• il y a 3 mois
Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof, qui a fui son pays au printemps, présente son nouveau long-métrage, "Les Graines du figuier sauvage", prix spécial du Jury au Festival de Cannes, sort en salle mercredi prochain. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-11-septembre-2024-7276715

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00:00Bonjour Mohamed Rassoulof.
00:02Bonjour.
00:04Dans un pays aussi surveillé, aussi contrôlé que l'Iran, comment peut-on disparaître ?
00:11Comment peut-on passer une frontière ?
00:17C'est une bonne question.
00:19Quand on vit dans de telles conditions, notre cerveau se conditionne
00:27et on parvient à se rapprocher de ses désirs.
00:34Et si votre désir, c'est de ne pas fléchir devant la censure,
00:38vous trouvez les moyens de raconter vos histoires.
00:41Et si vous êtes encore mis sous pression, vous trouvez d'autres moyens.
00:47J'avais aussi expérimenté la prison et peut-être un des avantages de la prison,
00:52c'est que vous faites connaissance avec des gens qui ont toutes sortes de moyens,
00:56comme par exemple de vous faire quitter le territoire.
00:58C'est ça. Donc en fait, vous avez appris en prison.
01:00Vous avez appris à disparaître en prison.
01:02Vous avez appris à tromper les autorités en prison.
01:13Le plus important, ça a été pour moi la prison, une occasion de réfléchir à la vie.
01:19C'est là que j'ai vraiment réfléchi en me disant que je devais choisir
01:23entre un statut de victime, de cinéaste de victime et m'y plier.
01:30Et je me suis rendu compte que finalement, ça ne me convenait pas.
01:34Je déteste être une victime.
01:37Donc j'ai décidé que si les conditions se présentaient,
01:41il fallait que je quitte l'Iran pour pouvoir continuer de travailler.
01:44J'ai encore beaucoup d'histoires à raconter et qui me tiennent à cœur.
01:47Mais ce film dont nous parlons ce matin, il a été tourné clandestinement.
01:52Alors, comment on fait pour tourner dans un immeuble qui est plein de voisins,
01:57dans une voiture, en pleine rue, dans la campagne, en échappant à la surveillance ?
02:22Dans une époque où on peut faire des films à distance, très souvent, je n'étais pas sur le plateau.
02:29Ou j'étais à proximité, mais pas avec mes acteurs.
02:34À d'autres moments, très loin du plateau, ça dépendait des conditions et des scènes.
02:40Mais évidemment, ce n'est pas simple de diriger à distance.
02:44C'est quelque chose d'extrêmement frustrant.
02:47Mais avec une équipe aussi compétente que la mienne, on y arrive.
02:51Et c'est-à-dire que quand dans le film, vous montrez une famille qui vit les rideaux fermés,
02:55terrorisée à l'idée d'être observée, d'être dénoncée par les voisins,
02:59c'est exactement les conditions de tournage du film.
03:02C'est-à-dire qu'en fait, il a fallu tout camoufler.
03:06C'est tout à fait ça, oui.
03:10L'histoire se forme aussi à partir de vos expériences vécues.
03:18Et puis ça devient aussi un aspect assez métaphorique
03:23qui représente la confrontation entre la tradition et la modernité en Iran.
03:29Comment finalement, la politique devient le lieu de cette confrontation ?
03:35Et vous avez quatre acteurs qui sont immensément talentueux,
03:39qui interprètent les rôles des deux parents et des deux adolescentes.
03:43Pour eux, accepter de tourner avec vous,
03:46mais surtout accepter de tourner un scénario qui dénonce frontalement le régime,
03:51c'est prendre un risque énorme ?
03:59C'est vraiment l'aspect le plus difficile dans la préparation d'un film comme celui-ci,
04:04c'est de trouver des gens qui regardent dans la même direction que vous,
04:08qui partagent vos convictions et qui acceptent d'affronter de cette façon la censure.
04:14Quand on trouve ces personnes-là, les choses deviennent plus simples.
04:20Et les acteurs de ce film sont des personnes qui sont intimement convaincus
04:26du fait qu'ils ne veulent plus travailler dans le système officiel
04:29et qu'après le mouvement Femmes, Vies, Libertés en Iran,
04:34il fallait qu'eux, à leur façon, contribuent au récit de ces événements.
04:39Mais vous avez embauché sur le tournage deux jeunes femmes
04:44qui jouent les deux adolescentes de la famille.
04:47Vous avez eu des scrupules à l'idée de mettre en danger,
04:52d'impliquer d'aussi jeunes femmes dans votre scénario et dans le tournage du film ?
05:03Il y a un secret que je ne peux pas vous révéler ici,
05:09qui est relatif à l'âge des actrices.
05:15C'est l'histoire d'une famille.
05:17Pour moi, ce qui était important, c'était ce qui se passait au sein de cette famille.
05:24Donc il ne s'agissait pas de cibler un groupe particulier,
05:31mais des choses que j'avais vraiment observées.
05:34Et donc, dans nos discussions de cette famille,
05:39il s'agissait vraiment de traiter des relations humaines et non pas d'une confrontation.
05:45Quand Masha Amini, jeune femme, arrêtée parce qu'elle ne portait pas son voile, est morte
05:49et que Téhéran s'est embrasée, vous étiez en prison, Mohamed Rasouloff.
05:55Comment vous avez réagi quand vous êtes sorti de prison,
05:59quand vous avez été confronté à la réalité,
06:01quand vous avez pu voir de vos yeux ce qui se passait dans les rues de la capitale ?
06:07Ça a été vraiment une drôle d'expérience,
06:12parce qu'à chaque fois qu'il y avait eu des événements de ce type dans mon pays,
06:18j'avais pu y assister personnellement.
06:21Et là, j'avais l'impression de tout voir par le trou de la serrure.
06:25Parce que, je vous interromps, en prison, vous avez pu voir des vidéos,
06:29vous avez pu voir des images amateurs circulant sur les réseaux sociaux ?
06:32Rien ? Rien du tout ?
06:34Non, en prison, il n'y a pas ce genre de contact avec l'extérieur.
06:40Mais en sortant de prison, j'étais complètement abasourdie.
06:45D'une part, en prison, il se trouve qu'il y avait près de moi le docteur Madani,
06:52qui est un grand sociologue, et donc nous discutions quotidiennement
06:57de ce qui se passait à l'extérieur.
06:59Jafar Panahi, mon cher ami et collègue, était lui aussi avec nous.
07:04Vous étiez emprisonnés ensemble ?
07:07Vous étiez incarcérés au même moment dans la même prison ?
07:10Oui, oui, absolument.
07:14Jafar, moi et d'autres prisonniers politiques.
07:20Et nous avions la chance de pouvoir bénéficier des analyses scientifiques
07:26de ce grand sociologue.
07:29Mais malgré tout, il y avait une grande confusion qui régnait dans nos esprits.
07:34Et donc dès que je suis sortie, il a fallu que je regarde toutes ces vidéos
07:37pour comprendre ce qui s'était passé et aller à la rencontre de ces jeunes filles
07:41pour savoir ce qui se passait dans leurs têtes.
07:44Et ma réaction, ça a été la réalisation de ce film.
07:48Et ce sont ces vidéos, ces vidéos amateurs que vous utilisez dans le film ?
07:52Oui, oui, c'est vraiment cette idée.
07:58C'est vraiment cette idée-là qui m'a donné l'impulsion de faire ce film.
08:02Je voudrais qu'on parle du personnage de la mère de cette famille
08:06que vous avez imaginée, que vous filmez, Mohamed Rasouloff.
08:10La mère, c'est un personnage particulièrement complexe et bouleversant
08:14parce qu'elle est toujours sur la crête.
08:17Soit elle se conforme à l'autorité de son mari et aux injonctions sociales
08:21et elle devient un bourreau pour ses filles.
08:24Soit elle est leur maman avant tout et elle les sauve.
08:27On parle toujours de l'autorité des pères.
08:30Est-ce que vous pensez que les mères dans les familles iraniennes
08:33ont un rôle crucial à jouer vis-à-vis des filles ?
08:37Permettez-moi de réduire encore l'enjeu.
08:47Je dois dire que j'ai été inspirée par ma propre mère.
08:52Elle, pour moi, était quelqu'un qui marchait toujours sur un fil
08:56pour respecter un équilibre dans la famille.
09:00Pour moi, elle symbolise cette culture où il s'agit toujours de maintenir un équilibre,
09:05de marcher sur des œufs dans la famille et dans la société.
09:09La racine de ce personnage, c'est vraiment ma propre mère.
09:14Les smartphones, on vient d'en parler à Mohamed Rasouloff
09:17avec ses vidéos amateurs qui ont permis de documenter non seulement la révolte,
09:25mais aussi la répression.
09:27Les smartphones sont quasiment un personnage à part entière du film.
09:32Parce que dans votre film, vous en faites une arme.
09:35Une arme pour s'informer, mais aussi une arme pour prouver, une arme pour dénoncer.
09:40Et il y a une scène absolument incroyable où d'un côté, il y a le juge et sa femme.
09:46De l'autre côté, il y a un couple d'opposants.
09:49Et chacun se menace avec une arme et chacun se menace avec un smartphone.
09:54Est-ce que pour vous, ce n'est pas incroyable, vous le cinéaste,
09:58de constater que tourner une image, c'est devenu un acte politique pour chaque individu,
10:03pour chaque citoyen iranien ?
10:07C'est exactement ce que j'ai pu voir de mes propres yeux et sentir dans ma société.
10:14Les téléphones d'aujourd'hui, le monde digital aujourd'hui est devenu un vrai contre-pouvoir.
10:22En Iran, les autorités ont tout fait pour que les images de cette répression ne fuitent pas.
10:29Les journalistes sont empêchés de travailler.
10:31Et pourtant, ce sont les gens eux-mêmes qui ont pu capter les images de cette répression
10:37et on les trouve aujourd'hui sur Internet, partout.
10:40Et donc, ça a été ma façon de rendre hommage aussi à ces images-là
10:45et à les distribuer, les diffuser à ma façon.
10:52En effet, voir la façon dont chacun essaye de documenter,
10:57ces événements, les personnes qui sont impliquées dans ces mouvements,
11:02ça a été quelque chose d'impressionnant.
11:06Il y a eu plusieurs fois des interpellations,
11:12quand il y a des descentes dans mon bureau, chez moi,
11:16j'ai vu que les gardiens ont toujours une caméra à la main.
11:22Donc aujourd'hui, il ne s'agit plus simplement d'un instrument pour faire des films,
11:26c'est devenu quelque chose de beaucoup plus important dans la société.
11:28C'est ça, c'est vraiment un instrument politique.
11:30C'est vraiment passionnant.
11:32Est-ce que vous pensez, Mohamed Rasouloff,
11:34que l'Iran vit en dehors de ses frontières aujourd'hui,
11:38à travers les intellectuels, à travers les artistes,
11:41à travers les activistes qui sont en exil ?
11:45Oui, je pense que la diaspora iranienne est largement décrite.
11:51En effet, le monde a beaucoup changé.
11:55Il y a des millions d'Iraniens aujourd'hui,
11:58et en raison de cette répression,
12:01ils se sont répandus partout dans le monde,
12:04et le monde a beaucoup changé.
12:07Et la technologie qui leur est proposée
12:10leur permet de se regrouper et d'être en relation.
12:13C'est ce que j'appelle l'Iran culturel.
12:16Il me semble que même la géographie...
12:19L'Iran culturel, c'est comme une espèce de deuxième pays virtuel.
12:24Pour moi, c'est un panaca.
12:27C'est un panaca.
12:29C'est un panaca.
12:31C'est un panaca.
12:34Pour moi, c'est un refuge.
12:47Tout.

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