pour que les choses se passent mieux qu'elles ne se
05:39passeraient sans cet effort. Et puis avec un constat, c'est que l'escalator se met à l'arrêt,
05:44voire même se met à aller en sens inverse parfois, si on n'est pas... Absolument, absolument. Avec un
05:50vrai risque. Oui. Merci à vous Norbert Alter. Merci.