Dans son récit, Stéphane Bern nous raconte l'histoire de Théodore Géricault, le peintre des chevaux.
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00:00Europe 1, 15h-16h, au cœur de l'Histoire, Stéphane Berne.
00:07Bonjour à toutes et à tous, depuis hier et comme chaque jour désormais à 15h sur Europe 1,
00:12j'ai le plaisir de vous proposer, chers auditeurs, un voyage au cœur de l'Histoire.
00:16Et cet après-midi, c'est au tout début du XIXe siècle que je vous entraîne à la rencontre,
00:21alors que l'on commémore les 200 ans, sa disparition cette année,
00:25Théodore Géricault, le peintre du Radeau de la Méduse,
00:28mais aussi le peintre des chevaux au pinceau engagé.
00:32En quoi Géricault incarne-t-il le peintre romantique ?
00:35Pourquoi le cheval est-il l'un de ses sujets de prédilection ?
00:38Quelle place a-t-il dans l'histoire de la peinture française ?
00:42Avant d'en parler tout à l'heure avec mon invité, l'historien de l'art Bruno Chénic,
00:46qui lui consacre actuellement une exposition,
00:49découvrons d'abord le destin de Théodore Géricault, le peintre des chevaux.
00:56Au cœur de l'histoire sur Europe 1,
01:01le récit.
01:09Nous sommes en février 1813, et Théodore Géricault, à 21 ans à peine,
01:13se voit remettre la médaille d'or en clôture du Salon de peinture et sculpture,
01:16le Salon, comme on l'appelle alors l'un des événements artistiques majeurs de la capitale.
01:22Une première duroire qui assoit la position du jeune peintre
01:25et lui permet de s'établir dans son propre atelier.
01:30Le tableau, qui lui vaut son succès, il l'a peint en cinq semaines à peine.
01:34Monumental, il s'intitule à l'époque « Portrait équestre du lieutenant M.D. »
01:39et est aujourd'hui connu sous le nom de « Officier de chasseur à cheval de la garde impériale Chargent ».
01:44On peut y voir, en plein champ de bataille,
01:46dont le tumulte est suggéré par un chaos de poussière et de fumée,
01:50ainsi que quelques débris disparates, un lieutenant surgit à cheval.
01:55Sa monture et lui ont tous deux une posture remarquablement dynamique.
01:59Dos au spectateur, ils tournent le buste vers lui.
02:03Si l'œuvre est bien reçue, le contexte joue pour beaucoup.
02:07La composition du tableau rappelle indubitablement le célèbre tableau de Jacques-Louis David,
02:11Bonaparte franchissant le Grand Saint-Bernard,
02:14sur lequel l'aigle, sur une monture blanche qui se cabre,
02:18pointe le doigt vers l'avant, la cape au vent.
02:21Le public perçoit donc chez Géricault la même fougue guerrière,
02:24bien qu'on oppose la touche classique de David au pinceau baroque du jeune homme,
02:29que ses camarades d'atelier comparent d'ailleurs plus volontiers à Rubens.
02:34Au moment du salon, la débâcle de la campagne de Russie n'est pas encore connue des Français,
02:39qui ne voient alors dans les campagnes de Napoléon que la gloire militaire.
02:44C'est dans ce sens qu'ils apprécient l'œuvre de Géricault.
02:47Pourtant, on devine une ombre au tableau.
02:54Oui, dans la contorsion des modèles qui vont vers l'avant en regardant vers l'arrière.
02:59Dans le regard mélancolique du lieutenant aussi,
03:02dont le modèle est mort d'ailleurs au combat en décembre 1812.
03:07Ou dans l'excitation folle du cheval qui, la bave aux lèvres,
03:10semble prêt à échapper à la prise de son cavalier.
03:15Le choix de ces sujets, au pluriel car le cheval est véritablement un sujet chez Géricault,
03:21est également significatif.
03:23Le format du tableau est en effet habituellement celui des portraits d'apparat en pied.
03:28Mais au lieu de représenter un grand homme, Géricault choisit un anonyme.
03:32Car on ne saura que bien des années après qui était le modèle de Géricault,
03:36à savoir le lieutenant Dieudonné.
03:39Et cet anonyme, s'il a le sabre au clair et une peau saletière,
03:42présente surtout un regard méditatif.
03:45C'est sa monture, la vraie guerrière.
03:48C'est elle qui s'élance et l'entraîne, avec elle dans une course folle vers la mort,
03:52à la manière d'un empereur que Géricault n'a pas fini de critiquer en peinture.
03:57D'ailleurs, en 1814, le peintre présente un deuxième tableau formant un diptyque avec celui-là.
04:03Le cuirassier blessé qui tend le feu, c'est son nom,
04:06dépeint un soldat de l'armée napoléonienne dans une posture bien moins glorieuse.
04:10Quittant le combat en s'appuyant sur son sabre pour ne pas glisser sur une pente rocheuse,
04:15il tient sa monture par les reines.
04:17C'en est fini de la folle chevauchée, l'équidé renâcle effrayé.
04:22Lui aussi semble sur le point d'échapper à la prise de son cavalier affaibli.
04:26Non pas pour se battre, mais pour s'enfuir.
04:32Dans ces deux tableaux éminemment politiques,
04:33Géricault donne ainsi une place de choix aux montures de ces militaires qui,
04:38de par leur posture, expriment un changement d'attitude face aux guerres napoléoniennes
04:44qui n'en finissent pas et conduisent au massacre de milliers de soldats et de leurs chevaux.
04:50Ces équidés, Géricault se passionne pour eux depuis son plus jeune âge,
04:53et il traverse, vous allez le voir, toute son œuvre.
04:56L'écrivain et critique d'art Théophile Gautier le résume ainsi.
05:00Le cheval, dans l'art de Géricault, c'est aussi et surtout l'âme de l'homme,
05:04ses instincts, sa douceur, sa violence, ses pulsions sexuelles et mortifères.
05:09Et c'est ce qu'on va découvrir cet après-midi.