"Il y a eu beaucoup de promesses et beaucoup d’espoirs déçus".
Pour Brut, Hassatou Ba-Minté, directrice Afrique de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) analyse les évolutions mais aussi les reculs démocratiques qui ont marqué le continent depuis 10 ans.
Pour Brut, Hassatou Ba-Minté, directrice Afrique de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) analyse les évolutions mais aussi les reculs démocratiques qui ont marqué le continent depuis 10 ans.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Sur les dix dernières années, vraiment, il y a eu un moment très clé, c'est 2010,
00:03où on a vu l'arrivée au pouvoir de quelques présidents emblématiques,
00:07des alternances très fortes.
00:09C'est Makisal au Sénégal, c'est Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire,
00:12c'est Alpha Condé en Guinée.
00:14Et il y a eu un vent de confiance, de vouloir croire en la démocratie,
00:17de vouloir croire en un changement positif pour les populations.
00:21Mais à partir de 2016-2017 déjà, on était déjà dans les deuxièmes mandats pour certains,
00:25Alpha Condé, Alassane Ouattara, on a eu la question des troisièmes mandats qui est apparu.
00:28Donc on va dire qu'il y a eu beaucoup de promesses, beaucoup d'espoirs,
00:31qui ont été déçus par des opposants historiques notamment,
00:34pour Alpha Condé et Alassane Ouattara, qui n'ont pas tenu les promesses de leur début.
00:37Bonjour, moi c'est Assa Toubaminté, je suis responsable Afrique de la FIDH,
00:42Fédération Internationale pour les Droits Humains.
00:43Sur les dix dernières années, en Afrique de l'Ouest, on a la théorie et la pratique.
00:47On a eu beaucoup d'avancées au niveau des législations,
00:50des très belles lois au Sénégal, en Côte d'Ivoire, en Guinée,
00:53au Mali aussi, pour protéger la liberté d'opinion, la liberté d'expression,
00:57la liberté de manifester, de réunion pacifique.
01:00Malheureusement, au début, on a eu un grand foisonnement, beaucoup de proactivité.
01:05On a vu les mouvements citoyens s'emparer de plusieurs sujets,
01:08des jeunes notamment qui n'hésitaient pas à tenir les autorités face à leurs responsabilités.
01:12Et puis depuis 2016-2017, on constate que beaucoup de restrictions apparaissent
01:17et l'espace qui existait se referme.
01:19Ça veut dire des attaques contre des journalistes, des arrestations,
01:22des détentions arbitraires, des cas de harcèlement judiciaire,
01:25avec des personnes qui n'osent plus porter la voix des populations.
01:27Et jusqu'en 2015-2016, ces gouvernants ont parlé de justice, ont parlé de droits humains,
01:33se sont dit qu'ils allaient justement recadrer les choses et permettre aux États d'avancer,
01:38sur notamment la question de la lutte contre l'impunité,
01:39avec des procès qui commençaient à se mettre en place
01:42contre ce qu'on appelle des auteurs présumés de violations,
01:44et c'est souvent des membres des forces de sécurité,
01:46des membres de l'armée, de la gendarmerie, même des représentants de l'État.
01:50Mais à partir de 2016-2017 déjà, on était déjà dans les deuxièmes mandats pour certains,
01:54Alpha Condé et Alassane Ouattara, on a eu la question des troisièmes mandats qui est apparue.
01:58On a eu la question de comment limiter l'impact de l'opposition,
02:01que ce soit en Guinée, notamment, et en Côte d'Ivoire,
02:04l'opposition a été attaquée.
02:06Au Sénégal aussi, on a vu comment Macky Sall a aussi attaqué d'une certaine manière,
02:10en tout cas son gouvernement, a restreint l'espace de l'opposition politique.
02:13Pour l'illustrer, on peut très bien parler de la question de la gestion des manifestations en Guinée.
02:17Alpha Condé, c'est l'opposant historique qui a toujours dénoncé la répression violente,
02:21les tirs contre les manifestants.
02:23Et quand à partir de 2016-2017, les manifestations ont été réprimées de manière de plus en plus violente,
02:28la population guinéenne n'a pas compris.
02:30Ce qu'on a vu, c'est que les pratiques du passé sont revenues,
02:32et que le régime finalement, qui était censé être un régime de renouvellement, de changement,
02:38avait absolument continué cette stratégie répressive et de violence à l'encontre des populations.
02:44Un deuxième exemple, c'est la question de la justice en Côte d'Ivoire.
02:46Quand Alassane Ouattara est arrivé, il a dit qu'il y aurait la justice pour toutes les victimes,
02:51quels que soient les auteurs et quels que soient les camps.
02:53Mais dès que tout cela a pris de l'ampleur, dès que M. Ouattara était aussi dans une dynamique très politique,
02:58engagé vers son deuxième mandat, on a vu que finalement,
03:01les poursuites judiciaires à l'encontre des pro-Ouattara commençaient à ralentir,
03:05et que finalement, un seul procès a été organisé, celui d'Amadé Ouérémy,
03:08contre un pro-Ouattara pour des violations qu'il a commises.
03:10Un seul procès d'un côté, plusieurs procès de l'autre.
03:13Donc il y a eu un déséquilibre, et ce qu'on a appelé une justice des vainqueurs en Côte d'Ivoire.
03:16Que ce soit cette ancienne génération d'anciens opposants historiques
03:20qui sont venues au pouvoir, ou cette nouvelle génération de putschistes
03:23qui a émergé en Guinée, au Mali, au Burkina.
03:27Ils ont tous un argument, qui est de dire,
03:29c'est bien mesdames et messieurs des ONG, les libertés fondamentales c'est très bien,
03:33la démocratie c'est très très bien, on est d'accord avec vous,
03:36mais laissez-nous nous développer d'abord.
03:38Qu'est-ce que vous leur répondez ?
03:40Ce que je veux rappeler, c'est qu'avant ces militaires,
03:42il s'est d'abord passé des insurrections populaires.
03:44Ce sont des soulèvements des populations, notamment des jeunes, des mouvements citoyens,
03:47qui ont dénoncé la corruption, la mauvaise gestion, l'injustice,
03:52les violations des droits humains,
03:53et souvent ces militaires sont arrivés en bout de course,
03:56à la fin du combat, pour ramasser le pouvoir à terre, comme on le dit.
04:00C'est ce qui s'est passé au Mali, selon nous,
04:03c'est ce qui s'est passé aussi au Burkina, c'est ce qui s'est passé en Guinée.
04:06Et donc ces militaires, notamment en Guinée,
04:09sont apparus un peu comme des sauveurs qui arrivaient après
04:11des régimes qui avaient été répressifs et qui venaient recadrer,
04:14aider la population en Guinée ou au Mali
04:17à arriver vers ce changement.
04:19Aujourd'hui, il y a plusieurs questions qui se posent pour l'Afrique de l'Ouest.
04:22Il y a la question de la stabilité face aux conflits.
04:26On a vraiment une situation sécuritaire qui se dégrade
04:28et la violence atteint des niveaux inouïs.
04:32Donc clairement, la question de la sécurité
04:33est le premier argument qui est présenté par ces chefs militaires.
04:37Le deuxième, c'est la question du développement.
04:39Mais ce qu'on essaie de rappeler régulièrement, nous, à l'AFIDH,
04:43c'est de dire que les droits humains, c'est beaucoup plus large que le civil et politique.
04:46Là, je vous ai beaucoup parlé de la liberté d'opinion, d'expression, de manifester.
04:49Mais c'est aussi le droit à l'éducation, le droit à la santé,
04:52le droit à un environnement sain,
04:54le droit à avoir justement accès à l'environnement le plus favorable
04:57pour se développer et s'épanouir dans un pays.
04:59On ne doit pas voir les choses comme une pyramide,
05:01mais plutôt comme un cercle vertueux
05:03où les droits humains sont le socle favorable.
05:05Et la justice, c'est très important de lutter contre l'impunité,
05:09que les bourreaux et les victimes ne vivent pas ensemble,
05:11que les bourreaux puissent répondre de leurs actes
05:14et qu'on envoie un message où, finalement,
05:16la société peut créer ce dialogue et cette dynamique positive
05:20qui rend le développement économique possible.
05:23Parce qu'au final, un développement économique sert s'il est durable.
05:26Un développement économique qui est éphémère
05:29et qui, finalement, s'arrête à chaque crise,
05:31à chaque crise ou à chaque conflit,
05:32on détruit et on recommence,
05:34ça n'amène pas à quelque chose de durable et de viable pour les populations.