• le mois dernier
Le traité de Versailles est probablement le traité de paix le plus décrié du siècle dernier. Dans les mois qui suivirent l'armistice du 11 novembre 1918, le président américain, Woodrow Wilson, le président du Conseil français, Georges Clémenceau et le premier ministre britannique, David Lloyd George, tentèrent de bâtir une paix durable. Cependant, les vaincus, dont les Allemands, ne seront pas invités à la table des négociations.

Le traité de Versailles était-il vraiment une paix bâclée ? Portait-il déjà les germes de la Seconde Guerre mondiale ? Pour en débattre, Jean-Pierre Gratien reçoit les historiens Stéphane Audoin-Rouzeau, Marie-Bénédicte Vincent et Jean-Michel Guieu.

LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.

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Transcription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:17Bienvenue à tous.
00:00:18Le traité de Versailles était-il vraiment une paix bâclée
00:00:21portant en elle les germes de la Seconde Guerre mondiale ?
00:00:24Nous allons nous poser la question aujourd'hui
00:00:27dans ce débat doc,
00:00:28avec, pour commencer, le documentaire qui va suivre,
00:00:31le traité de Versailles, la guerre gagnée, la paix perdue,
00:00:34ou comment, durant les mois qui suivirent
00:00:37l'armistice du 11 novembre 1918,
00:00:40l'Américain Wilson, le Français Clemenceau
00:00:42et le Britannique Lloyd George ont tenté de bâtir
00:00:45une paix durable sur les ruines de la Grande Guerre.
00:00:48Les vaincus, à commencer par l'Allemagne,
00:00:50n'ayant, quant à eux, pas été conviés.
00:00:52Je vous laisse découvrir cette page d'histoire
00:00:55et je vous retrouverai juste après
00:00:56en compagnie des historiens Stéphane Audouin-Rousseau,
00:00:59Marie-Bénédicte Vincent et Jean-Michel Dieu.
00:01:02Avec eux, nous débattrons du traité de paix, sans doute,
00:01:05le plus décrié du siècle dernier.
00:01:08Bon doc.
00:01:09Musique sombre
00:01:12...
00:01:16-"Les conflits armés qui ont marqué le XXe et le début
00:01:19du XXIe siècle ont tous une racine, même ténue,
00:01:21dans les traités et la fragile paix de 1919."
00:01:25Explosion
00:01:26...
00:01:30Ils sont comme les ricochets, les soubresauts,
00:01:33les épilogues d'une histoire vieille d'un siècle.
00:01:36...
00:01:48Pourquoi, aujourd'hui, le Moyen-Orient, Sarajevo,
00:01:51sont encore des lieux de tensions et de conflits ?
00:01:54Tout ça, ça évoque des événements et des tensions
00:01:57qui ont eu lieu pendant la Première Guerre mondiale.
00:02:00Lorsqu'on observe toutes les marges de l'Union européenne actuelle,
00:02:04on se rend compte qu'elles correspondent
00:02:06à toutes ces zones de fractures et de ruptures
00:02:09dans lesquelles les traités n'ont pas réussi
00:02:11à apporter de solutions positives à la fin de la Première Guerre mondiale.
00:02:15...
00:02:20Sarajevo, Bosniers et Govines.
00:02:22Depuis toujours, un carrefour commercial,
00:02:25une ville cosmopolite où les religions vivent ensemble.
00:02:28C'est la Jérusalem des Balkans, où, sur moins de 500 m,
00:02:31la mosquée côtoie la synagogue, l'église orthodoxe, la cathédrale.
00:02:35C'est dans cette petite ville que tout a commencé.
00:02:37Ici, que le 28 juin 1914,
00:02:40un étudiant serbe de Bosnie, Gavrilo Princip,
00:02:43a, sans le savoir, déclenché une catastrophe planétaire
00:02:46en assassinant l'archiduc François Ferdinand,
00:02:48héritier du trône de l'Empire austro-hongrois.
00:02:51Il est 11h du matin, lorsqu'après un premier attentat raté,
00:02:54Princip se place sur le boulevard, juste au coin de la rue.
00:02:58...
00:03:01La voiture s'arrête là.
00:03:02Pour la circonstance, on a voulu que François Ferdinand
00:03:05arrive au pied de celui qui va le tuer quelques secondes plus tard.
00:03:09Princip était un jeune nationaliste
00:03:11qui rêvait de la création d'une Yougoslavie unifiée.
00:03:14Pour lui, François Ferdinand incarnait l'Empire, le mal, l'occupation, tout.
00:03:19C'est tout simplement un acte de quelqu'un qui rêvait de la liberté
00:03:24et de la Yougoslavie et de la justice.
00:03:26Tirer, c'est dire se libérer.
00:03:28...
00:03:34Sarajevo a été, d'une certaine façon,
00:03:37l'événement déclencheur de la Première Guerre mondiale.
00:03:39Le point de départ symbolique avec cet assassinat
00:03:42a eu des conséquences dans le monde entier.
00:03:44Il est le résultat d'un contexte très local
00:03:47et de l'émergence d'un nationalisme
00:03:49ou du début d'un sentiment national
00:03:50de la lutte pour la création d'un nouvel Etat.
00:03:55Ce petit fait d'hiver local a entraîné, par le jeu des alliances,
00:03:58l'un des plus grands conflits mondiaux.
00:04:011917.
00:04:03Après trois années de boucheries et d'assauts inutiles,
00:04:05les Américains entrent en guerre,
00:04:08changeant la donne et redonnant un second souffle aux troupes alliées.
00:04:12Pour un Américain qui combat,
00:04:13six hommes à l'arrière en logistique, 200 000 par jour.
00:04:18L'avantage est vite repris sur des Allemands qui échouent à reprendre Paris.
00:04:24À la fin de l'été 1918,
00:04:26les dernières offensives allemandes sur le front français
00:04:30ont toutes échoué.
00:04:31Foch a déclenché sur tout le front allié
00:04:34une offensive générale qui repousse les Allemands
00:04:37vers leurs frontières, vers les frontières de la Belgique,
00:04:40en les forçant à évacuer toutes les régions
00:04:43qui sont occupées depuis l'automne 1914.
00:04:47À la fin de l'année 1918,
00:04:51l'armée allemande est exsangue.
00:04:53Tout le monde sait dans l'armée qu'on ne peut pas gagner la guerre.
00:04:58On sait que ça ne va pas bien se passer.
00:05:02Mais personne ne peut dire combien de temps le front va tenir.
00:05:08Et à partir de l'été 1918,
00:05:12l'espoir d'une victoire ne fonctionne plus dans la population.
00:05:16On continue parce qu'on ne peut pas faire autrement.
00:05:19Mais on a faim dans les foyers. On ne comprend plus cette guerre.
00:05:23On ne veut plus de cette guerre.
00:05:25Les soldats allemands se rendent par milliers et des mutineries éclatent.
00:05:31À partir de ce moment-là, les soldats vont simplement rentrer chez eux
00:05:35et personne ne va les ramener de force sur le front
00:05:38parce que le commandement ne fonctionne plus très bien.
00:05:42Et c'est dans cette ambiance
00:05:44que des grèves de matelots vont éclater à Wilhelm Zaffen et Kiel.
00:05:50Et en deux ou trois jours, ce mouvement prend tellement d'ampleur
00:05:53que 30 000 hommes, voire 40 000 hommes vont manifester dans les rues
00:05:57en scandant « Fin à la guerre ! ».
00:06:01Côté alliés, c'est le moment de la bataille décisive.
00:06:04Il n'y a pas de percée au sens strict de la ligne Hindenburg
00:06:09qui est la dernière ligne ou système de défense des Allemands.
00:06:13Il y a une pression presque arithmétique qui s'exerce sur tout le front
00:06:19et c'est la puissance de l'économie et de l'industrie alliées
00:06:23qui poussent l'armée allemande à reculer
00:06:26et à évacuer tous les territoires qu'elle occupait.
00:06:29Avec, pour la première fois, l'utilisation d'une arme nouvelle.
00:06:33Le couple char-avion,
00:06:36Pétain en fait, pour la première fois, l'usage
00:06:39au cours du mois de juillet 1918
00:06:41pour arrêter les dernières offensives allemandes.
00:06:46En Allemagne, la situation est catastrophique.
00:06:49Les Alliés ont instauré un blocus alimentaire.
00:06:52Pour les civils, c'est déjà intenable
00:06:54quand s'invite à un quotidien difficile, la faim.
00:07:00Les enfants n'ont plus rien à manger.
00:07:02Les femmes envoient des lettres à leur mari au front
00:07:05pour lui envoyer de quoi manger en Allemagne.
00:07:08Et c'est ce que les hommes ont fait.
00:07:10Et il est très clair que la brutalité
00:07:12des occupants allemands dans le nord de la France
00:07:15et les réquisitions en masse
00:07:17ont été à la mesure de ce qui manquait chez eux.
00:07:20Des grèves éclatent tous les jours.
00:07:23Dans toute l'Allemagne, les idées bolcheviques
00:07:26gagnent du terrain et font trembler l'Empire.
00:07:29La Révolution rouge est en passe de réussir.
00:07:32Dès le début novembre, il y a cette révolution en Allemagne
00:07:35et on a bien sûr peur que ce soit le même scénario
00:07:38comme en Russie.
00:07:40Alors, on en avait marre de la faim
00:07:44et avec la faim, on en avait marre de la guerre.
00:07:47L'opinion publique allemande n'en peut plus.
00:07:50L'état-major doit se rendre à l'évidence.
00:07:52Il faut demander l'armistice.
00:07:55Hindenburg et Ludendorff, les deux têtes de l'armée allemande,
00:07:59se disent que nous sommes perdus,
00:08:02que nous sommes en train de reculer sur le front français,
00:08:06que nos arrières ne sont plus assurées.
00:08:09Il faut sortir de cette guerre le plus vite possible.
00:08:12Dès octobre 1918,
00:08:14des pourparlers débutent avec Wilson,
00:08:17le président des Etats-Unis, qui a en tête un grand projet.
00:08:20Proposer une paix juste basée sur 14 points
00:08:23qui révolutionnent les futures relations internationales.
00:08:26Les Allemands y voient l'occasion d'une fin de conflit honorable.
00:08:31A partir de septembre-octobre, on parle de la paix de Wilson.
00:08:35Il donne aux démocrates allemands un tout petit peu l'espoir
00:08:39qu'ils pourraient obtenir une bonne paix
00:08:42et que le nouveau système va conduire à une bonne paix.
00:08:46Du coup, le souhait que la guerre doit finir,
00:08:49que la paix de Wilson doit advenir, va devenir très présent.
00:08:55Très vite, les Français et les Britanniques, les Italiens,
00:08:58sont furieux. Ils se disent qu'ils n'ont pas été consultés.
00:09:02Ils mettent leurs conditions et font comprendre à Wilson
00:09:05la base des 14 points, mais il faut assurer la sécurité de la France.
00:09:09C'est par radio que les Allemands prennent contact pour l'armistice.
00:09:13Les Allemands vont être autorisés, politiques et militaires réunis,
00:09:18à traverser les lignes françaises
00:09:22et à rejoindre, dans une forêt pour être à l'abri, les Français.
00:09:30Et cette forêt n'est pas choisie par hasard.
00:09:33Elle est située près de Sanlis, où le maréchal Foch a son quartier général.
00:09:39C'est à Rotonde, dans une clairière, près d'une intersection ferroviaire,
00:09:43que le cessez-le-feu va être signé.
00:09:52La première fois que le maréchal Foch voit les plénipotentiaires allemands,
00:09:57à Rotonde, c'est trois jours avant l'armistice, le 8 novembre.
00:10:01Le maréchal Foch fait asseoir dans le wagon les plénipotentiaires allemands
00:10:07et il leur demande, benoîtement, quel est l'objet de votre visite.
00:10:11Les commissaires allemands s'embrouillent un peu.
00:10:14Ils disent qu'ils venaient pour voir quelles sont les propositions.
00:10:20Le maréchal dit qu'il n'avait pas de propositions.
00:10:23Ils reformulent leurs questions.
00:10:26Ah ! Vous demandez l'armistice !
00:10:29Il sort de sa poche la feuille et il leur dit les conditions de l'armistice.
00:10:35L'ambiance était correcte, sans plus.
00:10:39C'est-à-dire que le maréchal Foch était sec.
00:10:42On ne discute pas, vous venez demander l'armistice, oui ou non.
00:10:46Jusqu'à ce que les cloches sonnent à 11h, le 11.
00:10:49C'est un armistice qui va être secret.
00:10:57Même si les militaires considèrent ne pas avoir subi de défaite,
00:11:00ce sont des civils allemands qui concluent 4 ans de guerre
00:11:03et acceptent, presque en catimini, des conditions d'armistice
00:11:06dans des circonstances humiliantes.
00:11:08De quoi, si ce n'est pas voulu, semer les graines de la revanche.
00:11:13L'armistice est imposé aux Allemands
00:11:16avec des conditions militaires très dures,
00:11:19mais qui correspondent à la situation du moment.
00:11:23Des conditions très dures permettent,
00:11:25d'un point de vue français, deux choses.
00:11:28Un, si les Allemands les acceptent de les mettre dans une posture
00:11:31qui ne leur permet plus de reprendre la guerre.
00:11:34S'ils les refusent, l'assommoir arithmétique allié
00:11:37va continuer à écraser l'armée allemande.
00:11:43C'est fini. Dans les rues de Paris et d'ailleurs,
00:11:46les populations exultent, les soldats sont soulagés d'être vivants.
00:11:49La Belgique et le nord de la France ne sont plus que des ruines.
00:11:52Des villages de l'Est sont rayés de la carte.
00:11:55Mais la victoire des Alliés n'est pas celle de la paix.
00:11:58Il faut reconstruire une Europe sur les débris de trois empires
00:12:01et régler une bonne fin pour toutes, croit-on, le sort de l'Allemagne.
00:12:0528 juin 1919, 7 mois plus tard.
00:12:09Il fait beau ce midi à Versailles. Un peu frais.
00:12:12Les abords du château sont noirs de monde.
00:12:15Tout au long des 3 heures qui vont suivre,
00:12:18tout a été soigneusement choisi pour humilier à nouveau les Allemands.
00:12:21Le lieu ? Versailles et sa galerie des glaces,
00:12:24symbole de la diplomatie française,
00:12:28là où, en 1871, l'Empire allemand est né.
00:12:31La date ? 5 ans jour pour jour,
00:12:34après l'attentat de Sarajevo, prétexte à la grande guerre.
00:12:37Les hommes, les gueules cassées,
00:12:40placés sur le trajet des Allemands avant d'aller signer.
00:12:43Il y a foule dans la galerie des glaces, mais les Allemands ne sont pas là.
00:12:46Ils arrivent par une porte dérobée à l'abri des regards.
00:12:50La délégation allemande est arrivée par cette porte
00:12:53qui donne dans le grand cabinet de Madame Victoire.
00:12:56Elle entre dans le château, traverse les dernières pièces
00:12:59de l'appartement de Madame Victoire,
00:13:02de l'appartement de la Reine,
00:13:05pour déboucher à l'entrée de la galerie des glaces.
00:13:08Ce trajet est pratique. Il ne fallait pas que la délégation allemande
00:13:12suive le même parcours que les délégations alliées,
00:13:15qui, elles, entraient directement par la cour royale.
00:13:18Mais il est sûr que la délégation allemande
00:13:21devait recevoir l'histoire de France en pleine figure,
00:13:24dans la galerie des glaces, puisque c'est là le grand décor de Louis XIV,
00:13:27qui magnifie les victoires de la France contre l'Allemagne.
00:13:3315h.
00:13:34Clémenceau, entouré de Lloyd George Langley et l'Américain Wilson,
00:13:37prend place autour d'un bureau, extrait pour l'occasion
00:13:41du mobilier national.
00:13:43Ce bureau se trouvait au centre quasiment géométrique
00:13:46de la galerie. Nous y approchons. Nous sommes au centre.
00:13:49Il se trouvait là, avec un fauteuil placé dos aux fenêtres.
00:13:52La personne qui signait se trouvait face aux puissants alliés,
00:13:56qui se trouvaient derrière cette longue table
00:13:59qui était devant les miroirs.
00:14:02Le silence se fait.
00:14:06On fait signer les Allemands les premiers, pour être bien sûr.
00:14:09Les représentants de la République de Weimar,
00:14:12Muller et Bell, Pahl et Malalaise, ont l'air,
00:14:15selon le chroniqueur du Figaro, de deux ouvriers endimanchés.
00:14:18Le ministre des Affaires étrangères,
00:14:20représentant de l'Allemagne, a refusé d'utiliser
00:14:24l'une des plumes mises à sa disposition,
00:14:27qui était offerte par des associations d'anciens combattants.
00:14:30Il a utilisé son propre stylo plume.
00:14:32D'ailleurs, c'est un traité que personne ne voulait signer
00:14:35du côté allemand. Il a fallu trouver deux ministres,
00:14:38deux volontaires, pour venir signer.
00:14:40Les Allemands ont été naturellement humiliés
00:14:44dès le début.
00:14:46La première humiliation, et on l'oublie souvent,
00:14:49c'est qu'ils ont été oubliés,
00:14:52exclus des négociations de paix.
00:14:56Quand, le 18 janvier 1919,
00:14:58les discussions pour arriver jusqu'à Versailles
00:15:01ont été ouvertes, il y a 27 nations,
00:15:04mais aucune nation vaincue.
00:15:09Et ça, dans toute l'histoire des traités,
00:15:12ça ne s'était jamais produit.
00:15:15Les Allemands, on le sait par des témoignages,
00:15:18sont au bord des larmes. C'est un moment extrêmement difficile,
00:15:21extrêmement douloureux, et je pense qu'ils n'ont pas
00:15:24beaucoup apprécié, en tout cas profité,
00:15:27du cadre qu'ils offraient à eux.
00:15:30Il y a aussi cette scène incroyable
00:15:32quand la délégation allemande a été conduite à Versailles.
00:15:35Avant, on les avait conduits dans les territoires détruits,
00:15:38et ils avaient éclaté en sanglots en voyant ce que la guerre
00:15:41avait détruit là-bas. Et les Français leur ont dit,
00:15:44ce n'est pas la guerre qui a détruit tout ça,
00:15:48c'est vous qui avez détruit tout ça. Et encore aujourd'hui,
00:15:51c'est insupportable de penser que nous avons détruit tout cela.
00:15:55Nous sommes responsables de tout.
00:15:59Une heure et demie plus tard, tout est terminé.
00:16:02Les Allemands sortent les premiers, puis c'est la colle.
00:16:06On court dans les jardins de Versailles à la suite des voitures.
00:16:09La paix est faite. On a retrouvé l'Alsace.
00:16:12On chante la marseillaise.
00:16:17Mais avant la signature du traité de Versailles,
00:16:20pendant six mois, entre janvier et juin 1919,
00:16:23entre négociations, compromis, menaces,
00:16:28trois hommes ont changé le monde.
00:16:37Les Alliés ont peut-être gagné la guerre,
00:16:39il leur faut maintenant réussir une paix qui va durer.
00:16:42Français et Anglais commencent à discuter tout de suite
00:16:45après le 11 novembre. Mais il faut attendre Wilson,
00:16:48qui débarque en Europe avec ses 14 points comme base de discussion.
00:16:53Wilson est né à la moitié du 19e siècle dans le sud des Etats-Unis.
00:16:58Il en devient le président.
00:17:00Wilson était l'enfant d'un pasteur.
00:17:02Il connaissait par cœur les Écritures.
00:17:04Il faisait sa prière tous les jours. Il était extrêmement croyant.
00:17:07Il voulait sauver le monde avec les valeurs du Christ.
00:17:12Il s'identifiait au Christ.
00:17:14Il pensait que l'Amérique était un don de Dieu.
00:17:19Wilson, c'est l'évangile selon l'Amérique.
00:17:21Avec sa grande idée, le droit des peuples a disposé d'eux-mêmes.
00:17:24Jouer les peuples plutôt que les gouvernements,
00:17:27les nations plutôt que les empires, et empêcher la guerre.
00:17:30Pour vendre ses 14 points, il entame une tournée triomphale en Europe.
00:17:34Wilson est le seul président des Etats-Unis
00:17:36qui vient s'installer 6 mois à l'étranger.
00:17:38Il habite 6 mois à Paris.
00:17:40On appelle sa maison la maison blanche temporaire.
00:17:43Quand il arrive en France, il n'y a jamais eu personne accueilli comme ça.
00:17:46En Italie, toutes les femmes, les hommes ont des cierges.
00:17:49Aucun homme d'Etat dans toute l'histoire du monde
00:17:52n'a été reçu dans le monde,
00:17:54dans les jours qui ont suivi l'armistice, comme Wilson est reçu.
00:17:57Donc ça lui monte un peu à la tête.
00:18:01Pendant 6 mois, Paris va régler les futures relations internationales.
00:18:04La capitale devient cosmopolite,
00:18:061 000 ressortissants américains s'installent au Crayon,
00:18:08transformés en vaisseaux de guerre.
00:18:10200 Anglais à l'Hôtel Majestique, Avenue Cleber,
00:18:13les Italiens vers l'Opéra.
00:18:15On dîne, on va au théâtre, on se fréquente au café.
00:18:19Les négociations qui se tiennent à Paris rassemblent 32 pays.
00:18:22Paris est le centre du monde.
00:18:24Paris, c'est non seulement le centre de la diplomatie mondiale en 1919,
00:18:27mais c'est l'école de formation accélérée des grands de ce monde
00:18:30qui vont diriger pendant les 30 ou 40 années suivantes.
00:18:33La conférence de la paix, c'était le lieu où il fallait être à ce moment-là.
00:18:37La conférence qui démarre occupe toutes les conversations.
00:18:404 nations pour négocier, l'Italie, la France, les Etats-Unis
00:18:43et la Grande-Bretagne.
00:18:45Le Premier ministre anglais Lloyd George
00:18:47ne veut pas laisser trop de place à la France sur le Nouvel Échiquier.
00:18:50Il avait l'ambition de rester au pouvoir
00:18:52et de favoriser les intérêts de l'Empire britannique.
00:18:56Il s'en fout de l'humanité tout entière,
00:18:58et c'est lui qui va d'ailleurs le mieux réussir dans la négociation.
00:19:01Il était incroyable.
00:19:03Il a réussi à obtenir tout ce qu'il voulait en faisant des manœuvres,
00:19:06en jouant Clemenceau contre Wilson, Wilson contre Clemenceau.
00:19:09Il se débrouillait.
00:19:12Pour la première fois dans l'histoire de l'Europe,
00:19:15on va négocier entre soi,
00:19:17c'est un véritable monologue des vainqueurs,
00:19:20des conditions à imposer aux vaincus.
00:19:22Le 3e homme, c'est Clemenceau.
00:19:2476 ans, ancien médecin, un temps journaliste,
00:19:27c'est le héros de la guerre côté français.
00:19:30Le père la victoire, synonyme de poigne et de patriotisme.
00:19:33Dans ce jeu, Clemenceau a des adversaires.
00:19:37Il s'appelle Lloyd George et il s'appelle Wilson.
00:19:40À un degré moindre, Orlando.
00:19:42Ce qui l'intéresse.
00:19:45C'est la défense et la sécurité de la France.
00:19:48Rien d'autre ne comptait pour lui.
00:19:50Il est vieux, il a 80 ans.
00:19:52Il ne veut pas que la France soit réenvahie par l'Allemagne,
00:19:55il veut la sécurité, etc.
00:19:58Sa carrière est derrière lui.
00:20:00Mais oui, il y a aussi une bataille d'égo.
00:20:03C'est dans les bureaux du Quai d'Orsay
00:20:05que les discussions à quatre commencent.
00:20:07Il faut trouver ses marques face à Wilson,
00:20:09qui est contre une sorte de club des puissances.
00:20:12Il veut faire participer tous les vainqueurs aux négociations,
00:20:16soutenant toujours, dès le début, son idée de société des nations.
00:20:20Dois-je comprendre qu'aucune décision ne sera prise
00:20:23sans l'avis du Costa Rica ou du Brésil ?
00:20:26Pendant ce temps-là, en coulisses et jusque tard dans la nuit,
00:20:2952 commissions composées d'experts s'affairent,
00:20:32dont celles qui retracent les frontières de nouveaux pays
00:20:36issus des empires déchus.
00:20:38Il y avait des grands principes qui avaient été établis.
00:20:41Puis après, le découpage précis se faisait, par exemple,
00:20:44selon des critères économiques, ethniques,
00:20:47et selon des critères politiques.
00:20:49Tout ce qui était communication, transport, ressources,
00:20:52tout ça, c'était un équilibrage à trouver.
00:20:55Donc, nous avons examiné la frontière
00:20:59entre Chepagny et Saros-Patague.
00:21:02Il va donc de soi que la jonction
00:21:04Miskovec-Cascao avec Saint-Péter-Lanzon
00:21:08devra passer par ici
00:21:10et est attribuée à...
00:21:12Les travaux de ces commissions ont permis la viabilité
00:21:15de nouveaux États européens, comme la Tchécoslovaquie.
00:21:18Le traité de Versailles a été une des étapes décisives
00:21:21dans la création de la Tchécoslovaquie
00:21:24après la Première Guerre.
00:21:26Lorsque s'ouvre la conférence de la paix,
00:21:29la légitimité du nouvel État est déjà admise.
00:21:32Donc, il était assez évident,
00:21:35au moment de discuter la mise en place de l'indépendance,
00:21:38d'une frontière historique.
00:21:40Ces frontières sont toujours d'actualité.
00:21:42Ce sont celles que nous avons toujours avec l'Allemagne,
00:21:46l'Autriche et la Pologne.
00:21:48Mais la conférence de paix met sous le tapis, dès le début,
00:21:51avec le tracé des frontières,
00:21:53une donnée essentielle qui sera, 20 ans plus tard, explosive.
00:21:56Les minorités.
00:21:58La région des Sudètes est majoritairement peuplée
00:22:02par des Allemands.
00:22:04Pour la Tchécoslovaquie, il y a un problème supplémentaire.
00:22:07Le Sud-Est et le Sud-Ouest ont une population allemande.
00:22:10C'est pas rien.
00:22:12Les Tchèques sont majoritaires en Tchécoslovaquie.
00:22:15La 2e nation, ce sont les Sudètes.
00:22:17Les Slovaques ne viennent qu'en 3e position.
00:22:21La Tchécoslovaquie a fait de son mieux
00:22:23pour prendre en compte les besoins de chaque peuple.
00:22:26La protection des minorités a été exemplaire.
00:22:29Mais il y a eu des oppositions à l'avènement d'un État tchécoslovaque
00:22:32contre lesquelles nous n'avons rien pu faire.
00:22:34Et ça a été la grande force du nationalisme allemand,
00:22:37qui a été instrumentalisée par les Nazis.
00:22:40Hitler s'est en effet servi du cas des Sudètes
00:22:43pour déclencher les prémices de la 2e guerre mondiale.
00:22:46On a tendance à voir, dans le cas de Tchécoslovaque, un échec.
00:22:49Pourquoi ? Parce qu'on connaît la suite de l'histoire.
00:22:52La conférence de paix s'attaque ensuite à une autre brûlante question,
00:22:55le partage de l'ancien empire ottoman.
00:22:58L'émir Faisal est à Paris pour discuter
00:23:00de ce que les Anglais lui ont plus ou moins promis,
00:23:03c'est-à-dire une indépendance des peuples arabes,
00:23:06Irak, Syrie, Liban, Koweït, Palestine,
00:23:09au sein d'une fédération.
00:23:11On promet un État aux Kurdes.
00:23:13À la fin, Français et Anglais se partagent le Moyen-Orient
00:23:17en zone d'influence.
00:23:19De leur côté, les Italiens trépignent.
00:23:22Orlando est de toutes les discussions du début janvier
00:23:25en tant qu'allié.
00:23:27Victor Emmanuel Orlando était le président du Conseil.
00:23:30Il a contribué de manière décisive à la victoire italienne.
00:23:33Orlando a essayé d'obtenir de Wilson ce qui était prévu
00:23:38entre Français, Britanniques et Italiens,
00:23:41le traité de 1915,
00:23:43qui avait motivé l'entrée en guerre de l'Italie,
00:23:46à savoir que la Dalmatie serait italienne,
00:23:49que le Trentin serait arraché à l'Autriche-Hongrie
00:23:52et deviendrait italien, que Fiume deviendrait italien.
00:23:55L'Italie voulait réunifier toutes les populations d'origine italienne
00:23:58qui avaient été disséminées à l'intérieur de l'Empire Austro-Hongrois.
00:24:02C'était également un problème économique.
00:24:05Le port de Fiume était un port concurrent de Trieste.
00:24:08Sous contrôle yougoslave, il aurait concurrencé l'Italie.
00:24:11Un pied-à-terre idéal dans les Balkans.
00:24:14Mais rien ne se passe comme prévu. Wilson refuse tout net.
00:24:17Aucun des grands pouvoirs européens de l'Ouest
00:24:21ne devrait avoir un pied-à-terre dans les Balkans.
00:24:24Au nom du principe de nationalité, Wilson refuse tout net.
00:24:27Au nom du principe de nationalité, Wilson a été intransigeant.
00:24:30Il n'est pas question que la Dalmatie soit italienne.
00:24:33Les Français sont très embarrassés. L'Italie est leur alliée.
00:24:36Mais en même temps, ils ont des liens avec les Serbes et les Croates
00:24:41qui veulent faire un État yougoslave.
00:24:44La Dalmatie va devenir yougoslave. Les Français sont un peu tiraillés
00:24:47entre Italien et yougoslave.
00:24:50Finalement, ils font comprendre à Orlando
00:24:53que la Dalmatie va devenir yougoslave.
00:24:57À mesure que s'est révélée la sympathie et le soutien de Wilson
00:25:00envers le nouvel État yougoslave,
00:25:03la possibilité de trouver un accord s'est éloignée.
00:25:07Orlando se braque et se sent humilié par l'attitude des trois autres
00:25:10qui eussent aussi d'une arme diplomatique, la langue.
00:25:14Clemenceau a passé 5 ans aux États-Unis.
00:25:17Il a épousé une Américaine. Il parle un anglais.
00:25:20Il écrit un anglais parfait. Il n'a pas besoin d'interprète.
00:25:24Il peut, avec lui et Lloyd George, se parler en anglais
00:25:27dans les négociations et cela marginalise l'Italien
00:25:31qui, lui, ne parle pas l'anglais
00:25:34et pas bien le français non plus.
00:25:37Et Orlando, le pauvre, a été vu en train de pleurer
00:25:40parce qu'il n'arrivait pas à contenter une opinion publique italienne
00:25:43toujours plus nationaliste et convaincu
00:25:46que la contribution de l'Italie à la Grande Guerre,
00:25:50avec ses 500 000 morts et ses 900 000 mutilés,
00:25:53devait être récompensée à la hauteur de son sacrifice.
00:25:58Orlando, à son retour d'Italie, est destitué. Il n'a rien obtenu.
00:26:03Tout cela a contribué à créer en Italie un contexte
00:26:06que les nationalistes ont exploité en criant à la victoire mutilée.
00:26:09Pour autant, elle ne l'était pas car l'Italie avait plus
00:26:12qu'il ne lui en fallait pour assurer la sécurité de ses frontières.
00:26:19La conférence de la paix bat son plein.
00:26:22Dans les bureaux du Quai d'Orsay. De l'autre côté du pont,
00:26:26place de la Concorde, l'hôtel de Crayon.
00:26:29Wilson a installé là son quartier général et travaille
00:26:32avec ses centaines de conseillers à la grande œuvre de sa vie,
00:26:35la Société des Nations. Dans les salons, on part
00:26:38des principes des 14 points pour élaborer ce pacte de la SDN.
00:26:41Pour Wilson, l'enjeu est clair. Il veut redéfinir
00:26:45un nouvel ordre mondial.
00:26:47Il arrive à Paris avec l'idée qu'il faut faire une paix entre égaux.
00:26:50Il veut une Société des Nations qui fasse
00:26:53que la Première Guerre mondiale soit la dernière des guerres.
00:26:57Il y a une conception de l'Europe. Ces Européens qui ont
00:27:00une vieille histoire, ils ont des idées un peu anciennes
00:27:03sur la paix et la guerre. C'est ce qui explique qu'ils sont
00:27:06toujours, ces Européens, en guerre. Il faut donc mettre une fin
00:27:09à ces guerres incessantes qui sont dues à des paix
00:27:12mal organisées et des paix injustes.
00:27:16Il voulait gagner pour les Etats-Unis ce rôle d'arbitre du monde.
00:27:19De la mi-janvier à la fin mars, on ne parle que
00:27:22de la Société des Nations.
00:27:24C'est l'idée de réunir l'ensemble des nations
00:27:27dans une institution comme l'ONU. Ca précède l'ONU.
00:27:30Et l'idée qu'avant de déclarer la guerre, il faut annoncer
00:27:33qu'on va déclarer la guerre et entamer des processus durs
00:27:37d'arbitrage, de négociation.
00:27:39Pour éviter ces accords secrets, ces alliances secrètes
00:27:42qui sont génératrices de guerre, il faut mettre en place
00:27:45une organisation qui est prête à assurer d'une façon durable
00:27:49la paix.
00:27:51Pendant la conférence à Paris, tous ceux qui se sont battus,
00:27:54indiens, indochinois, africains, demandent leur part
00:27:57d'autodétermination en récompense de services rendus,
00:28:00en millions de morts, et poursuivre les principes
00:28:04de Wilson sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
00:28:07Un plongeur du rite se tente sans succès d'accéder
00:28:10à la conférence. Il est indochinois. C'est le futur Ho Chi Minh.
00:28:14...
00:28:17Fin mars, Wilson finit par présenter sa SDN à la presse,
00:28:20en en faisant le coeur même du futur traité de Versailles.
00:28:23Clemenceau et Lloyd George sont au lit, sans plus.
00:28:27Et le Congrès américain ne ratifiera jamais la SDN,
00:28:30dont l'Allemagne sera exclue au départ.
00:28:33Le traité de Versailles était mort-né.
00:28:36C'est un traité de Versailles amputé que nous avons eu à gérer
00:28:39à partir du moment où l'Amérique,
00:28:42n'a pas de présence dans les instances de la SDN.
00:28:45En parallèle est créé le Bureau international du travail,
00:28:48qui existe toujours, pour sécuriser le monde ouvrier émergent
00:28:52et lutter contre le chômage et la misère.
00:28:55Mais les Alliés jouent un jeu dangereux
00:28:58en maintenant un blocus alimentaire en Allemagne.
00:29:01Ce blocus divise le Conseil des Quatre.
00:29:13L'armistice permet la possibilité d'envoyer de l'alimentation en Allemagne.
00:29:17Mais nous laissons des tonnes d'alimentation en Rotterdam
00:29:20pendant que les Allemands en ont faim.
00:29:24Nous ne nous nourrissons pas de la haine de l'avenir,
00:29:27nous nourrissons une révolution.
00:29:30Cette future haine dont parle Lloyd George, visionnaire,
00:29:33et la terreur d'une révolution rouge qui pourrait gagner l'Allemagne
00:29:36et l'Ouest, précipitent les discussions.
00:29:40Il faut vite régler le sort de l'ancien empire allemand.
00:29:51Finalement, c'est en un mois que la conférence va régler la paix avec l'Allemagne.
00:29:55Orlando est parti, et symboliquement, on quitte le quai d'Orsay
00:29:58pour l'hôtel particulier d'un banquier américain.
00:30:02Chacun veut tirer du traité de paix les meilleures dispositions
00:30:05pour l'avenir de son pays. Alors les conversations se tendent,
00:30:09tant les intérêts sont divergents.
00:30:12Les Britanniques, ils veulent maintenir, évidemment, leur puissance,
00:30:17maintenir leur empire, cet empire sur lequel le soleil ne se couche jamais.
00:30:22Ils sont pour la fermeté à l'égard de l'Allemagne,
00:30:25et comme les Français, ils veulent des réparations.
00:30:28Ils veulent une somme extrêmement forte de réparations.
00:30:31Ils sont même, au départ, plus exigeants que les Français.
00:30:35Ils veulent que les Allemands, dans ces réparations,
00:30:38remboursent les pensions de guerre.
00:30:40– Les Français, eux, sont obsédés par leurs frontières
00:30:43et n'ont pas d'autre choix que d'avoir une position très dure.
00:30:46– Clémenceau va en permanence négocier de façon à obtenir
00:30:51que Britanniques et Américains s'engagent à assurer la sécurité de la France.
00:30:56Il ne faut pas oublier que la question est d'abord démographique.
00:31:00La France est à 40 millions d'habitants,
00:31:02et l'Allemagne est toujours à peu près à 65 millions d'habitants.
00:31:05Puisqu'il y a cette inégalité franco-allemande,
00:31:07la sécurité de la France passe par une réégalisation des chances.
00:31:10Il faut donc un traité extrêmement dur,
00:31:12il faut que l'Allemagne paye, il faut que l'Allemagne soit affaiblie.
00:31:15Donc cette conviction absolue que l'Allemagne est responsable de la guerre
00:31:20et que pour ça, elle doit payer, le Boch payera.
00:31:22– Les hommes d'États français et britanniques
00:31:27savaient qu'il fallait faire payer l'Allemagne, eux-mêmes étant ruinés.
00:31:31Et ce qui est encore plus important,
00:31:35c'est que les populations demandaient une paix exemplaire.
00:31:38Elles voulaient une paix de vainqueurs,
00:31:41où l'Allemagne devait être désignée comme seule coupable de la guerre.
00:31:45Et à une paix douce, ni Clemenceau ni Lloyd George
00:31:51n'auraient survécu politiquement.
00:31:54– Les Français vont tout faire pour que la question militaire,
00:31:59la question de la sécurité, soit au cœur des débats,
00:32:02pour une raison simple en définitive,
00:32:04c'est que quelle que soit l'issue des traités de paix,
00:32:08la France continuera à avoir une frontière continentale avec l'Allemagne,
00:32:12ce qui n'est pas le cas de la Grande-Bretagne,
00:32:14ce qui n'est pas le cas des États-Unis.
00:32:18– De son côté, Wilson s'accroche à son idée de paix juste.
00:32:22– Notre plus grand erreur serait de donner aux Allemagne des raisons puissantes
00:32:27pour, un jour, prendre la revanche.
00:32:32– Vous devez comprendre, occuper l'Allemagne,
00:32:35au moins pendant 15 ans, va les empêcher de respecter le traité.
00:32:40J'en ai besoin, ces 15 ans.
00:32:45– Il les obtient.
00:32:46Plus tard, Clemenceau peut alors rappeler de son bureau
00:32:49au président français Poincaré, pour lui annoncer la nouvelle.
00:32:58– Mademoiselle de la présidence de la République, s'il vous plaît.
00:33:03Monsieur le Président, j'ai mes 15 ans, la paix est faite.
00:33:15– Les clauses du traité s'affinent,
00:33:17on va détruire une partie de l'armement
00:33:19et réduire l'armée allemande à 100 000 hommes.
00:33:21Maintenant, il faut aller vite.
00:33:23Début mai, les Allemands sont convoqués à l'hôtel Trianon à Versailles.
00:33:29– Messieurs, ce n'est ni le temps, ni le lieu de discours superflu.
00:33:35Vous avez devant vous les représentants des nations
00:33:38qui se sont unies pour résister à une guerre
00:33:41qui nous a été imposée pendant plus de 4 ans, d'une façon tout à fait cruelle.
00:33:46Vous voulez la paix ? Nous sommes disposés à vous l'accorder.
00:33:50Voici le livre contenant nos dispositions.
00:33:53– Le traité de Versailles, c'est 400 clauses.
00:33:55Ces 400 clauses sont très dures pour l'Allemagne.
00:33:57Elle reconnaît que l'Allemagne va être amputée d'une partie de son territoire,
00:34:01l'Allemagne va devoir payer des réparations de guerre
00:34:04puisque c'est elle qui est fautive de la guerre.
00:34:06Mais tout ça, ça s'est fait dans un contexte particulier.
00:34:10– Nous savons si l'identité du haste nous convient.
00:34:15Nous connaissons l'intensité de la haine à laquelle nous faisons face.
00:34:22Nous connaissons l'intensité de la haine à laquelle nous faisons face.
00:34:38Nous avons entendu l'exigence passionnée des vainqueurs
00:34:41qui prétendent à la fois nous faire payer comme vaincus
00:34:44et nous punir comme coupables.
00:34:55Mais nous ne le sommes pas les seuls coupables.
00:34:57L'impérialisme des États européens a empoisonné la situation internationale.
00:35:06– Pas de négociations, 15 jours pour répondre, rendez-vous début juin.
00:35:12– Certes, le traité de Versailles est très dur,
00:35:14mais il aurait été difficile à accepter pour les opinions publiques
00:35:17d'avoir un traité qui ne le soit pas.
00:35:19Il fallait faire payer l'Allemagne.
00:35:21– Dès les conditions connues, à Berlin, c'est l'indignation.
00:35:25La façon dont a été traitée la délégation allemande est jugée inacceptable.
00:35:29On se sent trahi par Wilson qui avait promis une paix digne et juste.
00:35:34– S'il n'avait pas dit avec moi tout sera différent
00:35:37et que le résultat finalement n'était pas différent,
00:35:39il a créé une telle illusion qu'il a créé un désir de revanche
00:35:43qui a été entretenu par les militaires allemands
00:35:45qui cachaient à leur peuple que c'est eux qui avaient demandé l'armistice,
00:35:48ce n'est pas un pouvoir civil.
00:35:50– Mais à partir du moment où les alliés imposent à une République
00:35:54des conditions de paix que le peuple n'a pas pu négocier,
00:35:59eh bien, le peuple allemand se sent trahi par la République de Weimar.
00:36:05– Pour les Allemands, et on les comprend, le traité de Versailles est un diktat.
00:36:09C'est précisément parce que les vainqueurs n'arrivaient pas à se mettre d'accord
00:36:12que tous ces préliminaires ont été longs, trop longs et qu'à un moment,
00:36:16les opinions publiques étaient un peu là, qu'il fallait en finir,
00:36:19qu'il fallait quand même le signer ce traité, eh bien, on l'impose aux vaincus.
00:36:23Et du même coup, vu de l'autre côté, c'est l'humiliation suprême.
00:36:26– L'Allemagne est traumatisée.
00:36:29De son point de vue, elle n'a pas perdu la guerre et ne se sent pas responsable.
00:36:33Elle est sonnée par ses 400 clauses et met du temps à répondre.
00:36:37En juin 1919, Wilson en a assez, il veut rentrer aux États-Unis.
00:36:42Clémenceau menace de rompre l'armistice,
00:36:44Foch ressort déjà ses cartes d'état-major.
00:36:48Enfin, le 28 juin, le traité est signé, à Versailles.
00:36:52Finalement, les trois négociateurs ont obtenu ce qu'ils voulaient.
00:36:56Wilson a imposé sa SDN,
00:36:58Lloyd George obtient la flotte et une partie des colonies allemandes
00:37:01et Clémenceau a sécurisé ses frontières.
00:37:04Mais ce que les Alliés ont sous-estimé avec la mise en scène
00:37:07et le contenu du traité de Versailles,
00:37:09c'est l'impact psychologique profond qu'il aura par la suite.
00:37:12Ce n'est pas l'humiliation qui est voulue,
00:37:15mais l'humiliation sera le résultat.
00:37:18L'humiliation n'est pas voulue, ce qui est voulu,
00:37:20c'est bien de faire comprendre à l'Allemagne
00:37:23qu'elle ne peut pas, qu'elle ne doit pas recommencer.
00:37:27Pour autant, était-ce un mauvais traité ?
00:37:31La paix de Versailles, en 1919, a été un gros dilemme dès le début.
00:37:40D'un côté, il y avait la perspective de construire un monde meilleur,
00:37:45et ça, c'était la volonté de Wilson.
00:37:50Et d'un autre côté, il y avait l'ambition des Britanniques et des Français
00:37:54de se partager le monde selon leurs propres critères.
00:37:59Le traumatisme vécu par tous les peuples européens
00:38:03est tel que le traité de paix
00:38:06n'est probablement pas un bon traité,
00:38:09mais que c'est peut-être le moins mauvais traité
00:38:12qu'il était possible de négocier à ce moment-là, dans ces conditions-là.
00:38:17Le traité n'était pas plus injuste que tous les autres traités
00:38:20qui avaient entraîné une victoire.
00:38:22Si les Allemands, à l'époque, n'avaient pas été aussi fous,
00:38:25ils auraient dû comprendre que la paix de Versailles était une paix raisonnable.
00:38:29Mais je ne peux que constater que la guerre les avait rendus vraiment fous.
00:38:37À l'issue du traité de Versailles, quatre autres traités suivront.
00:38:41Ils sont dits de la région parisienne.
00:38:44Saint-Germain-en-Laye, qui règle le sort de l'Autriche.
00:38:48Le Trianon, à Versailles, pour la Hongrie.
00:38:52Neuilly, où la Bulgarie perd une partie de son territoire
00:38:56et l'accès à la mer.
00:38:58Et Sèvres, qui décidera de l'avenir de l'Empire ottoman.
00:39:03Tous ces traités ont profondément changé le visage
00:39:06de cette vieille Europe des empires.
00:39:08Les États s'organisent peu à peu et la paix fait doucement son chemin.
00:39:12Pendant près de dix ans, l'Europe va devenir un laboratoire extraordinaire.
00:39:16Les traités s'assouplissent, l'industrie allemande se redresse
00:39:19et le premier couple franco-allemand de toute l'histoire,
00:39:22Aristide Briand et Gustav Strassmann, remportent le prix Nobel de la paix en 1926.
00:39:27En Allemagne, la République de Weimar, grâce au capitaux américains,
00:39:31reprend confiance. Le rapport avec les voisins se détend.
00:39:34On oublie presque Versailles et son dictate.
00:39:39On ferait fausse route en pensant que c'est le traité,
00:39:42son humiliation et ses clauses qui ont nourri le terreau
00:39:45du nazisme allemand et du fascisme italien, et conduit au pire.
00:39:52Je ne pense pas qu'on puisse accuser le traité de Versailles
00:39:55d'avoir planté les mines qui ont fait exploser la Seconde Guerre mondiale.
00:40:00En 1929, la France et l'Allemagne envisageaient la mise en place
00:40:04d'une union douanière et l'idée de créer les États-Unis d'Europe.
00:40:09En Europe, il n'y avait aucune menace de guerre.
00:40:14Un événement bien plus dévastateur balaie cette légende un peu sombre.
00:40:20La crise financière, puis économique américaine de 1929,
00:40:23va replonger l'Europe, encore convalescente,
00:40:26et plus particulièrement l'Allemagne, dans le chaos.
00:40:29C'est elle qui est responsable de la guerre qui menace.
00:40:32C'est elle qui va créer chômage, misère et instiller la peur.
00:40:36Peur du communisme, de l'autre, de l'insurrection,
00:40:39et faire naître une idéologie radicale qui va ressusciter la rancœur
00:40:43et la vengeance d'une paix que l'on ne digère pas.
00:40:47En Italie, Mussolini se sert de Versailles,
00:40:50mais ce n'est pas la raison de la montée du fascisme.
00:40:54Mussolini avait dit dès le début
00:40:56que le traité de Versailles devait être revu et modifié.
00:41:02A partir de 1921, il y a eu une levée de bouclier
00:41:05contre le Parti communiste,
00:41:07qui projette une révolution comme celle qu'a faite Lénine.
00:41:12Le fascisme n'a pas été soutenu par les grands industriels,
00:41:15mais par les plus petits industriels,
00:41:17comme il avait été soutenu par les grands propriétaires terriens
00:41:21et expropriés par le Parti communiste.
00:41:23C'est pour cela que ces petits industriels ont aidé l'arrivée du fascisme
00:41:27en favorisant un gouvernement qui promettait de faire respecter l'ordre.
00:41:31Peur du bolchevisme, désir exacerbé d'ordre,
00:41:34humiliation d'une mauvaise paix,
00:41:36le même mécanisme se met en place quelques années plus tard
00:41:39avec l'avènement des nazis.
00:41:43Le succès initial de Hitler dans ses années de crise de 1920
00:41:46intervient au moment où les gens se remettent en Allemagne
00:41:49à s'intéresser à la Première Guerre mondiale de façon massive.
00:41:54Le traité de Versailles va regagner le devant de la scène
00:41:57servant de prétexte à une propagande impeccable.
00:42:01Hitler a promis dès le début qu'il va réparer la paix de la honte,
00:42:06qu'il va rétablir l'honneur des soldats
00:42:08et va aller reconquérir la patrie perdue.
00:42:13Il veut faire des monuments pour les soldats vaincus
00:42:17et les blessés de guerre vont recevoir tous les honneurs
00:42:20qu'ils n'ont pas eus de la part de la République de Weimar.
00:42:24C'était ça, la promesse d'Hitler.
00:42:27Bien sûr que Versailles a un lien avec Hitler.
00:42:30Bien sûr que Versailles a un lien avec la Seconde Guerre mondiale.
00:42:35Mais Versailles n'est pas la cause de la Seconde Guerre mondiale.
00:42:42Le caporal Hitler, qui ne se sent bien qu'au sein de l'armée,
00:42:45déclare du traité de Versailles son obsession personnelle.
00:42:48Dans sa folie, son but est de terminer cette guerre
00:42:50que les Allemands ont interrompue le 11 novembre 1918
00:42:53dans des conditions indignes.
00:42:56En piétinant méthodiquement les clauses du traité sur le réarmement
00:42:59et l'annexion des Sudètes et de l'Autriche,
00:43:01il déclenche, sur un prétexte, la Seconde Guerre mondiale.
00:43:10Après une drôle de guerre de près de neuf mois,
00:43:12la France est vaincue sèchement en moins de cinq semaines.
00:43:23C'est très clair que Hitler, en 1940, a gagné la Première Guerre mondiale.
00:43:28Jamais Hitler n'a été aussi populaire en Allemagne
00:43:31qu'au moment où il a battu la France en 1940.
00:43:37Le traité de Versailles vit ses dernières heures.
00:43:39Campétain, héros de Verdun, demande à son tour l'armistice.
00:43:46Nous sommes le 22 juin 1940.
00:43:48Hitler exige le wagon de Rotonde.
00:43:51Dans la symbolique de l'armistice,
00:43:53il faut en revenir sur l'armistice de Rotonde
00:43:56et complètement caviarder ce qui s'était passé le 11 novembre 1918
00:44:01en faisant signer, dans une posture complètement inversée,
00:44:05les Français en armistice au même endroit, dans les mêmes conditions.
00:44:26Autant 1918, c'était secret, autant 1940, c'est grand tapage.
00:44:36Hitler va tout de suite demander à sortir le wagon,
00:44:39de le mettre là où il était en 1918,
00:44:42et il voudra s'asseoir à la place du maréchal Foch le 21 juin
00:44:46quand il fera lire par le général Keitel les conditions d'armistice.
00:44:51Hitler s'est souvenu et il est ivre de joie.
00:44:54Ils jubilent. C'est l'humiliation à l'envers.
00:44:57C'est une vengeance. C'est une vengeance de gamin.
00:45:00Une vengeance de sale gamin, dans des conditions dramatiques.
00:45:06Hitler va envoyer à Berlin pour les exposer dans un musée grandiose,
00:45:10le wagon, la dalle sacrée, le monument des Alsaciens noirs.
00:45:15Mais pas la statue du maréchal Foch,
00:45:17qui resterait désespérément à Compiègne
00:45:20pour regarder une clairière complètement vide,
00:45:23puisqu'il aura fait sauter le musée en juillet 1940.
00:45:26Il ne restera plus rien.
00:45:29Le 2d conflit mondial s'achève en 1945
00:45:32par la capitulation et l'effondrement total du 3e Reich.
00:45:36Avec la défaite de l'Allemagne, c'est la véritable fin de la guerre,
00:45:40débutée en 1914.
00:45:48Le 3e Reich, c'est la fin de la guerre.
00:45:51Le 3e Reich, c'est la fin de la guerre.
00:45:54Le 3e Reich, c'est la fin de la guerre.
00:45:58Pourtant, près de 80 ans après l'attentat de Sarajevo,
00:46:01au même endroit, l'histoire meurtrière se répète.
00:46:04Au moment des traités de Versailles et de Saint-Germain,
00:46:07les Alliés, croyant régler le problème de la poudrière des Balkans,
00:46:11ont créé la Yougoslavie.
00:46:13Mais les dés sont pipés dès le départ.
00:46:16Dans cette 1re Yougoslavie entourée de guerres,
00:46:19c'est le roi de Serbie qui devient roi des Serbes, Croates et Slobènes.
00:46:23En fait, l'Yougoslavie a renseigné à une grande Serbie.
00:46:27Pendant la Seconde Guerre mondiale,
00:46:29les fissures au sein de la Yougoslavie apparaissent.
00:46:32Le nationalisme croate, allié d'Hitler,
00:46:34est responsable d'un véritable génocide.
00:46:37Mais les communistes résistent avec à leur tête Tito,
00:46:40qui s'impose vite comme un leader charismatique.
00:46:43C'est lui qui va créer, au sortir de la guerre,
00:46:46la grande Yougoslavie socialiste, lointaine satellite de Moscou.
00:46:50Qui, grâce à sa poigne, a su mettre un couvercle
00:46:53sur les nationalismes de sa fédération.
00:46:55Tito avait une chance extraordinaire
00:46:58de s'imposer dans un territoire yougoslave
00:47:01où tout le monde est contre tout le monde.
00:47:04Couvercle qui a tenu jusqu'à sa mort en 1980
00:47:07et qui finit par sauter après la chute du communisme.
00:47:10Tout le monde nous disait qu'après la chute du communisme,
00:47:13il y aura des belles choses pour chacun,
00:47:16que finalement la démocratie arrive en Bosnie-Herzegovine.
00:47:19Les premières élections libres et démocratiques
00:47:22ont eu lieu en novembre 1990 à l'Assemblée générale.
00:47:25Les partis nationalistes et ultranationalistes
00:47:28gagnent presque tout.
00:47:30Le nationaliste serbe Milosevic prend le pouvoir
00:47:33dans un contexte de crise économique et sociale
00:47:36qui génère immédiatement des tensions identitaires
00:47:39et commande, en avril 1992,
00:47:41depuis les collines de Sarajevo,
00:47:43des bombardements meurtriers sur la ville.
00:47:49...
00:48:14Ce pont, aussi, pendant la dernière guerre en Bosnie-Herzegovine,
00:48:18c'était un pont de démarcation de deux parties.
00:48:21D'un côté, c'était des Serbes qui contrôlaient les collines.
00:48:25De l'autre, c'était les habitants de Sarajevo.
00:48:28Je ne vais pas parler des Serbes courates et bosniaques,
00:48:31mais des habitants de Sarajevo qui vivaient de ce côté-là.
00:48:34...
00:48:38C'est la rivière de Miljeska qui a divisé les Serbes
00:48:41et le reste de la population de Sarajevo.
00:48:44Déjà, on a commencé à parler d'eux et de nous.
00:48:47...
00:48:52Le siège de Sarajevo sera le plus long de toute l'histoire moderne
00:48:56et va faire près de 100 000 morts et 2 millions de réfugiés.
00:48:59Après presque 4 ans d'enlisement
00:49:01et un échec manifeste de l'UE,
00:49:03les Américains, comme pour les deux guerres mondiales,
00:49:06interviennent en force pour faire cesser le conflit
00:49:09avec les accords de Dayton.
00:49:11Ils joueront à nouveau, comme l'avait rêvé Wilson,
00:49:14les gendarmes du monde.
00:49:17En apparence, la ville a été plus ou moins reconstruite
00:49:20et les dégâts matériels réparés,
00:49:22mais les blessures et le traumatisme psychologique
00:49:25de la société sont bien plus considérables.
00:49:28Ca va prendre un certain temps pour les guérir et les surmonter.
00:49:32Certaines personnes en parlent comme si ça s'était passé hier
00:49:35et c'est encore très présent dans les conversations quotidiennes.
00:49:38Mais près de 25 ans plus tard, la plaine n'est pas refermée.
00:49:42Ce symbole de la ville, la bibliothèque,
00:49:45qui représentait à la fois le faste de l'empire austro-hongrois
00:49:48et le multiculturalisme d'avant 1914 et détruit pendant la guerre,
00:49:52abrite une plaque qui entretient les tensions intracommunautaires.
00:49:59J'appelle cette plaque la plaque de la haine.
00:50:01Je pense que cette plaque témoigne du mal de Bosnie-Herzégovine,
00:50:05témoigne de notre vie difficile d'aujourd'hui.
00:50:08Comment on peut construire un dialogue
00:50:10lorsque vous êtes considérés, mais tous globalement, comme criminels ?
00:50:14Comment faire des Balkans, après le premier embrasement de 1914,
00:50:17une région sereine et apaisée ?
00:50:21Et si cela recommençait ?
00:50:23La Bosnie-Herzégovine, aujourd'hui, continue d'être un pays à plusieurs identités.
00:50:27Je ne suis pas sûr qu'il n'y aura pas de guerre en Bosnie-Herzégovine,
00:50:31parce que depuis plus d'un quart de siècle,
00:50:34la Bosnie-Herzégovine se prépare pour la guerre.
00:50:37Ici, tout est fait pour que je considère l'autre comme ennemi,
00:50:41mais pas comme ami.
00:50:43La Bosnie-Herzégovine du présent,
00:50:45c'est une Bosnie-Herzégovine qui puise dans l'histoire
00:50:49des raisons et des prétextes pour les combats dans le futur.
00:50:53Et ça, c'est le siècle infernal.
00:50:55Et si l'Union Européenne, un siècle plus tard,
00:50:58avait pu être l'ultime couvercle, la solution de l'intégration ?
00:51:02Je ne sais pas si l'Union Européenne est la solution,
00:51:05mais elle représente définitivement un espoir.
00:51:08Et c'est quelque chose dont les gens ici ont besoin,
00:51:12Dans le futur, j'espère vraiment vivre
00:51:15encore une trentaine, quarantaine d'années de paix.
00:51:28La Première Guerre mondiale a définitivement anéanti
00:51:31l'hégémonie et la puissance de l'Europe.
00:51:34L'Europe ne s'est pas remise de la Première Guerre mondiale.
00:51:38Cesse d'être la puissance dominante à l'échelle mondiale
00:51:43pour être remplacée par les Etats-Unis.
00:51:46C'est la fin d'une époque
00:51:48où l'Europe dominait le monde.
00:51:52A l'issue de la Première Guerre mondiale,
00:51:55tous les peuples européens appartiennent au camp des vaincus.
00:52:02Le traité de Versailles et la fragile paix qui l'accompagne
00:52:06ont été à la fois les germes et les boucs émissaires
00:52:09des conflits du XXe siècle.
00:52:11Il en reste des grands principes, une philosophie,
00:52:14qui ont été recyclées dans les bases de la construction européenne.
00:52:18La construction européenne a toutes les faiblesses qu'on lui connaît,
00:52:22mais c'est la seule région au monde qui a atteint ce point d'intégration.
00:52:26S'unir ou mourir.
00:52:28Et nous pourrions créer peut-être une Europe plus visionnaire,
00:52:32plus humaine et plus élargie
00:52:34et qui n'aurait aucune exigence de domination.
00:52:37Alors, elle pourrait émerger à nouveau,
00:52:40et autrement dans ce monde.
00:52:42Une Europe qui se cherche
00:52:44et qui doit s'adapter aux nouveaux enjeux planétaires
00:52:47si elle veut occuper une place sur l'instable échiquier mondial.
00:52:56Il y a plus d'un siècle, le traité de Versailles
00:52:59où durant les mois qui suivirent l'armistice du 11 novembre 1918,
00:53:03l'Américain Wilson, le Français Clemenceau
00:53:06et le Britannique Lloyd George ont cherché à bâtir une paix durable
00:53:10sur les ruines de la Grande Guerre.
00:53:12Les vaincus, à commencer par l'Allemagne,
00:53:14n'ayant pas été conviée, comme vient de nous le rappeler à l'instant,
00:53:18ce documentaire réalisé par Isabelle Gendre.
00:53:21Quoi qu'il en soit, ce traité de paix fut sans doute
00:53:24le plus décrié du siècle dernier,
00:53:26soupçonné d'avoir porté en lui
00:53:28l'essentiel des germes de la Seconde Guerre mondiale.
00:53:31Où en est-on aujourd'hui ?
00:53:33Nous allons nous poser la question,
00:53:35avec nos invités présents sur ce plateau de débats d'oc,
00:53:38en commençant par vous, Stéphane Audouin-Rousseau.
00:53:41Bienvenue à vous. Enchanté de vous accueillir.
00:53:44Vous êtes historien, directeur d'études émérite à l'EHESS,
00:53:47l'Ecole des hautes études en sciences sociales,
00:53:50spécialiste de la Première Guerre mondiale.
00:53:53L'auteur de La Grande Guerre, peut-elle mourir ?
00:53:56Essai sur le référent 14-18 en France,
00:53:58un ouvrage publié chez Odile Jacob,
00:54:00qu'on vous donne en lien direct avec notre émission d'aujourd'hui,
00:54:04Sortir de la Grande Guerre, le monde de l'après 1918,
00:54:08coécrit cette fois avec Christophe Prochasson
00:54:11et publié chez Talendier.
00:54:13Marie-Bénédicte Vincent est avec nous.
00:54:15Vous êtes professeure d'histoire contemporaine
00:54:18à l'Université de Franche-Comté
00:54:20et spécialiste de l'Allemagne du XIXe et du XXe siècle.
00:54:24Et enfin, avec nous, Jean-Michel Dieu.
00:54:27Bienvenue à vous.
00:54:28Vous êtes maître de conférences à l'Université Panthéon-Sorbonne,
00:54:32Paris 1, en histoire contemporaine des relations internationales.
00:54:36Vous êtes un spécialiste de l'histoire de la paix
00:54:39du XIXe et du XXe siècle.
00:54:41Vous êtes l'auteur, entre autres, de Gagner la paix 1914-1929.
00:54:45C'est un ouvrage toujours disponible aux éditions du Seuil.
00:54:49Stéphane Odoin-Rousseau, que n'a-t-on pas dit
00:54:52à propos de ce traité de Versailles dont on nous a raconté l'histoire
00:54:56dans le documentaire que nous venons de voir,
00:54:59dictate du côté allemand, paix bâclée,
00:55:01et un siècle plus tard, plus d'un siècle plus tard,
00:55:04est-ce que les historiens, que vous êtes tous les trois,
00:55:07portent le même regard, aujourd'hui,
00:55:09sur ce qu'a été ce traité de paix
00:55:11et ce qu'ont été ses conséquences ?
00:55:13Il me semble que la vision a évolué dans le sens de l'indulgence.
00:55:18Quand j'étais étudiant, vraiment, le traité de Versailles,
00:55:22c'était vraiment un morceau de bravoure.
00:55:25Le traité discrédité, on n'avait pas de critique assez dure
00:55:29à formuler, nos enseignants, d'ailleurs.
00:55:32Au fond, on reprenait très largement
00:55:35le regard extrêmement sévère de beaucoup de contemporains,
00:55:38l'économiste Keynes, bien sûr, Jacques Benville,
00:55:41et beaucoup d'autres.
00:55:43Aujourd'hui, évidemment, on se rend mieux compte
00:55:46que la suite, c'est-à-dire, 20 ans plus tard,
00:55:49l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale,
00:55:52c'est une sorte de boucle de rétroévaluation
00:55:55du traité de Versailles.
00:55:57Evidemment, compte tenu du résultat 20 ans plus tard
00:56:00et compte tenu des ambitions qui étaient celles
00:56:03de l'année 19,
00:56:05on constate un tel hiatus, une telle catastrophe,
00:56:08même que le traité s'en trouve discrédité.
00:56:11En fait, en historien, il me semble,
00:56:13je pense que mes collègues seront d'accord avec moi,
00:56:16il faut revenir, on va voir,
00:56:18mais il faut revenir, évidemment, au moment présent.
00:56:22Qu'est-ce que les contemporains du conflit,
00:56:25notamment, effectivement,
00:56:27les trois principaux artisans du traité,
00:56:30après quatre ans et demi d'une guerre effroyable,
00:56:34dont la trace, dont les passions,
00:56:37on dirait, sont encore très présentes en 1919,
00:56:41qu'est-ce que les contemporains pouvaient faire
00:56:44compte tenu de leurs moyens matériels,
00:56:47politiques, juridiques, moraux, psychologiques ?
00:56:50Et à ce moment-là, si on part des acteurs sociaux eux-mêmes
00:56:54et non pas d'une vision rétrospective,
00:56:57puisqu'on connaît la suite, à mon avis,
00:57:00l'appréciation qu'on peut porter sur le traité de Versailles
00:57:03se fait assez différente.
00:57:05Est-ce que vous êtes de cet avis ?
00:57:07Est-ce que, du côté allemand,
00:57:09puisque, évidemment, c'est cette histoire
00:57:11que vous venez de nous porter aujourd'hui dans cet échange,
00:57:14on a la même impression, aujourd'hui,
00:57:16avec le même recul ?
00:57:18A propos de ce fameux diktat,
00:57:20c'était le terme associé à ce traité du côté allemand.
00:57:23Je pense qu'on le réinsère dans un contexte
00:57:26que les Allemands de l'époque qualifient d'effondrement,
00:57:29mais qui n'a pas seulement une connotation militaire,
00:57:32qui a aussi une connotation politique et, au-delà, sociale,
00:57:36puisque l'Allemagne change de régime,
00:57:38l'empire s'effondre, l'empereur abdique,
00:57:40et donc, au moment où s'ouvre la conférence de la paix
00:57:43qu'on a bien vue dans le documentaire,
00:57:45l'Allemagne n'a pas encore de constitution.
00:57:48Et le traité de Versailles, de juin 1919,
00:57:51précède la nouvelle constitution,
00:57:53qui est adoptée seulement en août 1919.
00:57:55Donc, je pense qu'on voit beaucoup mieux,
00:57:58aujourd'hui, cette configuration très chaotique
00:58:01de genèse d'un nouveau régime
00:58:03dans lequel tous les repères habituels,
00:58:05politiques et même de la société,
00:58:08sont en train d'être changés.
00:58:10En réalité, c'est la toute nouvelle démocratie allemande,
00:58:13la toute nouvelle République de Weimar,
00:58:15qui hérite de cette guerre, de ce traité,
00:58:18suite à une guerre déclenchée par Guillaume II.
00:58:21Tout à fait.
00:58:22Alors, la vision de Guillaume II,
00:58:25évidemment, dans l'après-guerre,
00:58:28est un peu paradoxale,
00:58:30parce que, pour les Allemands, il reste,
00:58:32on pourrait dire curieusement, associé à l'empereur de la paix.
00:58:35On voit plutôt en lui...
00:58:37Il a eu un rôle secondaire durant le conflit,
00:58:39parce que l'Allemagne était dirigée par les militaires.
00:58:42On a parlé de semi-dictature militaire
00:58:44à partir d'août 1916.
00:58:45Guillaume II était en retrait,
00:58:47et il a pris contact avec...
00:58:52Il a voulu jouer un rôle
00:58:54vers une solution pacifique.
00:58:56Il a pris contact avec le Nonce, etc.
00:58:58Donc, on le voit dans l'après-guerre,
00:59:00et il est célébré comme ça, il n'est plus sur le trône,
00:59:03comme un empereur de la paix.
00:59:05Donc, il n'y a pas ce regard accusateur
00:59:08qu'on pourrait porter sur lui
00:59:10en tant qu'empereur de l'Allemagne,
00:59:13qui déclare la guerre le 1er août 1914 à la Russie.
00:59:16J'ai lu quelque part,
00:59:18c'est une interview qui date un peu,
00:59:20c'était 2019, dans l'hebdomadaire Le Point,
00:59:22que vous faites partie de ceux qui disent
00:59:24que ce regard a changé par rapport à ce traité de paix.
00:59:27Il a surtout changé sous l'influence peut-être des Anglo-Saxons,
00:59:30de vos confrères, historiens Anglo-Saxons.
00:59:32Expliquez-nous.
00:59:33Tout à fait.
00:59:34Depuis une trentaine d'années,
00:59:36on a une vision qui a pas mal évoluée.
00:59:38C'est-à-dire qu'on est partis, effectivement,
00:59:41au départ, d'une idée d'une paix cartaginoise,
00:59:44d'une paix ratée, qui était la responsable de tous les maux.
00:59:47Finalement, grâce aussi à nos collègues anglophones,
00:59:50effectivement,
00:59:51il y a eu un peu une réappréciation
00:59:53du traité de Versailles.
00:59:55On l'a vu, finalement, en replaçant dans son contexte.
00:59:58C'est-à-dire que les négociateurs de la paix
01:00:01avaient face à eux des défis immenses,
01:00:03des empires qui s'effondrent,
01:00:05une révolution qui menaçait l'Europe entière.
01:00:08Finalement, l'idée, c'est qu'on est arrivé à une paix
01:00:11qui était loin d'être parfaite,
01:00:13mais qui était peut-être le meilleur compromis possible,
01:00:16étant donné le contexte dans lequel se trouvaient
01:00:19les négociateurs de la paix,
01:00:21qui avaient donc à gérer des dossiers énormes.
01:00:24Ce qu'il faut dire aussi, c'est que cette paix,
01:00:27n'est pas une paix figée, c'est une paix évolutive.
01:00:30C'est-à-dire que c'est avec le même traité de Versailles
01:00:33qu'on va avoir une première phase dans les années 20
01:00:36d'extension, de guerre froide, franco-allemand, etc.,
01:00:39et dans la seconde moitié des années 20,
01:00:41une période de détente, mais on est dans le même traité,
01:00:44qui évolue, qui est dynamique, et d'ailleurs, Clémenceau,
01:00:47en 1919, avait dit aux députés français
01:00:49que ce traité vaudrait ce que vous voudrez vous-mêmes.
01:00:52Donc, il y avait, en quelque sorte,
01:00:54un caractère très dynamique de cette paix,
01:00:57et en gros, c'est pas parce qu'on a signé la paix
01:01:00en juin 1919 que la paix était faite.
01:01:02La paix, au contraire de la guerre,
01:01:04où il suffit de la déclarer pour être dans un état de guerre,
01:01:07il ne suffit pas de signer la paix pour être dans un état de paix.
01:01:11C'est une longue construction, et il faut toutes les années 20
01:01:14pour arriver dans un processus...
01:01:16Parce que ce sont, peut-être, dans ces années 20,
01:01:19et surtout, vous l'avez dit, dans la deuxième partie,
01:01:22en France, c'est Aristide Briand, par exemple,
01:01:25où il est vraiment question de pacifisme,
01:01:27mais dans l'immédiate après-guerre,
01:01:29on n'en est sans doute pas tout à fait là.
01:01:32Je me demande, je suis tout à fait d'accord avec vous,
01:01:35cette évolution du regard d'origine anglo-saxonne par excellence.
01:01:40Néanmoins, il ne faut jamais pousser le bouchon trop loin.
01:01:44Si on reprend le côté allemand,
01:01:46puisque l'historien Gerd Krummach était dans ce documentaire,
01:01:50j'ai tellement travaillé avec lui et j'ai tellement entendu
01:01:53que j'ai tellement entendu mettre en garde ses collègues français,
01:01:57en particulier sur l'humiliation qu'avait représentée
01:02:00le traité pour les Allemands.
01:02:02D'abord, l'humiliation du rituel.
01:02:04Tout est fait, tout est fait à partir du mois de mai
01:02:07et lors de la signature en chemin
01:02:09pour humilier de manière, il faut bien le dire, effroyable
01:02:13les Allemands signataires,
01:02:15et derrière eux, bien sûr, l'Allemagne.
01:02:18Et puis, il y a tout de même cette question essentielle,
01:02:22je trouve, de la responsabilité allemande de la guerre,
01:02:25avec, évidemment, tout ce qui est...
01:02:27Parce que ce traité fait porter l'entière responsabilité
01:02:30de cette guerre à l'Allemagne.
01:02:32Le fameux article 231, qui...
01:02:34J'ai souvent entendu Gerd Krummach en parler.
01:02:37Il est vrai qu'aucun Allemand, pratiquement, ne pouvait,
01:02:40même les Allemands les plus à gauche,
01:02:42les plus libéraux, les plus soucieux
01:02:44de réconciliation pacifique
01:02:47avec les alliés français, allemands,
01:02:51et britanniques en particulier,
01:02:53même eux ne pouvaient pas
01:02:56admettre... Ils pouvaient accepter le traité,
01:02:59mais on ne pouvait pas admettre la manière
01:03:02dont la responsabilité allemande était soulignée par le traité,
01:03:05y compris sur le plan sémantique.
01:03:07On voit bien l'Allemagne, reconnaître, etc.
01:03:10C'est vraiment la dimension d'humiliation.
01:03:14Aujourd'hui, quand on lit le traité,
01:03:16quand on ouvre le traité aujourd'hui
01:03:18et qu'on lit les articles sur la responsabilité allemande,
01:03:22on est quand même impressionnés par le poids
01:03:25de la paix, le poids des haines de la guerre
01:03:28qui se font sentir dans le texte.
01:03:30Juste pour étayer ce qui vient d'être dit,
01:03:33on va voir un petit extrait du documentaire
01:03:36sur la manière dont a été reçu ce traité en Allemagne.
01:03:40-"Dès les conditions connues, à Berlin, c'est l'indignation.
01:03:43La façon dont a été traitée la délégation allemande
01:03:46est jugée inacceptable. On se sent trahis par Wilson,
01:03:49qui avait promis une paix digne et juste."
01:03:52-"S'il n'avait pas dit avec moi, tout sera différent
01:03:55et que le résultat, finalement, n'était pas différent,
01:03:58il a créé une telle illusion qu'il a créé un désir de revanche
01:04:01qui a été entretenu par les militaires allemands
01:04:04qui cachaient à leur peuple que c'est eux qui avaient demandé
01:04:07l'armistice et pas le pouvoir civil."
01:04:09Au moment de cet extrait, le traité n'est pas encore signé.
01:04:12C'est une première version qu'on transmet à Berlin.
01:04:15Avez-vous à répondre à ce qui a été dit tout à l'heure
01:04:18concernant l'Allemagne et la perception de ce traité,
01:04:21la dureté de ce traité vis-à-vis du vaincu qu'était l'Allemagne ?
01:04:25Je suis tout à fait d'accord. Je voudrais apporter une précision.
01:04:29Le traité a été transmis en français aux Allemands,
01:04:32qui ont dû le traduire très vite, en une nuit,
01:04:35pour certains articles.
01:04:37Et l'article 231, dans sa traduction allemande,
01:04:40surdétermine la notion de responsabilité.
01:04:43Le mot allemand qui est employé fait de l'Allemagne
01:04:46l'instigateur originel de la guerre,
01:04:50ce qui est un peu différent en allemand.
01:04:52Et c'est cela que les Allemands récusent aussi.
01:04:55Il y a aussi ce jeu des traductions.
01:04:57Aujourd'hui, on fait beaucoup une analyse sémantique
01:05:00dans l'histoire des relations internationales.
01:05:03On voit le poids des mots et le poids des représentations
01:05:06associées aux termes et ce que les traductions chargent
01:05:09comme nouveaux sens, pas forcément souhaités au départ.
01:05:13Tout ça, c'est évidemment la recherche actuelle
01:05:16qui met l'accent sur ces éléments.
01:05:19Et sur la réception tout à fait consensuelle
01:05:22de rejet du traité de Versailles,
01:05:25qui était abordé par Stéphane Audouin-Rousseau,
01:05:29on a dit que le traité de Versailles,
01:05:32c'était un lieu de mémoire négatif de la nation allemande.
01:05:35Ca veut dire que, dans ce traité,
01:05:37tous les courants politiques, pratiquement sans exception,
01:05:40communient dans le rejet, ce qui crée la nation aussi.
01:05:44Ce qui est un peu paradoxal,
01:05:46parce que quand on lit lieu de mémoire,
01:05:48on voit des choses positives.
01:05:50En Allemagne, c'est un lieu de mémoire négatif.
01:05:53Il ne faudrait pas croire que c'est l'extrême droite
01:05:56qui a l'apanage du rejet.
01:05:58C'est toute la société et tous les courants politiques,
01:06:01y compris la gauche et la gauche sociale-démocrate,
01:06:04qui rejettent ce traité de Versailles.
01:06:06On comprend mieux comment Hitler peut utiliser cet argument
01:06:09de manière très efficace,
01:06:11parce qu'il n'est pas limité à un courant extrémiste.
01:06:14Juste avant la signature de juin 1919.
01:06:18On va évoquer le cas de Wilson tout à l'heure.
01:06:21Si ce traité est aussi dur,
01:06:23c'est sans doute peut-être,
01:06:25et vous allez nous dire ce que vous en pensez,
01:06:28dû à la position française, à la position de Georges Clemenceau.
01:06:31Physiquement, sur le terrain,
01:06:33cette frontière entre la France et l'Allemagne est là.
01:06:36Tout le monde n'avait pas le même intérêt à avoir payé l'Allemagne,
01:06:40mais celui qui voulait faire payer l'Allemagne,
01:06:43c'était Clemenceau, en l'occurrence.
01:06:45C'était le représentant français.
01:06:47C'est vrai que pour la France,
01:06:49il y a une nécessité de faire payer l'Allemagne,
01:06:52parce que la guerre a coûté horriblement cher.
01:06:55Notamment, la France a financé la guerre,
01:06:58non pas par l'effort d'imposition qui aurait reposé sur les Français,
01:07:02mais par l'emprunt, et notamment l'emprunt auprès de nos alliés.
01:07:06La France a une énorme dette vis-à-vis des Anglais et des Américains.
01:07:10Ce qui va empoisonner en grande partie
01:07:12les relations internationales d'entre-deux-guerres,
01:07:15les Français n'admettant pas qu'ils puissent renoncer
01:07:18à leur créance sur l'Allemagne,
01:07:20puisque les Américains ou les Anglais ne renoncent pas
01:07:23à leur créance sur les Français.
01:07:25C'est quelque chose d'extrêmement important.
01:07:28Je voulais revenir sur l'origine, finalement, de cet article 231.
01:07:32C'est vrai que les Allemands l'ont interprété
01:07:35comme on avait voulu montrer leur responsabilité morale,
01:07:39leur culpabilité morale. En réalité, l'origine de cet article,
01:07:43c'est plutôt de fonder les réparations
01:07:46en montrant la responsabilité juridique de l'Allemagne.
01:07:50Puisque l'Allemagne a détruit,
01:07:53comment dirais-je, les possessions françaises,
01:07:56eh bien, il est normal qu'elle répare.
01:07:59Donc, c'est vrai que ça naît un peu autour
01:08:02d'une mauvaise compréhension de cet article 231.
01:08:05Evidemment que, dans l'esprit français de 1919,
01:08:09très clairement, les Français voient les Allemands
01:08:12comme les principaux responsables de la guerre,
01:08:15mais cet article 231 était vraiment fait pour poser
01:08:18la responsabilité juridique de l'Allemagne,
01:08:21qui permettrait de justifier les réparations.
01:08:24Les fameuses réparations,
01:08:26ces 132 milliards de marques or...
01:08:29En euro, en 2014,
01:08:33étaient évaluées à 1 420 milliards d'euros.
01:08:36Ce qui nous regarde représente un peu la somme
01:08:39qui a été demandée, en l'occurrence, à l'Allemagne.
01:08:42Vous avez raison, bien sûr, sur le plan juridique.
01:08:45C'est aussi l'argumentaire de Renouvin,
01:08:48évidemment, sur le fait qu'il fallait cet article 231
01:08:51pour qu'on puisse faire payer l'Allemagne.
01:08:54Sinon, on manquait de l'outil juridique à cette époque.
01:08:57Le droit de la responsabilité n'était pas le même qu'aujourd'hui.
01:09:02Néanmoins, je crois qu'il y a eu aussi une dimension morale,
01:09:06et on le voit, en particulier, si on fait un peu d'anthropologie
01:09:10de la cérémonie du 28 juin.
01:09:12Qu'est-ce que fait Clémenceau ?
01:09:14Il faut faire payer, bien sûr,
01:09:16mais il faut faire payer moralement, symboliquement.
01:09:19Il fait disposer, juste tout près du bureau
01:09:22où les plénipotentiaires vont signer,
01:09:25il fait disposer cinq gueules cassées de la Grande Guerre.
01:09:29Les gueules cassées dans un état effroyable.
01:09:33Tous décorés de la médaille militaire.
01:09:36Il les fait placer là pour que,
01:09:38quand les plénipotentiaires allemands arrivent,
01:09:41ils passent devant eux et leur tournent le dos,
01:09:44et ces grands blessés français sont là
01:09:47en reproche vivant de la guerre.
01:09:50C'est vous qui avez fait ça,
01:09:52c'est vous qui avez ainsi détruit,
01:09:55non pas cinq seulement,
01:09:57mais en fait, des centaines de milliers
01:10:00de corps et de visages.
01:10:02Cette dimension morale, visuelle,
01:10:05les contemporains la perçoivent.
01:10:08Le traité n'épuise pas, en quelque sorte.
01:10:11Le texte du traité n'épuise pas le traité.
01:10:14Il y a tout le rituel qui va autour,
01:10:17tout ce qui est dit autour,
01:10:19tout ce qui est montré, tout ce qui est organisé.
01:10:22Là, l'humiliation allemande est évidente.
01:10:26Les études visuelles sur l'entre-deux-guerres
01:10:29montrent que la représentation des soldats en Allemagne
01:10:32est une représentation de soldats, non pas de gueule cassée,
01:10:35mais de soldats héroïques, de soldats vainqueurs.
01:10:38Il y a aussi cette représentation du soldat allemand
01:10:41comme non vaincu.
01:10:42Il faut dire aussi que les Allemands avaient deux fronts
01:10:45et qu'en 1918, l'Allemagne a signé une paix avec la Russie,
01:10:49la paix de Brest-Litovsk, très avantageuse pour l'Allemagne.
01:10:53Les possessions allemandes, selon cette paix,
01:10:56allaient jusqu'en Ukraine.
01:10:58Elle sort victorieuse sur le front Est.
01:11:00Il y a cette représentation de l'armée allemande victorieuse.
01:11:04Il y a ce choc frontal des représentations,
01:11:07notamment dans la manière dont on va ensuite dessiner,
01:11:11peindre, sculpter le soldat de 1914-1918.
01:11:15Le soldat mutilé n'est pas une représentation fréquente
01:11:19en Allemagne, elle est même très rare.
01:11:21Elle n'a pas de statut ?
01:11:22Elle n'a pas de statut et il n'y aura pas de monument
01:11:25finalement national aux soldats morts avant 1931,
01:11:29ce qui dit beaucoup sur la manière dont on se représente
01:11:32les morts et les soldats de l'armée en Allemagne.
01:11:36On va voir un deuxième extrait du film.
01:11:39Il est question de Wilson. C'est une star.
01:11:41Au début de cette conférence de la paix
01:11:44qui va donner lieu au traité de Versailles, regardez.
01:11:47Wilson est le seul président des Etats-Unis
01:11:49qui vient s'installer six mois à l'étranger.
01:11:51Il habite six mois à Paris.
01:11:52On appelle sa maison la maison blanche temporaire.
01:11:55Quand il arrive en France, il n'y a jamais eu
01:11:57personne accueilli comme ça.
01:11:59En Italie, toutes les femmes, les hommes ont des cierges.
01:12:01Aucun homme d'Etat dans toute l'histoire du monde
01:12:04n'a été reçu dans le monde dans les jours
01:12:07qui ont suivi l'armistice comme Wilson est reçu.
01:12:09Donc ça lui monte un peu à la tête.
01:12:12Wilson, reçu avec les plus grands honneurs
01:12:16qu'il soit en décembre 1918 à Paris,
01:12:19il défile sur les Champs-Élysées,
01:12:21il reste six mois, ce qui vient d'être dit par Patrick Boyle.
01:12:24Il avait en tête un plan en 14 points,
01:12:26son fameux plan en 14 points,
01:12:28qu'il présentera au congrès américain
01:12:30au début de l'année 1918,
01:12:32alors que le conflit n'était pas fini.
01:12:34Est-ce que ça aurait été une grande désillusion,
01:12:37six mois plus tard,
01:12:39ce président américain,
01:12:41à l'issue de la signature de ce traité de paix ?
01:12:44C'est vrai qu'autour de Wilson,
01:12:46il y a des espoirs immenses.
01:12:48Wilson est accueilli comme une star,
01:12:51à Paris, mais aussi à Brest, quand il arrive,
01:12:54mais aussi en Grande-Bretagne, à Londres,
01:12:57mais aussi en Italie. Wilson incarne la figure de la paix.
01:13:01Finalement, ceux qui étaient aux commandes
01:13:04pendant la guerre, à commencer par Clemenceau,
01:13:07ils incarnent la guerre, pas la paix.
01:13:09Wilson incarne la paix.
01:13:11C'est le Nouveau Monde, il n'incarne pas les empires.
01:13:14Exactement. On ne sait pas exactement
01:13:16quelle paix veut Wilson. Il y a ces 14 points
01:13:19qui parviennent à rassurer les Français,
01:13:21parce qu'on y dit expressément
01:13:23qu'il s'agira de réintégrer
01:13:25l'Alsace et la Lorraine à l'espace français,
01:13:28mais pour le reste, Wilson parle d'une société de nations.
01:13:31D'ailleurs, c'est la raison principale
01:13:33qui motive la venue de Wilson,
01:13:35c'est qu'il veut faire une paix
01:13:37qui impose aux Européens de nouvelles règles
01:13:40dans la diplomatie, c'est-à-dire qu'il y a la conscience
01:13:43chez Wilson que les Européens pratiquent
01:13:45la vieille diplomatie de chancellerie,
01:13:47diplomatie secrète.
01:13:48Lui, il veut une new diplomacy,
01:13:50une nouvelle diplomatie qui repose
01:13:52notamment sur une diplomatie publique.
01:13:54Il vient imposer cette idée-là.
01:13:56D'ailleurs, à la Conférence de la paix,
01:13:58le premier sujet qui est traité,
01:14:00c'est la question de la société des nations.
01:14:03Wilson, lui-même président des Etats-Unis d'Amérique,
01:14:06préside la commission technique
01:14:08qui est là pour élaborer le pacte de la société des nations.
01:14:11Ce pacte se trouve dans les premiers articles
01:14:14de tous les traités de paix signés en 1919-1920.
01:14:17Wilson est tout à fait convaincu
01:14:19que la paix qui va être faite
01:14:21ne sera pas parfaite et qu'il faut un instrument
01:14:24pour achever la paix. C'est son idée.
01:14:26C'est ça qu'il veut imposer aux dirigeants européens,
01:14:29dont il sait qu'ils ne sont pas des grands amoureux
01:14:32de la société des nations, qu'ils ne comprennent pas.
01:14:35Il veut imposer cette idée-là
01:14:37pour faire une paix, qu'il espère, durable.
01:14:39Est-ce qu'on pourrait aller un pas plus loin ?
01:14:42Non seulement durable, mais si possible définitive.
01:14:45C'est une idée...
01:14:47Ca devait être la dernière.
01:14:49C'est une idée immense, portée par les opinions
01:14:52et les combattants, finalement,
01:14:54des pays européens pendant la période de guerre.
01:14:57Cette idée, au fond, de cette démocratie internationale,
01:15:00qu'est la SDN,
01:15:02comme outil d'une paix définitive,
01:15:04d'éradication de la guerre,
01:15:06c'est un vieux rêve des pacifistes occidentaux
01:15:09depuis le 19e siècle, voire du 18e siècle.
01:15:12L'éradication de la guerre comme moyen
01:15:14de résoudre les contradictions entre les Etats.
01:15:17C'est un projet immense.
01:15:19Après coup, et compte tenu de la suite que nous connaissons,
01:15:22nous nous doutons bien que ce projet n'était pas réalisable.
01:15:26Finalement, le bilan Wilson.
01:15:29La SDN, ça ne sera pas acté par le Congrès américain.
01:15:33Les vaincus de cette guerre
01:15:35ne participent pas.
01:15:36Par ailleurs, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
01:15:39Belle idée avancée par Wilson,
01:15:41idée majeure dans ses 14 points.
01:15:43Mais à cause de cela,
01:15:45on a tout de même le morcellement de l'Europe centrale.
01:15:48On a concédé des dérogations à ce principe.
01:15:51L'Europe centrale, ça vaut pour la naissance de la Tchécoslovaquie,
01:15:55la Hongrie, la Bulgarie, l'éclatement de cet empire.
01:15:58La Pologne, bien entendu.
01:16:00Il a concédé des dérogations à ce fameux principe.
01:16:03Là, on parle des Allemands des Sudètes en Tchécoslovaquie,
01:16:06des Hongrois de Transylvanie en Roumanie,
01:16:08du Corellor, de Danzig.
01:16:10Tout cela, ça fait l'objet, ensuite...
01:16:13Ca fait l'objet d'un révisionnisme important
01:16:16qui va être fondé, paradoxalement,
01:16:18sur les principes de Wilson lui-même.
01:16:20Les Allemands disent qu'au fond,
01:16:22les principes de Wilson, si on les suit,
01:16:25justifient une révision des traités de paix.
01:16:28C'est une argumentation, évidemment, biaisée.
01:16:31C'est vrai que le traité de Versailles,
01:16:33finalement, en transposant les frontières allemandes,
01:16:36puisqu'il faut recréer la Pologne,
01:16:38crée, de fait, les conditions de son rejet.
01:16:41Parce que pour les Allemands,
01:16:43la Pologne, qui est ainsi recréée,
01:16:46se fait au détriment de terres jugées allemandes.
01:16:49L'Allemagne perd, je crois, 15 % de sa population
01:16:52à l'issue de ce traité.
01:16:5415 % de sa superficie, 10 % de sa population.
01:16:57Ca posera problème, tout de même.
01:16:59Ca nourrit un révisionnisme transversal, en fait,
01:17:03et durable, parce que ces minorités allemandes
01:17:09vont, évidemment, être considérées
01:17:11comme devant, naturellement,
01:17:13être réintégrées dans un empire, un Reich,
01:17:16qui est bizarrement le nom que continue de porter la République.
01:17:20Et c'est vrai que c'est un argument
01:17:23qui va nourrir aussi les revendications hitlériennes.
01:17:26Au fond, oui, c'est tragique,
01:17:28parce que des empires multinationaux,
01:17:30effectivement assez dysfonctionnels,
01:17:32sont remplacés par des états-nations
01:17:34dans lesquelles sont des minorités,
01:17:37évidemment, vont nourrir toutes les revendications,
01:17:41irré-dentistes, de l'intérieur ou de l'extérieur,
01:17:44et donc, finalement, un problème a été remplacé
01:17:47par un autre, plutôt plus aigu que le précédent.
01:17:50Pour prendre un exemple, la ville de Danzig,
01:17:54c'est une ville allemande, en fait,
01:17:56c'est-à-dire que la majorité de la population est allemande,
01:17:59mais c'est une ville qui, à la suite du traité de Versailles,
01:18:02devient libre, puisqu'il faut que la Pologne...
01:18:05-...donnera accès à la mer, à la Pologne.
01:18:07-...et ça sépare le territoire allemand en deux,
01:18:10donc ça crée, de fait, un problème,
01:18:12ne serait-ce que matériel, de communication
01:18:15entre la Prusse orientale et le reste du Reich,
01:18:18et donc ça nourrit forcément de la contestation.
01:18:21La France a souvent reproché à ce traité
01:18:23de porter en lui les germes du fascisme.
01:18:26On pense à l'Italie, évidemment.
01:18:28Le fascisme arrive en 1922 en Italie,
01:18:30et, bien évidemment, on a évoqué du nazisme en Allemagne
01:18:33au début des années 30.
01:18:35Là aussi, les choses ont évolué.
01:18:37Y a-t-il aujourd'hui bel et bien un consensus pour dire
01:18:40que ça ne portait pas les germes du nazisme,
01:18:44notamment en Allemagne ?
01:18:46Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?
01:18:48Faites-vous partie de ce consensus ?
01:18:50Vaut-il pour l'Allemagne le fascisme italien ?
01:18:53Je vous laisse répondre.
01:18:55Ce qu'il faut voir, c'est les résultats électoraux
01:18:58du Parti nazi.
01:18:59Tant qu'on est dans les années 20,
01:19:01le Parti national-socialiste a des résultats très faibles.
01:19:04Et puis, il y a la crise qui se déclenche
01:19:08à l'automne 1929.
01:19:10L'Allemagne est un des pays les plus rapidement touchés,
01:19:13et ça crée massivement.
01:19:15Dès l'automne 1930,
01:19:18il y a 107 députés nazis qui sont élus au Rastag.
01:19:21À un moment où Aristide Briand
01:19:23propose un projet, dont on parle dans le documentaire,
01:19:27d'Etats-Unis d'Europe.
01:19:29Autrement dit, pour vous, c'est plutôt cette crise
01:19:32et les conséquences de la crise de 1929
01:19:35qui ont provoqué la montée du nazisme en Allemagne
01:19:38plutôt que ce traité de Versailles.
01:19:40C'est-à-dire que ce traité de Versailles
01:19:42était un instrument juridique
01:19:44qui pouvait être révisé, d'ailleurs,
01:19:46et sur bien des aspects, finalement, on l'a révisé.
01:19:49Par exemple, si on parle de l'occupation de la Rhénanie
01:19:52qui était prévue jusqu'en 1935
01:19:54par le jeu de la détente et des négociations
01:19:57entre les Alliés et les Allemands,
01:19:59l'évacuation de la Rhénanie est décidée dès 1929
01:20:02et révisée en 1930.
01:20:03Est-ce que ce traité de Versailles
01:20:05porte aussi la responsabilité, ou une partie de la responsabilité,
01:20:09de l'arrivée du fascisme en Italie,
01:20:11avec, bien sûr, Benito Mussolini ?
01:20:13En Italie, il y a cette idée de la victoire mutilée,
01:20:16qui, certes, favorise le fascisme italien,
01:20:18mais ce qu'il faut penser, c'est que l'Europe était possible
01:20:21avec des régimes qui n'étaient pas tous démocratiques.
01:20:24La Société des Nations fonctionne aussi
01:20:26avec Mussolini et avec des régimes
01:20:28qui ne sont pas tous démocratiques,
01:20:30même si la paix a essayé de faire une Europe démocratique,
01:20:33mais le fait qu'un Etat n'était pas démocratique
01:20:36n'empêche pas de construire des relations pacifiques.
01:20:39Dans ce qui nourrit aussi le fascisme
01:20:41et ce qui nourrit le nazisme,
01:20:43il y a une composante qu'on n'évoque pas assez,
01:20:45parce qu'il faut balancer tous les facteurs,
01:20:47c'est l'anticommunisme.
01:20:49L'anticommunisme qui est présent...
01:20:51La peur du rouge ?
01:20:53Exactement, et qui, d'ailleurs,
01:20:55dès l'époque du traité de Versailles,
01:20:57avec les craintes d'une révolution mondiale, etc.,
01:21:00et donc, ce facteur-là est très présent encore,
01:21:04pour expliquer aussi la polarisation
01:21:07du champ politique en Allemagne au début des années 30
01:21:10et pour expliquer aussi le ralliement à Hitler
01:21:12d'un certain nombre de conservateurs ou de libéraux
01:21:15qui, peut-être sans cette peur, n'auraient pas voté ainsi.
01:21:19Enfin, il y a plusieurs éléments.
01:21:21Le référent d'Hitler à ce traité,
01:21:24le réarmement de l'Allemagne, etc.,
01:21:26tout ce qui suivra et remettra en cause
01:21:28ce qui avait été conclu par ce fameux traité,
01:21:30ça a été un élément de propagande essentiel du côté nazi.
01:21:33Hitler, du point de vue biographique,
01:21:35il vient de la Haute-Autriche,
01:21:37donc, pour lui, ce qui est interdit par le traité de Versailles
01:21:40et d'ailleurs par le traité de Saint-Germain
01:21:42de septembre 1919, qui règle le cas de l'Autriche,
01:21:45c'est Landschluss, la réunion du peuple allemand,
01:21:49autrichien et allemand, on va dire, d'origine,
01:21:53et donc, par sa biographie même,
01:21:55Hitler, qui vient d'Autriche et qui arrive en Allemagne
01:21:58et qui n'a pas encore la nationalité allemande,
01:22:01il faut jamais l'oublier,
01:22:03il est pétri de cette revendication.
01:22:06On pourrait dire pangermaniste, oui.
01:22:09Tout ce que vous dites me paraît tout à fait exact.
01:22:12J'ajouterais, d'un point de vue peut-être plus culturel,
01:22:16je me demande si c'est moins le traité de Versailles,
01:22:19effectivement, qui compte, dans le cas du nazisme,
01:22:22comme vecteur, au fond,
01:22:25de l'arrivée au pouvoir du nazisme, en 1933,
01:22:28que la défaite elle-même.
01:22:30Bien sûr, le traité de Versailles matérialise la défaite,
01:22:33mais la défaite, en tant que traumatisme, en fait,
01:22:37est collective, et cette volonté,
01:22:40effectivement, née à l'extrême-droite,
01:22:43l'extrême-droite qui était elle-même diverse,
01:22:46le nazisme n'étant qu'une partie des extrêmes-droites allemandes,
01:22:50cette volonté, au fond, de reprendre la guerre,
01:22:53de reprendre la guerre,
01:22:55en la poussant à un niveau de radicalité, évidemment,
01:22:58que la Première Guerre mondiale n'avait pas connue.
01:23:01Cette idée d'une guerre inachevée,
01:23:03qui s'était terminée de manière incompréhensible,
01:23:06pour les Allemands, je me demande s'il n'y a pas là
01:23:09un traumatisme, un traumatisme collectif,
01:23:12une incompréhension fondamentale,
01:23:15qui était un argument très puissant,
01:23:18donc, ensuite,
01:23:20pour un homme du talent, il faut bien le dire,
01:23:23du talent de Hitler pour se saisir, effectivement,
01:23:26de la culture de guerre allemande des années 14-18
01:23:29et la projeter vers autre chose.
01:23:32Il y a eu, durant cette guerre,
01:23:342 millions de militaires allemands environ,
01:23:37de tués, 1,4 million du côté français.
01:23:40Vous dites que du côté français,
01:23:42deux tiers des familles françaises, après 1918,
01:23:45avaient été concernées par un deuil.
01:23:47Oui, à condition de prendre le deuil
01:23:49de manière relativement large.
01:23:51La France est un pays massivement en deuil
01:23:54et en dehors des petites puissances comme la Serbie,
01:23:57où les pertes ont été encore plus effroyables
01:24:01La France est le pays le plus profondément endeuillé
01:24:04des grandes puissances au sort de la guerre.
01:24:07On ne comprend rien à la France des années 30,
01:24:10si on oublie ce deuil de masse,
01:24:12dont les traces ne sont pas encore effacées,
01:24:15dans d'autres pays, 110 ans plus tard.
01:24:17Est-ce que c'est vrai aussi pour l'Allemagne ?
01:24:202 millions de militaires disparus,
01:24:225,5 millions environ pour la Seconde Guerre mondiale.
01:24:25Le vrai deuil massif s'est inscrit
01:24:27dans la mémoire collective allemande ?
01:24:29Il y a un deuil, il y a évidemment beaucoup de morts,
01:24:32mais c'est difficile de célébrer des morts
01:24:34quand ce ne sont pas des morts qui sont vainqueurs.
01:24:37Donc, il n'y a pas ce rituel et cette célébration
01:24:41des soldats de manière officielle,
01:24:44ce qui rend les choses compliquées
01:24:47pour surmonter le traumatisme.
01:24:49Il n'y a pas cette prise en charge collective.
01:24:53Donc, c'est du coup des histoires familiales,
01:24:58évidemment, qui sont brisées,
01:25:00mais il n'y a pas, comme en France,
01:25:03cette culture du 11 novembre, par exemple.
01:25:06Ce n'est pas du tout un jour férié.
01:25:08En Allemagne, ça ne peut pas l'être.
01:25:10Il n'y a pas ces commémorations.
01:25:12Et donc, ça rejette, finalement, cette histoire,
01:25:16soit dans les familles,
01:25:18mais aussi dans ces haines politiques
01:25:21qui sont une manière de continuer,
01:25:23d'une autre manière, la guerre.
01:25:25Voilà.
01:25:26Vraiment un grand merci à tous les trois
01:25:28d'avoir participé à ce Débat d'octobre.
01:25:30Vos réactions, ce sera sur hashtag Débat d'octobre.
01:25:33Merci aussi à Félicité Gavalda,
01:25:35Victoria Bellé, qui m'a aidée à préparer cette émission.
01:25:38Je vous donne rendez-vous pour un prochain Débat d'octobre,
01:25:41avec son documentaire et son débat.
01:25:43A très bientôt.
01:25:55france.tv access

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