• il y a 3 mois
France Inter met en ligne ce jeudi son podcast "Samuel Paty, l'école face au terrorisme". Une enquête signée Sara Ghibaudo et Sonia Princet en huit épisode. Suzann, professeure de français au collège Bois-d ’Aulne, et Anis, ancien élève de Samuel Paty, sont les invités de 7h50.

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Transcription
00:00Suzanne, vous êtes professeure de français au Collège du Bois d'Aulne où enseignait votre collègue.
00:05Bonjour.
00:06Bonjour.
00:07Et à vos côtés, Anis, qui vient juste d'entrer en seconde.
00:12Samuel Paty, c'était ton prof d'histoire-géographie lorsque tu étais en sixième.
00:16Bonjour Anis.
00:17Bonjour.
00:17Sois le bienvenu, on entend ta voix dans le podcast.
00:22Alors, ça n'a pas duré très longtemps, les cours avec Samuel Paty, parce qu'il est mort un 16 octobre
00:28et que la rentrée, c'était début septembre.
00:30C'est quoi ton dernier souvenir avec lui ?
00:34C'était mon dernier cours avec lui, le vendredi juste avant les vacances.
00:39J'avais cours avec lui à 17h, juste avant que le terrible drame arrive.
00:45Et alors, qu'est-ce qu'il y avait dans ce cours ?
00:46Vu que c'était les vacances, on avait regardé un film.
00:49Ah, on avait le droit de ne pas trop travailler.
00:51Exact.
00:52Et alors, c'était quoi le film, tu te souviens ?
00:53C'était un film sur les homosapiens, sur les hommes de Cro-Magnon, de la préhistoire.
00:58Ah, ok. Et donc, ça t'a marqué ?
01:01Oui.
01:02Ça t'a marqué.
01:03Et vous, Suzanne, votre dernier souvenir de Samuel Paty avant ce 16 octobre ou le 16 octobre ?
01:11Le 16 octobre, l'image qui me reste, c'est Samuel dans le couloir qui donnait sur sa salle de classe,
01:21la salle 215, qui récupère ses élèves pour les faire entrer.
01:27Je me souviens qu'il avait le visage fermé.
01:30Il regardait le sol, il regardait ses pieds.
01:33Ça m'avait assez attristée de le voir si fermé.
01:37On sentait bien qu'il n'avait pas son comportement habituel.
01:42Voilà, c'est vraiment la dernière image que j'ai de lui.
01:44Je crois que c'est la dernière fois que je l'ai croisé le 16 octobre.
01:48Vous êtes combien de professeurs au collège ?
01:51On est...
01:52Parce que c'est un petit établissement.
01:53Ouais, on est en une cinquantaine, me semble.
01:55Donc, vous vous connaissez tous.
01:57Oui.
01:57Et vous vous parlez beaucoup.
01:58Et puis, ces derniers jours, vous vous étiez beaucoup, beaucoup parlé.
02:01Oui.
02:02On va le raconter.
02:03Donc, Samuel Paty accusé de racisme par des parents après un cours sur les caricatures de Mahomet.
02:08Et donc, interpellé par un imam.
02:10Tout ça, cette mécanique-là, elle est décrite dans le podcast.
02:14Il a été décapité à 300 mètres du collège.
02:16Anis, toi, t'étais petite, t'étais en sixième.
02:20Est-ce que t'étais trop petite à l'époque pour comprendre qu'il était en train de se passer quelque chose de grave dans les jours qui précédaient ?
02:26Est-ce que, par exemple, t'allais déjà sur les réseaux sociaux ?
02:29À cette époque, j'avais pas de téléphone.
02:30Donc, j'étais pas au courant de tout ça, mais j'avais entendu quelques rumeurs dans la cour, etc.
02:36Des rumeurs ? Qui en parlait, par exemple ?
02:38C'était surtout les grands du collège, mais quand on passait à côté d'eux, on entendait un petit peu.
02:42Mais on n'y prêtait pas trop attention.
02:44Donc, c'était les élèves qui parlaient ?
02:46Oui.
02:47Et vous, Suzanne, vous revoyez encore les parents, des parents, réclamer qu'on vire ce prof malade ?
02:59Ça, c'est des souvenirs ?
03:00Oui, les souvenirs des vidéos, bien sûr, qui circulaient et pour lesquelles on voyait le nombre de vues qui augmentait de manière exponentielle.
03:10Ce qui nous inquiétait fortement.
03:11Et puis, moi, mon premier souvenir, c'est les parents de la jeune fille qui a menti, qui a fait croire qu'elle était présente au cours de Samuel Paty.
03:24De voir ses parents débarquer au collège en colère.
03:28Voilà, pour moi, ça a été vraiment le début de ces dix jours durant lesquels il y a eu cet engrenage qui s'est mis en place et la peur qui s'est installée dans l'établissement.
03:40Et cette peur, vous la décririez comment ? Est-ce que vous, vous l'avez ressentie ?
03:44Oui, énormément. On était paralysés, en fait.
03:49On a été paralysés pendant dix jours parce qu'on a senti la menace monter.
03:57Le moment où Samuel nous a envoyé ce mail où il nous disait qu'il était menacé par des islamistes locaux,
04:06il me semble que c'est les termes qu'il a utilisés, ainsi que l'ensemble du collège, notre peur est montée vraiment d'un cran à ce moment-là.
04:17Et ensuite, c'est pendant la semaine qui a suivi, la dernière semaine, celle qui a précédé le 16 octobre, on était vraiment paralysés par la peur.
04:27En sachant que cette menace était réelle, en même temps, on avait le choix entre rester chez nous ou venir travailler.
04:37Et voilà, la peur, on la tient à distance.
04:40On essaye de rationaliser les choses en se disant que tout est pris en charge, comme l'institution nous l'avait dit, que tout est fait pour assurer notre sécurité.
04:51Et en même temps, il y avait toujours une petite partie de nous qui se disait que c'était possible.
04:57Donc voilà, on a travaillé dans ces conditions-là pendant une semaine.
05:01Et alors, l'un et l'autre, où est-ce que vous avez appris la mort de Samuel Paty et comment ça s'est passé ?
05:08Anis, t'étais où à ce moment-là ?
05:10Quand je l'ai appris, c'était quand je revenais d'accompagner mon frère au foot.
05:13Oui, c'est un petit frère ou un grand frère ?
05:15Un grand frère.
05:16Qui était au collège aussi ?
05:18Oui, avant. Et là, il était au lycée.
05:20Ah, lui, il était déjà passé au lycée.
05:22Et donc, je rentrais chez moi et ma mère, elle m'a annoncé ça.
05:25Ah, d'accord. Donc en fait, ta maman, elle l'a appris à la télévision ?
05:30Oui, à la télévision.
05:32Et alors, qu'est-ce que t'as ressenti à ce moment-là ?
05:35Là, c'était surtout de la tristesse, le soir. J'ai beaucoup pleuré.
05:38Et après, j'ai essayé de comprendre, il y avait un petit peu de rage aussi.
05:41Et à ce moment-là, ta maman, elle t'a tout raconté ou elle s'est dit que quand même, t'étais tout petit ?
05:47Et qu'il fallait te préserver ?
05:49Donc, est-ce qu'elle t'a donné les détails ? Est-ce qu'elle savait tout ? Est-ce qu'elle avait tout compris à ce moment-là ?
05:54Je pense qu'elle savait, mais elle m'a pas tout dit.
05:56Parce que les histoires d'avant, je savais pas, j'étais pas au courant.
05:59Je l'ai su quelques semaines plus tard.
06:01Par exemple, à ce moment-là, tu savais comment il avait été assassiné ?
06:06Il avait écrit à la télé comment il était assassiné.
06:08Ah oui, c'est ça. C'est-à-dire qu'après, en famille, vous avez regardé la télévision ?
06:11Ça, c'est dur ?
06:12Oui. Après, on est partis se balader quand même avec ma mère pour prendre l'air, pour un petit peu essayer d'extérioriser.
06:17Ouais.
06:19Ouais.
06:21Suzanne, vous vous étiez où ? Vous étiez dans l'établissement ?
06:24Non, j'étais pas dans l'établissement. J'étais déjà rentrée chez moi.
06:27En fait, moi, je suis partie du collège à l'heure à laquelle il a été assassiné.
06:31Bien sûr, je l'ai su après.
06:35En fait, on avait un groupe WhatsApp des professeurs élus au conseil d'administration.
06:39Et un premier message, une première information est tombée.
06:43Et ensuite, les informations étaient de plus en plus précises.
06:46Mais en fait, dès le premier message, je pense qu'on a compris.
06:51On a compris parce qu'on avait peur depuis dix jours.
06:54On savait qu'il y avait cette menace.
06:57Et puis, il y a toujours...
06:58Au moment où je l'ai appris, je me suis effondrée.
07:01Et il y a une partie de moi qui ne voulait pas réaliser.
07:03C'était vraiment trop horrible.
07:06Voilà.
07:07Mais vous avez compris qu'il avait été assassiné.
07:11Et encore une fois, parce que cet assassinat, il a vraiment très, très, très, très fortement marqué la France à ce moment-là.
07:18Vous avez compris que c'était une décapitation ?
07:20Vous l'avez su tout de suite ?
07:22Non, pas tout de suite.
07:23On l'a appris au fur et à mesure quand les informations se précisaient.
07:28Mais à partir du moment...
07:30En fait, comme on savait qu'il y avait cette menace de militants islamistes.
07:35En fait, à partir du moment où on a su qu'il y avait un assassinat à proximité du collège, on a tout de suite fait le lien.
07:40On a tout de suite su que c'était un attentat, en fait.
07:43Oui, la décapitation, on l'a apprise un peu plus tard.
07:47Et moi, j'ai passé ma nuit sur Twitter parce que j'avais besoin d'informations, en fait.
07:55Mais le premier réflexe que j'ai eu quand j'ai appris ce qui s'était passé, c'est que j'avais envie d'aller au collège.
08:01Comme si ça pouvait changer quelque chose, en fait.
08:05Et en fait, ce n'était pas possible d'aller sur place.
08:07Mais oui, la nuit a été compliquée.
08:11On s'est appelé avec les collègues aussi.
08:14On s'est soutenus et on s'est dit que dès le lendemain matin, à la première heure, il fallait qu'on se retrouve là-bas.
08:20Voilà.
08:22Et toi, Anis, avec la classe, parce qu'en fait, le collège, vous n'avez pas eu école le lundi qui a suivi.
08:31Donc, vous vous êtes parlé ou vous vous êtes resté chacun chez soi ?
08:36Vous avez mis du temps à vous retrouver ?
08:38On s'est retrouvés à la rentrée.
08:40On n'avait pas beaucoup parlé entre nous.
08:42C'est pendant les vacances, personne ne s'est vu ?
08:44Non, on ne s'est pas vus et on s'est retrouvés à la rentrée.
08:47On a un petit peu discuté de ça avec des professeurs.
08:50Donc après, on a décidé de repartir, de continuer la nuit.
08:54Et toi, tu dirais quoi ?
08:55Parce que tu dirais quoi ?
08:57Tu dirais qu'en parler, raconter et encore raconter ce qui s'est passé cette année-là, ce jour-là,
09:04tu dirais que ça fait du bien ou que ça fait mal à chaque fois ?
09:08Je pense que c'est important.
09:09Ça fait toujours un petit peu mal de raconter ça, mais ça fait du bien d'informer les personnes
09:13sur ce qu'on a ressenti, nous, en tant qu'élèves.
09:15Et donc, voilà.
09:16Oui.
09:17Et vous, Suzanne, vous diriez que ça fait les deux aussi, comme Anis ?
09:20Ben oui, c'est nécessaire.
09:22C'est nécessaire de parler, surtout avec les élèves.
09:25Ça a été vraiment difficile au début parce qu'on était pris par l'émotion nous-mêmes
09:30et on avait du mal à recevoir, en fait, toutes ces paroles de très jeunes adolescents,
09:39pour certains, puisque les élèves de 6e ont 11 ans, 12 ans.
09:43Donc, des fois, c'était des paroles qui étaient maladroites et c'était compliqué pour nous
09:48de les accueillir, mais c'était vraiment nécessaire.
09:52Oui, moi, je crois dans le pouvoir de la parole et c'est pour ça aussi qu'on a fait tout
09:59ce travail avec l'Association française des victimes du terrorisme pour libérer la parole
10:03et expliquer, mettre des mots sur ce qu'on ressent, sur ce qui s'est passé.
10:08Mais dans le podcast, vous dites à un moment que vous n'avez même pas eu le temps de faire
10:12votre deuil.
10:13C'est-à-dire qu'il a fallu accompagner les élèves sans que vous-même, en fait, vous
10:19ayez eu le temps d'aller au bout de cette trajectoire psychologique.
10:24Oui.
10:25Ça nous a fragilisés d'autant plus.
10:27Et puis, il y avait ça, le fait de prendre en charge les élèves et puis toutes les
10:33informations qu'on a eues qui ajoutaient du drame au drame, c'est-à-dire le fait
10:38d'apprendre que nos élèves avaient joué un rôle dans l'attentat.
10:41Ça, on l'a appris à la rentrée aussi, en revenant au collège.
10:44Donc, on était très fragilisés parce qu'on n'avait pas eu le temps de faire notre deuil.
10:48On apprenait ces informations et puis il fallait qu'on s'occupe de nos élèves, qu'on soit
10:52là pour eux, qu'on soit solide pour eux et puis qu'on continue à faire cours, que
10:55la vie...
10:56Ça signifie que là, au mois de décembre, il y a six élèves qui ont été jugés.
11:00Ça signifie que parmi ces six élèves, certains étaient par exemple dans l'une de vos classes,
11:07Suzanne ?
11:08Tout à fait.
11:09Moi, j'étais professeure principale de deux de ces élèves.
11:10Donc, je les ai accueillis à la rentrée, j'ai accueilli leur parole ou leur silence.
11:16Et ensuite, ils ont disparu de nos classes, ces élèves, sauf qu'on ne savait pas pourquoi
11:23puisqu'il y avait le secret de l'enquête.
11:26C'est en lisant Le Parisien qu'on a fait le lien entre le fait que ces élèves étaient
11:33absents de nos listes de classes et la mise en examen de certains élèves du collège.
11:39On l'avait vraiment vécu comme une trahison.
11:42Ça a été la confiance qu'on pouvait avoir dans nos élèves.
11:49On s'est raccroché à nos élèves quand on est revenu travailler.
11:52On est revenu pour eux.
11:54Et là, on apprend qu'ils ont fait ça.
11:57En fait, ce qu'ils ont fait à notre collègue, ils auraient pu le faire à nous.
12:00On aurait pu être à sa place, n'importe quel professeur aurait pu être à sa place.
12:03Et en fait, on se disait, on fait l'effort de venir pour eux.
12:08Alors, bien sûr, il ne faut pas généraliser, ce n'était pas tous les élèves, mais dans
12:10nos têtes, c'était compliqué à ce moment-là de faire la différence.
12:13On vient pour eux, on prend sur nous chaque jour pour venir travailler et ils nous font
12:20ça.
12:21Je sais que j'ai une collègue qui dit, j'ai l'impression que mes enfants m'ont donné
12:26un coup de couteau dans le dos.
12:28C'était vraiment ça.
12:29Et comment tu as vécu ça à Nice, le fait qu'il y ait des élèves du collège ?
12:34Alors, il y avait un jeune homme radicalisé qui s'est mué en assassin.
12:39Mais il y avait aussi des élèves du collège qui, à la fin, se sont retrouvés au tribunal
12:44responsable de la mort d'un professeur.
12:46D'abord, comment tu l'as compris ?
12:47Comment tu l'as appris ?
12:49Quand j'ai su ça, c'était quelques semaines plus tard.
12:51Je me suis dit, ça fait bizarre quand même que des élèves participent à l'assassinat
12:57d'un professeur.
12:58Ça fait bizarre.
12:59Ils sont venus pour nous apprendre des choses, etc.
13:02Et c'est comme ça qu'on les remercie.
13:03C'était très difficile.
13:07C'était dur.
13:08Et aujourd'hui, tu comprends mieux ce qui a pu leur passer par la tête ? Tu comprends
13:14mieux ce qu'ils ont vécu ou toujours pas ?
13:17Toujours pas.
13:18Je ne comprends pas comment ils ont pu faire ça.
13:22Suzanne, parmi vos collègues, vous avez dit que vous êtes une cinquantaine de professeurs.
13:29Il y en a qui ont changé d'établissement.
13:32Il y en a qui ont carrément changé de métier.
13:34Vous, non.
13:35C'était une évidence tout de suite que vous alliez continuer à enseigner le français
13:41dans le collège ou enseigner Samuel Paty ?
13:44Non, ce n'était pas une évidence.
13:46J'ai eu besoin d'y retourner pour retrouver mes collègues parce qu'on avait commencé
13:51à former un collectif, on se soutenait.
13:53Je n'envisageais pas de rester chez moi parce que je savais que si j'étais inactive,
14:01mes pensées négatives allaient… J'allais ruminer des pensées négatives.
14:05Mais vous dites que ça vous a soudé en salle des profs ? Parce que ça aurait pu pulvériser
14:09la salle des profs.
14:10Ça aurait pu fracturer ?
14:11Oui et non.
14:12Disons qu'on a tous ses collègues qui sont partis petit à petit.
14:16Donc le collectif a quand même été ébranlé.
14:18Mais ceux qui restaient, on n'a pas eu le choix.
14:21On s'est soutenus.
14:23On a réussi à créer un collectif mais ça a été long.
14:28Parce qu'au début, en plus, il y avait les conditions sanitaires qui faisaient qu'on
14:36changeait de salle à chaque heure de cours.
14:38Donc on avait du mal à se retrouver au mois de novembre et décembre.
14:40Mais à partir du mois de décembre, on a retrouvé des conditions très à peu près
14:43normales.
14:44On a pu aussi commencer à réfléchir à ce qu'on pouvait mettre en place pour se
14:48reconstruire.
14:49Donc on a demandé à ce qu'il y ait un groupe de parole qui soit mis en place au
14:54sein du collège.
14:55Et ça, ça nous a énormément aidé.
14:56Donc il y a eu ça.
14:58Il y a eu plusieurs choses qui nous ont aidé.
15:00Il y a eu bien sûr l'action de l'Association française des victimes du terrorisme.
15:03À partir du moment où ça a été mis en place, ça nous a énormément aidé aussi.
15:07Donc moi, vraiment, c'est pour le collectif que je suis retournée travailler au début.
15:12Et comme la confiance avec les élèves, en plus, était ébranlée, j'ai mis beaucoup,
15:16beaucoup de temps à retrouver cette confiance.
15:18Je n'y allais pas pour faire cours de français, je dois vous avouer.
15:23Ça n'avait plus trop de sens pour moi de faire cours de français.
15:25Puis j'avais besoin de parler aux élèves de ce qui s'était passé.
15:28Donc heureusement qu'on a eu ces interventions, la FVT assez rapidement.
15:33Non, moi j'y allais pour retrouver mes collègues et essayer de retrouver du sens.
15:37Et Anis, dans ta famille, on s'est posé la question de changer de collège ?
15:40On s'est posé la question de quitter ce lieu qui était tellement lourd et tellement chargé par le drame ?
15:47Non, je sais que d'autres camarades ont hésité à changer de collège.
15:51Il y en a qui sont partis ?
15:53De ma mémoire, non je ne pense pas.
15:55Mais pour moi, c'était important de revenir au collège.
15:58Toi aussi ? Pourquoi ?
16:00Pour retrouver tout le monde, pour partager nos sentiments.
16:03C'est important de retrouver tous ceux de notre classe, de nos copains, etc.
16:07Et alors, comme tu viens tout pile d'entrée en seconde,
16:11ça signifie que tous les élèves qui étaient dans le collège cette année-là,
16:15l'année où Samuel Paty a été assassiné, ont maintenant quitté le collège.
16:20Donc ça signifie que plus aucun élève du collège n'a vécu comme toi cette année-là.
16:26Et alors, à ton avis, qu'est-ce qui est important maintenant ?
16:29Parce que l'idée, ce n'est plus d'accompagner des enfants traumatisés,
16:33c'est de transmettre cette mémoire-là.
16:36Comment on raconte ça aux petits frères et aux petites sœurs qui vous succèdent ?
16:41C'est important d'en parler, d'expliquer ce qui s'est passé pour ne pas qu'on oublie ça.
16:45Pour que ça reste dans les mémoires.
16:47Toi, tu te sens de le faire ?
16:49Oui, je pense que je vais continuer un petit peu à en parler,
16:52à transmettre un petit peu ce qu'on a ressenti, etc.
16:55Parce que tu te sens le devoir de le faire ?
16:57Oui, c'est très important, il faut continuer le devoir de mémoire.
17:00Et alors, comment tu t'es retrouvée, par exemple, à Arras,
17:03dans une grande cérémonie d'hommage aux victimes du terrorisme ?
17:07Arras, c'est là où un autre professeur, Dominique Bernard, a été assassinée ?
17:12C'est grâce aux interventions de l'association française des victimes du terrorisme,
17:17qui nous avait accompagnées.
17:19On avait fait un discours, avec moi et ma camarade.
17:22Une camarade qui était dans ta classe ?
17:24Oui, c'est ça, l'année dernière.
17:26Et il y avait quoi dans ce discours ?
17:27On parlait un petit peu de nos émotions, de ce qu'on avait ressenti,
17:30de l'avant, de l'après, et pendant l'attentat.
17:34Et donc, grâce à ça, ils nous ont proposé de faire le discours à Arras.
17:38Et donc, pour nous, ça a été un grand honneur.
17:40C'est vrai ?
17:40Oui.
17:43Est-ce que vous pensez, Suzanne, qu'il faut rebaptiser ou débaptiser ce collège ?
17:49Est-ce qu'il faut que ce collège porte le nom de Samuel Paty ?
17:53Alors là, je vais exprimer...
17:54Beaucoup de gens ont donné leur avis, mais pas forcément des gens qui étaient comme vous, à l'intérieur.
17:59Là, je vais donner mon avis en tant que professeure qui était présente au moment de l'attentat.
18:05On se sent un peu les gardiens de la mémoire de Samuel Paty, forcément.
18:10Pour nous, c'est...
18:12Je parle des anciens, ceux qui étaient là au moment de l'attentat.
18:15Pour nous, il faut graver cette mémoire dans le marbre, il faut l'inscrire dans l'éternité.
18:22En renommant cet établissement, ça me semble évident.
18:26Après, c'est pas la seule chose qui...
18:27Enfin, il suffit pas de renommer un établissement.
18:30C'est trop facile.
18:32Il faut continuer à travailler sur les valeurs de la République avec nos élèves.
18:37Il faut continuer à parler de ce qui s'est passé.
18:39Après, il faut veiller à ne pas ressasser le traumatisme et aller plus vers l'explication que vers une espèce de complaisance morbide à raconter des choses...
18:50Vous voyez, des choses tristes, des choses négatives.
18:54Il faut aller vraiment vers l'explication, la pédagogie.
18:58Expliquer les mécanismes du terrorisme.
19:01Expliquer le poids de la rumeur, ce genre de choses, le rôle des réseaux sociaux.
19:05Et on le fait, en fait.
19:06On le fait depuis l'attentat et on va continuer.
19:09On va continuer parce que c'est important pour nous.
19:11Et vous avez retrouvé goût à l'enseignement du français ?
19:14Oui, je pense qu'avec le temps, ça va mieux.
19:18Mais surtout, le rapport avec les élèves, j'ai retrouvé une complicité.
19:22Je ne sais pas si c'est complètement guéri, mais oui, ça va.
19:26Et Anis, toi, tu voudrais que ce collège soit renommé Samuel Paty ou tu trouves que ce serait trop dur pour les élèves ?
19:34Ce serait bien, ça ferait un signe pour en rendre hommage.
19:38Je sais qu'on a déjà rebaptisé le CDI au collège, mais ce serait bien d'avoir un...
19:42Le CDI s'appelle le CDI Samuel Paty ?
19:44C'est ça.
19:45Et ça ne suffit pas à ton avis ?
19:46Je pense que ce serait bien aussi de rebaptiser le collège.
19:49Merci beaucoup à tous les deux.
19:52Merci à vous.
19:53Merci Anis.
19:54Et bonne année de seconde et bon lycée à toi.

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