• il y a 2 mois
Gilles Kepel, professeur des universités et spécialiste de l'islam et du monde arabe contemporain, était l'invité de News Box ce samedi 19 octobre. 

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00:00Bonsoir Gilles Kepel. Merci d'être avec nous ce soir dans Moosebox sur BFM TV.
00:05Ce tir de drone depuis le Liban visant la résidence privée de Benyamin Netanyahou, une première.
00:11Voyez-vous un message adressé par les ennemis d'Israël après les événements de cette semaine et notamment la mort du chef du Hamas tué par Tzahal ?
00:21Oui indéniablement, non seulement c'est une réplique d'une certaine manière à l'élimination de Yair Yassinouar qui veut dire
00:30Netanyahou n'est pas à l'abri de subir le même sort d'une certaine manière, ce n'est pas encore fait mais en tout cas c'est un signe.
00:37Et c'est aussi quelque chose qui tente d'établir une sorte d'équilibre après cette espèce de victoire de guerre numérique
00:45qui a été celle d'Israël quand il a fait exploser les bipers au Liban parmi les responsables du Hezbollah.
00:54Ensuite l'élimination de tous les chefs qui ont été trouvés dans leur bunker.
00:59D'une certaine manière ça montre que dans cette guerre personne n'est à l'abri et qu'Israël en dépit de son immense supériorité numérique n'est pas sans faille.
01:09Et ça bien sûr c'est un message qui a pour but de rétablir les équilibres si vous voulez.
01:15Ça n'a sans doute pas été quelque chose qui était décidé par un tireur isolé au Liban, ça a été pensé par ce qu'on appelle l'axe de la résistance,
01:25c'est-à-dire les puissances hostiles à Israël dans la région et ça remet en cause un certain nombre d'idées qui pouvaient y avoir
01:33selon lesquelles ça y est Israël a gagné la guerre, le Hezbollah est dans les choux, maintenant on va attaquer l'Iran, etc.
01:41Ça n'est pas si simple, on le voit déjà même au sud du Liban où en dépit de l'élimination de Nasrallah et de l'état-major du Hezbollah,
01:52aujourd'hui l'armée israélienne, les fantassins sont à la peine puisqu'ils ont été accrochés par un certain nombre de tirs du Hezbollah.
02:01L'armée israélienne est même allée tirer sur des casernes de la Finul en disant qu'il y avait des gens cachés dessous.
02:10Donc si vous voulez, il y a là quelque chose, il y a un engrenage qui se produit par le bas d'une certaine façon qui rétablit une sorte, une forme d'équilibre.
02:23A savoir, tu es si noir, d'accord, il a été tué, mais néanmoins les adversaires d'Israël ne sont pas eux complètement démunis.
02:32Je crois que c'est le sens de ce message et bien évidemment il a une signification très profonde.
02:37Cette guerre est aussi celle des drones, Gilles Kepel.
02:42Oui, indéniablement et cette guerre des drones, c'est quelque chose qui ne se limite pas au champ bataille moyen-orientale
02:57parce que les drones finalement, il peut y en avoir partout et la guerre asymétrique, la guerre du pauvre, elle peut se produire un peu partout.
03:08Je vous parle ici de la Grande-Motte où la synagogue a été attaquée par un immigré algérien illégal qui avait voulu mettre le feu cet été en rétorsion aux attaques israéliennes contre la bande de Gaza.
03:27On voit bien qu'il y a un moment où la guerre des drones peut être menée par des individus qui sont simplement équipés d'une machinerie et qui n'ont pas besoin d'avoir une artillerie, etc.
03:44C'est une guerre qui passe sous les radars, vous l'avez signalé tout à l'heure, le drone est difficile à attraper et c'est bien sûr extrêmement inquiétant pour la prolifération à l'échelle internationale.
03:54C'est d'ailleurs aussi un drone, Gilles Keppel, qui a filmé les derniers instants de Yahya Sinoir dans la bande de Gaza. Il a été tué cette semaine par l'armée israélienne.
04:04Ces images ont été diffusées par l'armée israélienne, ce qui fait dire à certains que ce serait totalement contre-productif et que ça ferait encore plus de Sinoir peut-être un martyr au lieu des Palestiniens, de certains Palestiniens.
04:19Alors ça c'est un débat qui n'est pas encore tranché parce que vous avez effectivement un certain nombre de gens qui considèrent que Sinoir est un shahid, c'est-à-dire un martyr en arabe, qu'il a été tué par l'ennemi sioniste entre guillemets.
04:34Et d'autres qui considèrent que finalement Sinoir qui a déclenché l'attaque du 7 octobre, qui a eu pour conséquence un embrasement dans la région, 42 000 morts probablement dans la bande de Gaza, 100 000 blessés, 2 millions déplacés, sans qu'il y ait véritablement un gain politique quelconque, sauf de mettre éventuellement la question palestinienne sur la carte.
04:59Mais aujourd'hui on en est un peu au même point, tout cela fait que Sinoir a pris en otage la population palestinienne pour ses propres objectifs et que finalement on n'a pas abouti à grand chose.
05:11Donc pour l'instant dans les capitales arabes, dans les populations arabes, les réactions sont assez ambivalentes d'une certaine manière.
05:19Au sein de l'appareil dirigeant du Hamas, Gilles Keppel, au gré des éliminations, qui reste-t-il pour succéder à Yahya Sinoir aujourd'hui ?
05:29Alors ça c'est très difficile à dire parce que Sinoir avait pour caractéristique de diriger le Hamas internationalement, si j'ose dire, à partir des tunnels de la bande de Gaza.
05:40Et donc il avait une capacité absolue, une légitimité disons totale, et d'ailleurs il régnait par la terreur, y compris sur ses troupes.
05:49Aujourd'hui c'est différent, autant qu'on sache qu'il n'y a plus personne dans la bande de Gaza, dans les tunnels, qui est capable de diriger l'organisation ou ce qu'il en reste à partir de sa base principale.
06:02Et l'essentiel des dirigeants dont on imagine qu'ils puissent diriger le mouvement sont situés à l'étranger et notamment à Qatar.
06:13A Qatar où bien évidemment ils sont beaucoup plus influençables par les organismes internationaux.
06:20Le Qatar lui-même est en relation avec les Etats-Unis, avec le reste du monde, et bien évidemment les dirigeants du Hamas qui seraient à Qatar sont, disons, moins libres de leur décision que ne l'était Sinoir au fond des tunnels.
06:39Et ça c'est, on va voir ce qui va être décidé pour l'instant, on n'a pas encore d'informations, mais c'est évidemment quelque chose qui va peser lourd dans la balance.
06:47Que reste-t-il du Hamas sur le plan des hommes et sur le plan des moyens, sur le plan logistique, comment le savoir vraiment ?
06:56Alors la stratégie israélienne ça a été d'asphyxier Hamas.
07:01D'abord par une répression extrêmement violente, par des bombardements qui ont touché bien sûr les combattants mais aussi de très nombreux civils.
07:11Ce qui a bien sûr semé la désolation et la terreur dans la bande de Gaza, mais ce qui a aussi fait perdre à Israël un certain nombre d'alliés, notamment en Occident, dans la jeunesse, avec les manifestations nombreuses qu'on a vues aux Etats-Unis, en France, etc. dans les universités.
07:29Mais également l'asphyxie a consisté à occuper les tunnels qui étaient sous ce qu'on appelle le corridor de Philadelphie, qui approvisionnaient entre le Sinaï égyptien et la bande de Gaza le Hamas en munitions, en armes, etc.
07:48Et d'une certaine manière, Hamas s'est retrouvé d'une certaine façon sans véritable capacité d'action.
07:55Et c'est la raison pour laquelle probablement Sinoir est sorti et a cherché, on ne sait pas exactement où pour l'instant, à s'enfuir.
08:05Et c'est ainsi qu'il a été intercepté. Alors quand il était au fond des tunnels, il était très difficilement trouvable.
08:12C'est à partir de ce moment-là que les Israéliens ont décidé de déployer leurs forces vers le Liban, pensant en éliminant Nasrallah et l'état-major militaire du Hezbollah,
08:26pouvoir se débarrasser de la menace qui était celle de leur front nord, qui leur lançait des missiles dessus, et ensuite à partir de là exposer l'Iran, puisque le Hezbollah était le rempart avancé de l'Iran qui protégeait son territoire.
08:41Aujourd'hui, l'Iran est en première ligne. Il est exposé. Simplement, pour attaquer l'Iran, il faudrait un feu vert des dirigeants américains.
08:50Or, M. Biden a dit « Niet », puisque aujourd'hui, c'est la campagne électorale aux États-Unis.
08:56S'il y avait une attaque sur l'Iran menée par M. Netanyahou, ça aurait probablement des conséquences immédiates sur un embrasement local et aussi sur l'augmentation des prix du pétrole.
09:07Et en campagne électorale, celui qui serait tenu responsable ou la vice-présidente duquel serait tenu responsable de l'augmentation des prix du pétrole, ça voudrait dire que ça donne un avantage très net à Trump.
09:20Restez avec nous, Gilles Kepel, puisque vous parlez de Joe Biden. Retrouvons Antoine Lallard, le correspondant de BFM TV aux États-Unis. On revient vers vous, Gilles Kepel, dans quelques instants.
09:28Bonsoir, Antoine. Alors certes, un certain nombre de dirigeants, notamment Joe Biden, estiment que la mort de Yahya Sinwar, le chef du Hamas, ouvre une nouvelle perspective pour un cessez-le-feu.
09:37Néanmoins, avant cela, c'était cette semaine, Joe Biden avait ou les États-Unis avaient mis en garde Israël.
09:47Oui, exactement. Les États-Unis ont lancé un ultimatum à Israël en disant qu'il faut impérativement faire rentrer plus d'aide humanitaire au nord de Gaza.
09:57Faute de quoi Washington arrêtera purement et simplement de fournir des armes à Israël.
10:02C'est la première fois que les États-Unis menacent aussi ouvertement de fermer le robinet.
10:08Alors concrètement, Israël a 30 jours pour se plier aux exigences américaines et il y a des objectifs chiffrés.
10:14Les Américains veulent voir entrer chaque jour au minimum 350 camions au nord.
10:19Pour le moment, on est encore très loin des comptes. On est autour de 12 à 30 camions par jour. C'est évidemment insuffisant.
10:24Alors ce qui est intéressant, c'est que cette simple menace qui a été formulée il y a trois jours a déjà permis de faire bouger les lignes de façon quasiment immédiate.
10:31Israël a ouvert un nouveau point de passage et a fait rentrer plus de camions.
10:35C'est vrai que la question des armes, c'est le moyen de pression le plus efficace parce qu'Israël est très dépendant des États-Unis.
10:42Les États-Unis fournissent 70% des équipements militaires israéliens.
10:47Alors certains aujourd'hui se demandent pourquoi Joe Biden a attendu aussi longtemps avant d'acceler ce levier.
10:52Alors que depuis des mois, la diplomatie américaine est en échec face à un Benyamin Netanyahou inflexible.
10:57Les mauvaises langues disent que cette menace américaine au fond n'est qu'un coup de com' un calcul politique à trois semaines de l'élection présidentielle.
11:04Une façon peut-être pour Joe Biden d'amadouer une partie de la gauche américaine qui depuis des mois réclame un embargo sur les armes.
11:11Merci beaucoup. Merci Antoine. Antoine Lallard en direct des États-Unis pour BFM TV.
11:14Gilles Kepel, il n'y a que les États-Unis qui puissent infléchir Netanyahou et sa stratégie dans la bande de Gaza en particulier ?
11:23C'est l'acteur principal même s'il est empêtré puisque Biden n'est pas plus vraiment président.
11:31D'une certaine façon, il a eu relativement peu de pouvoir.
11:34Et à partir du moment si les résultats sont proclamés le 5 novembre où il y aura un président élu,
11:40il sera lui-même ce qu'on appelle un président canard boiteux, lame duck en anglais,
11:44puisqu'il ne pourra plus vraiment prendre de décisions et son successeur ne pourra pas encore les prendre.
11:49Et donc c'est un espace dans lequel Netanyahou peut faire en principe ce qu'il voudrait.
11:53Mais on voit bien que aussi bien les États-Unis que les États d'Europe occidentale, la France, l'Italie, le Royaume-Uni, l'Allemagne,
12:03qui globalement ont répété leur soutien inflexible au droit à Israël, à l'existence qui avait été menacée par l'attaque du Hamas,
12:11commencent aujourd'hui à s'impatienter face à la politique de M. Netanyahou lui-même.
12:16Et dans la perspective où on passe un stade du conflit, c'est-à-dire que Yassin Noir a été éliminé,
12:24que donc on va s'acheminer vers une autre solution régionale que faire de l'Iran comme entrée en jeu,
12:31on sent bien que de la part d'un certain nombre de dirigeants occidentaux aujourd'hui,
12:35tout en considérant qu'il faut soutenir le droit à Israël à exister indéniablement et sans faire aucune concession,
12:44néanmoins Netanyahou n'apparaît plus comme l'homme de la situation.
12:48Et c'est ça je crois qui est aujourd'hui le message donné.
12:51Vous avez remarqué hier du reste qu'en Israël même, c'est M. Galante, le ministre de la Défense,
12:57qui est bien mieux vu aux Etats-Unis que Bibi Netanyahou, qui a pris la parole une demi-heure avant son chef,
13:03ce qui est tout à fait paradoxal dans une hiérarchie.
13:05C'est un peu ce que j'appelle, si vous voulez, ce bouleversement du monde.
13:09C'est le livre que je défends ici à la Grande Motte, au festival,
13:13pour expliquer comment le Moyen-Orient, ce qui se passe au Moyen-Orient,
13:17est en train de changer les rapports de force mondiaux.
13:21Je crois que ça c'est quelque chose qui est en train de se jouer en ce moment de manière très précise.
13:25À propos de l'Iran, justement, contre lequel Israël n'a d'ailleurs pas encore riposté,
13:30le G7 appelle ce soir à l'instant l'Iran à cesser de soutenir le Hamas, le Hezbollah et les Houthis.
13:37Ça sert à quoi ce genre de mise en garde, vraiment ?
13:39Mais probablement à ce qu'il y a le sentiment aujourd'hui que les dirigeants iraniens, il y a quelque chose qui se passe.
13:48Il y a des choses bizarres.
13:49L'ancien président Raisi qui est mort dans cet accident d'hélicoptère,
13:54dont beaucoup disent qu'au moins le temps était Mossade, avec le jeu de mots délibéré,
13:59quand son hélicoptère est tombé.
14:01Haniyeh qui a été tuée, le patron du Hamas, à Téhéran, dans une résidence sécurisée,
14:06les gardiens de la Révolution, toutes sortes d'autres choses.
14:08Comme s'il y avait au sommet du système iranien un certain nombre de gens qui se disent
14:13« Attention, ça va trop loin. Le Hezbollah est maintenant bien abîmé, ne peut plus nous défendre.
14:20Est-ce qu'il faut continuer à aller dans une politique radicale comme celle qu'on a menée
14:25et qui va nous mener dans le mur et amener la destruction de l'Iran ? »
14:30Un peu comme si vous voulez, les soviétiques en 1989, après le départ de l'armée rouge battue de Kaboul,
14:39ont dit « Oulala, on va faire attention. »
14:41Et quelques mois plus tard, c'était la chute du mur de Berlin,
14:44ce qui a permis de sauver ce qui était sauvable de la Russie, si vous voulez.
14:47Donc tout ça s'est perçu et je pense que ces pressions sur l'establishment
14:53et les dirigeants iraniens vont dans ce sens-là.
14:56Il y a toute une scène diplomatique qui bouge à l'arrière-plan.

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