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Flavie reçoit l'historien Pascal Blanchard pour revenir sur le processus d'attribution des noms des rues suite à l'onde de choc la révélation des accusations d'agression sexuelles imputées à l'abbé Pierre. En effet, certains maires s'apprêtent à débaptiser les rues qui portent le nom de ce dernier. 

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Transcription
00:00– Bonsoir, bonjour Pascal Blanchard, vous êtes historien, vous avez raison, bonjour.
00:04Combien de voies portent le nom de l'abbé Pierre en France aujourd'hui ?
00:07– On pense 150 rues, voies, avenues, impasses en France.
00:11– D'accord, il y a une différence entre les voies privées et les voies publiques ?
00:14– Oui, tout à fait, les voies publiques c'est en fait les maires qui décident,
00:18les voies privées c'est ceux qui sont propriétaires indirectement autour,
00:21c'est les petits chemins que vous connaissez
00:22où il y a des maisons à droite, à gauche autour,
00:24et là ils peuvent choisir le nom d'une rue.
00:25– Donc c'est à ces voies publiques aujourd'hui que certaines communes,
00:28je dirais donc certains maires, s'attaquent d'une certaine façon,
00:32s'apprêtent à débaptiser ces lieux nommés en hommage à l'abbé Pierre.
00:35D'un point de vue strictement légal, ça c'est possible ?
00:38– Tout à fait, c'est les maires et les conseils municipaux qui décident,
00:40et les maires en dernier recours.
00:41En fait, ce n'est pas l'État qui décide de donner un nom,
00:44ou un préfet, ou une institution, non, ce sont les maires,
00:47c'est une prérogative des maires, après discussion avec les conseils municipaux,
00:51après proposition aussi, ce qui est possible des administrés
00:54et des gens dans une commune qui peuvent proposer une pétition avec un nom,
00:57mais c'est le maire qui, en dernier recours, choisit, débaptise, nomme, change,
01:02et en fin de compte, vit la vie locale sur un territoire.
01:05– C'est une grande première de se poser ce genre de questions,
01:07de débaptiser une voie, une rue en France, où ça s'est déjà produit.
01:11– Ça fait toujours bien de dire qu'il ne faut jamais débaptiser,
01:13jamais rien changer, et en fait on a passé depuis deux siècles,
01:15à peu près toute notre histoire à le faire.
01:17Vous l'imaginez bien, à chaque fois qu'il y a un changement de régime,
01:21ceux d'avant disparaissent assez rapidement.
01:23Quand le maréchal Pétain est arrivé au pouvoir en France,
01:25on l'a débaptisé à un certain nombre de grands républicains,
01:27et quand le maréchal Pétain a quitté le pouvoir,
01:29on a débaptisé les rues maréchal Pétain.
01:31Rappelez-vous le vieux débat sur Alexis Carrel qui a vu le prix Nobel, un eugéniste,
01:35il y a encore des rues en France et des avenues qui portent son nom,
01:38mais la plupart ont été débaptisées parce qu'il a un parcours sulfureux,
01:41et aujourd'hui, il est de moins en moins possible de pouvoir le mettre en exergue.
01:45Des fois ça prend beaucoup de temps, des fois c'est très rapide.
01:47– Justement, ça doit débattre aujourd'hui, j'imagine,
01:50dans certaines mairies, autour du cas de l'abbé Pierre,
01:52quand on veut débaptiser une rue, il faut forcément lui trouver un nouveau nom,
01:55c'est toujours le maire qui le choisit ?
01:57– Toujours, alors il peut y avoir une réflexion au niveau de la commune,
01:59on peut ouvrir par exemple le débat auprès des administrés,
02:02on peut avoir un débat en conseil municipal, on peut proposer plusieurs noms,
02:05créer des commissions dans les grandes villes, ce qui se fait de plus en plus,
02:08notamment pour avoir l'équilibre, par exemple la parité homme-femme,
02:10qui est devenue un vrai processus, les hommes ont mis un peu de temps à comprendre
02:14puisque c'étaient toujours les hommes dans les commissions.
02:16– Évidemment, comme par hasard.
02:16– Comme par hasard, mais maintenant vous avez de plus en plus de communes
02:19qui mettent même une sorte de point d'orgue à faire que 50, 60,
02:22voire plus de noms nouveaux qui vont être choisis sont des femmes.
02:25– Alors justement, j'allais vous demander qui est sur le podium du nom
02:30le plus arboré dans les rues de France aujourd'hui ?
02:32– À votre avis ?
02:33– Gérard de Gaulle ?
02:34– Bah bravo, le Gérard de Gaulle, après un scientifique, Pasteur,
02:37généralement ce sont souvent ou des hommes politiques,
02:39vous avez aussi Hugo, Jaurès, Moulin, normal, la Résistance,
02:43quelques vieux militaires qui sont encore là,
02:45comme le maréchal Foch, le général Leclerc, et puis Ferry et Clémenceau,
02:49vous avez des grandes figures en fin de compte que vous avez appris à l'école,
02:51c'est les 10 hommes, plutôt originaires de métropole,
02:56plutôt dans l'histoire institutionnelle,
02:58des grandes figures qui ont marqué les républiques.
03:00– Et donc évidemment, aucune femme dans le top 10.
03:02– Vous rêvez, il faudra attendre à peu près 50 ans pour arriver dans le top 10,
03:07justement comme Nelle le dit, sur ces différents 2,5 millions de rues,
03:11de places et de noms en France, pour avoir vraiment une femme dans ce top 10.
03:14– Vous êtes historien et fin 2020, le président de la République,
03:17Emmanuel Macron, vous a donné une mission,
03:19vous a proposé des noms de personnalités issues de la diversité,
03:23justement pour baptiser les rues, c'est important ça, effectivement,
03:27en fait les rues racontent finalement notre société.
03:30– Elles racontent notre société, l'espace public normalise l'histoire,
03:33c'est un peu comme à l'école, on apprend les choses,
03:35ben la rue indirectement, vous en apprenez beaucoup,
03:37quand vous allez dans votre salle de sport qui est dans une rue,
03:39quand vous emmenez vos enfants à l'école,
03:40quand vous allez à une piscine qui porte un nom,
03:42parce que maintenant les infrastructures sportives portent des noms,
03:44ou un stade, en fin de compte indirectement de l'histoire de France,
03:47vos enfants ou vos petits-enfants vont vous poser la question,
03:49mais c'est qui ?
03:50Donc indirectement l'espace public contribue et continue à normaliser le récit,
03:54et c'est vrai que les gens issus des Outre-mer,
03:56les gens issus des immigrations depuis deux siècles,
03:58ont plutôt été oubliés de l'espace public, notamment quand c'était des femmes.
04:01Donc il y a tout un travail de connaissance déjà sur ce sujet-là,
04:04de transmission, de mise à disposition,
04:06on a choisi avec une commission 318 noms sur à peu près 3500 propositions au début,
04:12dont on a fait les biographies,
04:13dont on a regardé les parcours exemplaires,
04:15dont on a regardé qu'ils n'avaient pas de casier judiciaire,
04:17dont on a regardé qu'ils étaient illustratifs d'un grand récit,
04:20qu'ils parlaient le plus largement possible à des gens venus d'Ukraine,
04:23d'Italie, d'Espagne, de Russie, d'Argentine, du Sénégal, de Madagascar,
04:27pour dire aux maires et aux élus,
04:29ben voilà, piochez, choisissez, ça marche plutôt bien,
04:32parce que vous savez que la loi récemment a demandé à beaucoup de communes
04:34qui n'avaient pas un nom de rue, d'évoluer dans ce domaine-là,
04:37et en même temps ça change beaucoup de nouveaux quartiers,
04:40des stations de tramway, maintenant on donne des noms à des bâtiments,
04:43ce qui est aussi très nouveau dans le temps, c'était que les écoles,
04:45tout ça crée en fin de compte une demande permanente,
04:48presque impossible à chiffrer, mais sur tout le territoire,
04:50et qui fait que donner ces noms permet à des élus,
04:53sans trop se prendre la tête, c'est pas des historiens.
04:55– Et ce qui veut dire aussi que les rues d'aujourd'hui
04:57sont amenées peut-être dans 50, dans 100 ans, à évoluer avec la société,
05:02on va changer les noms des rues, ça change l'identité des villes aussi.
05:05– Ça change l'identité des villes,
05:06c'est en même temps c'est à peu près normal,
05:08il y a des gens dont vous ne savez même plus qui ils sont,
05:10et puis en même temps est-ce qu'il faut continuer à leur rendre hommage,
05:12et puis il y en a de nouveaux qui arrivent,
05:13vous verrez des rues Teddy Riner dans 50 ans,
05:15et vous ne serez pas choqués par contre, nos petits-enfants,
05:18nos petits-enfants se demanderont, mais c'est qui ce monsieur
05:19qui s'appelle Teddy Riner et qui a été si brillant
05:22pendant les Jeux Olympiques 2024, c'est ça l'histoire.
05:24Regardez aujourd'hui on vient d'inaugurer un complexe sportif,
05:27El Wafi, pourquoi ?
05:28Parce qu'El Wafi c'est celui qui a gagné la médaille d'or au marathon en 1928,
05:33on n'y avait pas pensé avant, voilà, voilà comment se fait l'histoire,
05:36comment se fait le récit et comment se fait surtout la transmission.
05:38– C'était passionnant, merci à vous Pascal Blanchard de nous avoir éclairés.
05:41– Bonne journée.

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