Emmanuel de Waresquiel, historien, auteur de "Il nous fallait des mythes - La Révolution et ses imaginaires de 1789 à nos jours" (Tallandier), est l'invité du Grand entretien. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-18-septembre-2024-7708435
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00:00Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin un historien, il publie « Il nous fallait des mythes, la révolution et ses imaginaires »
00:09de 1789 à nos jours, c'est aux éditions Talendier, vous pourrez dialoguer avec lui au 01-45-24-7000
00:18et sur l'application Radio France. Emmanuel Devaresquiel, bonjour.
00:22Bonjour Nicolas Demorand, bonjour Léa Salamé.
00:24Et bienvenue à ce micro, on est très heureux de vous recevoir pour évoquer votre livre bien sûr,
00:29mais aussi pour avoir le regard de l'historien sur le contexte politique troublé que nous traversons.
00:36Car dans votre livre, vous analysez justement la permanence des mythes nés pendant la Révolution française,
00:43dans la conscience des Français, dans notre imaginaire politique,
00:48comme si on n'était jamais véritablement sortis de ce monde-là, comme si la Révolution n'avait jamais vraiment pris fin.
00:55Vous écrivez dans l'avant-propos « la Révolution continue de nous hanter, pour certains avec enthousiasme,
01:02pour d'autres avec dégoût, elle nous habite peu ou prou, par infusion, elle est l'esprit dans la maison ».
01:11Expliquez-nous.
01:13La maison, les murs de la maison, on habite une maison qui est un héritage de la Révolution française.
01:18Ce sont les droits de l'homme, ce sont les codes, ce sont les départements qui sont créés
01:23par les députés de l'Assemblée nationale en 1790.
01:27L'esprit dans la maison, c'est plutôt une psychologie à la fois politique et sociale,
01:34dont nous sommes un peu les héritiers.
01:36Par exemple, d'un point de vue politique, une tendance étant donnée les conditions du renversement de souveraineté en 1789,
01:43de la tête du roi à la tête de la nation, qui sont quand même des conditions assez brutales, unilatérales.
01:48Une tendance à apprécier ou à pratiquer plus une culture politique de l'affrontement
01:55qu'une culture politique du compromis.
01:58On est en train de le vivre, de l'expérimenter tous les jours.
02:02Ça vient de la Révolution française selon vous ?
02:04C'est-à-dire que la fameuse incapacité française au compromis, ça vient de là ?
02:10Oui, probablement.
02:11L'unanimisme aussi, l'obsession et le rêve ou l'utopie unanime autour de cette notion et de ce premier principe révolutionnaire,
02:20qui est celui de l'indivisibilité de la nation.
02:23Ce qui rend parfois les choses difficiles du point de vue du jeu parlementaire entre majorité et minorité.
02:31C'est certainement aussi un héritage de la Révolution, notre appétence pour les mots.
02:36Et puis peut-être aussi un conflit de légitimité qui apparaît très vite entre deux événements fondateurs de la Révolution
02:42qui sont d'une part le serment du jeu de paume, le 20 juin 1789, par lequel les députés jurent de ne jamais se séparer
02:49avant d'avoir donné une constitution au Royaume.
02:52Et de l'autre, quelques jours plus tard, la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789.
02:57Et ces deux événements ont produit, dans un certain sens, deux formes de légitimité antagonistes
03:04qui sont en conflit en permanence et qui ont traversé tout le 19e et tout le 20e siècle.
03:09Une légitimité, je dirais, de représentation nationale, par les élections et par les urnes, d'un côté.
03:15Et de l'autre, une légitimité, entre guillemets et sans vouloir faire un anachronisme, de démocratie directe,
03:20c'est-à-dire la légitimité de la rue.
03:22Toute l'histoire de la Révolution, c'est l'histoire de ce conflit-là.
03:24Quand on parle de journée révolutionnaire, quand les sans-culottes des sections parisiennes de la Commune de Paris
03:29marchent sur la Convention nationale avec du canon pour obtenir des décrets encore plus radicaux,
03:34en 1793 et en 1794, c'est ça.
03:38Et puis, ça perdure.
03:41Les gilets jaunes, le référendum d'initiative citoyenne, c'est un peu une émanation tardive
03:49de cette légitimité de la rue.
03:51Et puis, notre appétence pour les grèves et les manifestations sont en même.
03:54Et là, la prise de la Bastille, c'est la reconnaissance de la violence légitime du peuple.
04:00Il ne faut jamais oublier ça, qui est inscrite dans la Constitution de 1793.
04:05C'est ce que vous montrez dans votre livre, c'est d'ailleurs le titre du livre.
04:09La Révolution que nous célébrons, la Révolution qui nous hante, dont on est les héritiers aujourd'hui.
04:15Vous dites, tout ce qui nous traverse aujourd'hui, au fond, il faut lire à l'aune de la Révolution,
04:20est en grande partie mythifié.
04:22Vous dites notamment, à la prise de la Bastille, il y a eu une mythification.
04:26Et vous citez, en exerce du livre, deux très belles citations.
04:30Victor Hugo d'abord qui disait « Laissons à l'Histoire ces mensonges sublimes »
04:34ou encore l'homme des Lumières, François de Latapie, qui dit cette phrase très belle aussi
04:39« Je ne m'instruis qu'en apprenant continuellement une chose triste, c'est que les mensonges
04:44nous rendent ordinairement plus heureux que la vérité ».
04:47Donc quoi ? On se berce de mythes et de mensonges ?
04:51On a posé les principes de la Révolution si haut, et de façon si idéalisée,
04:57qu'on continue encore à courir après.
05:00Nous ne sommes peut-être pas les arrière-petits-enfants de Descartes,
05:09mais nous avons tout de même une appétence pour les rêves, pour l'utopie.
05:15Et je pense que c'est une des caractéristiques de ce que nous sommes,
05:18une appétence pour les mots aussi.
05:20Tocqueville, dans ses Souvenirs de la Révolution de 1848,
05:23dit que « pris dans leur ensemble, les Français en Révolution se comportent
05:27comme un homme de lettres ».
05:29Il y a quelque chose comme ça.
05:30On le voit bien sous la Révolution, par exemple, les discours l'emportent sur les actes.
05:36Robespierre tombe en juillet 1794 parce qu'il n'arrive pas à prononcer son discours.
05:43Qui tient la tribune, tient le pouvoir.
05:45Qui tient le pouvoir des mots, tient le pouvoir des mots.
05:48Mais c'est encore le cas aujourd'hui, vous pensez ?
05:50Je trouve qu'on a une certaine tendance, non pas de déréalisation du monde,
05:55mais de le réaliser à travers les discours et de se contenter des discours.
06:01Emmanuel de Varesquiel, vous faites un inventaire assez impressionnant
06:05de ce qu'il reste dans notre société, de la Révolution.
06:08Je vais vous citer « Les droits de l'homme et du citoyen,
06:12la nation, la souveraineté du peuple, son indivisibilité,
06:16une laïcité plus ou moins sacralisée, l'état-providence, la liberté par éclipse,
06:21l'obsession égalitaire, l'inflation législative, la gauche et la droite,
06:26une certaine culture politique de l'affrontement en lieu et place du compromis,
06:30on en a parlé, le goût des mots et des abstractions,
06:33les rêves de table rase et de salut public, la haine du riche,
06:36les silences de l'argent, la défiance et la méfiance ».
06:40Vous parlez de la France de 1789,
06:43mais il n'y a pas un mot qu'on enlèverait pour décrire celle d'aujourd'hui.
06:47Oui, c'est vrai, je pense encore à Tocqueville qui disait,
06:50au début de la démocratie en Amérique, qui disait craindre
06:53« que les instincts révolutionnaires ne se transforment progressivement
06:57en habitudes gouvernementales et en procédures administratives ».
07:01Bon, voilà.
07:02On y est.
07:03Un peu.
07:04Un peu, beaucoup.
07:05L'autre grand mythe de la Révolution, c'est bien sûr le régicide, la mort du roi.
07:09Vous dites dans votre livre qu'Albert Camus a raison de faire de la mort du roi
07:13dans « L'homme révolté », la charnière de notre histoire contemporaine.
07:17Vous parlez dans L'Express cet été d'un paradoxe, d'une schizophrénie française.
07:22Les Français ont besoin d'un roi et absolument besoin de lui couper la tête
07:26d'une façon ou d'une autre.
07:27Et on en est encore là aujourd'hui ?
07:29Le référendum de 1962, la Vème République a beaucoup contribué
07:34ou a renouvelé cette espèce d'ambiguïté, en effet, de schizophrénie à la française
07:41ou en balance en permanence entre les deux.
07:43Mais je dirais, en souriant, y compris dans nos rapports hiérarchiques,
07:48on a un peu tendance, nous sommes au fond l'héritier d'une double culture.
07:53D'une culture d'Ancien Régime, qui est une culture de la révérence,
07:58de l'étiquette.
07:59Donc on a un peu tendance, de temps en temps, à chier les bottes de notre supérieur.
08:05Et en même temps, étant donné que nous sommes aussi les héritiers d'une culture révolutionnaire
08:09et égalitaire, on a très envie de lui couper la tête.
08:12Et c'est ce frottement entre l'esprit de courtisonnerie et de révérence, comme vous dites,
08:16et l'envie de lui couper la tête qui nous habite tout le temps.
08:19Je trouve que c'est un...
08:22Oui, en effet, nous sommes restés dans cette ambiguïté-là.
08:26Et qui explique les sondages, quand on voit qu'en trois jours,
08:30Michel Barnier est devenu la personnalité préférée des Français,
08:33avant de lui couper la tête bientôt.
08:34C'est ce que vous...
08:35Avant qu'il...
08:37C'est cette tension permanente.
08:39Oui, il y a une phrase, je pense, je vous ai cité Tocqueville,
08:42mais je pense au Prince de Ligne, qui est un écrivain de la fin du XVIIIème
08:46que j'aime beaucoup, et qui écrit, quelques années avant la révolution française,
08:50dans les années 1780,
08:52« Si les Français ne sont plus légers, ni chantants, ni dansants,
08:55ils deviendront des fous furieux ».
08:57On va passer au Standard d'Inter, où nous attend Stéphane.
09:00Bonjour Stéphane, bienvenue !
09:02Bonjour, je voulais interroger votre invité.
09:06Jean-Luc Mélenchon se réclame souvent de la révolution française,
09:10pour justifier des propos parfois un peu excessifs.
09:14Je voulais savoir si votre invité faisait, du coup, un rapprochement
09:17entre la situation de maintenant et celle de 1789,
09:20même s'il vient peu de répondre à la question,
09:22et puis savoir à ce moment-là, Jean-Luc Mélenchon,
09:24s'il se rapprochait plus de Danton ou de Robespierre.
09:27Merci Stéphane pour cette question.
09:29L'historien Emmanuel Devaraisiel vous répond.
09:31Je me souviens du grand discours de Jean-Luc Mélenchon à la Bastille,
09:34appelant à la marche du peuple, c'était assez récent.
09:38Je vois, on parlait d'ambiguïté tout à l'heure,
09:41je vois une ambiguïté aussi dans les rapports qu'entretiennent
09:44la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon à la révolution française.
09:49Pourquoi une ambiguïté ?
09:51Une ambiguïté dans le sens où la révolution française,
09:53c'est l'indivisibilité de la nation, on est d'accord,
09:56et alors qu'au sein de la France insoumise,
10:00certains cultivent ce que Terra Nova appelle
10:04le progressisme identitaire ou communautariste,
10:07qui va à l'encontre même de cette indivisibilité de la nation.
10:10On ne sait pas très bien, en fait, comment ils se positionnent
10:13par rapport à la révolution française.
10:15Je pense, à propos, puisque vous parliez de mythes,
10:17que ce livre est consacré aux mythes de la révolution,
10:20qu'ils se positionnent par rapport à cette mythologie révolutionnaire
10:25beaucoup plus que par rapport à la réalité révolutionnaire.
10:28Et à la question de l'auditeur, Danton ou Robespierre à vos yeux ?
10:31J'ai envie de dire les deux, mon général.
10:34Et sur la destitution ?
10:35Danton pour le côté tribun,
10:39et Robespierre pour le côté théoricien.
10:42Et pour la procédure de destitution
10:45lancée par la France insoumise contre Emmanuel Macron,
10:48ça ravive un imaginaire révolutionnaire ?
10:51S'attaquer aux souverains, à la figure monarchique ?
10:53On est quand même les spécialistes de ça.
10:55Ça ravive toute l'histoire du 19ème et du 20ème siècle.
10:58D'abord, Louis XVI passe sur la guillotine le 21 janvier 1793.
11:04Et puis après, il ne s'agit pas à proprement parler de destitution.
11:08Mais enfin, Napoléon meurt à Sainte-Hélène.
11:12Charles X meurt en exil à Prague.
11:15Louis-Philippe Ier, roi des Français, meurt en exil en Angleterre.
11:18Napoléon III, empereur des Français, meurt en exil en Angleterre.
11:22Et Mac Mahon est obligé de donner sa démission en 1879,
11:27après la crise de 1877.
11:29Donc on n'est que dans une filiation historique.
11:31On peut dire.
11:32Dans ce qui se passe aujourd'hui.
11:33Contrairement à beaucoup, ce n'est pas à Louis XVI que vous comparez Emmanuel Macron,
11:37mais à Louis-Philippe.
11:38C'est une comparaison que vous osez dans l'Express cet été,
11:41ce n'est pas dans le livre.
11:42Louis-Philippe, ça s'est terminé par une révolution en 1848.
11:45Pourquoi cette comparaison ?
11:47Louis-Philippe, à la différence de ses prédécesseurs de la branche aînée des Bourbons,
11:51en particulier Louis XVIII, qui est à mon avis,
11:53d'ailleurs, à propos de toute cette succession de rois dont je vous ai parlé,
11:58c'est le seul qui meurt sur son trône en 1824, Louis XVIII.
12:01C'est pour moi un des plus intelligents de la famille.
12:03Enfin, si on prend la généalogie des rois de France d'avant la Révolution française.
12:07Louis-Philippe, ça se passe plus mal, on va dire.
12:11Louis-Philippe est beaucoup plus intrusif.
12:13Il a une conception beaucoup plus personnelle du pouvoir.
12:17Et puis, il y a cette image de...
12:23Ce n'est pas du tout le roi qui se promène bourgeoisement dans Paris
12:26avec son parapluie sous le bras, comme le dessine Daumier, par exemple.
12:31C'est un roi qui avait une très haute conscience de sa naissance,
12:36de ses origines, Orléans,
12:39et qui applique une politique à travers, entre autres,
12:42l'un de ses principaux ministres qui est Guizot, français, enrichissez-vous.
12:46C'est en ça qu'il vous rappelle Emmanuel Macron ?
12:48Il m'y fait penser un peu, de temps en temps.
12:50Le pouvoir solitaire, vous dites.
12:52Et vous racontez aussi que Louis-Philippe détestait ses ministres.
12:55Oui, il avait du mal avec ses ministres, il en changeait souvent.
13:01Gilles est au Standard Inter. Bonjour Gilles, bienvenue.
13:04Oui, bonjour, merci de prendre mon intervention.
13:06Très bonne leçon d'histoire pour un enseignant retraité.
13:10Alors, mon intervention concerne plutôt la situation actuelle.
13:14Il faut deux mois pour trouver un premier ministre.
13:16Là, on s'oriente vers deux semaines pour avoir un gouvernement.
13:19Cette situation ne va pas nous emmener progressivement
13:23vers un soulèvement, une contestation de la population,
13:28en particulier les plus pauvres, les plus mal logés, les non logés.
13:33Et on aurait une mini-révolution style 68 que j'ai connue quand j'étais au collège.
13:38Merci Gilles pour cette question. Emmanuel Devaresquiel ?
13:42L'histoire ne se répète pas.
13:44Vous savez, on est un peu comme la déesse Écho qui répondait à Narcisse.
13:49Elle était amoureuse de Narcisse dans la mythologie grecque.
13:52Et Narcisse ne lui répondait pas.
13:58Et quand Narcisse répondait, Écho, par désir de Narcisse, transformait ses phrases.
14:05Eh bien, nous sommes comme la déesse Écho, nous réécrivons l'histoire en permanence.
14:09Et donc, l'histoire ne se répète pas.
14:11Quelquefois, en effet, il y a des réminiscences, des clins d'yeux, des éclats comme ça.
14:18Mais je suis bien mal placé comme historien pour vous dire ce qui va se passer dans les jours à venir.
14:24Sur la dissolution de l'Assemblée nationale, Emmanuel Devaresquiel, vous avez une hypothèse.
14:30« Après moi le déluge ».
14:32Mot prêté à Louis XV, à tort.
14:35Mais expliquez-nous.
14:37« Après moi le déluge », vous voulez dire aujourd'hui ?
14:40Oui.
14:41De la part de qui et prononcée par qui ?
14:44Emmanuel Macron, procédant à la…
14:46Il n'a pas prononcé cette phrase ?
14:47Non, non, je vous pose la question.
14:51Mais j'espère que non.
14:53D'abord, j'espère qu'on évitera le déluge.
14:56Et puis, nous sommes tout de même dans une République qui doit cultiver ses continuités.
15:03Mais cette dissolution, vous l'avez comprise ?
15:06Alors, pour le coup, absolument pas.
15:09Mais enfin, ce n'est pas la première fois que le président de la République dissout à contre-temps.
15:15Il y en a eu quelques autres, si mes souvenirs sont bons.
15:17Pour vous, c'est à contre-temps ?
15:19Oui, c'était probablement pas le bon moment.
15:21Mais encore une fois, je suis bien mal placé pour faire ce genre de commentaire.
15:25Mais vous disiez aussi dans l'Express, notre président se trompe,
15:28les rois de l'ancien régime n'exerçaient pas leurs fonctions de façon si verticale.
15:32Et vous dites cette phrase, le château de Versailles était bien plus accessible que le palais de l'Elysée.
15:37Mais oui, on entrait très facilement à Versailles.
15:39Il suffisait d'avoir une épée à son côté que l'on empruntait à l'entrée de Versailles.
15:46Et on pouvait déposer des placets dans la galerie des glaces comme l'on voulait.
15:50C'est vrai que, pour des raisons aussi qui sont des raisons sécuritaires,
15:54l'Elysée ressemble un peu à Fort Knox par rapport à Versailles jusqu'en 1789.
15:59Ça, c'est indéniable.
16:01Et vous pensez que ça se ressent sur la manière de gouverner ?
16:03Le roi gouverne par l'intermédiaire de ses conseils.
16:05Et vous savez, l'ancien régime, c'est une pyramide de prise de décision.
16:11C'est une société organiciste.
16:13C'est-à-dire que ça marche, non pas de façon individuelle,
16:16mais hiérarchiquement dans un sens que les assemblées de province, les ordres,
16:25et donc les prises de décision du roi traversent tous ces filtres avant d'être appliqués.
16:33Et sont déformés, transformés en cours d'application.
16:37Encore une question de l'un de nos auditeurs, Richard.
16:41Pourquoi l'Assemblée nationale n'est-elle plus souveraine aujourd'hui ?
16:45Elle l'était pourtant bien en 1789.
16:48Oui, elle était souveraine en 1789, infiniment plus qu'elle ne l'est aujourd'hui.
16:53Parce qu'au fond, à l'issue de ce renversement de souveraineté
16:57qui a eu lieu entre le 17 et le 23 juin 1789,
17:01elle s'attribue, vous savez, la révolution, c'est le passage de l'absolutisme monarchique
17:06à l'absolutisme de la nation puis du peuple après la prise de la Bastille le 14 juillet 1889.
17:10Et donc l'Assemblée, très rapidement, s'attribue tous les pouvoirs du roi,
17:14exécutifs, législatifs et judiciaires.
17:17Question de Marine sur l'appli de France Inter.
17:19Qu'est-ce que vous avez pensé, Emmanuelle de Varesquel,
17:21de la scène à la conciergerie lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques
17:24avec la représentation d'une Marie-Antoinette décapitée ?
17:26Ça c'est la tarte à la crème !
17:29Écoutez, le personnage de Marie-Antoinette qui est jugé par le tribunal révolutionnaire,
17:35c'est un procès politique comme chacun sait,
17:38est condamné à mort et exécuté, Place de la Révolution, aujourd'hui Place de la Concorde,
17:42le 16 octobre 1793,
17:45et qui est, au fond, le procès est conduit
17:49comme une sorte de tentative de rassemblement de la nation
17:53dans une situation de la toute jeune République française
17:57qui est une situation de très grande difficulté.
17:59La République est attaquée aux frontières,
18:01elle est en proie à ce qu'on pourrait appeler une guerre civile,
18:04la Vendée, Toulon est en insurrection,
18:08Lyon est en insurrection.
18:10Donc, Marie-Antoinette reste, à travers ses mémoires,
18:13l'un des personnages les plus clivants de la Révolution française.
18:16D'un côté perverse, traître et complotiste,
18:20de l'autre saint et martyr
18:22et injustement condamné par le tribunal révolutionnaire.
18:25Donc, faire une allusion à la figure de Marie-Antoinette
18:29qui, en effet, au cours de l'un des épisodes
18:32de cette inauguration des Jeux Olympiques,
18:35tient sa tête, laquelle tête chante le saïra,
18:38les aristocrates, on les aura.
18:40On ne peut pas dire que ce soit un signe d'apaisement,
18:42de réconciliation, de concorde et de fraternité universelle
18:47et pas plus un signe à l'égard des femmes
18:50parce que, tout de même, le comité olympique a voulu honorer les femmes.
18:53N'oubliez pas que la dernière épreuve,
18:55ce n'est pas le marathon masculin mais le marathon féminin
18:58et qu'on fait prendre aux marathoniennes la route de Versailles
19:04en souvenir de la marche des femmes,
19:07de la marche des parisiennes sur Versailles le 5 octobre 1789.
19:12Donc, ça va un peu à l'encontre du message olympique.
19:16Je me suis posé longtemps la question
19:18de savoir si c'était intentionnel ou pas.
19:20Je pense que c'est intentionnel
19:22et je pense que ça veut dire que les concepteurs
19:25de cet épisode-là, de cette scène-là,
19:27vivent encore la révolution de l'intérieur.
19:31Vous êtes assez sombre, assez pessimiste
19:35sur la société actuelle.
19:37Vous écrivez, je vais vous citer,
19:39« Nos démocraties sont en crise
19:41et je ne vois rien qui aille dans le sens d'une pacification ».
19:45Et vous parlez aussi d'une époque amnésique en quelque sorte
19:48où l'on oublie tout, où tout passe trop vite.
19:51Citation, « Nos contemporains se promènent dans un champ de ruines
19:54et n'y font guère attention.
19:56Ils se sont assis sourds et aveugles sur leur histoire
19:59au point d'en avoir oublié la genèse et les commencements.
20:02Tout les y invite, l'urgence, la vitesse,
20:05internet, les portables, l'information.
20:08Le temps s'est comme replié sur lui-même.
20:10Il s'est changé en une succession d'instants
20:13sans solution de continuité.
20:15L'amnésie nous guette et elle est mélancolique.
20:18Les voies de l'histoire nous parviennent encore
20:21mais confusent dans un chuchotement. »
20:24C'est très beau, c'est très bien écrit
20:26mais vous avez vraiment l'impression que nous perdons progressivement
20:29l'histoire, le sens de l'histoire ?
20:31Que notre rapport au passé a changé ?
20:33Par expérience, chaque jour qui passe
20:37me fait dire que le niveau de l'amnésie
20:39monte plus vite que le niveau de la mer.
20:41Ça c'est absolument certain.
20:43Et on parle de réchauffement climatique
20:46mais on pourrait parler de refroidissement de la mémoire.
20:48Et c'est vrai que tout nous y invite,
20:50comme vous l'avez lu.
20:52Et en particulier,
20:58ces séquences que nous vivons,
21:01cet enfermement dans quelque chose
21:03qui va au-delà du présent mais qui est l'instant
21:06et que nos moyens de communication contemporains
21:09à commencer par le portable
21:11mais l'internet d'une façon générale
21:14nous enferment dans l'instant.
21:17Absolument, oui.
21:19Et pourtant, on n'a jamais autant parlé,
21:21même dans la séquence politique,
21:23puisque vous employez le mot de séquence,
21:25de concepts qui viennent de l'histoire.
21:27Le nouveau Front Populaire,
21:29où ils tentent de ressusciter le Front Populaire de 1936.
21:31Le Conseil National de la Résistance,
21:33on en parle tous les jours.
21:35La conscience de la Révolution,
21:37les déclarations du droit de l'homme.
21:39On continue quand même.
21:41Vous savez, la mémoire c'est ce qui reste
21:43quand on a tout oublié.
21:45C'est-à-dire qu'on s'accroche à des symboles
21:48mais qu'on a vidés de leur sens,
21:51dans un certain sens,
21:53ou dont on a déformé le sens initial.
21:55Le Front Populaire de 1936,
21:57le Front Populaire antifasciste,
21:59n'a pas grand-chose à voir,
22:01qui a mis deux ans à se construire,
22:03n'oublions pas, après les manifestations
22:05des Ligues contre l'Assemblée Nationale
22:07en février 1934,
22:10n'a pas grand-chose à voir
22:12avec le nouveau Front Populaire d'aujourd'hui.
22:14Je vous prends un autre exemple,
22:16les 100 jours.
22:18Les politiques passent leur vie à parler des 100 jours.
22:21Sarkozy a eu ses 100 jours en 2007
22:24pour exercer le mandat du peuple.
22:27Et puis, je crois bien que
22:29notre ancien Premier Ministre,
22:31Gabriel Attal, a fêté à Matignon,
22:33avant les catastrophes,
22:35a fêté ses 100 premiers jours à Matignon.
22:38Mais qui sait encore
22:41que les 100 jours de l'histoire, en 1815,
22:44se sont quand même terminés par une épouvantable débandade
22:47à Waterloo, le 18 juin 1815.
22:50Oui, donc il vaut mieux ne pas trop célébrer les 100 jours,
22:52c'est ce que vous nous dites.
22:53Il est promettre.
22:54Merci infiniment, Emmanuelle de Varesquiel.
22:57Il nous fallait des mythes.
22:58La Révolution et ses imaginaires
23:00de 1789 à nos jours
23:02est publiée aux éditions Talendiers.
23:04Merci encore.