Xerfi Canal a reçu Juliette Fronty, maîtresse de conférence à l’IUT Toulouse 3 Paul Sabatier, Laboratoire de Gestion et des Transitions Organisationnelles (LGTO), pour parler de la gestion de la stupidité.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Juliette Franti, maîtresse de conférence IIT Toulouse 3, Paul Sabatier,
00:14laboratoire LGTO, article coécrit avec Anna Glazer, ESCP Business School. Réflexivité et
00:20dissonance au sein des organisations, le défi de la transition écologique. C'est dans la
00:23revue française de gestion, le numéro 313, un papier extrêmement intéressant. Vous nous prenez
00:29la température des enseignants-chercheurs au regard de la question de la transition écologique dans
00:33laquelle toutes les institutions s'engagent. Et vous nous dites, warning, warning, on n'est pas
00:37loin du burn-out dans beaucoup de cas, warning, warning. Un petit focus ensemble, on va faire
00:43un exercice de réflexivité ensemble et de dissonance. Je cite Napoléon, le doute et l'ennemi
00:49des grandes entreprises. Dans votre papier, vous nous citez notamment les travaux d'Halvesson et
00:56Spicer, 2012, Spicer qui est connu pour être un peu provoque aussi, et qui nous dit en gros qu'il
01:04faut parler de stupidité fonctionnelle. Les organisations sont gouvernées par la stupidité
01:08fonctionnelle, d'abord parce que ça leur procure un sentiment de certitude, qui leur permet de
01:13fonctionner sans heure, et ensuite parce que ça leur épargne des frictions. Le doute et la
01:19réflexion, ça crée de la friction. Alors là, je me suis dit, en vous lisant, on est au cœur de tous
01:24les débats de l'enseignement supérieur. Ceux qui veulent mettre de la transition écologique partout
01:28nous disent que c'est l'entrepôt saine, etc. Ceux qui nous disent qu'à la fin, on n'aura même plus
01:32le droit d'enseigner de la gestion. Il y a quand même un petit sujet. J'ai envie de dire, qui est
01:39stupide dans cette affaire ? Plus exactement peut-on fonctionner sans stupidité ? Oui, c'est
01:45une question difficile. Quand on a choisi de prendre ce cadre théorique de la stupidité
01:51organisationnelle, ce qui nous a intéressés, c'est le moment de blocage qui intervient dans
01:58les organisations, quand les individus qui forment cette organisation se mettent en réflexivité,
02:04c'est-à-dire en questionnement, et donc vont venir chercher à faire bouger les lignes. En fait,
02:10ce que disent Spicer et Alveson, c'est que la stupidité organisationnelle, c'est ce qui protège
02:15un peu les organisations, c'est ce qui évite de faire trop de remises en question, et qui évite
02:23aussi de déranger en posant des questions qu'on n'a pas envie de traiter. Et ça, c'est un point
02:30qui nous semble important, notamment sur la question de la justification, qui est quelque
02:35chose qu'on retrouve aussi dans les travaux de Mathieu Deschessard, qui travaille sur le
02:40management empêché, et qu'on mobilise aussi dans nos travaux avec Christelle Havard, sur la
02:47question du dialogue, et notamment du dialogue social, mais du dialogue dans les organisations.
02:51C'est-à-dire que, pour entrer réellement en dialogue, il faut accepter de se mettre un petit
02:58peu à nu, et de s'exposer, et notamment en s'exposant à la justification, c'est-à-dire expliquer
03:04pourquoi est-ce qu'on demande aux autres de faire ce qu'on leur demande de faire. Et ça, ce n'est
03:10pas évident. Et donc, ce que décrivent Alveston et Spicer dans cette question de la stupidité,
03:16c'est la réticence des organisations à accepter ces moments de friction, à accepter qu'on ne puisse
03:21ne pas être d'accord. Et ça, c'est très difficile dans notre mode de pensée, dans notre mode de
03:27fonctionnement, quand quelqu'un n'est pas d'accord, c'est que forcément, eh bien, il est dangereux,
03:31ou qu'il n'a rien compris. D'ailleurs, toutes ces questions, je vais faire un peu de provoque,
03:35quelque part, c'est le fameux wokisme qu'on retrouve. Wokisme, c'est l'éveil, s'éveiller.
03:40Voilà, s'éveiller, c'est aussi contester, c'est aussi mettre en débat, c'est ne rien tenir pour
03:45acquis. Et ça peut emmener un peu loin parfois aussi. D'où ma question, est-ce qu'on peut
03:51fonctionner sans stupidité ? Toutes les décisions d'entreprise ne nécessitent pas d'être mises en
03:56perspective et d'être questionnées et discutées. Ça, c'est sûr. Mais ce qu'on a pu observer dans
04:02nos différentes recherches sur la réflexivité, c'est que quand on met en réflexivité, par exemple,
04:08des cadres dirigeants, eh bien, ils vont aller interpeller leur codire et ils vont aller leur
04:13poser des questions. Ils vont dire, attendez, là, vous nous demandez de faire ça, mais en fait,
04:16on aimerait bien savoir exactement pourquoi. Et puis, peut-être qu'on a des idées, nous aussi.
04:19Et donc, du coup, c'est cette mise en dialogue. C'est pour ça que, pour moi, tout ça,
04:23ça va ensemble. C'est très juste. Je vais finir par une citation. Paul Valéry,
04:27ce qui n'est pas fixé n'est rien, ce qui est fixé est mort. Donc, finalement, il faut composer
04:32chacun avec sa part de stupidité. De toute façon, on est toujours le stupide de quelqu'un,
04:35on ne peut pas dire le con. Merci à vous. Merci.