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News
Transcription
00:00C'était il y a deux ans exactement, nous apprenions la mort brutale d'une jeune fille arrêtée quelques jours auparavant par la police des mœurs iranienne.
00:07Marsa Amini avait 22 ans et toute la vie devant elle, mais pour un voile mal mis, sa vie, celle de ses proches, s'est subitement arrêtée.
00:14Qu'est devenu le mouvement de contestation qui s'était exprimé à l'époque à travers le pays ?
00:18A-t-il été tué dans l'œuf à coup de répression massive ou évolue-t-il en sourdine désormais ?
00:23Le régime est-il toujours aussi brutal à l'égard des femmes ?
00:26Nous allons poser toutes ces questions à nos invités du jour.
00:29Chora Macaremi, bonjour, vous êtes anthropologue, spécialiste de l'Iran.
00:34En face de vous, Ayla Navidi, bonjour, vous êtes artiste, metteuse en scène de la pièce 4211 km qui retrace l'histoire de vos parents réfugiés politiques.
00:43On en verra un extrait tout à l'heure.
00:45Un mot rapide toutes les deux avant de rappeler l'histoire de Marsa Amini.
00:49Cette date du 7 septembre, elle est importante pour vous à quel point ?
00:53C'est un rendez-vous désormais, une occasion de donner de la voix, une occasion supplémentaire peut-être ?
00:58Oui, c'est une date très importante qui souligne le début de manifestations qui ont changé complètement le rapport de la société iranienne avec son pouvoir politique.
01:12Et par ailleurs, c'est une date qui est toujours active et investie puisque hier et aujourd'hui, le bazar des villes du Kurdistan par exemple était totalement en grève.
01:22Donc les choses continuent, la révolte continue à prendre de nouvelles formes et à s'exprimer.
01:29On a tendance à dire une date anniversaire.
01:31Bon, c'est une date de plus, mais pas le 16 septembre.
01:35C'est un vrai moment qui est autant attendu par les militants, les militantes que par le régime iranien aussi.
01:41Pour moi, c'est vraiment un basculement.
01:43En fait, ça symbolise à un moment donné un pilier qui a été cassé.
01:51Celui du régime islamique, celui qui a entamé effectivement la chute du port du Voile en Iran.
01:59Celui qui fait qu'aujourd'hui, un mouvement qui est né, qui s'appelle Femme, Vie, Liberté et qui aujourd'hui est une devise.
02:07En fait, qui pour moi est internationale et qui va au-delà des frontières de l'Iran.
02:12Et c'est ça qui fait qu'aujourd'hui, je pense qu'il y a aussi un mouvement de solidarité qui dure dans le temps
02:17et qui va permettre au fur et à mesure de faire tomber d'autres piliers du régime islamique.
02:23Là, on va vous rappeler justement, avant d'aller plus loin avec vous deux,
02:27comment cette date a provoqué un sursaut au sein de la société iranienne.
02:31Mais pas que, nous sommes au lendemain du 16 septembre 2022.
02:34La mort brutale de cette jeune kurde qui suscite d'abord l'émoi, puis la colère, se transforme très vite en une révolte historique.
02:41Le rappel des faits, tout de suite en image avec Ludovic Defoucault.
02:4716 septembre 2022.
02:49Brutalisé par la police en détention, Marsa Amini décède après trois jours de coma.
02:54Son crime ? Un voile mal ajusté.
02:57Sa mort provoque immédiatement un mouvement d'indignation et de contestation en Iran.
03:02D'abord au Kurdistan iranien, sa région d'origine, puis dans le reste du pays.
03:11Les forces de sécurité répriment violemment les manifestants qui, malgré tout, ne baissent pas les bras.
03:16Des femmes enlèvent leur voile en public.
03:18Un geste de défi lancé au régime et un acte de désobéissance civile.
03:22Selon les ONG, des milliers de personnes ont été arrêtées et au moins 550 sont mortes lors de ces rassemblements
03:27que les autorités cherchent à décourager par tous les moyens.
03:32Grâce à l'utilisation de technologies de pointe, la personne est identifiée et reçoit un avertissement.
03:38Ensuite, elle compare et devant la justice.
03:43Mais à Tehran, ou ailleurs, des agents sont postés dans les stations de métro.
03:46Des cafés et des restaurants qui ont servi des femmes non voilées ont été fermés.
03:50L'administration, les transports refusent les citoyennes découvertes.
03:54L'élection du réformateur Massoud Pézéchkian le 6 juillet n'a pas apporté de changement concret.
04:00Pour l'instant, Pézéchkian n'a pas vraiment été confronté à un décès
04:04ou à un exemple majeur de maltraitance policière envers de jeunes femmes à Téhéran ou ailleurs.
04:09On ne sait donc pas exactement ce qu'il ferait si une telle chose se produisait.
04:13Il doit continuer à exister au sein de la théocratie iranienne
04:16qui est supervisée au sommet par le guide suprême iranien, l'Ayatollah Ali Khamenei.
04:20Pourtant, les militants du mouvement Femmes, Vies, Libertés restent convaincus
04:23que leur mobilisation n'a pas été vaine.
04:26On a des exemples assez simples au sein des universités
04:29où les cantines étaient séparées entre hommes et femmes.
04:31Ces barrières n'existent plus parce que les étudiants ont cassé ces murs-là
04:34et personne n'ose les remettre en place.
04:36On a de plus en plus de femmes qui sortent sans le voile, qui conduisent des motos,
04:39des gens qui osent danser et chanter dans la rue.
04:42Depuis deux ans, en Iran, la loi est restée la même,
04:44mais la défiance d'une partie de la population n'a pas changé.
04:47En Iran, la loi est restée la même,
04:49mais la défiance d'une partie de la population iranienne s'est renforcée.
04:52C'est un signe que la colère est toujours présente.
04:57Chohram Akkeremi, on est deux ans après la mort de Marsami.
05:00Deux ans, c'est peu, et en même temps, il peut se passer beaucoup de choses.
05:03Où est-ce qu'on en est de ce mouvement de contestation qu'on a beaucoup couvert à ses débuts
05:07et dont on entend beaucoup moins, voire plus du tout parler aujourd'hui ?
05:11Oui, parce qu'en fait, les informations qui émanaient de ce mouvement
05:15étaient beaucoup relayées et produites par les citoyens,
05:18les citoyennes iraniennes elles-mêmes et eux-mêmes.
05:21Donc c'est ces mouvements de citoyens journalistes qu'on voit aussi aujourd'hui à Gaza,
05:24c'est-à-dire une population, quand les journalistes ne peuvent pas rentrer,
05:27ce sont les gens qui font le travail.
05:30Et les manifestations n'ont plus cours parce que le prix est trop élevé.
05:35Donc ces images-là qui étaient produites à l'époque,
05:38on n'en a pas d'équivalent aujourd'hui qui vont sortir du pays,
05:42de manifestations dans la rue ou de formes de mobilisation collective.
05:45Il y en a encore des manifestations ?
05:47Vous ne parliez pas de ce qui se passait il y a deux ans,
05:49vous n'en avez pas de la même ampleur,
05:51mais est-ce qu'il y a encore des rassemblements aussi minimes qu'ils soient ?
05:54Alors, comme je le disais, par exemple, il y a eu des formes de grèves.
05:57Il y a eu des grèves des enseignantes, des infirmières,
06:00et il y a les grèves aujourd'hui, hier et aujourd'hui, dans tout le Kurdistan,
06:03dans toutes les villes du Kurdistan, c'est quand même très important
06:06parce qu'on estime que massivement, en fait,
06:09les commerces et les services ont répondu à l'appel de la grève,
06:13malgré ce qu'il en coûte à la population.
06:15Ce qui est important, c'est de voir que non, il n'y a pas de manifestations dans la rue,
06:19mais parce que, aussi, c'est un soulèvement,
06:21c'est des formes de contestation qui vont répondre à la répression en se reconfigurant,
06:26c'est-à-dire que les gens ne vont pas se mettre en jeu.
06:29Il n'y a pas ce culte du martyr, par exemple, qui existait en 1979
06:32où on allait mourir pour ses idées.
06:34Ici, c'est vie, liberté, la question de la vie est importante.
06:37On veut rester en vie pour continuer de témoigner
06:39et peut-être voir ce que devient l'Iran demain.
06:41On reste en vie parce que la vie est importante,
06:43parce que la vie est une valeur, donc à la fois dans sa dimension écologique
06:46et dans sa dimension de plaisir, de chanter, de danser, etc.
06:49Et c'est pour ça que cette contestation a pris d'autres formes.
06:53Et c'est d'ailleurs très intéressant parce que les femmes qui sont sans voile dans la rue aujourd'hui,
06:57elles ne luttent pas uniquement pour le droit de ne pas mettre le voile,
07:02mais elles sont en train de dire « abat le régime ».
07:04C'est-à-dire que le fait de ne pas mettre le voile est devenu un langage de révolte
07:07et c'est ça qui est relayé.
07:09Et elles le font pour elles, elles le font pour les hommes,
07:11elles le font pour les minorités ethnico-religieuses.
07:13Donc en fait, cette demande féministe « Femme, vie, liberté »
07:16est devenue une façon d'exprimer une révolte contre le pouvoir
07:24et une volonté de soulèvement.
07:26On a les images qui sont assez connues,
07:28ces femmes qui se sont mises en scène dans la rue,
07:31qui ont dansé, fait de la musique,
07:33qui ont été évidemment immédiatement arrêtées.
07:35On a d'autres images, celle plus récente d'adolescentes,
07:3814 ans, arrêtées par la police des mœurs.
07:41On va peut-être les voir, des images prises par des caméras de surveillance.
07:45Les voilà.
07:46Deux jeunes filles qui tentent de se cacher
07:49à l'arrivée de la fameuse fourgonnette blanche
07:51que les Iraniennes connaissent bien.
07:53Et puis elles finissent par être interpellées manu militari
07:56avec là aussi beaucoup de violence.
07:58Vos proches raconteront qu'elles ont été violentées.
08:01Elles n'ont pas de voile, mais la répression, elle, elle n'a pas changé.
08:04Certains racontent même qu'elle s'est durcie,
08:07considérablement durcie en deux ans.
08:09Oui, la répression s'est durcie.
08:11En fait, pour moi, ce qui est important aussi de savoir,
08:14c'est que la répression s'est durcie, on le sait.
08:17Et la répression a été très violente dès le début,
08:19ce qu'on sait un petit peu moins,
08:20parce que les informations ont mis du temps à filtrer.
08:23Mais le degré de cruauté qui a été mise à l'œuvre
08:26par les manifestants qui ont été enlevés, disparus,
08:29torturés, violés, etc.
08:31est absolument assourdissant.
08:33Et on a eu plus de 80 000 prisonniers.
08:37Par contre, ce qui ne s'est pas...
08:3880 000 ? Les chiffres de l'ONU parlent de 22 000 arrestations.
08:41Alors, Khomeini, en février 2023,
08:46a prononcé une grâce pour 80 000 détenus politiques.
08:50Donc voilà, il y a ce qui peut être documenté...
08:55Les chiffres qui sont communiqués, de toute façon,
08:57ils sont insaisis.
08:58C'est impossible de savoir combien de personnes sont derrière les barreaux.
09:02Les morts pendant les manifestations, on a ce chiffre, 537 morts.
09:05Alors, c'est le nombre de morts qui a été documenté,
09:07mais il y a beaucoup de disparus.
09:08Il y a des personnes dont on ne sait pas ce qu'elles sont devenues.
09:10Il y a des personnes dont les familles ne vont pas se manifester
09:14parce que cette répression est terrorisante
09:18et donc elle produit du silence.
09:20Mais ce que je voulais dire, c'est qu'on voit ce qui s'est passé.
09:23On voit un petit peu moins ce qui aurait pu se passer,
09:25ce qui ne s'est pas passé.
09:26Et je pense que c'est tout aussi important.
09:28C'est que les deux poumons de ce soulèvement,
09:31Femmes Vives Libertés, étaient le Kurdistan et le Balouchistan.
09:33Et deux tiers des personnes tuées, d'ailleurs, venaient de ces provinces-là.
09:36Or, ce sont des provinces où il y a un grand accès aux armes.
09:41Ce sont des provinces frontalières.
09:42Ce sont des provinces où existent et sont actifs des groupes armés,
09:45extrêmement réprimés par ailleurs.
09:47Et ce sont des provinces où la résistance ne s'est pas armée
09:50et où les manifestants ont continué à aller attaquer,
09:54par exemple, des postes de police au cocktail Molotov,
09:56mais jamais avec des armes.
09:57Donc, en fait, ça montre qu'il y a une certaine discipline
10:01en vue, justement, de ne pas tomber dans ce piège de la guerre civile
10:06qui a été tendue par le régime dès le début.
10:08Dès septembre 2022, les Gardiens de la Révolution
10:11ont bombardé des bases des groupes armés kurdes
10:14au Kurdistan irakien.
10:15Donc, volonté de rentrer dans une espèce de schéma syrien.
10:20Et moi, je pense qu'il y a une certaine maturité politique
10:24et une discipline révolutionnaire à ne pas armer cette résistance.
10:28Et du coup, comment se reconfigure la contestation ?
10:31Eh bien, c'est ce que j'appelle la résistance des affects,
10:34c'est-à-dire la façon dont les Iraniens ne sont pas tombés
10:36dans l'indifférence, contrairement à ce qui s'était passé en 2009,
10:38contre les personnes, par exemple, exécutées,
10:41les manifestants qui ont été exécutés.
10:44Et ont continué à manifester leur soutien
10:46pour le courage de Narges Mohammadi,
10:48pour les manifestants exécutés.
10:49Et ça, c'est un héritage féministe.
10:50Parce que cette politique des affects,
10:53ça renvoie à ce qui a été fait par les mouvements des maires,
10:56à ce qui est fait, par exemple, par Vérité pour Adama,
10:58ici en France, ou le mouvement Black Lives Matter.
11:01C'est un mouvement un petit peu international
11:03et c'est une perspective féministe de résistance
11:05par l'attachement aux proches et à la valeur des vies.
11:08Alors, on parle de la vie, de la mort aussi.
11:12La peine de mort, l'un des enjeux de ce mouvement au départ,
11:15c'était de faire que la terreur, la peur, changent de camp.
11:18Que le régime ait peur, finalement, de son peuple.
11:21On voit très bien aussi, concrètement,
11:23que si des jeunes, des jeunes femmes notamment,
11:26affrontent la police des mœurs,
11:27sans mettant pas le voile aujourd'hui dans la rue,
11:30on est quand même terrorisés de ce qui pourrait advenir
11:32en cas d'arrestation.
11:34La peine de mort comme outil de terreur,
11:36depuis le début de l'année, en quelques chiffres,
11:37421 personnes ont été exécutées, donc 15 femmes.
11:40Ça c'est assez nouveau selon Human Rights Watch,
11:42le nombre des femmes qui a augmenté en conséquence.
11:46En 2023, 834 exécutions ont été recensées.
11:50C'est un chiffre qui avait bondi de 43% par rapport à 2022.
11:55La peine de mort, ça c'est une arme qui fonctionne encore aujourd'hui, non ?
11:59Je pense qu'en fait, ça raconte deux choses.
12:01Déjà, ça raconte qu'après la répression,
12:04qui a été très très forte,
12:06après les révoltes qu'il y a eu avec le mouvement Femme, Vie, Liberté,
12:09la deuxième étape, c'était celle-ci.
12:11C'était de montrer qu'une fois qu'on emprisonnait,
12:13qu'on torturait, qu'on violait,
12:15la conséquence allait être la mort.
12:18Et effectivement, les chiffres qui augmentent
12:20viennent illustrer ça.
12:22Et donc, ça vient créer évidemment des craintes
12:25au sein des populations, des familles, etc.
12:29Après, je trouve qu'un autre élément
12:31qui est important aussi en racontant ça,
12:33ça raconte qu'un régime autocratique, théocratique,
12:36ne se réforme pas.
12:38C'est-à-dire que les chiffres que vous êtes en train de donner
12:40sont des chiffres qui ont continué à perdurer
12:42une fois que Pézechkian est arrivé au pouvoir.
12:45Et ça, je le dis, c'est important
12:47parce que ça m'est arrivé, moi, dans ma vie,
12:49que des proches me disaient « Ah, ben c'est bien,
12:51enfin, peut-être une avancée. »
12:53La réalité, c'est que ce régime ne changera
12:55qu'à partir du moment où il tombera radicalement
12:58et qu'on arrivera à le transformer
13:00et on arrivera à passer à l'étape
13:02qui est la démocratie,
13:04avec cette devise-là.
13:06Vous parlez de l'arrivée du nouveau président,
13:08dit réformateur, ça a réellement
13:10suscité de nouvelles attentes,
13:12un élan dans le pays, il y a eu quand même
13:14un gros boycott de cette élection,
13:16les Iraniens n'étaient pas dupes.
13:18Non, non, bien sûr, au sein de l'Iran,
13:20je pense que c'était très clair.
13:22D'ailleurs, effectivement, l'abstention
13:24et le boycott de ces élections
13:26racontaient évidemment la clairvoyance du peuple.
13:29Mais dans les pays...
13:3140%, le taux de participation au premier tour,
13:34c'est plutôt le plus bas de l'histoire de la République islamique d'Iran.
13:36Exactement.
13:38Je pense qu'après ce qui s'était passé,
13:40c'était très clair, des réformateurs, on en a eu,
13:42des réformateurs qui, d'ailleurs, étaient plus réformateurs
13:44encore que Pézéchkène, comme Khotami,
13:46et finalement, le régime
13:48a continué de perturber
13:50comme il a toujours fonctionné.
13:52On a un guide suprême
13:54qui est là, qui a implanté,
13:56qui a mis un système,
13:58et ce système ne sera jamais réformable
14:00tant qu'il ne sera pas anéanti.
14:02Un guide suprême qui regarde de près
14:04l'arrivée de cette date anniversaire, 16 septembre.
14:06On se souvient que pour les un an de Marsa Amini,
14:08de la disparition de Marsa Amini,
14:10le régime avait encore un peu plus
14:12durci la législation en direction
14:14des femmes, notamment du port du voile.
14:16Oui, non seulement ça, mais il y avait eu
14:18des vagues d'arrestations l'année dernière
14:20et ça continue, c'est-à-dire que ce sont des arrestations
14:22préventives. C'est le cas encore cette année ?
14:24Oui, déjà en 2022,
14:26dès les premiers jours des soulèvements,
14:28il y a eu des arrestations préventives de toutes celles et ceux
14:30qui pourraient être éventuellement
14:32les leaders d'un soulèvement.
14:34Et ça n'a pas empêché pourtant le soulèvement de devenir
14:36mouvement, mais il le fait dans une extrême
14:38difficulté, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de moyens pour les
14:40iraniens et les iraniennes de se rassembler,
14:42de s'organiser, pour pouvoir décider
14:44par exemple, quelle serait l'alternative
14:46politique souhaitable
14:48au-delà de la république islamique.
14:50Mais en fait, les imaginaires politiques se sont ouverts
14:52en 2022 et ça, c'est
14:54une espèce de secousse géologique.
14:56Ça a complètement rebattu les cartes, comme tu le disais.
14:58Mais par ailleurs,
15:00il y a cette extrême
15:02difficulté
15:04de la société à s'organiser
15:06et à pouvoir exister
15:08politiquement en dehors de la république islamique.
15:10Mais l'autre
15:12intérêt, c'est qu'on a vu que la société
15:14iranienne était transnationale.
15:16Il y a une subjectivité iranienne diasporique
15:18aussi qui s'est réaffirmée
15:20à partir de 2022-2023
15:22et dont nous sommes peut-être aussi des
15:24exemples, mais cette société
15:26iranienne se vit comme transnationale
15:28et en effet, la lutte continue
15:30ou se reconfigure sur les réseaux sociaux.
15:32Alors, on va peut-être parler de
15:34votre pièce. Je le disais
15:36en introduction, 4211 kilomètres.
15:38C'est l'histoire de vos parents.
15:40Je crois que vous l'avez montée pour
15:42réussir de vos grands-parents, pour essayer de
15:44raconter cette histoire à vos
15:46enfants. Vous, vous êtes nés en
15:48France. Eux sont des réfugiés
15:50politiques. Ils ont quitté l'Iran.
15:52On va peut-être regarder tout de suite le teaser,
15:54un extrait de cette pièce de théâtre.
15:56On en reparle juste après.
16:24...
16:26...
16:28...
16:30...
16:32...
16:34...
16:36...
16:38...
16:40...
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16:44...
16:46...
16:48...
16:50...
16:52...
16:54...
16:56...
16:58...
17:00...
17:02...
17:04...
17:06...
17:08...
17:10...
17:12...
17:14...
17:16...
17:18Voilà votre histoire à vous, qui
17:20joue en ce moment au Théâtre Maragny et jusqu'au
17:22mois de décembre, fin décembre, 4211
17:24kilomètres. C'est la distance entre
17:26Paris et Teheran. Vous êtes nés en France, mais
17:28vous vous sentez évidemment extrêmement proche
17:30de toutes ces Iraniennes qui sont
17:32restées là-bas aujourd'hui.
17:34Plus que proche, en fait,
17:36c'est la dernière phrase
17:38du teaser
17:40que vous avez montré. C'est que
17:42je me sens pleinement iranienne, comme
17:44je me sens pleinement française. Et ça, c'est une
17:46problématique parfois qui est difficile.
17:48Encore plus en ce moment.
17:50D'entendre, je pense,
17:52cette double culture
17:54ou parfois multiculturalité.
17:56Et donc, évidemment,
17:58j'ai un sentiment de devoir
18:00je pense qui est extrêmement important,
18:02une responsabilité. On parlait
18:04des exilés, je pense qu'il y a notre génération
18:06à nous, celle qui est née en Iran
18:08et qui est arrivée un peu plus tard, celle qui est née
18:10en France. Et puis ceux qui arrivent,
18:12d'autres artistes, là en ce moment,
18:14Mohamed Rasouloff, on peut parler de Golshifteh
18:16Farhani, Mina Kavani.
18:18En fait, il y a eu des vagues.
18:20Et ces vagues-là font qu'à un moment donné,
18:22on se rassemble tous
18:24à l'extérieur du pays, avec une voie.
18:26Et cette voie-là, on ne peut pas ne pas l'utiliser
18:28pour relayer la voie
18:30de nos sœurs, de nos frères.
18:32Vous vous sentez chargée d'une mission, peut-être,
18:34plus que les autres ?
18:36Bien sûr. Oui, oui, je pense qu'au début,
18:38je ne mettais pas ces mots-là dessus.
18:40Moi, mon père a toujours fait de la politique
18:42et je m'en suis toujours détachée parce que
18:44je n'ai pas trouvé les réponses là-dedans.
18:46Et donc, mes réponses, elles sont artistiques.
18:48Mais évidemment que je me sens
18:52investie d'une mission qui est celle de
18:54continuer dans un pays
18:56démocratique, dans un pays où
18:58la devise, c'est liberté, égalité, fraternité,
19:00de relayer
19:02au nom des droits
19:04humains, d'abord. Déjà, en tant que femme,
19:06je pense que je me sentirais investie de cette mission.
19:08Mais en tant que femme d'origine iranienne,
19:10je me sens investie pleinement
19:12et complètement de cette mission-là, évidemment.
19:14Vous parliez de basculement tout à l'heure, au moment de la mort
19:16de Marsa Amini. Est-ce que vous avez ressenti,
19:18vous, à distance, s'il y a quelque chose
19:20qui a changé, qui s'est brisé ?
19:22Oui, ça a été, pour nous,
19:24je pense que, effectivement,
19:26les réseaux sociaux ont beaucoup aidé.
19:28Après, moi, je suis plongée là-dedans
19:30depuis que je suis née. On suit
19:32l'actualité politique. On a toujours
19:34été très au fait de ce qui
19:36se passait. Mais souvent, ça arrivait peut-être
19:38par des photos qui étaient cachées, des éléments
19:40documentés auxquels
19:42je n'avais pas forcément accès. Moi, je me souviens
19:44de photos, de pendaisons,
19:46que je vois comme ça, assez rapidement,
19:48dans des événements politiques, etc.,
19:50de la communauté iranienne.
19:52Et puis là, d'un coup, en fait, on voit...
19:54Elles sont arrivées au JT de 20h, en fait. Elles ont été accessibles à tous tout de suite,
19:56pendant plusieurs semaines.
19:58On a vu des femmes
20:00éborgnées. On a vu
20:02des femmes se faire frapper. On a vu des femmes
20:04mourir sous nos yeux. Et donc, du coup,
20:06à partir de là, effectivement,
20:08la distance qui pouvait exister, elle était
20:10inexistante. Moi, je l'ai vécue
20:12dans ma chaire, en fait, ce qui s'est passé.
20:14Donc, forcément, il y a un moment donné où on a l'impression
20:16d'y être. On était, je pense, tous surconnectés,
20:18en plus, à cette période-là,
20:20pour savoir exactement comme les choses, elles évoluaient.
20:22Et là, les informations
20:24arrivent moins. Mais je pense qu'on est toujours tous pendus
20:26aussi à l'actualité iranienne.
20:28Votre pièce, c'est un
20:30récit très intime,
20:32à la visée universelle.
20:34Elle est très intime, mais je pense que c'est à cet endroit-là
20:36que, finalement, l'universalité arrive.
20:38Moi, la première fois que j'ai écrit, je me suis
20:40beaucoup posé la question de savoir si j'allais
20:42blesser les uns et les uns et les autres.
20:44Et puis, je me suis obligée à pas me censurer
20:46en me disant que c'était à partir de là où j'allais toucher
20:48quelque chose qui, finalement, allait peut-être
20:50toucher tout le monde. Ce qu'on dit pas,
20:52en fait. Ce qui est invisible,
20:54certainement. Et,
20:56oui, c'est de l'intime. Après, c'était une volonté,
20:58aussi, de... Enfin, vous l'avez entendu dans le teaser,
21:00c'est pas mon nom. C'est que cette histoire-là,
21:02évidemment que c'est la mienne, mais en fait...
21:04Elle parle à beaucoup d'autres.
21:06Elle raconte énormément de la diaspora iranienne
21:08et, je pense, elle raconte beaucoup d'une famille,
21:10de réfugiés politiques, en général.
21:12Qu'est-ce que c'est de venir s'installer
21:14en pensant qu'on va rentrer dans une semaine, et puis,
21:16aujourd'hui, ça fait 40 ans.
21:17Nombreux, évidemment, aujourd'hui, en France,
21:19à Paris. Certains se mobilisaient hier. C'était pas votre
21:21cas, parce que je crois que vous étiez
21:23au théâtre, donc, sur scène.
21:25Des centaines de personnes
21:27se sont rassemblées à Place de la Bastille
21:29au Trocadégro. Deux manifestations
21:31distinctes, avec des militantes,
21:33évidemment, qui portaient
21:35de la voix, donnaient de la voix en soutien
21:37à ce mouvement, Femmes, Vie, Liberté.
21:39On va écouter tout de suite quelques
21:41réactions, et on en reparle juste après.
21:43C'est très important
21:45que ce régime
21:47disparaisse, parce que la disparition
21:49de ce régime mettra un
21:51sacré coup, aussi, à l'islam politique.
21:53Donc, même s'il ne pense pas
21:55au peuple iranien, je pense que la libération
21:57de l'Iran, c'est la libération de
21:59toute une région, et donc,
22:01in fine, un monde meilleur.
22:03Les mentalités iraniennes
22:05ont évolué. On est passé d'une
22:07culture absolument patriarcale,
22:09où les femmes, il n'était même pas question
22:11qu'elles puissent se dévoiler dans la rue,
22:13à un soutien massif à ces femmes
22:15quand elles se dévoilent, quand elles refusent le voile
22:17obligatoire. On est passé, aussi,
22:19à une culture dans laquelle on a laissé
22:21les femmes prendre
22:23leur place dans la société.
22:25Voilà, des militantes bien connues.
22:27On vient de voir Marjane Satrapi, également,
22:29juste avant.
22:31Elles sont importantes, ces rassemblements
22:33à Paris. On dit
22:35que l'Iran, évidemment, veut
22:37museler les militantes en Iran.
22:39Est-ce qu'il y a des pressions, aussi, qui sont exercées
22:41au-delà des frontières iraniennes, pour que
22:43ce genre de manifestation ne redonne
22:45pas un nouveau souffle à la contestation ?
22:47Oui, en fait, ces manifestations
22:49sont d'autant plus importantes que, comme on le disait,
22:51les gens adoreraient pouvoir
22:53manifester en Iran, et ils ne le peuvent pas.
22:55Les manifestations qu'on a vues en
22:572023 duraient quelques minutes,
22:59quelques dizaines de minutes. C'était avant que
23:01les forces de l'ordre arrivent. Donc, c'est
23:03tellement précieux, en fait, cette possibilité
23:05de manifester qu'il y a, en effet, un devoir de
23:07devenir relais, ou
23:09de division du travail, on va dire,
23:11transnational.
23:13Et c'est risqué, même en dehors ?
23:15Oui, bien sûr, c'est risqué. Bien sûr, il y a des gens
23:17qui prennent des photos, dans les manifestations.
23:19Il y a des gens qui filment, et on sait très bien pourquoi ils le font.
23:21Mais, par ailleurs, il y a
23:23deux choses. C'est que la République islamique, en fait, mène
23:25son jeu diplomatique pour
23:27pouvoir ne pas être affectée
23:29par ce type de mobilisation, et son
23:31jeu diplomatique, elle l'a très bien mené.
23:33Et les Iraniens, les Iraniennes, se sentent
23:35énormément trahis par la communauté internationale,
23:37par la façon dont la communauté internationale,
23:39dès janvier 2023, en fait, s'est assise
23:41sur leurs acquis, eux qui avaient mis
23:43à genoux leur régime.
23:45La communauté internationale s'est assise sur cet
23:47affaiblissement-là pour négocier avec l'Iran
23:49comme pouvoir, et du coup, pour le réinstituer
23:51dans sa stabilité. Et ça,
23:53c'est extrêmement coupable, et c'est extrêmement
23:55cynique, et ce cynisme-là n'a pas échappé
23:57aux Iraniens et aux Iraniennes, et ça a été très blessant.
23:59Mais il y a une autre façon pour
24:01le régime iranien, en fait,
24:03de contrôler à distance
24:05la puissance possible
24:07de sa diaspora, c'est
24:09en semant la division, et en semant la suspicion.
24:11Et ça, c'est aussi
24:13la façon dont les réseaux sociaux
24:15peuvent être subvertis dans cette
24:17ère de fake news et de post-vérité,
24:19pour semer le soupçon.
24:21C'est une question distincte. À Paris, place de
24:23Labassie et au Trocadéro, on dit que, justement,
24:25il y avait des conflits entre les
24:27deux groupes. Ça donne de l'écho
24:29à ce que vous dites, là.
24:31En effet, moi, je pense que
24:33ça renvoie à une question
24:35essentielle qui se pose pour les Iraniens,
24:37les Iraniennes, les Russes, les Afghanes, etc.,
24:39pour tout le monde, c'est qu'on ne naît pas
24:41citoyen démocratique, c'est un apprentissage
24:43et c'est une forme de politisation,
24:45de subjectivation, et que
24:47quand on a vécu 45 ans
24:49dans une dictature, dans une ère
24:51du soupçon, où chacun était
24:53soupçonnable de collaboration
24:55et de surveillance,
24:57eh bien, il est difficile d'apprendre
24:59à se faire confiance. Et c'est une question
25:01qui se pose également pour les exilés russes, par exemple.
25:03On le voit bien. Donc, ça, c'est
25:05une vraie question et je pense
25:07que c'est un processus qui a...
25:09Enfin, moi, je ne le vois pas forcément comme quelque chose de
25:11négatif. Je vois que c'est un processus politique
25:13que cette société transnationale
25:15iranienne a à faire
25:17de son côté, également.
25:19Merci beaucoup, Chora Makharemi. Merci à vous.
25:21Et à Elana Vidi, également, d'avoir été sur ce
25:23plateau. On va se quitter sur les mots
25:25de la prix Nobel de la paix.
25:27L'Iranienne Narjes Mohammadi, qui est
25:29donc en prison et qui s'est exprimée
25:31il y a quelques instants depuis sa cellule,
25:33elle appelle l'ONU à sortir du silence
25:35face à l'oppression des femmes.
25:37On va se quitter sur ce message.
25:39Merci à vous.

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