• il y a 2 mois
#SansFiltre

Anne-Claire Genthialon pensait avoir trouvé le job de ses rêves. Elle s’est investie à fond, croyant que tout allait enfin marcher... Mais son rêve a vite tourné au cauchemar.
Aujourd'hui, on nous répète sans cesse qu'on doit trouver une passion dans n’importe quel boulot, comme si c’était la clé du bonheur. Mais cette injonction peut vite devenir toxique. Dans cette vidéo, on explore les limites des "métiers passions" et tout ce qui se cache derrière les belles histoires de reconversion.
#reconversion #métierspassion

Sources : https://docs.google.com/document/d/1j...

Rejoins moi si tu kiffes les analyses politiques des objets et des pratiques qui font notre quotidien.

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Amusant
Transcription
00:00Bon alors, j'imagine que tu as déjà rêvé de pouvoir vivre à 100% de tes passions.
00:04Eh ben a priori, tu n'es pas seul, puisque à force de voir tous les jours des documentaires
00:09Netflix ou des reportages qui montrent des gens qui ont réussi, la moitié des français
00:13seraient actuellement en train de préparer ou d'envisager une reconversion vers le métier
00:17qui les fait rêver.
00:18Dans cette vidéo, je vais vous raconter l'histoire de la journaliste, ou plutôt ancienne journaliste
00:23Anne-Claire Gentialon, qui s'est donnée à 100% pour le taf de ses rêves, qui a cru
00:27que c'était en train de marcher pour elle, qui a pris de plus en plus de risques et qui
00:30a fini par tomber de très haut en voyant son rêve se transformer en véritable cauchemar.
00:35Au cours d'une journée de travail qui ressemblait à n'importe quel autre, au milieu de ses
00:40collègues, elle a fini par craquer.
00:41Je me suis posé la question de comment ça se fait qu'on puisse ressentir des émotions
00:49aussi fortes pour un travail.
00:51Ben non, c'est pas un hasard puisqu'en fait j'exerce un métier passion, j'ai vécu un
00:55chagrin d'amour avec mon métier.
00:57Il y a de grandes chances pour que vous vous reconnaissiez dans cette histoire, parce qu'elle
01:01parle d'un truc auquel on est toutes et tous confrontés, l'injonction à mettre une charge
01:04émotionnelle très forte dans notre travail.
01:06En 2024, il y a une telle glorification de la passion au travail que les français y
01:10accordent plus d'importance qu'à leurs conditions de travail, les relations avec
01:13leurs collègues et même leur salaire.
01:14On va donc essayer de comprendre ce qui se cache derrière cette question de passion
01:18au travail ou de métier passion.
01:19Car contrairement à ce qu'on voit dans les belles histoires de reconversion professionnelle
01:22ou les documentaires Netflix, la souffrance au travail n'a rien de romantique et une
01:26implication émotionnelle démesurée se termine rarement en Happy Ending.
01:43Alors à l'image de n'importe quelle bonne mythologie professionnelle qui se respecte,
01:47on va démarrer par un retour à l'enfance d'Anne-Claire.
01:50Elle a grandi dans une famille de classe moyenne de Villefranche-sur-Saône, à peu près à
01:5330 kilomètres de Lyon.
01:54C'est une jeune élève brillante et sérieuse, peut-être un poil première de la classe
01:57mais pleine d'ambition.
01:58Quand elle arrive à l'âge où on commence à crocher sur ses camarades de classe, Anne-Claire
02:02a des pensées un peu différentes des autres jeunes, parce qu'elle rêve à son futur métier.
02:05Quand on est enfant, on s'imagine tous finir par faire les métiers de ouf qui nous font
02:08kiffer à cet âge là.
02:09Et bah pour Anne-Claire, c'est d'être journaliste.
02:12A force de les voir à la télé ou de les lire dans les magazines qui traînent chez
02:14elle, elle s'imagine par faire ce métier à son tour.
02:16Et comme elle a la chance de savoir ce qui lui plaît et d'être douée à l'école,
02:21et bah dès qu'elle va avoir son bac en poche, elle va réussir à intégrer une école
02:24de journalisme.
02:25Les années passent et pour finir son cursus, bah vous connaissez, elle doit faire un stage.
02:31Pour ce stage, elle pouvait pas rêver mieux puisqu'elle arrive à se faire directement
02:34embaucher dans une des plus grandes rédactions parisiennes.
02:37Alors vraiment la chance, c'est le journal qu'elle a fait le plus rêver depuis qu'elle
02:40est gamine.
02:42Elle va enfin pouvoir rencontrer ce lieu auquel elle pense depuis des années, son crush ultime,
02:47son job de rêve.
02:48Vient donc son premier jour.
02:50Elle a l'excitation d'un premier date tout en ayant la sensation d'être exactement
02:54là où elle doit être.
02:55Dès qu'elle passe la porte et qu'elle fait ses premiers pas dans le bâtiment, c'est
02:58le coup de foudre.
02:59Dans la scène d'ouverture du film Gladiator de Ridley Scott, on voit une main qui caresse
03:03les épis d'un champ de blé.
03:05Le héros, Maximus, général romain est de retour de la guerre.
03:08Il est sur son domaine, chez lui.
03:09C'est une sensation similaire que j'ai ressentie dès les premiers jours dans les
03:13locaux de cet employeur.
03:14Vous allez voir que tout au long de son histoire, Anne-Claire parle de son taf comme d'une
03:18relation amoureuse, et vous comprendrez pourquoi.
03:20Mais pour l'instant, elle peut pas rêver mieux et elle vit ses 6 premiers mois de stage
03:23comme une véritable lune de miel.
03:25Il n'y a pas de demi-mesure, j'adore absolument tout.
03:28Le coup de foudre, non seulement avec le métier que j'exerçais, mais c'était pour un employeur
03:32pour qui je l'exerçais.
03:33C'était vraiment les débuts d'une histoire d'amour, c'était génial.
03:40On est 6 mois plus tard et la période de son stage arrive à son terme.
03:43Et là, vous sentez sûrement arriver les problèmes.
03:45Et bah en fait, même pas.
03:46La love story professionnelle a l'air bien partie pour durer.
03:49Me voilà rappelée pour effectuer un remplacement de congé maternité.
03:52Je coiffe aux poteaux des concurrents pour ce poste.
03:54Je me sens validée, adoubée, préférée.
03:57En vrai, à ce moment-là, Anne-Claire, elle a un peu l'impression d'avoir fini le jeu.
03:59Elle est encore jeune et elle a réussi à atteindre le Graal du marché de l'emploi,
04:03alliée passion et travail.
04:04Le truc, c'est qu'à ce moment-là, elle ne réalise pas encore les contradictions
04:07inhérentes au métier passion.
04:08Et pour comprendre ça, faisons un petit point de définition.
04:10Selon le sociologue Marc Lauriol, les métiers passion ont une dimension créative et personnelle.
04:15Ce sont des secteurs concurrentiels qui réclament des sacrifices.
04:18Et souvent, les longues et coûteuses études qui permettent d'y parvenir ne garantissent
04:21pas du tout un emploi à la clé.
04:23Il y a donc un équilibre très fin entre d'un côté le bonheur de faire le métier qu'on kiffe
04:27et de l'autre, l'instabilité liée au fait que plein de gens se battent pour faire ce type de métier.
04:31Et ça, ça va avoir son importance pour la suite de notre histoire.
04:34Et quel moteur plus puissant que la passion ?
04:37Elle porte en elle-même une part de folie, d'irrationnel, de tragédie.
04:40Tristan et Iseult, Roméo et Juliette, on connaît bien comment s'achèvent ces histoires.
04:49Le premier accro de cette histoire survient à la fin du CDD d'Anne-Claire.
04:52Son remplacement se termine, comme prévu,
04:54et elle est convoquée pour une dernière réunion dans le bureau de sa chef.
04:57Et lors de cette réunion, on lui propose un deal.
04:59Elle peut continuer à bosser pour cette rédaction,
05:01entourée des journalistes qu'elle admire tant, mais elle sera pigiste.
05:06En gros, elle va avoir la chance d'être payée en salaire,
05:08mais uniquement à hauteur de ce qu'on lui demandera d'écrire.
05:11Il va donc falloir qu'elle propose beaucoup de sujets
05:13et qu'elle écrive beaucoup d'articles pour réussir à en vivre.
05:15Et en lui proposant ça, sa chef a été assez cash avec elle.
05:18Je te ferai toujours travailler, mais ne compte pas sur moi pour te faire bouffer.
05:22Pour Anne-Claire, la priorité, c'est de continuer son expérience dans son entreprise de rêve.
05:25Elle voit pas trop de différence, donc elle accepte.
05:29Pourtant, il y a un changement bien concret.
05:31Désormais, elle va devoir travailler de chez elle.
05:33Mais bon, elle est super motivée.
05:34Pour l'instant, elle se dit que ça lui évitera des allers-retours en métro
05:36et que ça lui fera gagner du temps.
05:38Elle transforme donc son petit studio parisien en bureau de journaliste
05:40et elle est prête à démarrer une nouvelle étape de sa vie.
05:43Les premières missions arrivent et au bout de quelques semaines,
05:46elle commence à comprendre l'avertissement de sa chef.
05:48Elle se rend compte qu'avec les quelques missions qu'on lui donne,
05:50elle va galérer pour s'en sortir.
05:52Elle décide donc de démarcher d'autres rédactions afin de remplir son emploi du temps.
05:56Après tout, pourquoi pas ?
05:57Ça fait d'elle une slasheuse, c'est-à-dire quelqu'un qui travaille pour plusieurs employeurs,
06:00ce qui, à ses yeux, est quelque chose de plutôt gratifiant.
06:02En fait, pour reprendre son analogie,
06:04elle se dit qu'elle va rentrer dans une sorte de relation professionnelle polyamoureuse.
06:07Je me dis que ce n'est qu'une question de temps, qu'il faut être patiente.
06:10Nous ne sommes pas un couple exclusif.
06:12Soit, ça finira bien par arriver.
06:14C'est ainsi que j'ai basculé dans le polyamour professionnel,
06:17en relation libre avec plusieurs entreprises.
06:20Du coup, à ce moment-là, Anne-Claire se retrouve à bosser pour des médias très différents.
06:23Des quotidiens, des hebdos, des mensuels, de la radio, de la presse de gauche, de la presse féminine.
06:27Et elle finit même par bosser pour un journal spécialisé de la presse chrétienne.
06:30Elle apprend donc à devenir polyvalente, à jongler entre le démarchage de nouveaux clients,
06:34la comptabilité, les relances pour être payée,
06:37et tout ce qui fait le quotidien d'une travailleuse indépendante.
06:40Je suis polymorphe, comme mystique, créature des X-Men,
06:43qui peut adopter l'apparence de n'importe qui.
06:45Indispensable pour qui veut se fondre dans n'importe quelle entreprise.
06:48Vraiment, elle enchaîne les piges et son agenda est bien rempli.
06:51Sauf que ça ne suffit pas vraiment, puisque malgré tous ses efforts,
06:54Anne-Claire va finir par se faire rattraper par la précarité économique.
06:57C'est-à-dire que même en taffant beaucoup, elle galère à s'en sortir financièrement.
07:02Une double page dans un quotidien, je touchais à peu près 360 euros
07:06pour 15 jours, bien 15 jours de travail.
07:09Et en plus de ça, elle a plus le côté épanouissant,
07:11c'est-à-dire le petit frisson de Gladiator avec l'émulation de la rédaction et les collègues inspirants.
07:15Désormais, elle travaille seule et ses missions ne sont pas toujours très passionnantes.
07:19Alors, pour compenser, elle rentre dans un mode surproductif.
07:22C'est-à-dire qu'elle se donne à fond en se disant que la situation finira bien par évoluer.
07:30Elle finit par ne plus vraiment avoir de soirée, de week-end ou de vacances.
07:33Et son quotidien devient une espèce de continuum productif dans lequel tout se mélange.
07:38Ceux qui n'ont pas connu la pige ne comprennent pas trop.
07:40Parfois, j'ai eu des remarques un peu déplacées de gens qui disaient
07:43« Ah mais quelle chance tu as, là il fait beau, tu peux aller prendre un café en terrasse. »
07:48Et en fait, ben non, non, non.
07:49On considère rapidement le temps comme étant perdu.
07:52On se fait chauffer quelque chose au micro-ondes, on voit les secondes qui défilent.
07:57Finalement, est-ce que ce n'est pas du temps perdu pour une idée qu'on aurait pu creuser
08:02ou une personne à appeler, un mail à envoyer, quelque chose à écrire ?
08:06On devient vraiment obsédé par sa propre productivité.
08:09Le problème, c'est que tous ces sacrifices vont commencer à avoir des conséquences sur son entourage.
08:13On ne l'a pas encore évoqué, mais Anne-Claire vit une autre histoire d'amour,
08:16celle avec son conjoint, un journaliste, qu'elle a rencontré à l'école.
08:20Et avec cette situation, vous vous doutez bien que ce n'est pas évident tous les jours.
08:23Selon le très sérieux magazine The Atlantic,
08:25les jeunes générations seraient en train de vivre une récession sexuelle globale.
08:29Et le grignotage de la vie personnelle par le travail
08:32pourrait être une des nombreuses hypothèses qui expliquent ce phénomène.
08:34Nous avons fini par former un ménage à trois.
08:36Non content de nous asphyxier petit à petit, il s'est aussi incrusté dans nos soirées.
08:40Mon conjoint me surprend parfois au lit avec lui, sur mon téléphone.
08:43Le visage rétroéclairé à écrire des idées de sujets.
08:46Il faut calculer combien je vais gagner.
08:51Après ça, c'est au tour de sa famille et notamment ses parents de s'inquiéter.
08:55Selon le réseau social LinkedIn,
08:5635% des parents auraient au mieux qu'une vague idée du métier pratiqué par leurs enfants.
09:01Alors si on rajoute à ça une situation de précarité financière,
09:04son travail devient progressivement un des sujets tabous à ne plus évoquer en famille.
09:08Car pour ma mère, cette situation est une atteinte à son système de valeur.
09:11Du monde ouvrier d'où elle vient, le travail est forcément récompensé.
09:15Il lui arrive de me soupçonner de ne pas en faire assez.
09:17Elle me suspecte de fainéantise, le pire des péchés dans sa liturgie.
09:21En fait, ses parents se méfient de son travail un peu comme ils se méfieraient d'un mec problématique.
09:25Alors évidemment, pour essayer de le défendre,
09:26Anne-Claire va essayer d'organiser une rencontre.
09:29Elle va présenter son travail à ses parents.
09:31Du coup, elle les fait monter sur Paris pendant une journée
09:33où elle va leur faire visiter ses locaux et rencontrer ses employeurs.
09:35En fait, elle se dit que comme ça,
09:36elle arrivera à convaincre ses parents qui sont de la génération du baby boom
09:39qu'aujourd'hui, le zéro chômage et la sécurité de l'emploi,
09:42c'est quelque chose qui n'existe plus.
09:43Je défends mordicus, mon modèle précaire.
09:45Je fais de la pédagogie sur les raisons de mon non-recrutement.
09:48Le syndrome de Stockholm existe-t-il avec son propre travail ?
09:55En fait, vu qu'elle est pigiste,
09:56Anne-Claire se retrouve en compétition permanente avec les autres.
09:59Du coup, elle doit tout le temps garder la face et cacher ses émotions
10:02pour être sûre de ne pas risquer sa place.
10:04Elle essaye d'être toujours disponible, toujours sympa,
10:06de pas trop parler de ses difficultés financières,
10:08à pas être trop insistante quand elle relance un employeur
10:10ou qu'elle cherche à être payée.
10:11Ça serait ingrat de la part d'Anne-Claire de venir se plaindre
10:13alors qu'elle fait le métier dont elle a toujours rêvé.
10:15Et en fait, ça, je pense qu'à force de l'entendre,
10:17c'est un truc qu'on a tous plus ou moins intériorisé.
10:19Ça n'aurait pas de sens de commencer à me plaindre de tout ça
10:21alors que personne n'aurait pu rêver mieux.
10:23Mais alors comment ?
10:25J'explique que je dors pas bien depuis un mois
10:27et que je fais des angoisses de fou la nuit
10:28et que je pleure à peu près 5 fois par jour depuis une semaine.
10:31Et l'autre truc, c'est qu'Anne-Claire, elle a du mal à ne pas se comparer
10:34et culpabiliser quand elle voit tous les exemples de gens qui réussissent.
10:37Mon frère ne lâche pas.
10:39Un jour, il sortira un album.
10:40Lucas Auchard, il s'est beaucoup privé personnellement
10:43pour que Squeezie existe.
10:45Le mec, il dormait jamais, quoi.
10:46Faut être motivé pour faire ça.
10:48Il allait à l'école, tournait une vidéo,
10:49il la montait, il la mettait en ligne tous les jours.
10:51Qui fait ça ? Personne.
10:53Renoncer, c'est accepter d'être de ceux qui abandonnent,
10:56ceux que j'ai pu un jour mépriser ou considérer comme mauvais.
10:59On va dire que dans une conception normale du travail,
11:02s'il y a un truc qui va pas, tu peux toujours changer de taf.
11:04Mais en fait, le piège de la passion, c'est que ça vient brouiller cette frontière
11:07en fusionnant directement l'identité personnelle de la personne avec son travail.
11:11Être journaliste fait désormais partie de l'identité d'Anne-Claire
11:14et remettre ça en question reviendrait à la remettre en question elle en tant que personne.
11:17Je me suis forgée l'idée tenace que le journalisme m'avait sauvée.
11:20Je suis quoi, moi, si je ne suis plus journaliste ?
11:23Bon, alors dans ce genre d'histoire, il y a toujours un moment où,
11:25à force d'en faire trop, tout ce qu'on cherche à enfouir finit par exploser.
11:33Eh bien, on se rapproche de ce moment.
11:37Mais avant ça, si vous kiffez cette vidéo,
11:39vous pouvez prendre maintenant une demi-seconde pour liker et vous abonner.
11:41Ça m'aidera beaucoup à soutenir mon travail.
11:43Merci.
11:44Bon, alors là, vous vous demandez probablement ce qui va permettre à Anne-Claire
11:46de sortir de tout ce merdier.
11:48Eh bien, il y a deux éléments qui vont être essentiels.
11:50La première chose, c'est que la précarité va l'amener à vivre
11:53une crise personnelle et intime.
11:56Passer la trentaine, on commence à opérer
11:59peut-être des réorganisations dans ses priorités.
12:02Et moi, il y avait l'envie de fonder une famille.
12:05Elle a mis ses projets de vie entre parenthèses en se disant
12:08que ce n'était pas pour elle afin de réussir à plus y penser.
12:10Et tout ça jusqu'à la remise en question de trop.
12:13Ce sera pour plus tard, ce sera pour plus tard,
12:15quand j'aurai plus de stabilité, quand ça ira mieux.
12:18Tous les projets, qu'ils soient petits ou grands, sont reportés.
12:21Donc, c'est le mode de vie reporté.
12:24Le deuxième événement déterminant, celui qui sera l'étincelle finale,
12:28aura lieu sur son lieu de travail.
12:29En fait, grâce à son statut de pigiste, pendant toutes ces années,
12:32Anne-Claire a pu garder un pied dans la rédaction où elle a commencé.
12:35C'est d'ailleurs ce qui lui a permis de tenir,
12:36puisqu'une promesse d'embauche n'était jamais loin
12:38et qu'il lui suffisait d'un contrat à temps plein pour régler tous ses problèmes.
12:42On est dans une relation amoureuse qui ne va plus,
12:44mais mentalement, on veut encore donner sa chance.
12:46Et pourtant, un beau jour, ça va péter.
12:49Un jour froid de décembre, les regards chez mon employeur sont plus fuyants.
12:52J'ai une drôle de sensation, un sale pressentiment.
12:55Soudain, je la vois placardée contre le mur de l'escalier comme une affiche Wanted,
12:59un poste secret dans le service pour lequel je travaille.
13:02Je n'étais pas au courant.
13:03Je lis le descriptif.
13:05Il s'agit très précisément de ce que je fais ici depuis six ans.
13:08Et puis, finalement, c'est pas moi qui suis préférée,
13:11mais je peux continuer à travailler pour eux, toujours en piège.
13:15Et là, bon, c'est la désillusion, en fait.
13:17Mais après un nouveau sourire contrit, après une autre mine désolée,
13:21grandit en moi un sentiment violent, une réaction épidermique incontrôlable.
13:25Je m'imagine en Daenerys Targaryen qui crame tout Pantréal avec son dragon.
13:31Je me sens trahi au plus profond de moi.
13:33Ma colère est violente, car j'ai aussi honte de moi, honte de ma naïveté,
13:37honte de m'être fait berner, honte de me retrouver dans cette situation d'échec.
13:41Tout ça sera évidemment très violent pour Anne-Claire dans le centre médico-psychologique
13:45où elle est suivie, elle aura du mal à formuler ce qui lui est arrivé.
13:48C'est pas exactement un burn-out, ni même un bore-out,
13:51ni même quelque chose dont elle a déjà entendu parler.
13:53Et c'est après un long travail d'introspection qu'elle va finir par trouver le bon terme.
13:57J'occulte un épisode qui m'est arrivé.
13:58J'empêche les circuits sinueux de ma mémoire d'y accéder,
14:01mais mon corps tout entier l'exude.
14:03Je vis en fait un chagrin d'amour.
14:05C'est là que l'analogie de la vie de Daenerys Targaryen
14:08C'est là que l'analogie de l'histoire d'amour prend tout son sens.
14:11C'est une forme de déception professionnelle qu'on a tendance à réserver
14:14uniquement aux gens privilégiés qui ont la chance de vivre de leurs passions.
14:17C'est par exemple ce qui s'était passé avec McFly et Carlito
14:20quand ils avaient craqué au point de devoir mettre en pause leur chaîne YouTube pendant plusieurs mois.
14:24Le fait d'imaginer qu'ils puissent se plaindre alors qu'ils sont dans une situation ultra privilégiée
14:28aurait été assez insupportable à entendre.
14:30Et ça c'est un problème, puisqu'en associant ça uniquement aux gens privilégiés,
14:34on occulte une partie de la réalité.
14:36Dans un marché du travail qui exige un niveau d'implication émotionnelle toujours plus fort,
14:39on est toutes et tous amenés à connaître, à notre niveau, ce genre de choc émotionnel.
14:44En fait, la passion, on peut la trouver partout.
14:47Dans mes jobs étudiants, j'ai pu faire de la mise en rayon.
14:50On nous demandait de la motivation, de la passion.
14:53En fait, aujourd'hui, on va te parler de passion, quelle que soit ton taf.
14:56C'est ce qu'explique la sociologue Nathalie Leroux dans un épisode du podcast
14:59Le Travail en cours, justement dédié à la question de la passion.
15:02Le rapport passionnel au travail a tendance parmi les choses les plus
15:05à tendance par nature à reléguer au second plan ce qui relève de l'intérêt.
15:09Un personnel qui adhère au projet de l'entreprise, qui converge avec sa passion,
15:13sera a priori peu enclin à remettre en question, à critiquer,
15:17à s'opposer à la politique de l'entreprise, voire à se syndiquer.
15:20Par exemple, Décathlon, pour les emplois de conseillers sportifs ou de vendeurs,
15:24définit la passion sportive comme premier critère de recrutement.
15:27Dans le même podcast que je vous recommande d'ailleurs,
15:30une autre sociologue, Hélène Weber, autrice de l'ouvrage du Ketchup dans les veines,
15:34raconte ce qu'elle a pu observer lors de son expérience en tant qu'équipière chez McDo.
15:38Je me souviens d'une fois en salle équipier, un jeune équipier qui vient se plaindre en fait de cette brûlée.
15:43Et là, vous aviez toutes les personnes autour de la table qui relèvent leur manche en disant
15:46« Là, moi c'est la panière que je me suis pris sur le bras, et bien ça moi c'est hier,
15:50et bien ça moi regarde cette marque-là, je l'ai depuis un mois, elle est toujours par partie. »
15:53Et à ce moment-là, il n'y a pas une plainte, les gens en parlent comme s'il s'agissait de médailles.
15:58Tout ça finit par être valorisé.
15:59En fait, mobiliser la passion au travail, c'est souvent une douille qui permet de justifier
16:03des sacrifices, un engagement excessif et une pression constante.
16:06Tout ça pour un salaire souvent pas ouf et un taf qui potentiellement te plaît même pas.
16:28Après tout ça, Anne-Claire va mettre du temps, mais elle va réussir à se reconstruire.
16:32Elle va progressivement se réinscrire sur les applications de dating professionnel.
16:36Elle va commencer à rencontrer de nouveaux employeurs et redécouvrir les codes de la séduction en entretien.
16:41Et là, c'est le moment où dans n'importe quel documentaire Netflix,
16:43elle prendrait un air solennel pour nous expliquer que malgré toutes ses difficultés,
16:48elle est sortie grandie de ses épreuves.
16:50« Tout ce que tu fais, ça te servira. C'est ma première leçon.
16:53Les efforts, c'est jamais dans le vent. »
16:56« J'ai pas du tout envie de voir ça comme un échec, parce que ce serait le pire des trucs pour moi. »
17:00« Timothée Sautereau n'a rien du boucher à l'ancienne.
17:03Il y a quatre ans encore, il travaillait dans le marketing. »
17:06« En fait, ce narratif de la résilience qu'on entend partout, il fait des belles histoires,
17:09mais c'est pas du tout le scénario le plus fréquent. »
17:11« Ça a imprimé en moi la peur du temps mort, la peur de retomber dans cette précarité.
17:16Ça a laissé des traces en fait.
17:18Parce que mine de rien, j'ai pas été embauchée, donc il y a toujours ce complexe de nullité aussi.
17:22C'est quelque chose dont on ne parvient pas ou difficilement à s'en départir. »
17:28Alors du coup, qu'est-ce qu'on retient de tout ça ?
17:30Qu'est-ce qu'on peut faire pour éviter de vivre ce genre de situation ?
17:32« Je ne savais même plus si j'étais curieuse parce que j'étais journaliste
17:36ou journaliste parce que je suis curieuse.
17:38Si toute notre identité, c'est notre travail,
17:41ça veut dire qu'il est soumis à beaucoup trop d'aléas.
17:44Si ça flanche, vous mettez votre santé mentale et personnelle
17:48entre les mains d'un marché, un marché économique,
17:53un marché du travail qui dépend du marché économique, qui nous échappe totalement. »
17:57Finalement, quoi qu'on fasse, l'important c'est de laisser le travail à sa bonne place
18:00et d'avoir d'autres aspirations dans la vie.
18:02Et pour permettre ça, il est impératif de défendre un cadre légal
18:05qui protège les travailleuses et les travailleurs.
18:07Et il faut également arrêter de pondre des discours pseudo-inspirants
18:10qui romantisent la souffrance au travail.
18:12Bon, j'ai pas mal critiqué les documentaires de stars,
18:14mais pourtant il y en a certains, ou plutôt certaines, qui se débrouillent déjà très bien.
18:18« Si vous voulez en mater, je vous conseille les documentaires de Selena Gomez ou de Simone Biles
18:21qui ont le mérite d'aborder frontalement le côté destructeur de la passion au travail. »
18:26« Dans l'imaginaire collectif, on associe souvent le succès avec l'intensité,
18:30la douleur, la colère et la négativité.
18:32La domination passe forcément par là.
18:35La fédération américaine de Jim faisait régner un climat toxique et délétère.
18:39Et ceux qui étaient en position de pouvoir en ont profité pour en abuser. »
18:46D'ailleurs, je suis très chaud pour avoir vos recommandations sur le sujet.
18:48Alors évidemment, l'espace commentaire est fait pour ça,
18:50mais vous pouvez aussi rejoindre le Discord de Réflexions Basses pour approfondir la discussion.
18:55On retiendra donc que c'est trop bien de faire un taf qui nous passionne,
18:58mais qu'on doit toutes et tous rester vigilants face à l'injonction qu'on nous impose
19:02de mettre une trop forte charge émotionnelle dans notre travail,
19:04au risque de connaître des déceptions professionnelles
19:07desquelles on n'est pas sûr de pouvoir se relever totalement un jour.
19:11C'est ça le piège des métiers passion.
19:14Voilà, c'était le premier épisode d'une série qui sera consacrée à la question du travail.
19:17Je voulais dire un grand merci à toutes les personnes qui ont rejoint la chaîne récemment.
19:20Continuez à vous poser des questions, à politiser ce qui vous entoure.
19:23Ciao !

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