Mardi 17 septembre 2024, LE JOUR OÙ reçoit Serge Trigano (Ancien président, Club Med & Co-fondateur, Mama Shelter)
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00:00Bonjour, ravie d'être avec vous sur Fortchange dans le jour où.
00:21Nous sommes avec Serge Trigano.
00:23Serge Trigano, bonjour.
00:24Bonjour.
00:25Nous allons, comme son nom l'indique Serge, dans le jour où, parler des décisions que
00:28vous avez prises tout au long de votre carrière.
00:30Serge, vous avez eu plusieurs vies, la première dans tous les clubs maîtres du monde.
00:35Votre père en était l'un des fondateurs.
00:37Vous y avez travaillé comme PDG, mais aussi comme gentil organisateur.
00:42Vous allez nous en parler dans un court instant.
00:44Visionnaire, vous avez cassé les codes de l'hôtellerie en inventant avec vos deux
00:49fils un concept inédit, celui des Mama Shelters.
00:52Revendu aujourd'hui au groupe Accor, vous venez de récidiver en lançant une nouvelle
00:57chaîne d'hôtels périurbains et éco-friendly, son nom O'Baby.
01:01En résumé, vous êtes un serial entrepreneur et vous excellez à concevoir les lieux de
01:06vie de demain.
01:07Serge, on rentre directement dans le vif du sujet.
01:10Quelle a été la décision la plus importante que vous ayez prise tout au long de votre
01:15carrière ? J'ai eu la chance de prendre pas mal de décisions,
01:19des bonnes, des moins bonnes, des heureuses, des malheureuses.
01:22Peut-être que la moins bête ou la plus importante dans ma vie, ça a été le début
01:28de l'aventure du Mama Shelter, c'est notre associé Cyril Aouzérat qui avait trouvé
01:34un site rue de Bagnolet et peut-être que la plus grosse décision, ça a été de décider
01:39de faire le premier Mama dans cet endroit un petit peu à l'écart des grands circuits
01:44touristiques, loin de tout ce qu'on pouvait attendre pour un hôtel et puis que, grâce
01:51à Dieu, ça a marché.
01:52Dans votre livre, Trigano Loves You, aux éditions Albain Michel, vous parlez évidemment des
01:57années Club Med, l'histoire débute en 1950 dans un petit village, Al-Syouda, je crois
02:04en baléa ? Al-Khoudia.
02:05Al-Khoudia.
02:06Est-ce que vous pouvez nous en parler un petit peu ?
02:08Oui, l'homme qui crée le club, c'est Gérard Blitz.
02:11Gérard Blitz est un Belge sportif à qui le gouvernement belge avait demandé de s'occuper
02:19de la réinsertion des gens qui sortaient des camps après les drames de la Deuxième
02:23Guerre mondiale.
02:24Et je pense que c'est là que Gérard a eu l'idée de créer des lieux dans lesquels
02:29on pourrait vivre, faire la fête.
02:32Et pour ce faire, il a trouvé un site à Al-Khoudia, au Baléar, il avait besoin de
02:36matériel de camping puisque le premier village du club, c'était en tant que de camping,
02:40et donc il a trouvé un peu par hasard, si on raccourcit l'histoire, la société Trigano,
02:45qui à l'époque était spécialiste dans le matériel de camping, il appelle la société
02:49Trigano, et c'est mon père qui répond, et Gérard lui dit, voilà, je vais créer
02:53un endroit pour faire la fête, et j'ai pas d'argent, j'ai besoin de matériel
02:57de camping, est-ce que vous pouvez m'aider ? Et Gilbert lui dit, ben venez, expliquez-moi.
03:01Et voilà, Gérard est venu, Gilbert a été conquis, ils ont décidé ensemble de faire
03:06le premier village, et c'est comme ça que l'aventure a démarré.
03:09Donc sans argent.
03:10Sans argent, non.
03:11Sans argent.
03:12Sans argent, il y avait l'argent de la société Trigano qui a permis de…
03:15Il a prêté les tentes.
03:17Il a prêté les tentes, le club avait du mal à payer l'allocation, mais voilà,
03:22et puis Gilbert est tombé amoureux de l'histoire, il a progressivement quitté l'aventure
03:26du camping, et c'est lui qui a fait le Club Méditerranée, ce que c'en est devenu.
03:30Gamin du Club Méditerranée, comment vit le petit Serge son enfance ?
03:34Il vit dans l'époque bénie, on ne voit pas beaucoup de pères, on a la chance d'avoir
03:41une mère qui est très présente, mais le père est tout le temps en voyage, il travaille
03:44le matin de 6h du matin à 9h le soir, et les week-ends il en profite pour aller visiter
03:49des sites et voir comment marche le club.
03:51Donc on ne le voit pas beaucoup, quand on le voit c'est formidable, mais il nous raconte,
03:55il nous raconte comment il est en train de partir à la conquête du monde, comment il
03:58vient de séduire le roi du Maroc pour faire un village à Agadir, comment il est allé
04:03voir les gens du Parti Communiste Bulgare pour implanter le club, et donc c'est béni
04:08dans toutes ces histoires que je vis, mon père me pousse à faire des études de sciences
04:14économiques, vous parlez d'un licencié de sciences économiques, qui ne m'a pas
04:20servi à grand-chose, et puis pendant les vacances universitaires j'étais géo-club.
04:25Voilà, c'est comme ça que ça commence.
04:27Et pourquoi la formule Club Med a si bien fonctionné dès le départ d'après vous ?
04:31Elle a très bien fonctionné parce qu'elle correspondait exactement à ce qu'avaient
04:36besoin les gens qui sortaient de cette époque traumatisante, on est en 1950, la guerre
04:42vient de se terminer, 4 ou 5 ans, voilà, ils ont été privés de tout, et il y a un
04:47lieu où on leur dit venez, vous pourrez à nouveau faire la fête, faire du sport, manger,
04:52faire l'amour, faire des rencontres, voilà c'est le paradis qui se crée à un prix
04:58très abordable, donc le club était pratiquement accessible à tout le monde, on leur dit,
05:03alors on prend le risque, aujourd'hui ça paraît évident de dire aux gens, vous payez
05:07avant de partir, donc vous payez une somme, vous ne savez pas où vous allez vous retrouver,
05:11et puis comme c'est fait, alors ce n'est pas une formule qui a été faite par des
05:16experts en marketing, c'est une formule qui a été faite par des hommes et des femmes
05:20avec leur cœur, leur trip, leur envie d'apporter du bonheur.
05:24Il n'y a pas eu d'étude de marché ?
05:25Il n'y a pas eu d'étude de marché, s'il y en avait eu une elle aurait dit que ça
05:27ne marcherait pas d'ailleurs, voilà, et c'est comme ça que c'est parti, au début
05:31c'était très célibataire, très jeunes qui viennent faire la fête, après tout naturellement
05:35ils font des enfants, donc le club, je crois que l'intelligence du club ça a été de
05:40s'adapter à son époque, c'était au départ un truc franco-belge, pour célibataires
05:46qui venaient faire la fête, et puis ça s'est un peu embourgeoisé, les enfants sont arrivés
05:51donc on a créé les mini clubs, et puis les gens ont gagné un peu plus d'argent donc
05:54on est monté en garde, et puis après on s'est aperçu que ce concept pouvait marcher
06:00aussi à l'étranger, et donc c'est devenu un concept international, très bien implanté
06:05aux Etats-Unis, au Japon, et c'est devenu la première marque mondiale spécialisée
06:09dans le monde des vacances.
06:10Votre père était, on pourrait dire, un petit peu filou, ou très malin en tout cas, mais
06:14comment il s'y prenait pour trouver et s'implanter dans tous les plus beaux endroits du monde ?
06:18Filou, c'est pas le mot.
06:19C'est pas filou, mais il savait négocier.
06:21Il savait négocier, mais surtout il avait une intuition.
06:27Gilbert, il y avait au club une équipe, Gilbert disait voilà je vais m'implanter dans les
06:32Caraïbes.
06:33Il envoyait 4 ou 5 gars faire une première sélection de quelques plages, et quand il
06:38y avait 2-3 plages qui restaient sélectionnées, c'est lui qui arrivait, qui venait et qui
06:42disait c'est là qu'on va faire le village du club.
06:46Et c'est comme ça qu'il a découvert Punta Cana, qui est devenu une des grandes destinations
06:50touristiques.
06:51On a été les premiers à s'y implanter, les Turks and Caicos, ou Agadir, ou Phuket,
06:55ou Bali, voilà.
06:56Il a été à peu près le premier partout.
06:57Précurseur dans quasiment tous les lieux ?
06:59Sur les sites, oui, pratiquement précurseur.
07:01Incroyable.
07:02Dans votre livre, vous décrivez une multitude d'anecdotes quant au lieu d'implantation.
07:05Si vous deviez en raconter une qui vous a marquée particulièrement, que votre père
07:09vous a raconté sur un lieu qu'il a choisi, où ça a été un peu compliqué, je crois
07:12que les Turks and Caicos, ça n'a pas été simple, ça a été une sacrée histoire.
07:16Les Turks and Caicos, c'est une drôle d'histoire, parce qu'on était déjà très bien implantés
07:19au Bahamas, on avait beaucoup d'implantations, et le président des Turks and Caicos, le
07:25même ministère, demande à Gilbert d'implanter un village là-bas.
07:28On y va, c'est magnifique, c'est très beau, mais encore une fois, il y avait déjà
07:31beaucoup de villages dans cette zone, donc moi, en tout cas, j'hésitais, je dis à
07:35Gilbert, écoute, il faut peut-être qu'on fasse attention, on ne peut pas se développer
07:38indéfiniment.
07:39Et donc, Gilbert trouve le site et fait une espèce d'inventaire à la prévère au premier
07:44ministre, en disant, je veux bien m'implanter ici, mais je voudrais une piste pour poser
07:47des 747, je voudrais une exonération des droits de douane sur les 50 ans qui viennent,
07:51je ne pourrais pas payer d'impôt sur les 100 ans qui viennent.
07:54C'était l'impossible.
07:55L'impossible.
07:56Et on sort et on se dit, on verra, dans 20 ans, peut-être qu'ils nous rappelleront,
08:00et puis un an après, ils nous ont appelés en disant, écoutez, l'aéroport est en construction,
08:05la loi est passée pour exonérer de taxes, de trucs, de machins, alors on y va, et on
08:09est allé, et ça a été un très très beau succès.
08:11Donc finalement, c'est aussi un petit peu de la chance, c'est-à-dire aller jusqu'au
08:14bout et dire, ne pas avoir peur de dire les réels besoins pour obtenir ce qu'on veut.
08:19Oui, d'avoir le culot de casser les connes.
08:21Exactement.
08:23Si on le fait, on le fait, si on ne le fait pas, on ne le fait pas, c'est un peu ça
08:25son raisonnement.
08:26Moi, je le fais à telle condition, vous voulez de moi, vous les acceptez, vous ne voulez
08:30pas, tant pis, j'irais poser mon club ailleurs.
08:33Et comme à l'époque, le club était très très demandé par tous les chefs d'État,
08:37ils faisaient la queue, place de la bourse pour implanter des villages, donc voilà,
08:42ça permettait aussi à Gilbert d'être en position de force.
08:44Évidemment.
08:451963, vous postulez, comme des centaines d'autres étudiants d'ailleurs, pour devenir
08:50G.O.
08:51Comment s'est déroulée votre première expérience en Sardaigne ?
08:53J'ai été accepté.
08:55Vous n'avez pas eu de passe droit ?
08:57Peut-être un peu de piston.
08:58Et puis, j'ai fait une saison extraordinaire avec un gars qui s'appelait René Allemand,
09:03qui était le chef du village.
09:04J'étais très mauvais, je me suis gouré, je mettais quatre personnes dans la même
09:08case et ainsi de suite.
09:09J'aurais dû être viré une dizaine de fois.
09:11Il a eu la gentillesse de me garder et moi, je suis tombé amoureux du club à ce moment-là
09:15et c'est là que je me suis dit que j'avais envie d'y faire ma vie et ma carrière.
09:19Et donc, trois ans d'expérience en tant que G.O., qu'est-ce que vous en retenez ?
09:22L'amour des gens, l'envie de faire plaisir et puis, cette espèce de communauté qu'il
09:29y avait entre une équipe G.O.
09:31C'était une équipe de nomades, on venait pendant six mois, moi pendant deux mois de
09:35vacances scolaires, mais les équipes étaient des équipes pendant six mois.
09:38Voilà, c'était des nomades qui passaient d'un lieu à un autre et c'était un truc
09:41très intelligent parce qu'on s'aperçoit que dans nos métiers, si on reste trop longtemps
09:45en place, on ne voit plus les choses, on ne voit plus les petites saletés, on ne voit
09:48plus les araignées, on ne voit plus les trucs.
09:50Voilà, donc l'idée de tourner, d'être des nomades a fait en partie le succès du
09:55club et puis c'était un mélange, je veux dire, on mélangeait les juifs, les musulmans,
10:00les blancs, les blacks, les faux jaunes et tout ça avec beaucoup, beaucoup de bonheur,
10:06de gentillesse, de rigolade et voilà, c'était un autre monde.
10:10Est-ce que la clé du succès, ce n'est pas justement faire des spectacles, ne jamais
10:14se prendre au sérieux, faire du sport ? Est-ce que c'est ce qui a rendu le club ?
10:19Ça correspondait à une époque, je ne sais pas aujourd'hui si ça marcherait de la même
10:23façon.
10:24Voilà, c'est l'épanouissement des hommes et des femmes, c'est l'arrivée de la
10:29pilule, enfin il y a tout un ensemble de choses qui ont fait le succès du club, on a été
10:34les premiers à faire en sorte que les femmes soient libérées des contraintes de ménage
10:40quand ils partaient en vacances, parce que jusqu'à l'arrivée du club, on louait
10:44un petit appartement et donc la femme faisait la cuisine, la vaisselle et ainsi de suite.
10:48Là, on leur dit, il n'y a rien à faire, vous profitez des femmes comme des hommes,
10:52donc voilà, tout ça, à mon avis, a aidé au succès du club et puis effectivement,
10:57encore une fois, ce côté, on n'est là que pour du bonheur.
11:00On reste en pareo toute la journée ? Oui, enfin en pareo dans les villages de
11:0515, en tenue de ski dans les villages de ski, voilà, le club s'est adapté à tout ça,
11:09on est rendu là-bas quand on est au Maroc et tout ça avec beaucoup d'humour et d'amour.
11:15Avec votre licence économique en poche, vous pouvez postuler pour devenir chef de village
11:20et vous atterrissez tout d'abord à Corfou, je crois que c'est votre club-maître préféré,
11:24c'est votre club-maître de cœur ? Oui, pour moi d'abord, c'est un village
11:29du club historique.
11:30C'est le troisième ? Oui, c'est ça, Gérard Lys l'ouvre en 53,
11:35c'est un site dont on dit qu'il est hanté, il y avait une espèce de rumeur, de malédiction
11:42sur ce site, voilà, qu'il y avait des ombres néfastes dans le site, Gérard Lys, je m'en
11:46fous.
11:47Il s'est déjà passé quelque chose de grave ? Il y a quelqu'un qui est mort sur le site,
11:50je ne sais pas, dans les années 30 ou 40, en tout cas, Gérard le fait, le roi de Grèce
11:56vient au moment d'ouverture et bénit un peu l'ouverture de ce village, c'était
12:02pas mal.
12:03Et le site est magique, c'est sur une baie, la baie d'Odassia, les Grecs qui sont là
12:08protègent le site, c'est une équipe d'hommes et de femmes extraordinaires, voilà, et c'est
12:14le mélange de ce site unique, de ces hommes et ces femmes merveilleux d'amour, de gentillesse,
12:21et puis des équipes du club qui font le succès de Corfou et j'ai été très heureux d'y
12:26passer une saison.
12:27En arrivant à Corfou, justement, vous êtes obligé de réaliser un défi nautique, je
12:31crois, où vous étiez quand même pas hyper bien, vous pouvez m'expliquer un petit peu.
12:35Vous savez tout, moi je ne suis pas sportif, à l'époque les chefs de village du club
12:39étaient des grands sportifs, beaux, chanteurs, danseurs, moi ce n'est pas du tout mon cas,
12:44d'ailleurs c'est pour ça que j'ai été dans les bureaux, je ne fais pas de réel animation
12:47ni dans les sports, voilà, et puis il y avait dans le village un chef d'animation charismatique
12:53et autre qui un jour me lance le défi, il y avait un tremplin, il dit on va voir lequel
12:57des deux est capable de passer devant.
12:59En ski nautique.
13:01Et je dis écoute, on va essayer, en me disant je vais me casser la gueule et c'est lui
13:05qui va faire.
13:06Il était où le tremplin ?
13:07Il était sur la baie, vous savez c'est des tremplins, mais en fait le tremplin quand
13:11vous le voyez devant il est très peu incliné, mais quand vous arrivez devant vous avez l'impression
13:15d'arriver devant un mur.
13:16C'est l'horreur.
13:17Et donc lui il abandonne, et moi je dis je vais quand même essayer, j'y vais, je passe,
13:21je me casse la gueule mais je le fais, et donc je deviens la star du village.
13:25Ça c'est génial comme histoire, ça a dû gonfler un petit peu votre ego à l'époque.
13:29En tout cas ça m'a fait plaisir.
13:31L'ego je ne sais pas, mais ça m'a fait plaisir.
13:33Et qu'est-ce que vous avez retenu de ces quelques années comme chef de village justement ?
13:37L'animation d'une équipe, la capacité à faire travailler ensemble des hommes et
13:44des femmes, encore une fois pendant une durée de temps donnée, et de faire en sorte que
13:48chacun d'entre eux s'approprie le village, s'approprie le succès.
13:52Je crois que l'un des succès du club, vous en parlez tout à l'heure, c'est son sentiment
13:56d'appartenance.
13:57C'est-à-dire qu'on était fiers d'appartenir au club, fiers de travailler pour cette boîte,
14:01dans les villages, dans les bureaux, dans les sièges et autres.
14:04Donc j'en retire ça, ces valeurs de travailler avec des garçons et des filles d'horizons
14:09complètement différents, encore une fois de couleurs de peau complètement différentes,
14:12de religions complètement différentes, et de faire en sorte qu'une tribu, pendant
14:17l'espace de 6 mois, on travaillait 7 jours sur 7, alors il n'y a pas de RTT, il n'y
14:22a pas de jour de congé, aujourd'hui tout ça est complètement impossible.
14:27Et personne ne gueule, voilà.
14:30Et au moment du départ, tout le monde pleure en disant comment c'est déjà fini, la
14:33saison est finie.
14:34C'est irracontable.
14:36Et quand je le raconte aujourd'hui, personne ne le croit.
14:38Oh bah si, quand même.
14:39Maintenant, ensuite, votre père, Gilbert, essaye de trouver plusieurs techniques pour
14:44que le club fonctionne, il crée des pôles où vous gérez chacun une partie du monde,
14:51mais ça ne fonctionne pas très bien apparemment, donc vous devenez directeur des opérations
14:55mondiales en charge de l'ensemble des villages.
14:58Ça correspondait à quoi exactement ce poste ?
15:01Ça correspondait à gérer une soixantaine à l'époque de villages du club, à s'assurer
15:06qu'en termes de gestion et en termes de satisfaction, ils fonctionnent le mieux possible.
15:11On avait pas mal internationalisé le club, on commençait à recevoir des clients de
15:15tous les pays du monde, donc il fallait faire en sorte d'amalgamer ces hommes, ces femmes,
15:20ces équipes, et puis il y avait la profitabilité, le club était une des affaires les plus rentables
15:24du secteur dans ces années-là.
15:26Et vous étiez combien à peu près à gérer justement ces opérations ?
15:30Au siège, on devait être 150 à 200 personnes environ à l'époque pour gérer ça.
15:36Et quand on voit une entreprise grossir comme ça, prendre de l'ampleur, comment ça se
15:40passe ? Comment on gère justement cette croissance exponentielle ?
15:45Écoutez, elle se gère, encore une fois par l'intuition de Gilbert, qui avant tout le
15:51monde captait l'intérêt du marché américain et japonais, qui ont été deux des points
15:57importants du développement du club, et elle se gère par croissance interne et par promotion
16:02interne.
16:03Je crois que le truc intelligent du club, c'était qu'à l'époque, si on voulait
16:08travailler dans cette maison comme je l'ai fait, il fallait commencer dans les villages
16:11du club.
16:12Il fallait voir comment fonctionne un village, ce que c'est qu'un GM, ce que c'est qu'un
16:15GO, ce que c'est que de se faire engueuler le matin au téléjeuner parce que le café
16:19n'est pas bon, ou le soir parce que le spectacle n'est pas à la hauteur.
16:22Et après, on pouvait accéder à d'autres postes.
16:25Et on a fait grandir cette boîte en faisant grandir des hommes et des femmes qui étaient
16:29rentrés au club, à la réception, à la cuisine et autres, et qui sont progressivement
16:34devenus des patrons.
16:35Et c'est ça sûrement une des forces du club de l'époque.
16:38Et vous avez eu plein de stars au Club Med, des gentils organisateurs, qui sont devenus
16:43aujourd'hui des personnalités très connues du monde du spectacle, entre autres.
16:47Vous pouvez nous en citer quelques-uns ?
16:49Écoutez, moi, tous les matins, je rigole quand j'écoute Philippe Lavrivière sur
16:53RTL, qui est un enfant du club, qu'admira Patrick Bruel.
16:57Vous avez comme ça des tas d'hommes et de femmes qui sont passés par le club et
17:01qui, je crois, m'ont gardé de bons souvenirs.
17:04J'imagine.
17:05Au gré des nouveaux clubs, vous rencontrez chefs d'État, ministres et rois.
17:09Et un jour, vous recevez un coup de fil à votre siège Place de la Bourse, du Vatican.
17:13Alors ça, c'est une histoire absolument incroyable.
17:16En fait, c'est Gilbert qui reçoit un coup de fil.
17:19L'assistante de Gilbert lui dit, on a un message du Vatican, le pape voudrait vous rencontrer.
17:24À l'époque, le club, c'est plutôt les bronzés.
17:26Donc Gilbert dit que c'est encore une blague de quelqu'un.
17:29Laisse tomber, on oublie.
17:31Il n'était pas très content, les bronzés, ça ne lui plaisait pas beaucoup.
17:33Mais enfin, c'était une caricature du club sur une certaine partie de l'image du club.
17:38En tout cas, Gilbert dit, c'est pas sérieux, laisse tomber.
17:40Et puis, dix jours après, la même assistante vient voir Gilbert en disant,
17:43M. Trigano, je suis désolé, mais là, on reçoit un deuxième appel du Vatican.
17:46Et apparemment, le pape n'est pas très content.
17:48Il a l'habitude, quand il appelle et qu'il a envie de rencontrer quelqu'un, que la personne réponde.
17:52Donc Gilbert commence à se dire, c'est peut-être sérieux, se renseigne.
17:55Mais en fait, on s'aperçoit que le pape, Jean-Paul II à l'époque, était un grand sportif
18:00et qu'il faisait des balades à la montagne.
18:02Et son coach était un ancien GM du club.
18:05Donc il devait lui raconter le club.
18:07Et le pape, qui était un type assez étonnant, dit, j'aurais rencontré ce type.
18:10Ce que vous me racontez est incroyable.
18:12Amenez-moi ce M. Trigano.
18:14Et donc, on organise.
18:16Alors, il y a tout un process pour...
18:18Il faut donner de l'argent aux bonnes oeuvres.
18:20Il faut se préparer.
18:21Avant de le rencontrer.
18:22Avant de le rencontrer, il y a tout un process.
18:23Mais on se retrouve à Rome.
18:24Il faut donner beaucoup d'argent.
18:25Non, pas beaucoup d'argent.
18:26Il y a un espèce de symbolique.
18:28Et donc, on se retrouve au Vatican avec mon papa, ma maman, mon épouse,
18:33le patron du club pour l'Italie.
18:36On installe un randonnion.
18:38Et le pape vient devant chacune des personnes.
18:41Et donc, il arrive devant Gilbert.
18:43Il dit, alors, M. Trigano, c'est quoi ce club méditerranéen ?
18:46Il dit, quoi, ce que c'est ? Je ne comprends pas.
18:48Et Gilbert lui dit, sa sainteté, mon métier, ça consiste à réunir des hommes et des femmes
18:52du monde entier, dans les plus beaux endroits du monde,
18:54et essayer de leur apporter un bonheur.
18:56Et le pape le regarde avec un sourire que je n'oublierai jamais.
18:59Il lui dit, alors, Trigano, nous faisons le même métier.
19:02Et prenons la photo, et il passe au suivant.
19:04C'est une très, très belle histoire.
19:06En 1980, ensuite, votre père décide de partir à la conquête du monde.
19:09Vous y participez depuis New York, où vous vivez à l'époque.
19:12Le club med devient un empire où le soleil ne se couche jamais.
19:16Donc ça, c'est les journalistes qu'il appelait comme ça à l'époque, c'est ça ?
19:19Absolument.
19:20Et ça a été pour moi, on a passé cinq années à New York.
19:23Ces cinq années à New York ont été parmi les plus belles années de ma vie.
19:27Parce que quand vous êtes patron d'une grande boîte comme le club,
19:31mais que vous êtes à l'étranger, donc vous n'êtes pas au siège,
19:33où il y a la pression du siège en permanence.
19:36Le président venait nous visiter, mais plus pour voir ses petits-enfants
19:39que pour voir les comptes.
19:41Voilà.
19:42Et donc, vous avez la latitude de pouvoir tout faire.
19:44C'est de la liberté totale.
19:45C'est de la liberté.
19:46Et de partir à la conquête d'un continent, c'est formidable.
19:48Et on a doublé la taille du club en cinq ans,
19:51en ouvrant toute une série de villages, en diversifiant un petit peu l'offre.
19:54Et ça a été cinq années que c'est formidable.
19:56Et c'est cette époque où le Club Méditerranée devient Club Med, justement.
19:59C'est ça.
20:00Les Américains trouvaient que Club Méditerranée, c'était trop long.
20:02Et donc, ils ont coupé à Club Med.
20:04Et après, on a gardé Club Med.
20:061988, votre père est l'invité d'honneur de Bernard Pivot dans l'émission Aprostrophe.
20:11Ça m'a fait beaucoup rire.
20:12Pour parler littérature, Bernard Pivot conclura l'émission par une question assez originale.
20:17Selon vous, quelle est la plus belle invention après le bonheur ?
20:20Le livre ou le Club Med ?
20:22Alors, d'après vous, Serge ?
20:24Le livre.
20:26Et le club, qu'est-ce qui a apporté le club, justement ?
20:29Il y a eu des livres sur le Club Med, à part le vôtre.
20:31Il y a eu beaucoup de livres sur le club.
20:34Écoutez, je crois que le club, ça a apporté une raison d'être à des hommes et des femmes du monde entier.
20:41Le tourisme, on en parle, on le critique beaucoup, le surtourisme, ainsi de suite.
20:46En même temps, le tourisme, c'est quand même un des métiers qui permet à des hommes et des femmes sans diplôme
20:51d'évoluer et de grandir dans une entreprise.
20:54Ce fameux ascenseur social, il est plus fort que jamais dans ces métiers du tourisme.
20:59C'est un métier, c'est une boîte qui a donné à des hommes et des femmes, ça a été une école de vie.
21:05Ça a été une école du bonheur pour des millions de GM, une école de vie pour des millions ou des milliers de GO,
21:11qu'après ils soient devenus des vedettes de la radio, de la télé ou qu'on retrouve dans d'autres facettes de notre vie.
21:18On va parler d'un moment un petit peu plus dur, le 9 février 1992.
21:21Un avion qui transporte vos gentils membres s'écrase.
21:24Votre père ne s'en remettra jamais.
21:26Vous devenez le PDG du Club Med dans un contexte assez complexe.
21:29Vous pouvez nous en parler ?
21:31Oui, le club vivait dans le bonheur absolu.
21:35Pendant déjà presque 40 ans ?
21:37Pendant pratiquement 40 ans, et puis voilà.
21:41On avait un village au Cap Skyring, magnifique.
21:44Pour arriver au Cap Skyring, il fallait faire une rupture de charge, prendre un avion à Dakar.
21:49Là, on avait l'obligation de prendre des avions d'une compagnie qui s'appelait Air Sénégal.
21:53Et donc, on prend ces avions-là et un de ces avions s'écrase.
21:58D'ailleurs, pas du fait que l'avion était en mauvais état, mais du fait que le pilote avait fait une erreur.
22:03Mais c'est comme ça, il y a eu un procès.
22:05On a été condamnés.
22:07Ça a été un des passages les plus douloureux de ma vie.
22:10Mais encore une fois, effectivement, pour Gilbert, ça a été une rupture totale.
22:14Et il nous a quittés quelques temps après avoir terriblement souffert de ce drame.
22:18Et quand vous prenez justement la tête du Club Med, vous succédez donc à votre père.
22:22Vous êtes confrontés à quel défi exactement ?
22:25D'abord, succéder au fondateur génie, visionnaire et tout, c'est déjà un peu compliqué.
22:32Maestro !
22:33Maestro, c'est un peu compliqué.
22:35Le contexte est difficile parce qu'il y a eu le drame du cap-ski-ring.
22:38Il y a eu la guerre du Golfe.
22:40Il y a eu tout un ensemble d'événements dramatiques à travers le monde.
22:45Donc, le contexte est un peu compliqué.
22:47Mais bon, j'étais heureux de prendre cette responsabilité.
22:52Je pensais que ça allait bien se passer.
22:54Ça ne s'est pas bien passé, mais ça a été en même temps formidable.
22:57Quelques années quand même où ça marche plutôt pas mal.
23:0095 est dramatique pour le club.
23:02L'exercice 96 n'est pas à la hauteur des attentes du marché.
23:05Votre destitution est annoncée.
23:07Et comme vous l'écrivez dans votre livre, vous vivez à ce moment précis.
23:10Une scène digne du parrain.
23:13Oui, c'est du passé.
23:16On a pu à peine revenir là-dessus.
23:18Ça a été un peu difficile.
23:19Quand on n'est pas propriétaire d'une boîte, c'est normal que les actionnaires décident de votre vie.
23:26Ils vous gardent ou ils ne vous gardent pas.
23:28C'est seulement qu'il y a la façon de faire.
23:30La façon dont ça a été fait n'était pas d'une grande élégance.
23:33C'était des gens en costume de karachini, mais à l'intérieur, ce n'était pas très beau.
23:38C'est comme ça, c'est la vie.
23:40Votre histoire d'amour avec le club med, c'est mal terminé.
23:43Vous passez par des moments de profonde tristesse.
23:47Comme toutes les histoires d'amour, c'est la fin d'un rêve, la fin d'une époque heureuse.
23:51Comment on se reconstruit après ça ?
23:53On a la chance, en tout cas dans mon cas,
23:55d'avoir une femme formidable, deux fils extraordinaires.
23:58L'un des deux travaille aux Etats-Unis, chez Coca-Cola.
24:01Le soir de ma destitution, il appelle et dit « moi j'arrive et on va faire un truc ensemble ».
24:06C'est ça qui m'aide.
24:07Et puis mon père, qui n'a pas eu un mot,
24:10aurait pu me reprocher un peu de quitter le club dans ces conditions-là.
24:15Ce n'est pas votre choix.
24:17Non, ce n'est pas mon choix.
24:18Mais il se passe quelque chose d'assez originel.
24:20Tous les gentils organisateurs étaient devant le siège.
24:25Ils vous ont fait une aide d'honneur quand vous êtes partis.
24:28Ça devait être absolument fou.
24:30Une aide plutôt difficile pour les administrateurs.
24:32Et puis une aide d'honneur et d'amour.
24:35Ça a été un grand moment.
24:36Et puis ça se termine, ça se termine.
24:38La chance, c'est ça.
24:40C'est une structure familiale solide.
24:42Et l'envie de se dire « on refait autre chose ».
24:44Mais ça a été comme il y a eu un ou deux ans un peu compliqué.
24:47J'imagine, traverser du désert.
24:49Avec le recul, Serge, vous vous dites que cette trahison aura été la chance de votre vie.
24:54L'aventure Mama voit le jour avec vos deux fils, Benjamin et Jérémy.
24:57Comment est né le concept des Mama Shelters ?
25:00Il est né de discussions entre mes fils, notre associé Cyril de l'époque.
25:07Au début, on voulait refaire un resort pour montrer qu'on n'était pas aussi mauvais que ce qu'on nous avait dit.
25:12On avait pris un terrain au Maroc, ça ne s'est pas fait.
25:15Vous avez eu des problèmes avec le roi, je crois, avec la famille royale.
25:17En tout cas, l'entourage.
25:19Dans ce pays, on ne sait jamais qui décide et qui fait quoi.
25:22En tout cas, un jour, on vous dit que le terrain n'est plus à vous.
25:25Et donc, on en est expulsé.
25:27Et donc, on se dit qu'il faut peut-être faire autre chose.
25:30Et on est au début des années 2000.
25:32Le monde est en train de changer.
25:34On ne prend plus de longues vacances comme on le prenait à l'époque du club dans les années 60-70.
25:39On part des week-ends.
25:41La famille s'est un peu cassée.
25:43Un mariage sur deux termine par un divorce.
25:45La Méditerranée, qui était une mer de paix, est devenue une mer un peu plus compliquée.
25:49Et donc, on se dit qu'il y a peut-être autre chose à imaginer.
25:52Et de se poser sur un autre territoire.
25:54Et on pense que la ville correspondrait mieux au tourisme du XXIe siècle.
26:00En fait, on est partis sur l'idée de se dire que la plage, ça a été le monde du tourisme du XXe siècle.
26:08Et au XXIe siècle, ça sera les villes.
26:10Dans les villes, à l'époque, il n'y avait pas grand-chose d'original.
26:14Et donc, on s'est dit, et si on faisait un hôtel qui soit ouvert sur la ville ?
26:19Et c'est un peu comme ça qu'est partie l'idée du Mama Shelter.
26:22Et pourquoi ce nom, Mama Shelter ?
26:24Alors ça, c'est mes fils qui l'ont trouvé.
26:26Enfin, c'est un de mes fils qui a trouvé la notion de shelter, cette notion d'un abri ouvert à tout le monde.
26:32Et Stark a apporté cette idée de mama, ce côté affectueux de la femme qu'on aime le plus au monde,
26:37qui s'occupe de nous quand on ne va pas bien, qui nous remonte le moral quand il est dans les chaussettes,
26:42qui nous apporte à manger quand on n'a pas faim.
26:44Et donc, on a mis ça ensemble.
26:46Les grands ponts de la communication nous ont dit que ça ne marcherait jamais.
26:49Et ça s'est instauré comme un nom fort du monde de l'hôtellerie.
26:53Vous le dites d'ailleurs que vous n'avez pas fait d'études de marché.
26:56Rien n'a été fait dans les règles d'un business plan classique quand on monte une société.
27:01Pourquoi ?
27:03Écoutez, nous, on marche à l'intuition dans la famille.
27:06Tant mon père que mes fils que moi.
27:09On n'est pas complètement débiles.
27:11On s'appuie un petit peu sur quelques études.
27:13Mais comme le club, le mama, il est né d'une envie, d'une aspiration.
27:19Et d'ailleurs, la seule étude de marché qui a été faite sur le mama,
27:22à la demande d'un banquier, a dit que ça ne marcherait jamais
27:25et que c'est impossible de faire marcher un hôtel dans le 20e arrondissement avec un grand restaurant.
27:30Et nous, on s'est dit qu'on allait essayer de créer un lieu qui corresponde à nos envies, à nos attentes.
27:36Et c'est comme ça qu'est né le Mama Shelter.
27:38On va parler un peu des fondateurs du Mama Shelter.
27:40Mais ensuite, comment est née cette émulation ?
27:43Pourquoi ça a pris tout de suite ? Pourquoi ça a marché directement ?
27:46Vous connaissez les journalistes.
27:48Vous connaissez le monde d'aujourd'hui.
27:50C'est vrai.
27:51Il faut qu'on raconte une histoire.
27:53Et quoi de plus beau que de raconter une histoire d'une famille qui a été jetée d'un monde de bisounours
28:01en paréo du club méditerranée et qui rebondit dans le 20e arrondissement,
28:06associée au génie du design qui est Philippe Starck,
28:10à un chef étoilé qui est Alain Sanderins,
28:13avec une famille qui se réinvente avec la troisième génération.
28:17Donc ça racontait une histoire et les journalistes ont adoré l'histoire.
28:21En plus, encore une fois, ça correspondait à une attente de la clientèle.
28:26On y mangeait bien, on y mange bien, à un prix abordable.
28:30Les premiers prêts étaient à 49 euros la nuit.
28:33On est sortis en plein dans la crise des subprimes,
28:37dans ce moment un peu compliqué où les gens ont aussi changé leur façon de voyager.
28:41En 2008, le 1er, c'est ça ?
28:42En 2008, voilà.
28:43Et c'est comme ça que c'est parti et ça a été effectivement un succès.
28:47L'hôtel a démarré très fort, le restaurant a mis un peu de temps,
28:51puis d'un seul coup c'est parti et les gens faisaient la queue une semaine à l'avance
28:55pour essayer d'avoir une table dans un truc au trou du cul du monde.
28:58Mais oui, mais il y avait des DJs, c'était complètement…
29:01Oui, il y avait des DJs, il y avait une énergie, enfin il y a une énergie incroyable,
29:06il y a des garçons et des filles.
29:07On y retrouvait un petit peu l'ambiance et les valeurs du Club Méditerranée des Grandes Années.
29:11Donc c'était un peu ça l'histoire.
29:13Et comment vous avez financé un tel projet ? Parce que vous êtes parti du Club Men,
29:16il y a ce Philippe Starck, vous avez vos deux fils, vous êtes quand même…
29:20Comment on finance un tel projet ? Comment on se lance dans un projet pareil ?
29:23On se lance un peu à l'aveugle, on se lance sans savoir où on va.
29:27Vous allez chercher des investisseurs ?
29:29On va chercher des investisseurs, je me suis fait jeter de partout,
29:31parce que tout le monde me disait que ça ne marcherait jamais.
29:34Donc j'ai mis l'argent que j'avais gagné dans l'aventure du club, le parachute de départ,
29:40on a vendu l'appartement qu'on avait acheté à l'époque de la grandeur
29:44pour financer une partie des études, voilà.
29:46Et c'est comme ça que c'est parti.
29:48Donc j'ai tout mis, si ça ne marchait pas, on était ruiné pour quelques générations.
29:52Et puis voilà, ça a marché.
29:53Donc c'est un pari risqué ?
29:54Ah oui, c'était très risqué, oui.
29:56Vos fils Benjamin et Jérémy ont deux personnalités très différentes.
29:59Le soir de votre destitution, vous le disiez, du Club Med,
30:02Benjamin prend la décision incroyable de partir de chez Coca-Cola.
30:06Vous nous expliquez comment ça se passe ?
30:08Oui, Benjamin travaillait avec le génie du marketing,
30:11qui est Sergio Zimane, qui est un type extraordinaire.
30:14Il travaillait à Atlanta, voilà.
30:16Et donc le jour où je lui dis, je quitte le club,
30:21il me dit, moi je prends l'avion ce soir et on va faire un truc ensemble.
30:24Et j'ai vu William, physiquement, quitter Coca-Cola le soir même.
30:27Et il est venu et le lendemain, il m'a un peu remonté le morat.
30:30Je dois dire que le lendemain, c'était un peu difficile.
30:33C'est comme ça qu'on a commencé à réfléchir, qu'on a pris les bureaux
30:36et qu'on a commencé à travailler ensemble.
30:39Alors Jérémy, quant à lui, est plus studieux,
30:42mais assura la direction générale de l'entreprise.
30:44Vous dites de lui que c'est Mister No.
30:46Pouvez-vous nous expliquer ce petit surnom, ce petit soubriquet ?
30:49Jérémy est un type extraordinaire.
30:51Le propriétaire, c'est lui qui m'aide et qui dirige l'affaire.
30:55Mais il a une propension, dès qu'on vient vers une idée nouvelle,
30:58une destination nouvelle, de dire au départ, non, ça ne marchera pas,
31:01je ne suis pas d'accord, et ainsi de suite.
31:03Mais avec le temps, il lui arrive de changer d'avis.
31:06Et alors il s'y met à fond et ça marche, et il le fait marcher.
31:09Donc vous avez quand même besoin de ce Mister No, quelque part,
31:11dans l'évolution ?
31:13Si vous voulez, la chance que j'ai, c'est qu'ils font, comme vous l'avez dit,
31:16tellement différents l'un de l'autre, très complémentaires,
31:19ce qui donne lieu, comme il y en a un qui vit aux Etats-Unis,
31:22la nuit, à des échanges de mails assez savoureux.
31:25Et on essaye, à 5-6 heures du matin, de se mettre d'accord
31:29sur une motion sur laquelle on arrive à travailler ensemble.
31:33Et quant à Philippe Starck, vous l'appelez le Léonard de Vinci du XXIe siècle,
31:37vous l'avez rencontré pour le Club Mayenne au tout départ.
31:40Comment ça s'était passé, votre première rencontre ?
31:43Écoutez, on avait commencé la montée en gamme du club,
31:46qui ne date pas d'aujourd'hui, et j'ai cherché le designer
31:50qui pourrait nous aider.
31:52Et mon épouse me dit que le plus brillant, c'est Philippe Starck,
31:55qui essaie de le rencontrer.
31:57Et donc on prend rendez-vous avec Philippe Starck,
31:59qui arrive très gentiment à nous voir,
32:02mal rasé, avec son casque de moto et ainsi de suite,
32:06un pantalon bariolé, pas le look du designer branché classique.
32:12Et j'explique à Philippe, voilà, le club, on va monter en gamme,
32:15Et c'est coup de cœur direct ?
32:17Et Philippe me dit, écoutez, moi, ça m'intéresse, pourquoi pas,
32:20mais je n'ai pas envie de faire la décoration d'un village,
32:23j'aimerais devenir le directeur artistique de l'ensemble des villages du club.
32:27Je lui dis, écoutez, pourquoi pas, mais la décision ne veut pas venir que de moi,
32:30il faut prendre un peu de temps pour qu'on en discute.
32:33Et à la fin, il me dit, mais en tout cas, j'aimerais faire des choses avec vous,
32:35parce que quand on était jeunes, on partait en vacances
32:38dans les villages du club avec ma maman, c'était des trucs formidables.
32:43Et quand l'histoire du club se termine,
32:46Philippe est une des rares personnes qui ne m'a pas laissé tomber,
32:49et qui m'a dit, moi, si vous refaites un truc, je le fais avec vous,
32:52je suis tombé d'amour avec les Trigano, voilà.
32:54J'adore.
32:55Nos successeurs lui ont fait un pondeur, il a dit non,
32:57je fais avec les Trigano, et on a fait avec lui.
33:00Léonard de Vinci, c'est fort comme personnage.
33:04Écoutez, on allait, quand on travaillait sur le MAMA, on allait chez lui,
33:07il était là, comme vous, en face de moi,
33:10et je le voyais dessiner les éléments du MAMA,
33:13la table du restaurant, un truc,
33:16et moi, je suis un fan de Léonard de Vinci, je trouve ce type,
33:19et j'ai l'impression de voir le même truc, un gars avec son papier,
33:23son crayon, de dessiner les choses plus belles les unes que les autres,
33:27et les deux gars, c'est un inventeur.
33:29Votre dernier associé pour l'aventure MAMA Shelter s'appelle Cyril Aouezérat,
33:34il est pour vous un philosophe de l'urbain, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
33:38Parce qu'on entend moins parler de ce monsieur.
33:41Oui, mais Cyril, c'est un type assez extraordinaire,
33:44très très brillant, qui est effectivement un philosophe,
33:48qui écrit des livres, qui est très très studieux,
33:52beaucoup plus érudit que moi,
33:55et en même temps, qui travaillait, quand il nous a rejoints,
33:58dans le monde de l'immobilier, chez Altarea,
34:03c'est lui qui est un peu à l'origine du truc à Bercy Village,
34:09et c'est avec lui qu'on a commencé le truc,
34:12donc on était très complémentaires, nous, dans notre univers du club,
34:15et lui dans l'univers de l'immobilier,
34:18plus ce côté, encore une fois, un peu philosophe,
34:22sortant des sentiers battus de l'hôtellerie traditionnelle,
34:26et c'est cette alchimie qui a fait une partie du succès du MAMA.
34:29Combien de temps a duré l'aventure MAMA Shelters, pour vous, en fait ?
34:32Elle a duré une quinzaine d'années.
34:34Une quinzaine d'années. Et pourquoi vous décidez de le vendre ?
34:37On ne décide pas de le vendre.
34:39À un moment donné, quand le MAMA commence à grandir…
34:42Il y en a partout dans le monde.
34:44Il y en a aujourd'hui un peu partout dans le monde.
34:46Toutes les chaînes hôtelières se mettent dans le même créneau,
34:50les Hayat, les Hilton, les Marriott, et ainsi de suite.
34:52Nous, on était une petite entreprise familiale.
34:55Si on est intéressé d'entreprise familiale,
34:57de faire un hôtel tous les ans, tous les deux ans,
35:00on aurait été complètement dépassé.
35:02Et donc, on s'associe à Accor,
35:05parce que Sébastien Bazin avait une vraie vision
35:08de faire bouger son entreprise.
35:11Et il prend une option sur l'ensemble des titres.
35:14Moi, je pensais que ça prendrait plus de temps.
35:16Il a décidé d'accélérer les choses.
35:18Et ça se passe très bien, puisqu'on reste avec lui
35:20et qu'on le conseille sur un certain nombre de sujets.
35:23Très bien. Aujourd'hui, 15 ans après la création des MAMA Shelters,
35:26vous récidivez à nouveau.
35:28Vous ne pouvez pas vous arrêter, en fait.
35:30Je crois que si j'arrête, je meurs.
35:31Donc, j'essaie d'operer encore quelques temps.
35:34En lançant une nouvelle chaîne d'hôtels,
35:35Peri-Urbain & Co-Friendly, son nom O'Baby,
35:38est-ce que vous pouvez nous en parler, de votre dernier-né ?
35:41Il est en train de naître. Il n'est pas encore né.
35:44L'idée, c'est d'essayer de concevoir un hôtel,
35:48d'abord qui tient compte des vrais enjeux aujourd'hui
35:51de l'environnement, donc une construction,
35:53en bois quand c'est possible,
35:55en béton décarboné,
35:57en essayant d'intégrer toutes ces notions
35:59qui font que le monde qu'on va laisser à nos enfants
36:02soit moins dramatique que celui qui est en train de se présenter.
36:06C'est un lieu où, à l'opposé du MAMA,
36:08qui est un lieu festif,
36:09là, on va vous garantir de très bien dormir,
36:12où le sommeil va être privilégié,
36:14et on est en train de travailler là-dessus.
36:16Et c'est un lieu avec une restauration
36:18qui va être aussi assez décalée
36:20par rapport à ce qui se passe aujourd'hui.
36:22On est en train de signer les premiers contrats,
36:24on espère ouvrir le premier à Milan d'ici deux ans,
36:28et on espère aussi un autre asseintoir
36:30à peu près en même temps.
36:31Très bien, un asseintoir qui bouge énormément.
36:33Absolument.
36:34Les hôtels, le MOB Hôtel,
36:35les cas de MOB Hôtel, absolument incroyable.
36:36Absolument.
36:37Très bien.
36:38Et je crois, j'ai entendu dire,
36:39qu'il y aurait beaucoup moins de personnel
36:41que dans les MAMA Chateaus.
36:42Pourquoi ce parti pris ?
36:44Parce qu'on trouve de plus en plus difficilement
36:46du personnel pour travailler dans les hôtels
36:48et dans les restaurants.
36:49En même temps, on a la chance
36:50parce qu'ils y trouvent un environnement
36:52plutôt agréable et festif
36:54de trouver tout ce qu'il faut.
36:55Mais enfin, ça devient de plus en plus difficile.
36:57Et donc, il faut s'adapter à ça
36:59et trouver le moyen d'avoir du personnel
37:02moins nombreux, d'aussi bonne qualité,
37:05mais moins nombreux pour faire fonctionner
37:07les cuisines, la restauration, les chambres.
37:09Tout à fait.
37:10Et quelles sont donc les grandes différences
37:11entre un MAMA Chateau et un OBB ?
37:13Un MAMA Chateau, encore une fois,
37:14c'est un lieu de fête.
37:15On vient pour faire la fête,
37:16on vient pour écouter de la musique et tout.
37:19Un OBB, ça sera vraiment l'opposé.
37:21On vient vraiment pour dormir.
37:23On vient dans un lieu qui, encore une fois,
37:26respecte plus que jamais
37:28tous ces enjeux d'environnement
37:30pour casser la croûte dans des trucs plus simples.
37:33Je ne pense pas qu'on aura autant de monde
37:36qui vienne de l'extérieur dans nos restaurants.
37:38Il y en aura un petit peu
37:39parce qu'on va sûrement faire ça
37:40avec un grand chef étoilé.
37:41Donc, ça va être un positionnement de prix
37:43un peu plus bas que le MAMA Shelter.
37:46Vous ciblez quel type de clients ?
37:49On cible tout type de clients qui voyagent
37:52et que, encore une fois,
37:53on a marre d'aller dans des hôtels
37:55où on dort mal, où il y a du bruit,
37:56où il n'y a pas de black-out dans la chambre.
37:58Donc, on vit cette clientèle basique de chez BASIC.
38:01J'ai entendu dire…
38:02Combien vous prévoyez d'en ouvrir des OBB ?
38:05Vous me dites deux déjà.
38:07On a signé pour en faire une quinzaine avec un fond.
38:10D'accord, très bien.
38:12Et vous ne croyez pas au nombre d'hôtels,
38:14au nombre d'étoiles dans les hôtels ?
38:16Ça, vous n'y êtes pas du tout pour.
38:17Je crois que c'est un truc d'un autre âge.
38:19Et d'ailleurs, vous savez,
38:20quand on a ouvert le MAMA Shelter,
38:22il y a deux gentilles dames de l'administration de Paris
38:25qui sont venues visiter le MAMA.
38:27On pensait qu'on allait être trois étoiles
38:29et à la fin de la visite,
38:30elles m'expliquent
38:31« Non, vous ne serez pas trois étoiles.
38:33Vous êtes deux étoiles
38:34parce qu'il n'y a pas de baignoire dans les chambres. »
38:36Je leur dis « Écoutez, quand même,
38:37les baignoires, c'est pas très écolo. »
38:38Surtout aujourd'hui.
38:40Oui, mais c'est comme ça.
38:42Moi, je ne crois pas aux étoiles.
38:43Je crois que les gens aujourd'hui,
38:45ils choisissent leurs hôtels
38:46en fonction de ce qu'ils lisent sur les réseaux sociaux,
38:48de ce que vous aimez comme hôtel.
38:50Si moi, j'ai les mêmes goûts que vous,
38:52j'aurais plus envie de suivre vous, Fanny,
38:54que les classements étoilés.
38:56C'est un peu comme ça qu'on fonctionne aujourd'hui.
38:58Et vous auriez raison.
39:00Je pense que j'aurai partie raison.
39:02J'ai une dernière question pour vous, Serge.
39:04Quelles sont les clés de la réussite
39:06pour bien travailler en famille ?
39:09Moi, je ne sais que travailler en famille.
39:11Je ne connais pas les clés de l'insuccès
39:13sans la famille.
39:14Mais ça ne doit pas être simple tous les jours.
39:16Non, ce n'est pas simple tous les jours.
39:18Mais en même temps, c'est une relation
39:19de confiance incroyable.
39:20Quand vous travaillez avec vos fils
39:22ou avec votre père,
39:23il n'y a que de l'amour et de la confiance.
39:25Il doit y avoir des disputes.
39:26Bien sûr, il y a des disputes.
39:28Nous, avec mes enfants,
39:29on n'est jamais d'accord sur rien.
39:30On passe des jours, des nuits à s'engueuler
39:32sur tous les sujets.
39:33On fait la chambre comme si,
39:34on la fait comme ça,
39:35on la fait grande,
39:36on la fait petite.
39:37Vous n'avez pas de famille le dimanche, par exemple ?
39:39Ça se passe comme ça ?
39:40Ça se passe comme ça, oui, bien sûr.
39:41Ça ne s'arrête jamais.
39:42Et votre femme, elle supporte ça ?
39:43Vos belles filles aussi ?
39:44Mais vous savez,
39:45les plus belles aventures familiales,
39:47les plus belles aventures hôtelières,
39:49c'est des aventures familiales.
39:51Les Priske et Rayat,
39:52les Marriott,
39:53les Oberoi,
39:54le groupe Tata en Inde,
39:57c'est des familles
39:58parce que c'est des métiers
39:59qui ne s'arrêtent jamais.
40:00Donc, il faut que la femme ou l'homme
40:02accepte que du matin au soir,
40:03les week-ends et autres,
40:04on soit absorbé par cette vie
40:06et si on ne l'accepte pas,
40:07il ne faut pas le faire.
40:08Et c'est un peu comme ça
40:09que ces histoires familiales ont réussi.
40:12Voilà, c'est ça un peu la clé du succès.
40:15Très bien.
40:16J'ai envie de vous reposer une dernière question
40:17que je vous ai posée au tout début.
40:18Encore une autre.
40:19Je n'ai pas envie qu'on s'arrête tout de suite.
40:22Pour vous,
40:23quelle a été, maintenant,
40:24après cet entretien
40:25d'à peu près une demi-heure,
40:26trois quarts d'heure,
40:27quelle a été la plus grande décision
40:30de votre carrière, Serge ?
40:33C'est toujours la même.
40:34C'est toujours la même ?
40:35On ne change pas d'idée.
40:36Là, c'est l'invention.
40:37C'est le début du Manifesteur.
40:38Très bien.
40:39Merci beaucoup, Serge Trigano,
40:40de vous être prêté au jus de cet entretien.
40:42C'était un réel plaisir de vous avoir avec moi.
40:44Je rappelle que vous pouvez trouver
40:45Trigano Loves You
40:46aux éditions Albain Michel,
40:47dans toutes les bonnes librairies, évidemment.
40:49Merci à toutes et tous
40:50de nous avoir suivis sur 4Change
40:52et à très bientôt.