• il y a 2 mois
Les élections européennes se sont déroulées chez nous comme chez nos partenaires de l'Union européenne sur fond de crise : la guerre qui ravage l'Ukraine et qui risque de s'étendre par la violence des combats, par l'émulation des discours populistes et nationalistes bien souvent en réaction des vagues migratoires incontrôlées et de l'importation d'un islamisme agressif et antirépublicain, par l'inquiétude des populations pour leur pouvoir d'achat précarisé par le fait d'une croissance molle et un décalage de nos économies par rapport à la Chine et aux Etats-Unis. Toutes préoccupations légitimes et auxquelles il faudra répondre mais qui viennent masquer un mal plus profond, quasiexistentiel : un schisme culturel et l'absence de dynamique identitaire européenne. Où est passé l'esprit européen ? De quelle civilisation es-tu le nom ? Que deviennent les humanités de ta renaissance ? La pluralité des langues non représentée, cette source de lumière et d'une éducation européenne ? Les racines religieuses et culturelles oubliées ? Bref, l'énorme potentiel que recèle la motilité spirituelle européenne, cette extraordinaire civilisation gréco-judéo-romaine en confrontation avec d'autres mondes, arabe et asiatique notamment, d'autres cultures et pour faire jaillir un humanisme à vocation universelle qui irrigua longtemps le concert des nations. Et qui semble en voie de disparition, cet Occident kidnappé mis en exergue par Milan Kundera et Vaclav Havel. Oui, d'où vient l'Europe, et où va l'Europe, mes invités vont chercher à y répondre.

Émile Malet reçoit :
Heinz Wismann, philosophe et politologue, directeur d'études à l'EHESS
Noëlle Lenoir, avocate, ancienne ministre, ancien membre du Conseil Constitutionnel
Antoine Vermorel-Marques, député de la Loire, LR
Sylvie Bermann, ambassadrice de France

Présenté par Emile MALET
L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

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Transcription
00:00Générique
00:02...
00:24Bienvenue dans ces idées qui gouvernent le monde.
00:27D'où vient l'Europe et où va l'Europe ?
00:30Les élections européennes se sont déroulées chez nous,
00:33comme chez nos voisins, de l'Union européenne,
00:36sur fond de crise.
00:37La guerre qui ravage l'Ukraine et qui risque de s'étendre
00:40par la violence des combats.
00:42Par l'émulation des discours populistes et nationalistes,
00:46bien souvent en réaction à des vagues migratoires incontrôlées
00:50et de l'importation d'un islamisme agressif
00:53et anti-républicain.
00:55Par l'inquiétude des populations pour leur pouvoir d'achat,
00:59précarisé par le fait d'une croissance molle
01:02et un décalage de nos économies
01:05par rapport à la Chine et aux Etats-Unis.
01:08Toutes préoccupations légitimes et auxquelles il faudra répondre,
01:11mais qui viennent masquer un mal plus profond,
01:14quasi existentiel.
01:17Un schisme culturel
01:18et l'absence de dynamique identitaire européenne.
01:22Où est passé l'esprit européen ?
01:25De quelle civilisation es-tu le nom ?
01:28Que deviennent les humanités de ta Renaissance ?
01:32La pluralité des langues non représentées,
01:35cette source de lumière et d'une éducation européenne ?
01:38Les racines religieuses et culturelles oubliées ?
01:42Bref, l'énorme potentiel
01:45que recède la mobilité spirituelle européenne,
01:48cette extraordinaire civilisation
01:51gréco-judéo-romano-chrétienne
01:55en confrontation avec d'autres mondes,
01:57arabes et asiatiques notamment,
02:00d'autres cultures,
02:01et pour faire jaillir un humanisme à vocation universelle
02:06qui irrigue longtemps la civilisation européenne
02:09et qui semble en voie de disparition.
02:12Cet Occident kidnappé,
02:14mis en exergue par l'écrivain Milan Kuddera
02:18et l'ancien chef d'Etat Václav Havel.
02:21Oui, d'où vient l'Europe et où va l'Europe ?
02:25Avec mes invités, nous allons chercher à y répondre.
02:29Je vais vous présenter mes invités.
02:31Heinz Wiesmann, vous êtes philosophe et politologue,
02:35directeur d'études à l'Ecole des hautes études
02:38en sciences sociales.
02:40Noël Lenoir, vous êtes avocate, ancien ministre,
02:43ancien membre du Conseil constitutionnel.
02:46Antoine Vermorel Marques,
02:49que nous avons le plaisir d'avoir en visioconférence.
02:52Vous êtes député de la Loire-les Républicains.
02:55Sylvie Berman, vous êtes ambassadrice de France
02:59et ancienne diplomate à Bruxelles
03:02au Comité politique et de sécurité.
03:05Mais pour commencer, nous allons vous diffuser un extrait
03:10avec Elisabeth Borne, ancienne Premier ministre.
03:14Il y a 73 ans, Robert Schuman
03:17posait les fondements de notre construction européenne.
03:21Sa déclaration, c'était d'abord une promesse de paix.
03:25Le retour de la guerre aux portes de l'Europe,
03:27avec l'agression russe en Ukraine,
03:30rappelle que la paix n'a rien d'une évidence,
03:32qu'elle est précieuse et que l'Union européenne
03:35nous la porte au quotidien.
03:37C'est mon premier message, notamment pour notre jeunesse.
03:41Mon deuxième message, c'est que l'Europe est devenue synonyme
03:45d'action et de solution au service des peuples,
03:48au service des Français.
03:50C'est tout le sens de l'engagement du président de la République
03:53depuis 2017.
03:55On disait l'Europe fragile face aux crises.
03:57C'est grâce à l'Europe que nous avons pu mutualiser
04:00l'achat de vaccins et relancer massivement nos économies.
04:03Applaudissements
04:06...
04:08On la disait naïve sur le plan commercial.
04:11Elle a su imposer que les produits importés
04:14respectent les mêmes standards environnementaux
04:17que les produits européens.
04:19On disait à l'origine qu'elle était un marché.
04:23Aujourd'hui, l'Europe devient une puissance.
04:26Une puissance qui défend ses intérêts
04:28et veut conquérir son indépendance.
04:30Avec un agenda d'autonomie stratégique
04:33pour les matières premières critiques et pour les médicaments.
04:36Avec une nouvelle politique industrielle
04:38tournée vers la transition écologique et le numérique.
04:42Une puissance qui promet ses valeurs
04:44en luttant contre le travail forcé,
04:46contre les produits issus de la déforestation
04:49ou pour la régulation du numérique.
04:51Une puissance sociale qui promeut l'égalité
04:54entre les femmes et les hommes et impose à chaque pays
04:57de se doter d'un salaire minimum.
05:00Enfin, l'Europe devient une puissance géopolitique
05:03en réagissant de manière unanime face à la Russie,
05:06en finançant la livraison d'armes pour aider l'Ukraine,
05:10en renforçant sa sécurité et sa défense.
05:13Je n'ignore rien des défis qui restent à relever,
05:16qu'il s'agisse de l'énergie, des migrations
05:18ou des futurs élargissements.
05:20Nous sommes lucides sur le chemin qui reste à parcourir.
05:24Mais face aux cyniques qui caricaturent l'Europe
05:26et lui prêtent tous les mots, face aux prétendus patriotes
05:30qui affirment qu'il faudrait choisir
05:31entre l'amour de la France et l'attachement à l'Europe,
05:35j'assume de dire que l'Europe est l'un des projets
05:37les plus importants à battre.
05:39J'assume de dire que souveraineté nationale
05:41et souveraineté européenne se renforcent mutuellement.
05:45Sans nations fortes, l'Europe est fragile,
05:47mais sans Europe puissante, nos nations seront plus faibles.
05:51Vous venez d'écouter l'ancienne Première ministre,
05:53et cela va en concordance avec un sondage
05:58de la Fondation pour l'innovation politique Fondapol.
06:02L'idée européenne serait de retour,
06:05y compris parmi les populistes,
06:07avec l'aspiration à une puissance publique européenne.
06:11Qu'en pensez-vous, Sylvie Berman, Noëlle Lenoir ?
06:15Moi, je pense que les nouvelles générations sont nées
06:19avec, finalement, résolu ce conflit
06:23entre les Européens et les non-Européens,
06:25puisqu'ils sont nés Européens.
06:27En revanche, je suis frappée,
06:29en écoutant le discours d'Elisabeth Borne,
06:32si je puis dire, un peu de son classicisme.
06:35C'est-à-dire que c'est un petit peu un inventaire de prévers
06:39avec une somme de priorités
06:42qui vont de la sécurité vers l'environnement,
06:46le numérique, la puissance industrielle,
06:49la puissance commerciale.
06:50Et, finalement, ça illustre, d'une façon un petit peu,
06:54je dirais, pathétique, l'absence de projets européens aujourd'hui.
06:59Et on y reviendra peut-être.
07:00Il ne faut pas oublier, par exemple,
07:02qu'on a parlé tout à l'heure,
07:04Mme Borne a évoqué Robert Schuman et son discours en 1950.
07:07Il y a un autre discours de Robert Schuman, en 1950,
07:11devant l'Assemblée du Conseil de l'Europe,
07:14pour la création d'une véritable armée européenne.
07:17Parce que...
07:18On va rentrer dans le détail.
07:20Et donc, je pense qu'on manque un tout petit peu de projets
07:24parce qu'on a uniquement une somme de priorités
07:26et le peuple le sent.
07:29Antoine, vers Morel-Marquès.
07:31On vous dit proche de Michel Barnier.
07:33Est-ce que vous pensez que la question européenne
07:36va avancer avec ce nouveau gouvernement ?
07:40Je le souhaite.
07:41Je le souhaite parce que, d'abord,
07:43en tant qu'issu de la nouvelle génération,
07:46je suis effectivement né français et européen.
07:48Dans ma génération, il y a un sentiment d'appartenance,
07:52non pas à l'Union européenne,
07:53mais à ce qui a pu être construit par le passé
07:56et par les liens qui nous unissent entre les peuples européens.
07:59Le tableau est un peu noir aujourd'hui,
08:02tel qu'il a été dressé en début d'émission,
08:04sur plusieurs siècles,
08:05nous sommes une des générations
08:07qui bénéficie d'un espace de paix et de prospérité
08:10qui n'a pas eu de précédent dans l'histoire de l'Europe.
08:13Cet espace-là, il est questionné d'un point de vue existentiel
08:17parce qu'il y a une crise de l'Occident.
08:19Comment on répond à cette crise ?
08:21Cette crise qui est climatique, qui est aussi migratoire,
08:24qui est désormais économique,
08:26on parlera peut-être des rapports de Draghi et de Mehta,
08:29mais ce sont des vrais sujets de fond
08:31qui vont nous empêcher de voir la réalité plus large
08:34d'un point de vue historique,
08:35et je pense qu'on en parlera aussi,
08:37de cet espace de prospérité qui est aujourd'hui le nôtre
08:41par rapport à d'autres puissances émergentes.
08:43Alors, Sylvie Bergman,
08:45vous êtes aussi optimiste concernant cette Europe ?
08:49Vous la voyez aller sur des bons rails ?
08:51Alors, d'abord, l'Europe est nécessaire
08:54face aux Etats-continents qui sont, bon, la Chine,
08:59l'Inde, la Russie, mais aussi les Etats-Unis,
09:02puisqu'il risque d'y avoir divergence
09:04en cas d'élection de Donald Trump.
09:07On ne fait pas le poids tout seul,
09:09donc il n'y a pas d'alternative à l'Europe, de toute façon.
09:13Maintenant, je pense qu'on parle souvent
09:16de construction européenne,
09:18et je crois que le terme est tout à fait approprié,
09:21c'est-à-dire que c'est un travail qui n'est pas terminé,
09:24qui est constant.
09:25J'étais à Bruxelles,
09:27comme vous l'avez dit,
09:29comme ambassadrice au Comité politique et de sécurité,
09:32il y a plus de 20 ans, maintenant,
09:34pour construire la défense et la politique étrangère européenne.
09:38Il y a eu des progrès, mais ce n'est pas là, quand même.
09:42C'est vrai que sur l'Ukraine,
09:45il y a eu une unité qui est peut-être en train de s'affaiblir,
09:49il n'y en a pas sur le Moyen-Orient.
09:51Alors, Heinz Wiesmann,
09:52on parle de construction européenne,
09:55on fait référence au passé.
09:58Quel lien on peut faire entre le passé présent
10:02de cette Europe qui est en éternelle construction ?
10:05Il faut, à mon sens,
10:08dissocier, dès le départ,
10:10les réalités européennes,
10:12qui, à chaque moment de l'histoire déjà longue,
10:16des peuples qui se réclamaient pas forcément de l'Europe,
10:19mais de son équivalent,
10:21qui pouvait être la chrétienté ou l'Occident.
10:24Il y a d'autres mots pour dire Europe au cours de l'histoire.
10:27Il faudrait dissocier les réalisations
10:31ou les réalités, les cathédrales, par exemple.
10:35Cette constellation extraordinaire,
10:37les mille cathédrales, dont on dit que c'est ça, l'Europe.
10:40C'est une réalité européenne qui appartient au passé.
10:44Elle peut être...
10:45Et au présent.
10:46Alors que le problème, c'est l'esprit européen.
10:49C'est pour ça que...
10:50Heinz Wiesmann, si vous deviez définir l'Europe...
10:53C'est ce que j'allais faire. -...en trois mots.
10:56L'identité européenne.
10:57Je citerais Hérodote,
10:58parce que le premier,
11:00c'est l'historien du Ve siècle,
11:02qui, pour s'expliquer à lui-même
11:06le fait que les cités grecques divisées
11:10l'avaient emporté à plusieurs reprises
11:12sur l'immense armée de Xerxes et Darius avant,
11:17c'est les Perses.
11:18Et la thèse d'Hérodote,
11:20qui va être reprise, d'ailleurs, par Foster Dulles,
11:23dans le mémorandum qu'il adresse à Eisenhower.
11:27Dulles était le secrétaire d'Etat.
11:29Le secrétaire d'Etat américain.
11:31Il y a une permanence historique extraordinaire
11:34pour dire ceci. Voilà les trois mots.
11:37La séparation, la concurrence,
11:40la mise en tension
11:42n'est pas quelque chose de délétère.
11:44C'est, au contraire, une des conditions
11:47du développement de la synergie.
11:49Et ça vaut pour l'économie libérale
11:51comme pour le rapport entre les sciences,
11:54les peuples, etc.
11:56C'est le mastodonte asiatique
11:59qui, dans la thèse telle qu'Hérodote la développe,
12:05est vaincu d'avance
12:07par cette espèce d'énergie européenne,
12:09que j'appelle l'esprit européen,
12:11qui est en réalité la capacité de se séparer
12:14jusqu'à se séparer de soi pour rejoindre l'autre.
12:18Oui. Sylvie Bergman,
12:20est-ce que vous adhérez à ce qui vient d'être dit,
12:23c'est-à-dire qu'une Europe qui ignorait sa civilisation
12:28a moins d'influence dans le monde ?
12:30Oui, on a une identité,
12:33il faut la reconnaître, mais pas nier celle des autres.
12:36La référence à Hérodote,
12:38c'est l'une des plus grandes puissances au monde,
12:41c'était quand même la Chine, avec des grands philosophes
12:44et des idées qui ne sont pas exactement les nôtres.
12:48Je pense que pendant longtemps,
12:50justement, parce qu'on était les grands penseurs de l'Occident,
12:54et moi, je pense à Voltaire d'Hydrault,
12:56qui conseillait Catherine II, la grande impératrice de Russie,
13:02mais je crois qu'aujourd'hui,
13:04on ne peut plus donner de leçons au monde,
13:06il faut être sûr de soi, de ses valeurs,
13:08mais on ne peut pas les imposer,
13:10comme on a essayé de le faire par les armes,
13:13surtout les Américains, mais nous aussi, en Libye,
13:16et échanger, dialoguer et accepter les autres.
13:20Alors, monsieur le député, est-ce que vous avez le sentiment
13:24que la manière politique d'aborder l'Europe aujourd'hui
13:28est un peu indigente
13:31en matière d'esprit européen, de civilisation européenne ?
13:37Oui, c'est le sentiment que j'ai,
13:39et il est motivé par le fait
13:41qu'on ne regarde pas forcément l'avenir avec un projet,
13:44on gère au quotidien des crises,
13:46ça ne veut pas dire qu'on ne les gère pas.
13:48Si vous regardez le passé récent de l'Union européenne,
13:51que ce soit la crise financière de 2008,
13:54que ce soit la crise de l'euro de 2010,
13:56que ce soit le Covid,
13:58ou que ce soit encore la crise ukrainienne,
14:00au fond, pour l'instant, on relève les défis des crises.
14:03La seule crise qu'on n'a pas gérée, c'est la crise de 2015,
14:06avec la crise migratoire.
14:08Mais l'Europe, dans cette logique fonctionnaliste,
14:11on tente de le résoudre, pour l'instant, il parvient.
14:14Ce qui est gênant, moi, d'un point de vue politique,
14:17c'est qu'elle ne gère que les crises
14:19et elle n'anticipe pas le projet qui vient,
14:21qui est un projet, évidemment,
14:23et Elizabeth Borne n'est pas de la même famille politique,
14:26mais je la rejoins sur les défis de demain,
14:28la question du déclassement économique,
14:30la question culturelle aussi,
14:32elle n'est pas envisagée à l'échelle européenne,
14:35car cet esprit européen, dans le débat public,
14:37n'arrive pas à émerger.
14:39Alors, Noël Lenoir, à qui la faute ?
14:41Moi, je serais beaucoup plus...
14:42Je noircirais beaucoup le tableau.
14:45Je considère que l'Europe est en crise profonde.
14:48Pourquoi ?
14:49Parce que d'une Europe conquérante au sens culturel
14:52et d'affirmation de soi et de fierté de sa civilisation,
14:56c'est une Europe qui renonce à elle-même
14:58et qui abandonne les Européens.
15:00J'en prends deux exemples.
15:02On nous fait miroiter la décarbonation de l'économie.
15:06J'ai lu le rapport Draghi, qui, d'ailleurs, au passage,
15:09est uniquement en anglais,
15:10ce que je trouve quand même un peu lamentable.
15:13Ce rapport Draghi nous explique,
15:15même si Draghi, on le sait, n'a pas eu la plume totalement libre,
15:18Mme von der Leyen a un peu veillé au grain,
15:21ce rapport Draghi nous explique que le projet de décarbonation,
15:24nous n'avons pas les moyens de le mener à bien.
15:27Donc, on ne peut pas avoir la décarbonation
15:31et le social
15:33et promouvoir la croissance économique.
15:36C'est impossible.
15:37Les peuples européens s'en rendent compte.
15:40La deuxième chose,
15:42vous l'avez suggérée dans votre présentation,
15:44on abandonne notre culture.
15:46Je veux bien qu'on comprenne la culture chinoise.
15:49Les Chinois cherchent à nous imposer leur culture
15:52sans parler de l'islamisation de l'Europe.
15:54Ils expliquent que les droits de l'homme,
15:56c'est pas universel et qu'il y a une voie chinoise.
15:59Nous, on croit dans les valeurs universelles.
16:02On ne croit pas dans la voie chinoise
16:04qui n'est pas la voie des droits de l'homme.
16:06Je considère que l'Europe est en crise,
16:08et qu'il faut une prise de conscience,
16:11et que, d'ailleurs, Michel Barnier a exprimé récemment,
16:14il faut une prise de conscience de cette crise,
16:16qui est une crise existentielle.
16:18Je ne sais pas si l'Europe existera,
16:20si elle continue sur cette voie, dans 10 ou 20 ans.
16:23Je ne le sais pas et je ne serai sans doute pas là pour le voir,
16:27mais je le crains.
16:28Sylvie Bergman, vous croyez vraiment
16:30que quand on entend parler de souveraineté européenne,
16:33ça a du sens, aujourd'hui ?
16:35Et dans quel domaine ça a du sens ?
16:37Oui, c'est, en tout cas, l'autonomie de l'Union européenne.
16:42C'est peut-être un terme plus approprié,
16:44puisque la souveraineté, on considère que c'est plutôt national,
16:48mais peu importe le terme.
16:49En tout cas, cette autonomie est indispensable,
16:52dans le domaine stratégique, bien évidemment,
16:55mais ça suppose avoir une défense européenne,
16:58peut-être pas une armée européenne.
17:00L'OTAN et l'ONU n'ont pas d'armée non plus,
17:03mais les Allemands ont augmenté leur budget de défense,
17:05et qu'est-ce qu'ils ont fait ?
17:07Ils ont acheté des F-35.
17:09Et d'ailleurs, c'est l'ancienne ministre des Armées,
17:13madame Pagny, qui disait
17:15que l'article 5 de l'OTAN,
17:18c'est pas l'article F-35.
17:20Donc il y a beaucoup de chemin à faire
17:22pour avoir une véritable défense européenne,
17:27dotée de tous les outils nécessaires.
17:30Il y a des résistances.
17:31Il y a la question du nucléaire,
17:33puisque c'est le nucléaire français.
17:35Est-ce que ça s'étend à la défense d'autres pays ?
17:39De l'Allemagne, par exemple, c'est une question.
17:42Mais il y a l'autonomie dans le domaine économique.
17:45Il faut bien réagir aussi
17:46aux sanctions extraterritoriales américaines,
17:50qui violent la souveraineté des Européens.
17:54Il faut réagir à la concurrence des loyales de la Chine.
17:57Il y a un certain nombre d'instruments
17:59qui ont déjà été adoptés à cet égard.
18:01Mais encore une fois, c'est plutôt,
18:04comme disent les Anglais,
18:05working in progress, c'est-à-dire, effectivement,
18:08un projet qui est en construction permanente.
18:13Et c'est vrai qu'il y a eu, au moment du Covid,
18:16un certain nombre de décisions qui ont été prises,
18:19y compris par Mme Merkel à l'époque,
18:21ce qui était une véritable révolution copernicienne
18:24sur des emprunts communs,
18:26et que reprend d'ailleurs Mario Draghi dans son rapport.
18:30Donc il y a effectivement beaucoup de choses,
18:33mais on doit tendre vers l'autonomie stratégique,
18:36d'autant plus que Washington cessera peut-être
18:39d'être la nounou des Européens dans le domaine de sécurité.
18:42Monsieur Vermorel Marques,
18:44je voudrais vous poser une question un peu délicate,
18:47mais pas vraiment.
18:49La France s'est opposée,
18:51au moment de la Constitution européenne,
18:55à ce que les sources religieuses, notamment chrétiennes,
18:59ne figurent pas dans la Constitution.
19:03C'était la position commune, à l'époque,
19:06nous étions en cohabitation avec le président Chirac
19:10et le Premier ministre Jospin.
19:12A votre avis, est-ce une méprise ?
19:15Et est-ce qu'il faudrait y revenir ?
19:18Et je poserai la même question à propos de l'Occident.
19:21Est-ce qu'on peut relier l'Europe à l'Occident
19:25dans le même esprit ?
19:29Je pense que c'était une erreur.
19:31On ne doit jamais oublier d'où l'on vient,
19:33quelles sont les racines de l'Union européenne,
19:36de l'Occident,
19:37qui sont, comme vous l'avez dit en introduction,
19:40jidéo-chrétiennes, mais aussi romaines,
19:42qui sont aussi liées à toute l'histoire de l'Europe,
19:45qui, quand on regarde la question du Moyen Âge,
19:48la Renaissance, les idées, la culture nous unissaient
19:51et la politique nous divisait.
19:52Ce n'est pas parce qu'on assume nos racines
19:55que ça nous empêche d'avoir une autre perspective d'avenir.
19:58Peut-être qu'on a focalisé le débat là-dessus,
20:01alors qu'objectivement, ce n'était pas l'essentiel
20:04de ce projet de constitution européenne,
20:07mais quand on oublie d'où l'on vient,
20:09c'est jamais rassurant par rapport à ce qu'on souhaite construire.
20:12C'est peut-être ça aussi, au fond,
20:14qui alimente cette déprime occidentale,
20:17de ne pas savoir vraiment où l'on va,
20:19parce qu'on a oublié d'où l'on venait.
20:21Heinz Wiesmann, vous partagez cette chose-là,
20:24c'est-à-dire que l'Europe renoue avec ses racines,
20:27à la fois religieuses et occidentales.
20:30Je rappellerai, quand même, pour la petite histoire,
20:33qu'au moment de la Constitution, l'Allemagne était favorable
20:37à ce que ses références figurent dans la Constitution
20:40à la différence de la France.
20:42Je trouve qu'on ne plonge pas suffisamment loin
20:45dans l'histoire européenne.
20:47Il faut repartir de la Grèce et du mythe grec
20:52rapt d'Europe par Zeus,
20:56qui arrache une princesse phénicienne
21:00à sa famille,
21:02sa sœur s'appelle Asie,
21:04pour, avec elle, engendrer, dans l'île de Crète,
21:08les premiers Européens.
21:10C'est une sorte de programme...
21:11C'est pas pour leur Asie, comme le président chinois.
21:15Non, c'est le contraire.
21:16C'est ce qu'Hérodote en tire comme leçon,
21:18c'est qu'Europe a quitté le foyer
21:22qui correspond à la logique asiatique
21:25de l'intégration intégrale et de la soumission
21:29pour libérer les individus de cette emprise
21:32qui est d'abord familiale,
21:33qui peut ensuite être aussi politique,
21:36que sais-je, même économique.
21:38Ce qui me paraît essentiel,
21:40c'est de comprendre que l'Europe s'est construite,
21:43depuis cette époque, dans la conscience des Européens,
21:47comme étant en rupture,
21:49non seulement avec l'Asie,
21:51mais avec elle-même,
21:53puisque l'idée de progrès,
21:56l'idée de la conquête par la connaissance,
21:58le mot philosophia, par exemple, chez Platon,
22:01veut dire qu'on rompt avec la sagesse
22:04qui s'inspire uniquement de l'autorité de la tradition
22:07pour trouver de nouvelles connaissances.
22:09Et ça, c'est l'esprit de la science européenne.
22:13Il faudrait regarder toutes ces démarches européennes
22:17que je pense être inspirées par l'esprit
22:21qui préside à ces initiatives,
22:24en considérant que la séparation
22:27peut être vécue intelligemment, maîtrisée,
22:31comme une sorte d'avantage concurrentiel.
22:35Et les Jeux olympiques, d'une certaine manière,
22:38sont en Grèce antique,
22:40la mise en image,
22:43parce que c'est de l'imagination, les Jeux olympiques,
22:46comment il faut être vainqueur, à quel titre,
22:49contre qui, etc.,
22:51eh bien, les cités grecques étaient en guerre entre elles,
22:55elles suspendaient tous les quatre ans les hostilités
22:58pour se rappeler qu'elles étaient toutes grecques.
23:01Et ça, c'est les Jeux olympiques, on déplace, je veux dire,
23:05le conflit vers quelque chose
23:07qui, symboliquement, le fait durer,
23:11mais, symboliquement aussi, le fait cesser.
23:14Et je pense que l'Europe, pour le dire en une phrase,
23:17l'Europe est essentiellement oublieuse
23:20de ce qui a fait son esprit.
23:23Ce n'est pas les réalisations ici ou la réussie ou pas,
23:27c'est pas ce qui est acquis,
23:30ce qui permet de penser ce qu'est l'Europe,
23:33c'est ce que l'Europe aspire à devenir.
23:37Ce qu'elle veut être ou conquérir.
23:39Et parmi ces acquisitions,
23:42celles par la violence coloniale, par exemple,
23:45indiquent simplement que c'est pas un chemin
23:48où la bonne intention est garantie d'un bout à l'autre.
23:52L'Europe fait toutes sortes de faux pas.
23:55Il faut aussi insister sur le fait qu'elle est très souvent
23:58à côté de ses pompes, si on veut être un peu grossier.
24:02Et donc, se rappeler, j'arrête là,
24:04mais se rappeler de cette origine
24:07que je trouve parfaitement formulée
24:09chez cet historien grec Hérodote,
24:12eh bien, c'est une des conditions
24:14pour qu'on ne reste pas enfermé
24:17dans une logique qui fait valoir les acquis.
24:21Merci. Sans polémique, Sylvie Berman,
24:24pensez que le Quai d'Orsay a conscience
24:28de cet oubli historique, spirituel,
24:32d'où vient l'Europe, de ce qu'a fait l'Europe, etc.
24:35Est-ce que la diplomatie
24:38n'est pas trop orientée sur des résultats concrets ?
24:41Malheureusement, il faut être orientée
24:44sur des résultats concrets.
24:46Je veux dire, l'Europe était très sûre d'elle,
24:50de sa supériorité, de ses valeurs, de ses réussites.
24:54Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ?
24:56On est en décrochage total sur le plan économique,
24:59sur le plan démographique également.
25:01En termes d'innovation,
25:03on est derrière les Chinois et les Américains.
25:08Je pense aussi qu'il faut avoir cette prise de conscience,
25:11mais qu'encore une fois, Mario Draghi,
25:14comme Enrico Letta, d'ailleurs, avant,
25:16qui a fait un rapport également sur le marché unique,
25:19ont, je pense, des leçons à tirer
25:22aujourd'hui dans l'Union européenne.
25:24Je pense qu'il faut des débats pour essayer
25:27de sortir de ce décrochage
25:30qui est catastrophique pour nous.
25:32Noël Lenoir, sur un point.
25:34Alors, moi, j'entends tout à fait
25:37la culture européenne, la naissance de l'Europe
25:40et toute cette symbolique
25:42qu'on ressent inconsciemment,
25:46qui est ce que l'on partage,
25:49c'est-à-dire l'idée de l'individu et des lumières.
25:52L'individu avant les lumières,
25:54c'est-à-dire que l'homme, en quelque sorte,
25:57construit son destin.
25:58Mais je trouve que l'Europe, de ce point de vue-là,
26:01est en train de faillir.
26:03Vous aviez évoqué la violence coloniale.
26:05Je veux dire, les Anglais ont colonisé les Américains.
26:09Les Américains ne passent pas leur temps
26:12à demander aux Anglais de se mettre à genoux.
26:15Quand je parle avec certains de mes amis libanais,
26:19ils me disent que le Liban se portait beaucoup mieux
26:23que sous le Hezbollah,
26:26sous le mandat français.
26:27Donc, moi, j'en ai un peu assez de cette culture postcoloniale.
26:31Je vais vous dire, l'Europe est en train de s'autodétruire
26:34autour de deux idées.
26:36La première idée, c'est l'inclusion.
26:38Quand, dans un texte de Manuel Barrozo,
26:40qui est très présent dans la commission,
26:43j'ai vu le mot inclusion,
26:44je ne savais pas ce que voulait dire ce néologisme.
26:47Je me suis rendu compte que c'était le multiculturalisme,
26:51c'est-à-dire la négation de notre identité.
26:53On trouve ça chez Lévi-Strauss,
26:55on trouve ça chez Michel Foucault,
26:57on trouve ça chez de bons esprits comme Derrida,
27:00bien français,
27:01mais c'est la négation de notre identité.
27:03Un être humain ne peut pas vivre s'il n'a pas d'identité.
27:07Les enfants qui sont adoptés, ils cherchent leur identité.
27:10Nous, nous n'avons plus notre identité
27:12à cause de cette culture postcoloniale
27:14qui a infiltré l'Europe.
27:16Le deuxième élément, qui est le même,
27:18c'est la lutte contre le changement climatique.
27:21J'ai une de mes anciennes collaboratrices
27:24qui m'a interrogée sur le discours sur l'Etat de l'Union
27:27de madame van der Leyen,
27:29pas le dernier, mais un petit peu avant.
27:31Je lui ai répondu simplement
27:34que je suis très contente que madame van der Leyen
27:37s'intéresse à l'humanité
27:39et de son intention, qui est tout à fait louable,
27:41de sauver l'humanité,
27:43mais je trouve qu'elle devrait s'intéresser
27:45un peu plus au sort des Européens.
27:47C'est ça, le problème,
27:49c'est que l'Europe actuelle est devenue idéologique,
27:51et à mon sens, puisque je ne la partage pas,
27:54dans le mauvais sens.
27:55Alors, monsieur Vermeule-Marquès,
27:57de quel côté vous vous situez par rapport à ce débat ?
28:01Est-ce que le voquisme,
28:02et ce qui nous vient des Etats-Unis,
28:04affaiblit l'Europe,
28:07ou est-ce qu'il faut composer
28:09avec le melting pot mondial
28:12pour être dans la compétition économique
28:16et avoir des résultats
28:17par rapport à la Chine et aux Etats-Unis ?
28:20Je pense tout d'abord que sur la question environnementale,
28:23c'est non pas un choix,
28:25mais une nécessité que de décarboner notre économie.
28:28C'est un avantage comparatif qu'on a d'un point de vue économique
28:31qu'il faut que l'UE arrive à préserver.
28:34Au-delà de ce qui vient de l'extérieur, du wokisme,
28:37il y a aussi notre faute à nous, notre incapacité à nous protéger.
28:40L'Europe a été naïve sur la question du protectionnisme
28:43et des aides de l'Etat.
28:45Je parlais tout à l'heure de la défense,
28:47mais récemment, les Etats-Unis viennent de prêter 1 milliard d'euros
28:50à la Roumanie pour développer son industrie de défense et son armée.
28:54Il y a une erreur stratégique de l'UE,
28:56une forme de naïveté en la matière.
28:58Ce n'est pas aux Etats-Unis de prêter 1 milliard d'euros
29:02à la Roumanie pour développer son armée.
29:04C'est le rapport de Mario Draghi,
29:06de faire en sorte qu'on arrive à lever des emprunts européens
29:09pour ce qui est stratégique pour nous
29:11et de nous protéger vis-à-vis de l'extérieur.
29:14Dans mon mandat national, mais aussi dans mon mandat local,
29:17toute la concurrence déloyale,
29:19cette incapacité à protéger nos frontières,
29:21à ne pas être naïfs vis-à-vis de nos partenaires,
29:24c'est une grave erreur de l'UE.
29:26C'est pas uniquement une agression extérieure, c'est de notre faute.
29:30Si l'Europe a été tirée dans plusieurs directions opposées
29:33par des hommes qui n'avaient pas la même idée de son destin,
29:37j'y vois beaucoup de temps et d'efforts perdus,
29:40mais rien qui contredise la nécessité de s'unir.
29:46Cette phrase de Jean Monnet
29:48éclaire la nature même du processus de construction européenne.
29:53C'est un juste rappel de la manière conflictuelle,
29:56toujours incertaine, toujours douloureuse,
30:00de cette construction.
30:02Ceux qui ont eu la chance de lire les mémoires de Jean Monnet
30:06s'en souviennent d'ailleurs sûrement.
30:08Chaque chapitre des promesses est balancé par la crise suivante.
30:14Chaque temps d'espoir est suivi de moments de doute.
30:18Telle est bien la nature de la construction européenne,
30:21mesdames et messieurs les députés, instable par nature,
30:25mais dont l'instabilité même est génératrice de progrès.
30:31Nous venons d'écouter Bernard Kouchner,
30:34ancien ministre des Affaires étrangères.
30:37M. Wiesmann, est-ce que vous avez le sentiment
30:41qu'en oubliant
30:45les langues européennes,
30:47les langues de notre civilisation,
30:49au profit d'un globisch, un anglais mal parlé,
30:55ça affaiblit cette unité européenne ?
30:59Evidemment.
31:01Le problème européen, c'est de tirer profit de la séparation,
31:06de la capacité d'aller au-delà de ce qui est déjà acquis.
31:10La science moderne est européenne, dans son esprit,
31:14puisque aucun scientifique voudra cramper
31:17sur les évidences et les certitudes
31:21héritées du passé.
31:23Il y a cette ouverture, ce déchirement,
31:25cette séparation, acceptée
31:28parce qu'elle, et là, Kouchner dit ça assez bien,
31:31en citant Monet,
31:33cette ouverture vers impossible qui se dessine dans l'avenir
31:38et qui n'est pas garantie par un passé.
31:40Alors, tous les ennemis de l'Europe,
31:42depuis Herodotus jusqu'à Phocadalus,
31:44sont asiatiques en ce sens
31:48qu'ils privilégient le facteur passé,
31:53la tradition, ce qu'on hérite des ancêtres, etc.,
31:57dans une situation d'intégration des populations et des différences.
32:01C'est un monolithe, d'une certaine manière,
32:04qui est l'idéal asiatique.
32:06Il ne s'agit pas de leur jeter la pierre,
32:08c'est simplement une autre manière de concevoir l'unité
32:12que doivent créer les êtres humains pour vivre ensemble.
32:15Alors que nous, Européens,
32:17là, je dis que les Etats-Unis sont du côté européen.
32:21L'esprit européen, avec tous les bémols qu'on peut y mettre,
32:25souffle aux Etats-Unis beaucoup plus fortement
32:29que dans des pays qui mettent leur idéal
32:33dans le giron intellectuel
32:36de ce que Herodotus appelle l'Asie.
32:38Notamment les islamistes, par exemple,
32:41pour lesquels le retour à la pureté des origines
32:44n'emporte sur toute perspective d'avenir qu'il faut barrer.
32:48Et...
32:49Alors, merci de ce que vous dites.
32:52Alors, la diplomate que vous êtes, Sylvie Berman,
32:55qu'est-ce qu'elle pense du fait que,
32:57dans les institutions européennes,
32:59c'est le globish qui est là en permanence ?
33:02Et est-ce qu'il ne faudrait pas réfléchir
33:05à entendre, à écouter l'ensemble des langues européennes ?
33:11Et je dirais, est-ce que, en la France en particulier,
33:14n'a-t-elle pas négligé la culture européenne
33:18propre à l'Europe centrale et orientale ?
33:20Alors, d'abord, moi, je voulais rappeler,
33:23bon, c'était il y a une vingtaine d'années,
33:25c'est-à-dire avant que tout se passe à Bruxelles,
33:30tous les conseils européens,
33:33et qu'il y ait une forme de...
33:37Comment dire ?
33:38De neutralisation des diversités européennes,
33:41le motto de l'Union européenne, c'est unis dans la diversité.
33:46A l'époque, les conseils européens,
33:48ça coûtait plus cher, c'est vrai,
33:50mais se réunissaient en Finlande, au Portugal,
33:53j'allais aux Açores, en Laponie,
33:55et donc, ça donnait cette diversité de l'Union européenne
33:59qu'on a totalement perdue aujourd'hui
34:01avec l'anonymat de Bruxelles.
34:03Pour la langue, c'est un peu pareil.
34:05En même temps, je comprends que ce soit compliqué
34:08de traduire dans toutes ces langues,
34:10ça l'est in fine, mais dans la discussion,
34:12c'est soit en français, en anglais, soit parfois en allemand.
34:15Ca dépend si c'est les institutions.
34:17Les directives sont toutes en anglais.
34:20Oui, mais ça, ça date du dernier élargissement, en réalité,
34:23parce que la Commission a imposé
34:25les négociations d'élargissement en anglais.
34:27Une collègue roumaine m'a dit qu'elle parlait couramment
34:30le français, mais on lui a dit
34:32qu'elle oubliait les négociations en anglais.
34:35Le résultat, c'est qu'elle ne connaissait pas
34:38le vocabulaire en français,
34:40et donc, ça a été une grande perte pour nous, effectivement.
34:45Alors, maintenant, l'Union européenne,
34:47c'est pas uniquement
34:50ce qu'on appelle les membres historiques,
34:53c'est effectivement les pays de l'Est.
34:55J'étais là au moment de l'élargissement
34:58au Comité politique et de sécurité.
35:00Ca n'a pas été très facile, en réalité.
35:02On voit bien que les priorités ne sont pas les mêmes
35:05en Allemagne, au Portugal
35:07et dans les Pays-Baltes ou en Pologne.
35:10Donc, effectivement, il faut les rapprocher,
35:13mais cette diversité existe et perdurera,
35:18y compris sur le plan géopolitique.
35:20Vous pensez qu'on n'en fait pas assez
35:23pour faire de toutes ces cultures européennes
35:27un creuset culturel ?
35:30Moi, j'étais au gouvernement au moment de l'élargissement
35:33et au moment de l'élaboration de feu
35:36le traité constitutionnel européen.
35:39J'ai sillonné tous les pays de l'Est
35:42que je ne connaissais pas,
35:43car comme je n'étais pas au Parti communiste,
35:46j'ai laissé mes vacances à Varsovie ou en Yougoslavie.
35:49Mais maintenant, il n'y a plus de communisme.
35:51Je plaisante, mais je ne connaissais pas du tout ces pays
35:55et je les ai découverts.
35:56On a un défaut congénital en France
35:59parce qu'en réalité,
36:02on faisait partie du club des grands
36:05et il y a une tendance, chez nous gouvernants,
36:08au moins de l'époque, de mépriser un peu les petits.
36:11Or, les petits ont pris le pouvoir.
36:15C'est vrai que les pays de l'ex-Bloc soviétique
36:20ou les pays de l'Europe centrale
36:23ont pris l'Europe très au sérieux
36:26et ils obtiennent des postes importants.
36:30La Pologne est sans doute l'un des pays-forces de l'Europe
36:35qui va se substituer à l'Allemagne et à la France
36:38puisque le commissaire portugais a hérité du budget,
36:41le commissaire au budget et à l'administration publique.
36:44C'est le plus puissant.
36:46Evidemment, ça ne dit rien aux gens,
36:48mais c'est le plus puissant de très loin.
36:50Je pense que la France, c'était très difficile,
36:53ce n'est pas du tout une critique dans ma bouche,
36:55de convaincre le président de la République,
36:58Jacques Chirac, à l'époque,
37:00d'aller dans un petit pays
37:03de l'Europe centrale et orientale.
37:05Non, parce qu'on discute avec les grands.
37:08Le deuxième défaut de la France,
37:10c'est de n'avoir pas pris au sérieux le Parlement européen,
37:13qui est surpuissant, qui fonctionne un peu comme une ONG,
37:16un petit peu comme l'ONU, mais qui est surpuissant.
37:19Donc, on n'en voit pas de bons députés,
37:21on en voit parfois d'excellents députés,
37:24mais ce n'est pas notre préoccupation première.
37:26Le troisième reproche que je ferai,
37:28parce qu'il faut regarder qui on est,
37:30c'est la réforme institutionnelle du traité de Lisbonne,
37:34qui est quand même invraisemblable.
37:36Premièrement, c'est la France qui a admis
37:39que les grands pays n'aient plus qu'un commissaire.
37:42Deuxièmement, nous n'avons absolument pas négocié
37:45avec les Allemands de hisser le nombre
37:48de nos parlementaires européens.
37:49On a fait créer, en échange de l'énorme augmentation
37:54des pouvoirs du Parlement européen souhaité par l'Allemagne,
37:57le président du Conseil européen,
37:59qui ne sert absolument à rien, zéro.
38:02Alors, voilà.
38:03Moi, je trouve que cette réforme institutionnelle,
38:06que je n'ai jamais approuvée, il faut le dire,
38:08s'est révélée, quand même, être, pour nous,
38:11assez catastrophique, parce qu'on a tendance à penser
38:14qu'il suffit d'être la France pour gouverner l'Europe.
38:18Non, ça ne marche pas comme ça.
38:19Alors, M. Vermorel-Marquès,
38:21autre problème que je voudrais signaler.
38:25Vous avez parlé, dans votre intervention précédente,
38:28de la question des migrations.
38:30Alors, on a entendu dire, avec Heinz Wiesmann,
38:33que l'esprit européen est toujours en mouvement.
38:37Mais, à votre avis, est-ce que cet esprit européen
38:40peut rester fidèle à ses sources fondatrices
38:45au regard des vagues migratoires ?
38:48Certains pensent qu'il y a une recomposition démographique
38:52de l'Europe.
38:53Comment on fait avec ces migrations ?
38:57Ce qui est sûr, c'est qu'on a un déclin,
38:59un déclin français, un déclin démographique,
39:02qui nous questionne beaucoup.
39:04Le continent africain, l'Inde, la Chine,
39:07ce sont des continents où la démographie est plus forte
39:10qu'à l'échelle européenne.
39:11La question des vagues migratoires, à mon sens,
39:14n'est pas une question nouvelle pour l'Europe.
39:16Ce qui est nouveau, c'est la capacité de certaines migrations
39:20à s'inscrire dans le départ d'une forme d'islamisme
39:23qui, historiquement, est le mieux placé pour en parler,
39:26mais n'est pas nouvelle pour l'Europe.
39:28La question, c'est comment, à 27, on arrive à résoudre la difficulté
39:32et à se protéger avec des règles communes.
39:34Je suis assez inquiet de ça,
39:36parce que je rejoins ce qui a été dit précédemment.
39:38La France a eu tendance à s'isoler en Europe
39:41par sa prétention et sa condescendance.
39:43Quand vous regardez les pays d'Europe centrale
39:46qui ont la capacité, c'est moins vrai depuis l'Ukraine,
39:49mais les groupes de Visegrade,
39:50les quatre pays d'Europe centrale et orientale,
39:53de travailler pour peser vis-à-vis des grands en Europe,
39:56ce sont des pays qui comptent dans la discussion.
39:58On a tendance à les ignorer par une prétention française.
40:01Le président de la République, Emmanuel Macron,
40:04fait un grand discours sur l'Europe à la Sorbonne.
40:07C'est étonnant comme construction européenne.
40:09Quand vous avez Elisabeth Borne,
40:11qui, à la tribune de l'Assemblée nationale,
40:13parle d'Europe puissante,
40:15dans l'un des pays d'Europe centrale et orientale,
40:18personne ne demande à l'Europe d'être une puissance.
40:21On avait une vision économique de la question européenne
40:24avant l'agression russe en Ukraine.
40:26Sur la question des migrations, l'enjeu majeur,
40:29c'est d'arriver à trouver des points communs,
40:31et on se retrouvera dans la situation actuelle,
40:34où on remet en cause la liberté de circulation,
40:36y compris les Européens.
40:38Vous voulez dire, monsieur le député,
40:40que plutôt que d'agir, on a une parole arrogante ?
40:45J'en suis convaincu.
40:46Je pense que, d'un point de vue diplomatique,
40:48on a perdu en influence à la fois au Parlement européen,
40:52parce que l'élection européenne
40:54est vue en France comme une élection nationale,
40:57et parce qu'on considère que le mandat européen
40:59est plus conscient que le mandat français.
41:02C'est toujours le cas quand vous regardez certaines nominations
41:05à la Commission européenne, sans faire de politique politicienne.
41:09J'ai ce souvenir aussi de Michel Barnier,
41:11quand il est commissaire européen et qu'il est appelé à Paris
41:14par Jacques Chirac pour devenir ministre,
41:17il répond qu'il souhaite rester commissaire européen,
41:20et Jacques Chirac, qui a toujours considéré
41:22le commissaire européen comme un technocrate sans influence,
41:25lui répond qu'il prend son risque.
41:28Mais ça montre, à l'époque, déjà,
41:30le mépris que la France pouvait avoir
41:32pour ses représentants dans l'Union européenne,
41:34alors que cette influence est majeure pour notre pays.
41:37Je sais que vous allez nous quitter, je vous salue,
41:40mais avant de partir, je voudrais juste vous demander,
41:43vous poser cette question.
41:46Est-ce que vous pensez que c'est la conséquence politique
41:52de ce que vous venez de dire
41:54sur cette arrogance française à Bruxelles,
41:59mais qui n'est pas suivie d'effets pratiques ?
42:01Si je résume votre pensée,
42:03est-ce que ça explique qu'aux dernières élections européennes,
42:06les populistes ont gagné en siège et en influence,
42:10et notamment, en ce qui concerne la France,
42:14une percée du Rassemblement national ?
42:17Ce qui est certain, y compris dans ma famille politique,
42:20qui était une famille pro-européenne,
42:23on n'ose plus parler d'Europe.
42:24Et on a peur d'évoquer ce sujet,
42:27parce qu'il y a des critiques qui sont légitimes.
42:31Mais quand je vois où nous étions il y a 30 ans
42:34et où l'on est aujourd'hui,
42:35on ne peut pas faire sans l'Union européenne.
42:38Et quand vous regardez les projections économiques,
42:40notamment à l'horizon de 2050,
42:42et que tous les 10 ans,
42:43vous avez un pays européen qui est éjecté du G10,
42:47il ne reste plus que l'Union européenne en 2050.
42:49Et donc la question des générations futures,
42:51ce projet européen économique de défense,
42:54d'autonomie stratégique, de souveraineté,
42:56européenne et nationale,
42:57doit être absolument défendu dans le débat public.
43:00J'espère qu'on y reviendra,
43:02parce que ce qui est regrettable,
43:04c'est qu'il y a 20 ans,
43:05on parlait de ce projet de constitution
43:07pour l'Union européenne.
43:09Il y avait un débat public sur l'Europe.
43:1020 ans plus tard, on ne parle plus de la question européenne.
43:13C'est ça qui m'inquiète,
43:14particulièrement en tant que responsable politique.
43:17Je vous remercie, monsieur le député,
43:19de votre participation à cette émission.
43:21Sylvie Bergman, alors,
43:23vous acquiescez à cette perte d'influence
43:25de la France au niveau européen ?
43:28Et vous, si oui, à quoi vous l'attribuez ?
43:31Alors, je...
43:32D'abord, il y a une perte d'influence
43:34de l'Union européenne au niveau mondial,
43:36il y a une perte d'influence, effectivement, de la France,
43:39mais ça tient aussi à la situation de la France,
43:42pas seulement à l'arrogance,
43:43et je définissais l'arrogance dans mon livre
43:46non pas tant d'avoir des idées
43:47que de ne pas écouter celles des autres,
43:50mais je pense que c'est une situation
43:55qui est préoccupante pour tout le monde.
43:57Il y a effectivement la question de l'identité européenne,
44:00du projet européen,
44:01et puis, bon, la question de l'immigration est essentielle.
44:06Pourquoi les Britanniques sont partis ?
44:08Moi, j'étais ambassadrice à Londres à ce moment-là,
44:10et tout simplement pour cette raison-là.
44:12Alors, ça n'a pas réussi,
44:14parce qu'ils ont encore plus d'immigration qu'avant,
44:16et l'immigration pour laquelle ils voulaient quitter l'UE,
44:19c'était l'immigration.
44:21A l'époque, on n'a pas voulu les entendre,
44:24et il y a eu le Brexit.
44:27Mais aujourd'hui, tout le monde reconnaît
44:30qu'il y a un problème et que si on ne le règle pas,
44:33l'Europe aura vraiment des difficultés.
44:36Qu'est-ce que vous suggérez ?
44:37Un moratoire sur l'immigration, comme ça a été proposé ?
44:41C'est pas moi qui vais donner le mot.
44:43C'est ça, parce qu'on cherche une réponse depuis des années,
44:47on le fait de manière incrémentale,
44:50et on n'arrive pas à trouver une solution.
44:52Donc, moi, je ne vais pas y arriver ici,
44:54mais il faut trouver un moyen de contrôler,
44:58en tout cas, nos frontières extérieures,
45:01sans doute davantage.
45:02On a toujours oscillé en le fait de contrôler les frontières
45:05et de protéger les migrants.
45:09Ca a été le cas de Frontex,
45:11en fait, la vulnérabilité et les critiques contre Frontex.
45:15Ce n'est pas un sujet facile,
45:17c'est pour ça que je n'ai pas la réponse.
45:19Oui, Noëlle Lenoir ?
45:21J'ai écrit un article dans Le Point
45:23avec Jean-Éric Schöttel pour dire qu'il fallait suspendre
45:26l'application de Schengen
45:28pour ce qui est des étrangers non-européens.
45:31Pourquoi ?
45:32Parce qu'en réalité,
45:34le contrôle aux frontières, c'est quand même utile.
45:38Et aujourd'hui, on est face à un flux migratoire,
45:41je suis désolée de dire ça,
45:43mais qui pose des problèmes de sécurité.
45:45De sécurité du point de vue de l'identité culturelle
45:48et religieuse et de sécurité du point de vue
45:51de la sécurité physique.
45:52Je suis désolée de faire ce rapprochement,
45:55mais il y a un lien très étroit,
45:58parce que, nous, on ne peut pas admettre
46:03que des islamistes pratiquants
46:06viennent chez nous et d'ailleurs convainquent
46:09un certain nombre de Français de Xe génération.
46:12Moi, je pense qu'il faut vraiment un coup de force.
46:15De quoi ? À quoi assiste-t-on aujourd'hui ?
46:17Tous les pays européens,
46:20tous les pays européens,
46:22même ceux qui sont les plus proches de l'EFI,
46:25comme l'Espagne.
46:27M. Sanchez n'a pas du tout repris les propos de Mme Castex,
46:32qui dit qu'il faut régulariser tous les sans-papiers.
46:35Non, il s'est montré préoccupé.
46:37M. Starmer, qui n'est pas...
46:40Le pays n'est pas un membre de l'Union européenne,
46:43vient de prendre des mesures anti-immigration.
46:45M. Scholz, qui est SPD, donc socialiste,
46:49il vient prendre aussi...
46:51Il rétablit les frontières intérieures,
46:53puisque, par voie dérogatoire, on peut le faire pour six mois.
46:57Mme Mélanie est quand même le produit de la crise migratoire,
47:00quand on a laissé tomber les Italiens
47:03qui étaient aux avant-postes pour recevoir ces bateaux
47:06dont les migrants étaient peuplés,
47:09de gens qui étaient promus par des passeurs criminels.
47:13M. Leggeri, le directeur de l'agence Frontex,
47:17qui a été, mais conspué,
47:20parce qu'il avait une attitude relativement ferme
47:24vis-à-vis de la politique migratoire,
47:27c'était son rôle, il était directeur de l'agence Frontex.
47:30Quand il s'est tombé, y compris la France,
47:32il s'est retourné vers le RN.
47:34Donc, moi, je considère que si l'Europe
47:37ne module pas sa politique migratoire,
47:40et que les Etats, comme c'est le cas,
47:42je ne parle même pas des Pays-Bas,
47:44le Danemark a toujours, qui est hors de l'espace judiciaire,
47:48le Danemark n'applique pas,
47:50n'est pas dans l'espace judiciaire européen,
47:52donc ils ont une politique,
47:54et c'est des socialistes, des sociodémocrates,
47:57ils ont une politique anti-migration
47:59qui est extrêmement sévère.
48:01Donc, moi, je pense que la politique migratoire,
48:03où elle se réforme de fond en comble,
48:06où on va avoir une libanisation de l'Europe.
48:09Alors, Heinz Wiesmann,
48:11je vais vous laisser donner votre point de vue
48:13sur la question des migrations,
48:15mais je voudrais également que vous répondiez à cette question,
48:19même si vous n'êtes pas un diplomate,
48:22mais vous avez une pensée cosmopolite
48:25et elle est très précieuse dans ce débat.
48:29Aujourd'hui, sur le plan des relations stratégiques,
48:33on considère qu'il y a ce qu'on appelle le sud global.
48:37On sait pas trop ce que c'est,
48:39sinon qu'il y a la Chine, la Russie,
48:42des pays, je sais pas si c'est très recommandé,
48:46recommandable, comme l'Iran et d'autres, etc.
48:50Bon, donc un ensemble très hétéroclite.
48:53En face, il y aurait l'Occident,
48:56il y aurait l'Europe, il y aurait la démocratie.
49:00Est-ce que vous voyez les choses ainsi ?
49:02Comment est-ce qu'on doit s'affirmer comme occidental,
49:06comme démocrate,
49:08par rapport à cet ensemble sud global
49:12qui, lui, agglomérait
49:14ce qui est quand même complètement antinomique à notre culture ?
49:18Il me semble qu'il faut partir du vrai clivage,
49:21et je reviens à ce que j'essaye de dire depuis le début.
49:24Transposez-vous dans les relations diplomatiques.
49:27Dans le contexte, par exemple, des migrations.
49:30Le vrai problème, c'est qu'une civilisation
49:33qui a inventé la modernité,
49:35l'Europe est à l'avant-garde
49:38des civilisations du monde à un certain moment.
49:41Elle est peut-être en train de s'affaisser,
49:44de perdre cette énergie, on a assez parlé de cela,
49:47et c'est certainement vrai.
49:49Pas à moi de dire autre chose.
49:53Mais...
49:55les migrations sont issues de pays
49:59qui appartiennent à des civilisations
50:02que je qualifierais de prémodernes.
50:05L'alliance bizarre entre Russie, Chine et Iran,
50:09dans le cadre du conflit ukrainien,
50:11c'est tout simplement que les traditionnalistes,
50:14ceux qui s'appuient pour légitimer le pouvoir,
50:18il s'agit de ça.
50:19Il ne s'agit pas de performances technologiques, etc.
50:22C'est pas ça, la modernité.
50:24La modernité, c'est le principe sur lequel se fonde
50:28la légitimité du gouvernement.
50:31Or, les Européens,
50:33il me semble que c'est ça, l'esprit européen,
50:36ont toujours privilégié, dans le passé,
50:39l'énergie nécessaire
50:42pour aller au-delà de ce qui leur arrive du passé.
50:46Et donc, les migrants qui mettent en danger
50:49notre système de légitimation du pouvoir,
50:54ces migrations sont caractérisées par le refus,
50:58et là, je cite de nouveau Hérodote,
51:02de cette énergie qui peut naître du dépassement de soi.
51:07Puisque le principe asiatique, selon Hérodote,
51:10est un principe d'intégration
51:13basé sur la soumission, l'obéissance
51:16et la reconnaissance de l'origine du pouvoir
51:20comme attachant à l'origine et au passé.
51:25Tous les islamistes,
51:27on peut parler aussi des autres.
51:30Quand vous lisez Alexandre Douguin, par exemple,
51:33un des illuminés chez les Russes,
51:36ce qu'il entend par nationalbolchevisme,
51:40par exemple, c'est très proche du nationalsocialisme.
51:44C'est le peuple ethnos.
51:45Il dit ethnos, il veut pas dire volk,
51:48parce que ça sonne mal après l'aventure nazie.
51:51Il s'agit strictement de la même chose.
51:53On va se qualifier par une référence au passé,
51:56à l'origine, d'où l'on vient,
51:58et on forge des espèces de fictions d'homogénéité
52:03qui n'ont jamais existé, alors qu'on a assumé la différence.
52:06Ca, c'est le truc...
52:08Je suis d'accord, mais c'est ce que vous diriez,
52:11qu'il y a un réveil des empires, là,
52:14aujourd'hui ?
52:15Non, c'est pas un réveil.
52:17C'est...
52:18Une accentuation ?
52:20C'est un principe qui s'était
52:22disloqué avec l'arrivée des nations,
52:26parce que les nations, c'est ce qui les empires...
52:29Si on prend la Russie actuellement, la Fédération, par exemple,
52:33il y a des nations à l'intérieur de la Fédération
52:36qui est dominée par les Russes,
52:38et les Russes, de ce fait, sont attachés à un empire,
52:41parce que l'empire a toujours dominé les nations
52:46qui le composaient.
52:47C'était les Habsbourg, il y avait les Hongrois,
52:50il y avait toutes sortes de nations virtuelles
52:53qui étaient dans le giron de l'empire.
52:56La tentation de l'empire existe depuis toujours.
52:59Je pense que même les Etats-Unis
53:02ne sont pas à l'abri de cette tentation.
53:04C'est évident.
53:06Mais ce que les nations...
53:07Vous diriez que l'Europe a cette tentation, aujourd'hui ?
53:11Non, du coup, au contraire.
53:13On est bien d'accord là-dessus.
53:15Alors, écoutez, on est bien d'accord.
53:17Comme il nous reste peu de temps,
53:20on va essayer de conclure,
53:22justement, en allant un peu plus loin.
53:25Si nous regardons notre histoire,
53:27elle est aujourd'hui composite, cosmopolitique,
53:32mais elle est aussi brouillée
53:34par des courants minoritaires agressifs,
53:37vous l'avez signalé,
53:38dont le wauquisme n'est pas le moindre.
53:41On a un retour également du populisme,
53:44d'une certaine violence révolutionnaire.
53:46On a un retour d'un antisémitisme d'atmosphère, aujourd'hui.
53:50Alors, face à ce que les observateurs
53:53considèrent comme une décivilisation,
53:56est-ce qu'il vous paraît opportun, aujourd'hui,
53:59d'écrire une histoire de l'Europe ?
54:03Un manuel coordonné d'histoire européen
54:07pour graver à l'intérieur
54:09à la fois nos lieux de mémoire,
54:11nos pages de civilisation, nos défaites,
54:14mais aussi nos bravoures et nos victoires.
54:17On a peu de temps. Noël Lenoir...
54:20Je ne ferai pas une histoire de l'Europe
54:22en tant que manuel d'histoire.
54:25Je ferai plutôt une histoire de la pensée européenne,
54:28des racines de la pensée européenne
54:30et ce qu'on a créé en termes de vision du monde
54:35et de façon de conquérir le monde via la technologie,
54:39via la démocratie, via le principe d'égalité,
54:42en refusant cette approche un peu biologique,
54:45qui est une approche de domination.
54:48Je trouve que ce serait un très beau projet.
54:50Merci, Reine Zwiessmann. On a peu de temps.
54:53Un propos conclusif.
54:55Je vais exclure.
54:56Dans le bouquin que j'ai publié...
54:58Je vais parler dans un instant.
55:00...c'est l'histoire, non pas au sens d'un récit
55:03qui retracerait le cheminement de l'Europe,
55:06c'est une tentative d'indiquer les paliers
55:08de réalisation de ce que j'appelle l'esprit européen.
55:12C'est à chaque fois en rupture avec quelque chose
55:15qui était constitutif de l'Europe elle-même.
55:18C'est les réalités européennes,
55:20mais l'Europe ne s'est jamais arrêtée
55:22aux réalités qu'elle a produites, elle les dépasse.
55:25Et donc, il y a langue, il y a culture,
55:29il y a les disciplines scientifiques
55:32et il y a quelque chose qui va nécessairement
55:35vers une ouverture essentielle à la diversité
55:38plutôt que vers le repli
55:41sur une identité nécessairement idéologique.
55:45On vous a entendu,
55:46Sylvie Bergman, brièvement.
55:49Moi, je trouve que l'histoire de l'Europe,
55:52l'histoire des idées européennes,
55:54ce que vous dites,
55:57tout ça est absolument passionnant,
55:59mais il ne faut pas rester dans l'autosatisfaction.
56:02Il faut voir le monde tel qu'il est aujourd'hui
56:05et essayer, justement, d'être plus fort
56:08que nous ne le sommes et plus fort que le sont
56:12ces Etats-continents ou ces empires.
56:14Que disent ces empires et les Etats-Unis ?
56:17Make America great again.
56:19Le rêve chinois, Poutine, l'Empire russe...
56:23On peut dire, nous aussi, make Europa great again.
56:26On ne le dit pas, on ne le pense pas et on ne le fait pas.
56:29Merci. Alors, écoutez, il nous reste peu de temps.
56:32Juste quelques repères biographiques.
56:34Heinz Wiesmann, vous avez publié récemment,
56:38donc lire entre les lignes,
56:40en plein dans le coeur de notre émission,
56:43sur les traces de l'esprit européen.
56:46Je rappelle, Sylvie Bergman,
56:48que vous avez écrit un livre,
56:50Madame l'ambassadeur de Pékin à Moscou,
56:54Une vie de diplomate,
56:56pour montrer, justement,
56:58on vient de parler de ce côté impérialiste, impérial,
57:03de la Chine et de la Russie.
57:07Noël Lenoir, vous avez publié
57:09l'Europe de Daumier à nos jours.
57:11Un mot, pourquoi Daumier à nos jours ?
57:14Je préside l'association des Amis d'Honoré Daumier.
57:18Et puis parce que ça m'a permis de travailler et de connaître,
57:22hélas, beaucoup de dessinateurs de Charlie Hebdo.
57:25Parmi les créations de l'Europe, c'est-à-dire de l'Occident,
57:28il y a l'humour.
57:30Je voudrais vous remercier, mesdames,
57:32merci, messieurs, d'avoir participé,
57:35d'avoir éclairé cette conversation
57:38combien féconde, à mon avis,
57:41pour les gouvernants et pour les téléspectateurs.
57:44Je voudrais remercier l'équipe de LCP
57:48pour avoir permis la réalisation de cette émission.
57:51Et je vous dis à bientôt.

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