• il y a 2 mois
Rencontre avec Clarisse Crémer, L'Occitane en Provenc

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Sport
Transcription
00:00Alors, on commence très simplement. Est-ce que tu peux te présenter ?
00:02Alors, je m'appelle Clarisse Crémert, je suis navigatrice, skipper du bateau L'Occitane.
00:07J'ai 34 ans et je participe cette année à mon deuxième Vendée Globe
00:12après avoir eu la chance de faire l'édition 2020.
00:14Est-ce que tu peux nous raconter la coïncidence de ta naissance et du Vendée Globe ?
00:19Oui, je suis née le 30 décembre 1989, donc pendant la première édition du Vendée Globe.
00:23Et le 30 décembre, en plus, c'était le jour du sauvetage de filles poupons sur le Vendée Globe.
00:28Voilà, donc belle date.
00:32Alors raconte-nous, comment tu découvres la voile ?
00:36Moi, j'ai découvert la voile comme un Parisien qui va en vacances en Bretagne.
00:41Pour le dire, je ne sais pas si c'est le truc le plus beau, mais c'est comme ça.
00:44Et je faisais des petits stages de voile l'été chez mes grands-parents en Bretagne, avec mes cousins.
00:49Et ensuite, c'est quand je suis devenue étudiante que j'ai pu faire des régates étudiantes.
00:55Et finalement, la course au large, j'en ai entendu parler véritablement
00:58qu'à travers la rencontre avec celui qui est aujourd'hui mon mari, Tanguy le Turquais,
01:05parce que lui était skipper professionnel, on avait tous les deux 21 ans,
01:08et rêvait de faire la mini-transat, donc une transat en solo sur des petits bateaux de 6,5 mètres.
01:13Et c'est avec ces histoires que j'ai commencé à découvrir la course au large, tout simplement.
01:19Je n'avais jamais suivi ces courses-là.
01:21Et c'est lui qui m'a fait mettre la première fois le pied sur un bateau de course au large.
01:27Et tu dis d'ailleurs que tu es arrivée au Vendée un peu par hasard.
01:30Moi, je suis arrivée un peu au Vendée par hasard parce que je n'ai pas, contrairement à d'autres,
01:35y compris Tanguy, mon mari, je n'en ai pas arrivé depuis la plus tendre enfance
01:40parce que je n'ai pas été bercée là-dedans, je n'ai pas suivi.
01:43Je connaissais le mot Vendée Globe, mais je n'avais jamais vraiment suivi en direct.
01:47Et moi, au tout départ, la première course qui m'a fait rêver, c'était la mini-transat.
01:52Mais comme un break, comme une pause, comme certains vont faire un voyage ou des choses comme ça,
01:58moi, je voulais juste faire la mini-transat, traverser l'Atlantique en solo sur un petit bateau.
02:02Et c'est cette course-là qui m'a donné envie de plus, qui m'a donné envie de poursuivre dans ce milieu-là.
02:09Et ensuite, je me suis retrouvée au départ du Vendée 2020,
02:13ça, je ne l'ai jamais caché, dans le cadre d'un grand privilège
02:16où on est vraiment venu m'apporter cette opportunité de faire le Vendée 2020,
02:19un premier Vendée Globe, alors que je n'avais même pas eu le temps d'en rêver avant.
02:23Ça, c'était fin 2018 qu'on m'a proposé le Vendée 2020.
02:27Et je me suis retrouvée vraiment propulsée, catapultée au départ de cette course hors normes.
02:32Qu'est-ce qui te reste d'ailleurs de ce Vendée 2020 ?
02:35Qu'est-ce qui me reste ? J'espère beaucoup de choses.
02:38C'est une aventure, alors pas unique dans une vie,
02:42parce qu'avec un peu de chance, j'allais avoir l'opportunité de la vivre encore.
02:45Mais c'est quand même trois mois de vie ultra condensée,
02:49où on apprend énormément sur soi, on vit énormément de péripéties,
02:53voire de moments difficiles.
02:55Et donc, il me reste énormément de choses.
02:57Ça a énormément fait grandir mon expérience nautique,
03:01mais aussi mon expérience de gestion de mes émotions,
03:04aussi ma richesse intérieure par rapport au voyage que ça représente.
03:09Il me reste forcément plein de choses.
03:10Après, c'est vrai que c'est tellement intense, tellement condensé
03:13que parfois, on a un peu cette frustration de ne pas réussir à tout relire,
03:16parce qu'en trois mois, on se rend compte qu'en plus, on est fatigué.
03:21Donc, peut-être que les souvenirs s'accrochent un peu moins bien,
03:24mais on voit que les souvenirs se dissipent vite.
03:28Et dans les moments de navigation, les moments clés,
03:35qu'est-ce que tu gardes comme plaisir finalement de cette édition ?
03:41Je garde énormément de souvenirs de plaisir, de joie en fait, surtout.
03:46Mais c'est les plus difficiles à exprimer.
03:48C'est beaucoup plus facile d'expliquer un problème, une détresse, une fatigue.
03:52Je trouve que ces moments de joie qui reposent souvent sur des petites choses,
03:56très infimes, et en particulier moi,
03:59pour qui c'est souvent des moments de joie liés à des moments de contemplation,
04:02des moments de sensation où le bateau glisse tellement bien,
04:06où un nuage est tellement beau.
04:09Mais par contre, ce sont des souvenirs qui sont vraiment chers à mon cœur
04:12et qui perdurent.
04:14Et donc, j'ai plein de moments de joie qui restent en moi
04:17et c'est aussi ça qui me donne envie d'y retourner.
04:20Ce n'est pas qu'une histoire de personne complètement masoche.
04:24Et notamment ces histoires de lumière,
04:25parce que tu es très sensible à la lumière grâce à tes grands-parents, je crois.
04:30Je crois que ma BD a fait son chemin.
04:33Oui, moi, je n'ai pas grandi dans l'univers marin.
04:37Je n'ai pas été bercée avec des histoires de bateau.
04:40Par contre, j'ai eu la chance d'avoir des grands-parents des deux côtés
04:42qui habitaient au bord de l'eau,
04:45en Bretagne, mais aussi dans les îles anglo-normandes et à Toulon.
04:48Et notamment mes grands-parents paternels qui aimaient énormément la mer.
04:54Et même si on ne faisait que se balader au bord de l'eau,
04:57je n'avais pas une visite chez eux qui n'était pas ponctuée de balade au bord de l'eau,
05:01avec, quelle que soit la météo, quelle que soit la température,
05:04une envie de s'extasier, de rendre grâce aussi pour la beauté des éléments.
05:09Et ma grand-mère avait notamment cette expression qui était que la lumière est belle.
05:13Et elle ne le disait pas trop, ce qui fait que c'était quand même quelque chose,
05:19une sensation précieuse, mais elle pouvait le dire de façon parfois un peu exagérée,
05:23parce que parfois il ne faisait vraiment pas très beau et la lumière n'était pas si belle que ça.
05:28Mais dans une balade au bord de l'eau, il y avait forcément ce moment un peu de contemplation.
05:32Et je pense que c'est un héritage que j'ai gardé.
05:35Et j'aime bien juste être au bord de l'eau, même sans être en train de faire du bateau.
05:40Et à bord de son bateau, enfermé, on a le temps justement de ces moments de contemplation ?
05:45Ça, c'est un vrai sujet, parce que sur mon dernier Vendée Globe,
05:48j'étais sur un bateau à dérive, très ouvert quand même, avec une casquette,
05:53mais qu'on pouvait rouvrir pour pouvoir faire les manœuvres.
05:57Et c'était facile de regarder dehors, de regarder le siège, on voyait assez bien.
06:00Moi, sur mon nouveau bateau à foils, un Génération 2020, il est très fermé et ça m'inquiète un peu.
06:07J'espère que je vais réussir à avoir ces mêmes moments de connexion avec l'océan,
06:11parce que c'est beaucoup plus difficile de voir dehors,
06:14c'est beaucoup plus difficile comme ils vont un peu plus vite, ou en tout cas qu'ils mouillent plus.
06:18Est-ce que je vais réussir vraiment à avoir ces moments de pause et de grâce ?
06:23Je ne sais pas, ça va faire partie du boulot.
06:26Je pense qu'il y a aussi un effort à faire pour rentrer dans cet état un peu contemplatif,
06:31mais c'est vrai que c'est aussi une compète, surtout une compète,
06:34et la contemplation, c'est plus la cerise sur le gâteau que l'objectif principal.
06:40Et dans la gestion humaine, justement, qu'est-ce que tu as appris sur la gestion du marin,
06:46à proprement parler, pendant trois mois, sur la longueur, sur la fraîcheur physique
06:52qu'il faut arriver à maintenir, à conserver, à récupérer, à doser ses efforts au bon moment ?
07:01Comment tu abordes ce nouveau Vendée Globe, la lumière de ce que tu as déjà vécu ?
07:05Je pense que le sujet de la gestion de soi,
07:08c'est peut-être celui où j'ai le plus progressé depuis mon dernier Vendée Globe.
07:11Par la force des choses, je n'ai pas tant navigué que ça.
07:14J'ai eu la chance de faire quatre transats l'année dernière,
07:16mais je n'ai pas pu faire autant de perfs que ce que j'aurais voulu.
07:19Par contre, en termes de préparation mentale et de préparation de soi,
07:22je pense que j'ai énormément évolué.
07:24La dernière fois, j'ai clairement galéré avec ça.
07:29Je découvrais, je n'avais jamais passé plus de 18 jours en mer toute seule,
07:32je n'avais jamais été plus sud que le Brésil,
07:34j'avais eu une préparation technique assez courte
07:36et encore une fois, je n'avais pas une expérience de la course au large énorme.
07:39J'ai beaucoup eu du mal à me créer des repères, à avoir une discipline.
07:43J'avais tendance soit à me tirer trop dessus,
07:45soit à être un peu trop dans la prudence et dans la peur de ne jamais réussir à tenir dans la durée.
07:51Ce qui fait que j'oscillais beaucoup en émotion, en forme physique.
07:56Donc, ça présentait des aspects positifs en termes d'émotionnel et de moments de joie,
08:02mais ça présentait aussi des aspects négatifs, je pense, en termes de performance.
08:07J'utilisais beaucoup trop d'énergie à me gérer moi.
08:10Je ne sais pas si c'est très clair,
08:11c'est vrai que ce ne sont pas des choses très concrètes que je décris,
08:13mais là, clairement, j'ai une idée beaucoup plus précise de ce qu'il faut faire
08:18pour se tenir dans la durée, pour réussir à performer,
08:22à effectivement utiliser ses forces au bon moment.
08:25Et ça passe notamment par beaucoup de disciplines pour se créer des repères
08:29dans un environnement qui, par définition, nous fait beaucoup manquer de repères.
08:33Mais ça passe par l'alimentation, par le sommeil,
08:35par toutes sortes de choses qu'il faut vraiment répéter,
08:39des rituels pour aider son cerveau à tenir le coup.
08:43Et puis aussi, ça passe par mon gain en expérience technique
08:46qui fait que je me laisse moins facilement impressionnée,
08:49même si je sais qu'il y aura quand même des moments durs.
08:52Enfin voilà, on ne change pas du tout, tout au tout.
08:54Un Vendée Globe, c'est une expérience en plus, c'est un condensé de vie,
08:56mais je reste la même Clarisse avec des apprentissages en plus.
09:01Mais je sais que les émotions, ça fait partie de qui je suis en tant que marin
09:04et en tant que personne, tout simplement.
09:06Alors justement, tu parles d'apprentissage en termes maritimes,
09:10proprement parlé, en termes sportifs.
09:13Comment tu juges ton évolution, ta progression ?
09:16Tu as changé de bateau, donc forcément, il y a eu la prise en compte
09:22de ce nouvel espace, de ce nouveau bateau, des grands foils,
09:27d'un bateau qui va très vite, parce que c'était la REF sur le cycle d'avant.
09:31Comment tu te juges là, très froidement, cliniquement, sur ton niveau sportif ?
09:38Sur mon niveau sportif, j'ai quand même beaucoup appris, beaucoup évolué.
09:42Après, je suis quand même assez loin de ce que j'espérais faire
09:45quand je suis arrivée de mon dernier Vendée en disant
09:48je vais y retourner dans un mode plus perf.
09:50Ce n'était pas la préparation que j'imaginais, que j'ai vécue.
09:53Donc il y a en termes de, là si tu me demandes d'évaluer cliniquement
09:58où est-ce que j'en suis froidement, il y a une petite frustration du compétiteur
10:02de ne pas avoir pu tout faire, que ce soit dans mon apprentissage à moi en mer
10:07ou mon apprentissage théorique, mais aussi dans l'évolution du bateau
10:10par rapport à d'autres bateaux de sa génération.
10:12L'équipe a fait un super boulot dans le temps imparti,
10:14mais on n'a rien pu faire évoluer en termes de perf.
10:17J'ai appris plein de choses, pas autant que ce que j'aurais voulu.
10:22Je vais faire avec ce que j'ai.
10:24J'ai quand même un super bateau, j'ai une expérience d'un Vendée Globe.
10:28J'ai l'intention de me donner et surtout, ça va être la première fois depuis longtemps
10:32que je vais pouvoir partir sur une course avec une psychologie égale aux autres.
10:38Sans me dire qu'il faut absolument que je termine pour me qualifier.
10:42Raconte-nous, parce que c'est une préparation qui a été beaucoup plus laborieuse,
10:48beaucoup plus compliquée par les situations externes.
10:52On y reviendra, mais juste sur la préparation et la difficulté de cette longue route
10:57pour arriver jusqu'au départ.
11:00Oui, je pense que la dernière fois, je ne me suis jamais cachée,
11:04j'étais probablement l'un des skippers qui avait eu le plus de chance.
11:08On m'avait vraiment apporté cette opportunité de Vendée Globe.
11:12Du coup, j'avais eu très peu à me battre pour être sur la ligne de départ du Vendée,
11:16même si c'était une préparation exigeante et pour l'équipe aussi.
11:20Là, c'était beaucoup plus difficile.
11:24À plusieurs reprises, j'ai eu l'occasion de soit tout arrêter,
11:28soit de ne pas savoir comment j'allais m'en sortir.
11:31Il y a eu une grossesse au milieu, il y a eu un changement de sponsor,
11:35il y a eu des coups durs médiatiques, on va dire.
11:41Ça a été très difficile par moments.
11:45Après, ça ne reste que du bateau, ce n'est pas ma santé.
11:49Mais c'était parfois aussi des attaques sur des choses intimes.
11:53Ça a été très difficile et ça m'a fait grandir sur plein d'aspects.
11:57Mais j'ai laissé pas mal d'énergie sur d'autres aspects que le sportif.
12:0380% de mon énergie était sur autre chose que le sportif.
12:07C'est parfois frustrant pour un sportif.
12:11Je ne dis pas que j'ai tout bien géré, j'ai fait ce que je pouvais.
12:15Mais oui, c'était dur.
12:17Et même sportivement, ça a été dur.
12:19Tes transats ont été durs et éprouvantes.
12:21Oui, elles ont été éprouvantes.
12:23Après, j'ai eu surtout une grosse casse sur la troisième transat à laquelle j'ai participé.
12:31Dans le cadre de cette préparation, j'ai eu une cloison qui a pété.
12:35C'était un coup dur parce qu'une fois de plus, il fallait que je termine la course.
12:37Il a fallu se dérouter.
12:39Il a fallu que l'équipe fasse une mission commando de réparation.
12:41C'était dur, mais finalement, je l'ai assez bien vécu.
12:45Ça fait partie de la mer.
12:49Ça fait partie des aléas pour lesquels il y a un peu la roulette ruse.
12:55Ça dépend un peu de notre niveau de préparation.
12:57Mais globalement, c'est quelque chose de la vie du marin.
13:01En mer, ça a été dur.
13:03Surtout parce que j'ai eu du mal à trouver le curseur par rapport à ce stress de devoir terminer les courses,
13:09à pouvoir prouver que c'était possible de se qualifier.
13:11J'ai eu du mal.
13:13C'était pas facile pour moi.
13:15Un coup, j'étais en mode compète.
13:17Un coup, je me disais que je suis en train de trop risquer.
13:19Mettons les deux pieds sur les freins.
13:21J'ai beaucoup oscillé.
13:23Par contre, j'ai quand même énormément appris.
13:25J'ai passé du temps en mer.
13:27Même quand de l'extérieur, ça pouvait ne pas forcément se voir en termes de perfs,
13:31j'étais quand même à fond sur toutes les optimisations sur lesquelles je pouvais être.
13:37C'était pas négatif pour moi.
13:39Les étudiants en mer m'ont clairement apporté ce qu'ils avaient à m'apporter.
13:45Mais oui, même en mer, c'était pas un long fleuve tranquille.
13:47Mais ça l'est rarement, ça, de toute façon.
13:49Est-ce que l'envie de se retrouver seule en mer, la ligne franchie pour partir pour trois mois,
13:55est encore plus importante là ?
13:59L'envie de quitter tout ça, tous ces problèmes, et rentrer enfin dans cette course ?
14:03Si je me suis battue autant, c'est parce que j'avais envie d'être au départ de ce Vendée Globe
14:08et de faire ce Vendée Globe, de passer X semaines sur l'eau.
14:12Donc oui, il y a un côté paradoxal où il y a une forme de soulagement
14:18une fois qu'on est sur l'eau et qu'il n'y a plus que les problèmes du marin.
14:21Pourtant, ils sont nombreux et fatigants et durs émotionnellement,
14:24mais paradoxalement, ils sont aussi assez simples dans leurs composantes moins variées.
14:31Parlons des problèmes terrestres, une dernière fois, une bonne fois pour toutes.
14:35Raconte-nous tes péripéties dans l'ordre que tu veux.
14:37D'abord, le changement de sponsor. Ensuite, les polémiques sur la communication sur le Vendée Globe précédent.
14:42Oui.
14:43Raconte-moi.
14:44Alors, comment faire sa cour ?
14:49Je vais essayer de faire ça bien.
14:51Après le dernier Vendée Globe, ça faisait longtemps qu'avec mon mari, on voulait un enfant.
14:57Mais pour une femme, quand on a des objectifs sportifs,
15:00quand son métier c'est d'être sportif, ce n'est pas toujours facile de savoir quand les caser.
15:05Jusqu'à 2021, j'avais toujours mis ça de côté.
15:09J'ai annoncé en 2021, après le Vendée, que je ne voulais plus mettre ça de côté,
15:13que je voulais que ça fasse partie de mes objectifs à court et moyen terme,
15:18mais que je voulais aussi continuer dans l'univers du Vendée Globe et de l'IMOCA,
15:24parce que je pensais avoir encore des choses à faire dans ce milieu-là.
15:30Ça a été assez vite, assez difficile.
15:34Je n'ai pas du tout envie de pointer du doigt une individualité en particulier.
15:39C'est une somme de choses qui ont fait que ça a été assez difficile,
15:42parce que par définition, la maternité, ce n'est pas quelque chose qu'on met dans un tableau Excel,
15:46ce n'est pas quelque chose qu'on prévoit sur une date.
15:49J'ai moi-même été extrêmement perdue par rapport à ça.
15:52Je vais donner un exemple très concret.
15:54Sur le Vendée Globe, je n'ai pas eu mes règles pendant quatre mois.
15:57Comment on fait en tant que femme pour continuer à naviguer,
16:01en se disant est-ce que j'hypothèque mes chances de tomber enceinte ?
16:04Si je suis enceinte au départ d'une course, qui va m'en vouloir ?
16:08Comment on va le gérer ?
16:10J'ai été complètement perdue.
16:12Je me suis sentie très seule par rapport à toutes ces problématiques-là,
16:15parce qu'à la fois, une fois de plus, ce n'est rien de grave,
16:18on ne parle que de bateau, mais c'était quand même mon métier.
16:21Ça s'est assez mal fini,
16:23puisque mon sponsor, qui s'était engagé auprès de moi,
16:26a décidé de...
16:28Comme je n'avais pas pu naviguer pendant un certain temps,
16:30j'avais pris du retard par rapport à la qualification,
16:32donc je représentais un risque.
16:34Ils n'ont pas voulu prendre ce risque-là.
16:37J'ai très clairement, et je l'ai dit, pas du tout compris
16:41cette envie de communication.
16:44J'ai compris leur façon de voir le risque,
16:46mais je n'ai pas compris comment, en tant que sponsor,
16:48on pouvait décider de choisir ce message-là vis-à-vis des femmes.
16:52Pour moi, quand on fait du sport,
16:54notre seule valeur ajoutée à la société,
16:57elle est de l'ordre des valeurs et de l'inspiration.
16:59On ne sauve pas le monde.
17:01On n'est pas chirurgien, on n'est pas éboueur.
17:03Notre seule valeur ajoutée, elle est de l'ordre du message
17:06qu'on renvoie aux gens, donc je n'ai pas compris
17:09comment on pouvait envoyer ce message-là
17:12aux femmes françaises et autres.
17:16J'ai eu beaucoup de chance d'être ensuite
17:20entre de bonnes mains pour recréer un projet assez vite,
17:23ce qui n'était pas facile parce qu'à l'époque,
17:25j'avais un petit bébé de deux mois dans les bras.
17:27Donc, ça a été beaucoup de boulot.
17:29Il y a eu la main tendue d'Alex Thompson
17:31parce qu'il fallait vraiment se dépêcher
17:33et retrouver un bateau, pouvoir avoir une chance
17:35d'être quelques mois plus tard sur l'eau.
17:37Sinon, je n'avais aucune chance de me qualifier.
17:39Et c'est là que l'Occitane aux Provences est arrivée.
17:42J'avais déjà discuté avec eux quelques temps auparavant
17:45et ils ont été parfaits parce qu'ils ont réagi
17:49et on avait très peu de temps pour prendre des décisions.
17:52Ils ont compris ça et ils m'ont accompagnée.
17:54Ils m'ont fait sentir que c'était possible
17:57d'avoir un sponsor bienveillant
17:59et qu'ils comprenaient aussi les risques liés à ma situation.
18:05Ensuite, tout s'est enchaîné très vite
18:08avec une mise à l'eau en juillet 2023,
18:11deux transats à l'automne.
18:14Moi qui commençais en janvier 2024,
18:17j'avais une petite fille qui avait un peu plus d'un an.
18:20Je commençais à me sentir mieux dans mon corps,
18:22mieux dans ma tête, à mettre de côté
18:24cette parenthèse de la maternité,
18:26que ce soit avant, pendant, après,
18:28que j'avais trouvée difficile émotionnellement et physiquement.
18:34Et là, il m'est arrivé un truc que je n'ai pas vu venir.
18:37Mon mari et moi, on s'est retrouvés accusés
18:41d'avoir potentiellement triché sur le Vendée Globe 2020.
18:46C'est quelque chose que je n'aurais jamais imaginé.
18:52Malheureusement, encore aujourd'hui,
18:54je n'ai jamais eu l'occasion de pouvoir dire
18:57tout ce que je pensais de cette histoire-là.
18:59Et ce n'est pas maintenant que je vais le faire,
19:01parce que j'ai autre chose à faire.
19:02J'ai une course à aller faire.
19:04Je sais ce que j'ai fait, ce que je n'ai pas fait.
19:06Je sais aussi ce que le jury a décidé.
19:08Je sais ce qui s'est dit pendant le jury,
19:10y compris des directeurs de course
19:12qui m'ont évoqué l'ambiance globale sur un Vendée Globe.
19:16Je sais que j'ai été innocentée après le jury,
19:18qu'on a été innocentée.
19:20Je sais qu'encore aujourd'hui,
19:21il y a des gens qui continuent de parler dans notre dos.
19:24Ça, ça me rend triste pour le monde de la voile
19:27et pour tout simplement les valeurs humaines,
19:29parce que je pense que c'est des gens
19:31qui pourraient venir me parler en direct.
19:33Je pense que malheureusement,
19:35mes deux histoires sont complètement liées.
19:39Il y avait des gens qui voulaient juste
19:40pas que je sois au départ du Vendée Globe.
19:43Maintenant, j'essaie de mettre cette histoire derrière moi.
19:45Ce n'est pas toujours facile,
19:46parce qu'en tant que sportive,
19:49tu as envie de te concentrer sur ta passion,
19:51sur ton métier, sur ton bateau, sur ton équipe.
19:56À mille reprises, j'ai dû me concentrer
19:58sur des choses complètement extérieures
20:02au concret de mon projet
20:04et à toutes les urgences qu'on a
20:05dans ces projets très exigeants de Vendée Globe
20:07et avec ces calendriers très chargés.
20:11Et voilà, j'ai rien caché,
20:16plusieurs fois j'ai eu envie de tout envoyer balader,
20:18parce que je considère que c'est un métier privilège,
20:20c'est un métier passion.
20:23On se doit d'une certaine façon
20:24de faire ça avec le sourire,
20:25même s'il y a des moments difficiles.
20:28Pendant toute une période,
20:29je n'avais plus du tout le sourire,
20:30je n'avais plus envie d'évoluer dans ce milieu-là.
20:33Mais je me suis rattachée à la mer,
20:36au bateau, à ce que j'aime.
20:38Et ça a été une excellente surprise
20:40sur la Transat CIC,
20:41malgré les déboires techniques,
20:45d'être heureuse d'être sur l'eau.
20:47Donc c'est tout ce à quoi je me rattache,
20:49c'est tout ce qui m'importe
20:51et c'est tout ce que je viens chercher
20:53sur Vendée Globe en fait.
20:56Bien sûr, je suis une compétitrice,
20:57j'ai envie de faire le mieux possible
20:59et c'est ce que je vais faire.
21:03Mais finalement, aujourd'hui,
21:05toutes ces histoires ont eu le mérite
21:06d'énormément élaguer les raisons
21:09pour lesquelles je vais sur l'eau.
21:12Et globalement, je me sens bien en mer
21:14et c'est tout ce que je viens chercher.
21:21Alors, il y aura quand même une nouveauté
21:22par rapport à l'édition précédente.
21:25C'est Mathilda, c'est la maternité.
21:28Vous allez être le deuxième couple à vivre ça,
21:31être tous les deux compétiteurs en même temps
21:35et raconte-nous un peu d'abord
21:38comment vous avez appréhendé le truc
21:40et quelle organisation vous allez mettre en place.
21:43Oui, c'est sûr que ce n'est pas anodin
21:46d'être un couple sur le Vendée Globe,
21:47histoire de complexifier encore un peu plus
21:49tout le schmilblick.
21:50Il se trouve qu'on est deux à partir
21:52avec une petite fille qui va bientôt avoir deux ans.
21:54Parfois, je me demande un peu comment on fait.
21:57Encore une fois, c'est une chance,
21:58c'est un privilège.
21:59On vit tous les deux un rêve
22:00et c'est juste que ça vient avec un coût
22:02en termes de temps et d'énergie.
22:06On a de la chance d'être hyper bien entourés
22:08par nos équipes, par notre famille.
22:11Mathilda est un peu un troisième parent en ce moment
22:13puisque c'est ma belle sœur,
22:14la petite sœur de Tanguy,
22:15qui vit avec nous à l'année
22:17et qui s'en occupe quand on est sur l'eau
22:19et qui vient absorber un peu
22:20tous ces inconnus, ces imprévus
22:23qu'on a forcément dans le métier de skipper,
22:26en plus avec tous les aléas techniques et météo.
22:32En vrai, on ne sait pas encore très bien
22:34comment on va faire pour vivre ça.
22:36Sur les transats précédents,
22:37ça s'est assez bien passé.
22:39On est dans une certaine forme
22:41de retenue l'un envers l'autre
22:43par rapport à...
22:45Voilà, encore une fois,
22:46sur le dernier Vendée,
22:47j'ai beaucoup échangé avec Tanguy.
22:49Il m'a beaucoup soutenue moralement.
22:52Et ça, c'est quelque chose
22:53qui disparaît un peu sur ce Vendée Globe
22:55parce qu'on est obligés
22:56de se préserver l'un l'autre.
22:57On ne peut pas...
22:58On va forcément partager,
22:59mais on ne peut pas se permettre
23:03d'avoir une relation déséquilibrée
23:04avec l'un qui soutient l'autre.
23:06Donc ça, ça va être différent.
23:08Mais je pense que, moi,
23:10pour ma psychologie, c'est plutôt mieux.
23:12Je pense que ça permet
23:14de clarifier les choses aussi.
23:16Et puis après, avoir une petite fille,
23:19c'est sûr que ce n'est pas facile
23:21de la quitter.
23:22Ça grandit tellement vite,
23:23ça évolue tellement vite
23:24que quand on part presque trois mois,
23:26ça va être un peu un gros tiraillement,
23:29même, je pense, au moment de partir.
23:32Mais ça a toujours fait partie.
23:34Depuis qu'elle est née,
23:35j'ai ce truc-là en tête.
23:37Tanguy aussi.
23:38Et on va gérer.
23:44En fait, moi, je lui vois
23:45plutôt une force qu'une faiblesse.
23:46C'est sûr qu'il y a des moments de manque
23:48et on s'inquiète pour elle.
23:49Moi, le seul truc
23:50qui me fait vraiment peur,
23:51c'est l'idée qu'il puisse lui arriver
23:52quelque chose
23:53quand on est tous les deux en mer.
23:54Ça, c'est vraiment le truc
23:55que si je devais avoir une peur,
23:57une inquiétude, c'est celle-ci.
23:58Après, dans la vie,
24:00il y a des problèmes.
24:01Il y en a tout le temps.
24:02Donc, ce n'est pas que
24:03dans cette situation-là
24:04que ça peut être compliqué.
24:05C'est un peu la vie de parent
24:06qu'on découvre aussi.
24:08Mais par contre,
24:09quand je suis sur l'eau,
24:10même si elle me manque,
24:11c'est plutôt une force.
24:12Je pense à elle.
24:13C'est quelque chose de positif.
24:15Je sais qu'elle est bien entourée.
24:17Je ne m'inquiète pas pour elle
24:18plus que ça.
24:19Et elle est encore petite.
24:20Donc, en fait, paradoxalement,
24:23pour avoir discuté
24:24avec d'autres skippers,
24:25même si elle comprend en partie,
24:27elle ne comprend pas tout.
24:28Et il y a une partie
24:30des explications
24:31qui est plus facile à donner.
24:33Pour l'instant,
24:34je pense que ça aide.
24:36Du coup, ça serait quoi pour toi
24:38un deuxième Vendée Globe réussi ?
24:41Un deuxième Vendée Globe réussi ?
24:46Quand même,
24:47il y a un moment donné,
24:48il faut le terminer, le Vendée Globe.
24:49Ça, c'est un peu la base
24:51pour qu'il soit réussi.
24:52Je pense qu'en fonction de...
24:54Si jamais il devait y avoir un problème,
24:56en fonction de comment ça se passe,
24:57tu peux quand même te dire
24:58que le Vendée Globe est réussi.
25:00Moi, il y a une partie
25:01de mon Vendée Globe
25:02qui est déjà réussie
25:03d'être sur la ligne de départ quand même.
25:04Ça, c'est assez différent
25:05de la dernière fois
25:06où tout commençait...
25:07En fait, toute la pression
25:09était à partir du départ.
25:10Là, moi, j'avais une pression
25:12qui était d'être au départ.
25:13Et ça, c'est gagné.
25:17Et après, moi,
25:18j'ai envie de faire mieux
25:19que la dernière fois.
25:20J'ai envie de pouvoir pousser.
25:22La dernière fois,
25:23j'avais mis mon curseur de risque
25:24assez bas.
25:25J'ai envie qu'il soit plus haut.
25:26J'ai envie de me sentir
25:28mieux en mer
25:29dans le sens où
25:30de mieux gérer mes émotions,
25:31d'avoir moins de coups bas.
25:34Enfin, de moral bas.
25:38De faire une belle course,
25:39d'avoir une belle trajectoire.
25:41En termes de chiffres,
25:42si je pouvais faire un top 10,
25:44ça serait génial.
25:47Voilà, de me battre
25:48avec des bateaux de ma génération.
25:49Enfin, il y a plein de façons
25:50d'essayer de caractériser
25:53un Vendée Globe réussi.
25:54Mais intimement,
25:56c'est un ressenti
25:58qui est encore difficile
25:59à expliquer
26:00un Vendée Globe réussi.
26:02C'est savoir pourquoi on est là.
26:05C'est se sentir bien sur l'eau.
26:06Et ça, c'est des choses
26:07assez intimes
26:08pour lesquelles j'ai du mal
26:09à trouver les mots.
26:11Qu'est-ce qui te reste
26:13comme souvenir
26:15des éditions précédentes ?
26:16Cette année, c'est la dixième.
26:18Qu'est-ce qui a
26:22marqué ton imaginaire ?
26:25Quels skippers ?
26:26Quelles images ?
26:27Quelles histoires ?
26:29Je n'ai pas commencé
26:30à suivre le Vendée
26:32très, très tôt.
26:34La première édition
26:35que j'ai vraiment suivie,
26:36c'était 2012-2013.
26:38Avant ça,
26:39je les ai suivies à posteriori
26:41via des récits
26:42et des documentaires.
26:44La vraie première image
26:45qui m'a marquée émotionnellement
26:47dans le sens où je l'ai vécue,
26:49c'était l'arrivée
26:50en 2012,
26:51avec le peu de distance
26:54avec Armel.
26:57C'était quelque chose
26:58d'assez fascinant.
26:59Toute la remontée
27:00de l'Atlantique
27:01et l'émotion des marins
27:03à l'arrivée,
27:04c'est la première.
27:06De toute façon,
27:07très transparente.
27:08C'est la première image
27:10qui me vient.
27:11Après, dans les récits,
27:14c'est souvent les récits
27:15qu'on suit à posteriori.
27:17C'est souvent les récits
27:19de sauvetage,
27:20les récits de choses
27:21assez extraordinaires.
27:23Yves Parlier
27:24qui reconstruit son mât,
27:26le sauvetage de Thierry Dubois.
27:28Il y a des choses
27:29assez légendaires,
27:30un peu héroïques,
27:31comme ça.
27:32Thierry,
27:33je ne sais pas
27:34si j'ai envie
27:35de m'identifier
27:36à sa péripétie,
27:37mais des gens
27:38comme Yves Parlier,
27:39c'est vrai
27:40que c'est assez fascinant.
27:42Pour être moi-même
27:43skipper d'Imoca,
27:44je ne sais même pas
27:45comment il a fait
27:46un truc pareil.
27:47C'est grandiose.
27:49Merci beaucoup.

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