• il y a 4 mois
Transcription
00:00Détroit, juillet 1938, l'Amérique au nord un héros national.
00:23Henry Ford à 75 ans, la foule acclame le premier milliardaire qui a façonné sa propre mythologie, celle d'un titan industriel proche du peuple.
00:51Avec ses automobiles, Henry Ford a forgé la civilisation de la voiture et il a transformé le monde.
01:51Derrière le marbre du héros populaire se dessine une existence hors normes qui est aussi celle d'un populiste antisémite maladif.
02:08Un démurge qui voulait tout standardiser, des machines aux ouvriers en passant par le mode de vie.
02:18A coup sûr, l'inventeur de ce siècle américain qui a posé son empreinte sur le monde dans lequel nous vivons.
02:28Alors, de quoi Ford est-il le nom ?
02:461913, la Ford Motor Company vient d'emménager dans sa nouvelle usine d'Island Park dans la banlieue nord de Détroit.
02:59Du jamais vu, un immense complexe industriel.
03:05Bientôt surnommé le Palais de Cristal avec ses dizaines de milliers de vitres qui baignent de lumière les ateliers.
03:15Henry Ford a une obsession.
03:19Comment faire travailler plus vite ses ouvriers ?
03:23La réponse, c'est une idée qui va accoucher d'un nouveau monde, la chaîne de montage.
03:38Une rivière industrielle avec ses affluents qui apportent les pièces nécessaires.
03:51Au lieu de confier l'assemblage à une équipe qui va d'une pièce à l'autre, un tapis roulant évite le déplacement des ouvriers et leur impose la cadence.
04:03Il faut, selon les mots de Ford, apporter le travail à l'ouvrier au lieu d'amener l'ouvrier au travail.
04:11Il ne doit pas avoir une seconde de moins qu'il ne lui faut, ni une seconde de plus.
04:30Ford a retenu les leçons de la division des tâches chères à l'ingénieur Frédéric Taylor, père de l'organisation scientifique du travail.
04:40Mais il va plus loin.
04:42Avec la chaîne de montage, c'est la machine qui désormais fixe la nature et le rythme du travail humain.
04:49Et des centaines de travailleurs, alignés, besognent presque épaule contre épaule.
05:05Les résultats sont faramineux. La productivité explose.
05:11Il fallait 12 heures pour fabriquer une automobile.
05:16Il ne faut plus que 93 minutes après l'introduction de la chaîne de montage,
05:22qui expulse, inlassablement, la corte des voitures, toutes rigoureusement identiques et prêtes à l'emploi.
05:36La chaîne de montage et la production de masse installent Henry Ford dans l'histoire.
05:42Une révolution industrielle est le rêve assouvi d'un autodidacte.
05:49Né de parents fermiers en 1863 à Dearborn, un village dans l'état du Michigan.
05:58Quand le Nouveau Monde est en grande partie un territoire vierge, où le cheval et le chemin de fer règnent encore en maître.
06:10Quand les premiers d'Eric crachent leur huile visqueuse, ce pétrole dont on ne sait pas encore qu'il sera le combustible de l'avenir.
06:19L'avenir dont Ford sera l'architecte.
06:27Le jeune garçon brille en arithmétique à l'école.
06:32Sa fascination pour les mécanismes a donné naissance à un passe-temps, la réparation des montres.
06:42Maîtrise des horloges et culture de l'efficacité, déjà une seconde nature pour le garçon de ferme du Michigan, orphelin de mer à l'âge de 13 ans.
06:59Pas question pour Henry Ford d'une vie harassante dans les champs.
07:04Il quitte son père, ses cinq frères et sœurs et fuit l'exploitation familiale.
07:13Direction Détroit où il grimpe vite les échelons jusqu'à devenir ingénieur chez l'électricien Edison.
07:21Il dit qu'il passe soirées et week-ends à bricoler des moteurs à explosion.
07:33En Europe, en 1886, le pionnier allemand Carl Benz a frappé un grand coup avec son tricycle.
07:43Dix ans plus tard, Ford fait plus fort en mettant au point son fameux quadricycle.
07:54Mais c'est quelques années plus tard, avec ses exploits en course, que la célébrité de Ford franchit un cap.
08:02En 1904, il bat même le record du monde de vitesse avec l'un de ses prototypes.
08:09Il a dévoilé ses premières voitures à 46 km heure.
08:14Une publicité sans égale pour la Ford Motor Company qu'il vient de fonder avec son nom pour emblème.
08:23Mais Ford a un autre dessin.
08:25Il dit je veux créer une automobile pour la grande multitude.
08:31Il n'a pas à débarquer les associés qui ne voient dans la voiture qu'un accessoire pour les riches élites.
08:47Il égrène l'alphabet pour ses premières créations.
08:51Modèle A.
08:53Modèle K.
08:56Modèle N.
09:00Et il s'arrête à la lettre T.
09:08Son coup de génie, c'est cette vision d'une automobile low cost accessible aux classes moyennes et populaires.
09:19Cette modèle T sans fioritures qui brinque balle partout.
09:32Facile à réparer, une couleur unique, d'abord verte, puis bientôt noire et moitié moins chère que ses concurrentes.
09:44La bagnole du peuple trouve tout de suite son public.
09:48Médecins, vendeurs ambulants, artisans, fermiers.
10:02C'est un best-seller et elle fait la fortune de Henry Ford.
10:09Il a 45 ans.
10:11Avec la modèle T, il met l'Amérique sur des roues.
10:20Ford mêle sa gloire naissante à celle des grands espaces américains.
10:27A la faveur d'expéditions touristiques, hissées au rang d'attractions médiatiques et populaires.
10:37A l'oeil des journalistes et de la filiale cinéma de la compagnie, Ford fait l'apologie de la nature et d'une vie rustique.
10:49Il est désormais l'un des hommes les plus riches de la planète.
10:53Mais il sculpte sa statue d'homme du peuple à des années-lumière de ses financiers de Wall Street qu'il voue aux gémonies.
11:05Provincial, proche de la terre et amateur de plaisirs simples qu'il partage avec un immuable équipage.
11:16Sa femme, Clara, épousée à l'âge de 25 ans, est fille de fermiers du Michigan comme lui.
11:23Le surnom dont il l'affuble, The Believer, la croyante, en dit long sur son soutien indéfectible depuis les balbutiements de l'Odyssée Fordienne.
11:36Leur fils unique, Edsel, préparé à son destin dès l'enfance.
11:42L'héritier désigné n'a que 26 ans quand son père le nomme président de la compagnie Ford.
11:50Mais personne n'est dupe. Henry reste le patron absolu.
12:01Les vrais héros de ces camping trips dans les Appalaches ou en Nouvelle-Angleterre, ce sont ces quelques figures américaines, industrielles et millionnaires qui paradent devant les caméras de la Ford Movie Company.
12:16Mais les deux incontestables vedettes de ces virées sont Ford, bien sûr, et son ancien employeur devenu son ami, l'inventeur le plus célèbre de son temps, Thomas Edison.
12:35Ford a beau prêcher la simplicité et la rusticité, avec ses riches compagnons de route, l'aventure en camping s'arme de toutes les commodités.
12:51Avec le mécanicien en chef du pays, la chaîne s'installe même à table.
13:00Ford met en scène son amitié avec Thomas Edison et s'inscrit ainsi dans le sillage du plus prolifique inventeur de son temps.
13:21On lui doit le phonographe ou le kinétoscope, ancêtre du cinéma.
13:34Surtout, Edison, c'est l'homme qui a allumé l'Amérique avec l'invention de l'ampoule incandescente.
13:53Une sorte de génie autodidacte aussi. On lui doit même la première voiture électrique.
14:04Mais pour l'heure, c'est le moteur à explosion de la Ford T qui remporte tous les suffrages.
14:16Aux Etats-Unis, plus que nulle part ailleurs, l'impact de l'automobile redessine l'espace, l'économie et la culture populaire d'une société redéfinie par la voiture.
14:37Dans les années 1910, les grandes villes, déjà en plein essor, voient l'irruption d'un nouveau bruit.
14:45Celui de ces moteurs à explosion qui organisent une nouvelle cacophonie.
14:55C'est le temps des premiers embouteillages et des klaxons.
15:04Des amendes et des premiers accidents.
15:14Les chevaux disparaissent peu à peu et la rue devient une jungle mécanique.
15:32Sur le siège avant de la Ford T, c'est une nouvelle éthique de vie qui débarque dans les villes et à la campagne.
15:44Le confort matériel, la culture du divertissement et des loisirs, l'épanouissement personnel.
15:59Un nouvel évangile dont Ford, peut-être plus que tout autre industriel de l'époque, est le prophète.
16:11Les distances raccourcissent et paradoxalement, la nation s'agrandit, offrant aux Américains le voyage vers son interminable horizon.
16:29Pour les dizaines de milliers d'immigrants qui affluent aux Etats-Unis dans ce premier quart du XXe siècle, l'horizon s'arrête souvent au gris des usines Ford.
16:47En 1914, les deux tiers des ouvriers d'Island Park sont ukrainiens, lituaniens, polonais, roumains ou encore grecs.
16:58Plus de 50 nationalités au total.
17:07De la langue anglaise, ils ne connaissent souvent que l'apostrophe hurry up, dépêche-toi, hurler par les contre-maîtres.
17:25Le travail à la chaîne décuple la productivité, mais très vite, la compagnie Ford a un problème.
17:32Le prolétariat épuisé fuit les cadences infernales. Il faut sans cesse remplacer les ouvriers.
17:44Alors Ford change les règles du jeu. Le 5 janvier 1914, il fait une annonce révolutionnaire.
17:52La journée de travail d'un ouvrier sera désormais payée 5 dollars, plus du double de ce qui se fait ailleurs.
18:03Salaires élevés, production et consommation de masse, les principes du Fordisme vont gouverner le capitalisme du XXe siècle dans le monde entier ou presque.
18:20Dès le lendemain de l'annonce, 10 000 chômeurs se pressent contre les grilles d'Island Park. Le pari incroyable de Ford a fonctionné.
18:30Le problème du turnover est résolu et la légende du héros du peuple est en marche.
18:43Ford déclare « Nous fabriquons des hommes autant que des automobiles ».
18:50Les êtres humains, comme les machines, nécessitent des réglages constants pour fonctionner de manière harmonieuse et productive.
19:03Ford est aussi un ingénieur social et il crée une structure inédite, le département sociologique.
19:13Dans un fascicule de 41 pages, la compagnie édicte les règles de vie d'un bon américain et, photo comparative à l'appui, conseille ce qu'il faut faire et ne pas faire.
19:27« On ne peut pas avoir de morale sans propreté », décrète Ford. S'il veut gagner ses 5 dollars par jour, l'ouvrier doit mener une vie qui respecte les canons de cette morale fordienne.
19:43Habiter un logement propre, bien éclairé et ventilé. Ne pas cracher par terre. Chasser les mouches de la maison.
19:54Prendre soin de sa santé avec l'aide des médecins de la compagnie. Ne pas boire d'alcool. Mais aussi veiller au bien-être et à la scolarisation des enfants.
20:08Surtout, l'ouvrier doit épargner et ne pas dépenser à tort et à travers.
20:18Des suggestions aux allures d'injonction, avec punition à la clé.
20:27Un bataillon d'une centaine d'inspecteurs de la compagnie visite à l'improviste les domiciles.
20:34Si l'inspection s'avère négative, l'ouvrier se voit infliger une retenue sur salaire. Et s'il ne corrige pas ses fautes, il est licencié.
20:50Le monde uniforme est standardisé selon Henry, l'autre visage du fordisme.
21:04Ce paternalisme remporte alors tous les suffrages. Et Détroit est devenu une incontournable escale pour l'homme le plus puissant du pays.
21:16Le président Woodrow Wilson sait qu'il ne pourra faire la guerre en Europe qu'avec l'appui de la machine bien huilée des usines Ford.
21:34Le fabricant de voitures, isolationniste convaincu, est le plus féroce opposant à l'entrée des États-Unis dans le conflit.
21:43Il dit la guerre n'est qu'un gâchis colossal, un gaspillage et un désastre économique.
21:52Et pourtant, la Première Guerre mondiale sera au final une étape décisive dans l'expansion internationale de son empire.
22:04En avril 1917, les soldats américains traversent l'Atlantique et l'industriel met ses usines au service du gouvernement.
22:16Henry Ford se met en scène dans l'effort de guerre avec la mise au point, parfois laborieuse, d'un des premiers chars de l'histoire.
22:31Ou bien au volant du tracteur qu'il développe à la demande de l'Angleterre, soucieuse de libérer ses fermiers du travail au champ pour les envoyer au front.
22:55Après la Première Guerre mondiale, l'empire américain a pris son envol.
23:02Et la Ford Motor Company devient la figure de proue autant que la métaphore de la puissance industrielle des États-Unis.
23:17En 1923, les ouvriers Ford et leurs patrons célèbrent en grande pompe la dix-millionnième Model T.
23:32Jamais une automobile n'a été commercialisée à si grande échelle.
23:42Une voiture sur deux dans le monde sort des usines Ford.
23:53La compagnie construit désormais des usines au Canada, en Afrique du Sud, en Europe, en Amérique latine et s'implante même en URSS.
24:12Et voilà la faucille et le marteau associés au logo Ford en lettres cyrilliques.
24:19Le mariage peut surprendre, mais Lénine voit en Ford une figure révolutionnaire qui a changé la donne avec sa chaîne de montage.
24:30Fabriquer des hommes autant que des automobiles.
24:35La philosophie Fordiste s'accommode très bien des méthodes bolchéviques.
25:05L'homme qui joue avec son petit-fils, Henry Ford II, est au fait de sa gloire.
25:21Il a 60 ans. Une figure populaire à l'opposé des milliardaires mal aimés comme le pétrolier Rockefeller ou le banquier JP Morgan.
25:37Ford n'est plus seulement un industriel, mais se voit aussi comme un sage et un visionnaire.
25:50Ford n'aime pas lire parce que les livres lui embrouillent l'esprit. Il confesse sans honte son inculture. Il a pourtant des idées sur tout.
26:01Le pacifisme, la détestation des villes, la diète alimentaire et l'exercice physique, l'observation des oiseaux, la chimie dans l'agriculture.
26:12Jusqu'à des opinions plus baroques sur la réincarnation après la mort ou sa haine des vaches, animal qu'il juge stupide et inutile.
26:25Ford a des idées sur tout et il a aussi des idées sur les juifs.
26:41En 1918, Ford a racheté le journal local de son village natal. Le Dearborn Independent sera le porte-voix de ses opinions.
26:55Le journal est distribué gratuitement par les concessionnaires Ford et il touche des millions d'Américains.
27:07La devise de l'hebdomadaire annonce la couleur, la chronique de la vérité ignorée.
27:15Ces vérités que, selon Ford, la presse aux ordres des banquiers cache au grand public.
27:25Chaque semaine, le mania dicte un éditorial, la page de M. Ford.
27:33Il y éreinte Wall Street et la finance. Il fait l'apologie de la terre et du bon sens populaire.
27:42Et surtout, à partir du printemps 1920, The Dearborn Independent présente le juif comme l'incarnation.
27:50Le juif qui aurait provoqué la première guerre mondiale.
27:56Mille Allemagne à genoux, fomenter la révolution bolchévique.
28:01Et maintenant, détruirait la civilisation américaine.
28:20Le cinéma et le théâtre colonisés par le juif.
28:28Le jazz avec ce quelque chose de satanique qui empoisonne la jeunesse américaine.
28:37L'invention du juif.
28:40La corruption morale du baseball, le péril juif encore et toujours.
28:45Ford écrit, les juifs sont les charognards du monde.
28:49En voilà assez du peuple élu. Un jour, ils récolteront ce qu'ils ont semé.
28:58Un pogrom de papier qui s'inscrit dans une haine séculaire, ravivée par les vagues d'immigration en provenance d'Europe de l'Est.
29:06L'antisémitisme américain atteint son apogée dans les années 1920, à une époque où le mouvement suprémaciste blanc, le Ku Klux Klan, affiche 4 millions de membres et dont Détroit est l'une des places fortes.
29:37Près d'une centaine d'articles sur 2 ans, bientôt rassemblés dans un ouvrage en 4 volumes, sous le titre générique, Le Juif International, traduit en 16 langues.
29:53Ford s'inspire largement d'un des plus célèbres faux de l'histoire, forgé par la police secrète du tsar de Russie à la fin du 19ème siècle.
30:04Les protocoles des sages de Sion, un pseudo programme juif de déstabilisation et de domination du monde.
30:19Henry Ford sera, aux côtés des nazis, l'un des plus ailés propagateurs des protocoles.
30:26Moins que par sa religion, Ford définit le juif par sa race, le présentant parfois comme un germe, qui doit faire l'objet d'un nettoyage.
30:36Un vocabulaire hygiéniste que reprendront au mot près Adolf Hitler et les nationaux socialistes allemands.
30:55Dans le second volume de Mein Kampf, Hitler, au sujet de Ford, écrit...
31:12Attaqué pour ses saillies antisémites, Ford finit par présenter ses excuses à la communauté juive américaine en 1927.
31:26Ce qui ne l'empêchera pas, onze ans plus tard, d'accepter la grande croix de l'ordre suprême de l'aigle allemand, décernée par le Troisième Reich.
31:45Si à la fin des années 1920, l'étoile de Ford pallie, c'est aussi parce que la compagnie vit sa première crise.
31:53Les ventes de la modèle T déclinent.
31:56Ford a été détrôné par les deux autres géants de Détroit, Chrysler et surtout General Motors, avec son large éventail de marques et de modèles plus attractifs.
32:07Cadillac pour les riches, Buick pour les bâtons, Chevrolet pour les masses, Pontiac pour les pauvres mais fiers, Oldsmobile pour les discrètement aisés.
32:29Les consommateurs et les consommatrices veulent de la diversité et ils veulent changer plus souvent de voiture.
32:43Et là aussi, General Motors innove en créant le crédit auto.
33:00Edsel Ford comprend cela mieux que quiconque.
33:03Lui qui mène une vie luxueuse à Détroit ou New York, fréquente les fêtes et les musées, joue au golf et navigue sur de luxueuses embarcations, au grand dame de son père.
33:19Edsel et son style de management moderne sont appréciés au sein de la compagnie.
33:25Mais Henry reste sourd au conseil de son fils unique d'engager les mutations industrielles nécessaires pour lancer un nouveau modèle.
33:36Il est toujours aussi compliqué d'exister auprès de ce père qui ne l'estime pas assez coriace pour diriger la compagnie.
33:44Et il faudra quelques années avant que le fondateur se résigne à arrêter la production de la Model T au profit d'une nouvelle voiture.
33:54Baptisée Model A, elle doit marquer la renaissance de la compagnie de Dearborn.
34:02Lancée sur le marché en 1928, la Model A est un triomphe commercial.
34:07Plus rapide, plus moderne, avec ses essuie-glaces et son démarreur automatique, ses ventes relancent l'entreprise.
34:38En 1929, plus de 120 000 personnes, dont des milliers d'étrangers, visitent la plus grande usine du monde, Rouge Plant, où est produite la Model A.
34:52Le pays tout entier l'appelle simplement Rouge.
34:57Un monstre manufacturier, situé à quelques encablures de la ville de Dearborn, conçu comme la quintessence du fordisme.
35:11L'industriel veut désormais contrôler tous les rouages de la production, des matières premières aux produits finis.
35:18La société a acheté aux Etats-Unis et dans le monde entier des mines de charbon et des mines de fer, des carrières de sable et des forêts, des lignes maritimes et de chemins de fer.
35:34Tout cela pour alimenter Rouge, la Mecque de la civilisation industrielle.
35:40Un port en eaux profondes.
35:47Des machines de la taille d'un immeuble.
35:50La plus grande fonderie d'acier de la planète, d'où sortent les moteurs encore en fusion de la Ford A.
35:57Seul actionnaire de son entreprise, sans avoir de dividendes à payer, ne peut s'épargner de son argent.
36:05Il n'a même pas besoin d'acheter une voiture.
36:08Il ne peut même pas s'acheter une voiture.
36:11Il n'a même pas besoin d'acheter une voiture.
36:14Il n'a même pas besoin d'acheter une voiture.
36:17Il n'a même pas besoin d'acheter une voiture.
36:20Seul actionnaire de son entreprise, sans avoir de dividendes à payer, de partenaires à consulter ou de banques à qui rendre des comptes.
36:30Ford le démurge, ne connaît pas d'entrave à ses ambitions.
36:35En 1928, il achète au Brésil un territoire de la taille du Ténéssi.
36:41Sur les rives du fleuve Tapajós, un affluent de l'Amazonie.
36:54Il n'a même pas besoin d'acheter une voiture.
36:57Il n'a même pas besoin d'acheter une voiture.
37:00Ford a d'énormes besoins en caoutchouc.
37:04Il veut planter des évéats.
37:13Mais comme toujours avec lui, sa vision est plus large.
37:21Au bout de deux ans, il a déjà acheté une voiture.
37:25Au bout de deux ans, une ville émerge de la forêt.
37:29Modelée sur le modèle traditionnel du Midwest étasunien, avec ses clôtures et ses porches blancs.
37:37Elle s'appellera Fordlandia.
37:45Un nom qui résonne comme une utopie civilisatrice au cœur de la jungle.
37:49Ford, ses promesses d'emploi et de prospérité sont bien accueillies au Brésil.
37:55Le Washington Post écrit même qu'il apporterait la magie de l'homme blanc dans les régions sauvages.
38:05Avec l'intention de cultiver non seulement le caoutchouc, mais aussi les ramasseurs de caoutchouc.
38:12Un hôpital et une école, un château d'eau et un générateur électrique, des trottoirs, des lampadaires.
38:22Avec American Way of Life et catéchisme puritain au programme.
38:31Le Canada est un des pays les plus proches de l'humanité.
38:34Avec American Way of Life et catéchisme puritain au programme.
38:44Les habitants de Fordlandia ont aussi des directives précises pour faire sécher le linge et des contrôleurs vérifient qu'ils utilisent bien du papier toilette.
38:57Mais les ouvriers brésiliens n'apprécient pas forcément les hamburgers ou les fruits en conserve qu'on leur sert à la cantine.
39:04Ils aiment encore moins les badges d'identité au revers de leur chemise ou le labeur en pleine canicule.
39:16Le fordisme ne fait pas bon ménage avec la forêt amazonienne.
39:23Mais au moins, s'il est vêtu du caoutchouc.
39:29Henry Ford n'a jamais mis les pieds à Fordlandia.
39:34Et il n'a pas non plus consulté de botaniste qui aurait pu lui dire que la région abritait les parasites les plus tenaces de l'Evea.
39:45C'est un fiasco total.
39:48Et pas un seul litre de latex ne sera produit.
39:5924 octobre 1929.
40:05Le jeudi noir du krach boursier plonge les Etats-Unis dans la détresse et le marasme.
40:10Un an après le succès de la modèle A.
40:19Détroit.
40:20Celle qu'on surnomme Motor City est frappée de plein fouet.
40:26En trois ans, 50% de la main d'oeuvre est licenciée.
40:36L'Amérique est la dernière des grandes puissances occidentales à ne pas avoir d'assurance chômage, pas de sécurité sociale pour les personnes âgées et pas d'aide nationale pour les pauvres.
40:56Henry Ford semble indifférent.
41:00Incapable de comprendre la complexité de la crise.
41:04Il n'hésite pas à proclamer que la grande dépression est une chose saine qui éliminera tous les excès des années 20.
41:12Et d'ailleurs, il suffirait de traverser la rue pour trouver du travail.
41:26L'Amérique du Royaume-Uni, même si elle est en basse, est une grande proposition de commerce.
41:32Mais je crois que le pays se prépare à faire un pas très décisif l'année prochaine, et nous faisons tout ce que nous pouvons pour l'aider.
41:40Que pensez-vous de ça, père?
41:42Je pense que tout le monde a décidé qu'il faut aller travailler.
41:46Je pense qu'à partir d'aujourd'hui, personne ne peut empêcher ce grand pays d'aller de l'avant.
41:53Mais du travail, il n'y en a plus.
41:57Les voitures ne se vendent plus.
42:00Trois ans après le succès de la Modèle A, les effectifs chez Ford ont été divisés par trois.
42:07Il est loin le temps du monopole.
42:11Ford est définitivement distancé par General Motors et Chrysler.
42:17Mais Henry en reste à son obsessionnel mantra.
42:21Produire toujours et encore et plus vite.
42:25Et il a fait de rouge un enfer.
42:35Un monde déshumanisé mis en scène par le cinéaste Charlie Chaplin dans son film Les Temps Modernes.
42:43Ou tel que le dépeint la philosophe française Simone Veil.
42:49Dans son journal d'usine, elle écrit.
42:53Il y a deux facteurs dans cet esclavage.
42:57La vitesse et les ordres.
43:00Il faut, en se mettant devant sa machine, tuer son âme pour huit heures par jour.
43:07Sa pensée, ses sentiments, tout.
43:11Et toujours, il faut se taire et obéir, se taire et prier.
43:21Suivre le rythme devient une idée fixe pour les cent mille travailleurs, parfois victimes de tremblements ou d'insomnie.
43:29Une nouvelle maladie nerveuse qu'ils ont baptisé la fordite.
43:35Il est interdit de siffler, de fumer ou encore de parler.
43:39Les travailleurs en sont venus à mettre au point la technique dite du murmure ford.
43:45Ils chuchotent sans bouger les lèvres et sans se regarder.
43:49Et pour certains, c'est encore plus difficile.
43:52Comme pour ces milliers d'ouvriers noirs qui travaillaient à la fonderie.
43:56Ford a longtemps été le seul à embaucher des afro-américains,
44:01lustrant ainsi son image d'entreprise généreuse et humaniste.
44:09Mais l'esclavage n'est pas la seule solution.
44:13Les noirs sont en majorité cantonnés aux pires tâches de rouge.
44:27Et pour faire régner l'ordre, Henry Ford peut compter sur un homme sulfureux,
44:32dont il a fait au fil des ans son premier travail.
44:36Et pour faire régner l'ordre, Henry Ford peut compter sur un homme sulfureux,
44:41dont il a fait au fil des ans son bras armé dans la compagnie.
44:49Harry Bennett est le chef de la sécurité et le directeur du personnel de rouge.
44:56Il ne porte pas la cravate mais un nœud papillon,
45:00pour que son adversaire ne puisse pas le saisir lors d'une bagarre.
45:05Cet ancien boxeur amateur est connu pour ses liens avec la pègre,
45:09mais aussi au sein de la police de Détroit.
45:12Ford lui accorde une confiance absolue,
45:15jusqu'à lui donner les clés de sa croisade contre les syndicats.
45:29Les années 1930 sont des années de lutte sociale sans précédent.
45:33L'élection du démocrate Franklin Delano Roosevelt en 1932
45:37a permis l'adoption de lois favorables aux syndicats.
45:46Agités par les grèves, General Motors puis Chrysler finissent par céder aux revendications.
45:56Pas Ford.
45:59Bennett dirige une escouade armée de 3000 hommes,
46:02composée de sportifs, de voyous et d'ex-détenus.
46:06Ils espionnent et matent les ouvriers militants.
46:11La plus importante police privée des Etats-Unis, selon le New York Times,
46:20dont la violence lui vaudra d'être appelée la Gestapo de Ford.
46:29En 1932, une manifestation à proximité de Rouge dégénère.
46:36La police de Dearborn et la milice de Bennett tirent sur le cortège.
46:46On dénombre 25 blessés et 4 morts.
46:51Le massacre de Dearborn fait scandale dans tout le pays.
46:56Mais Ford reste inflexible tout au long de la décennie.
47:04En mai 1941, Edsel Ford, brave en son père, négocie avec les syndicats.
47:12Fou de rage, Henry menace alors de fermer toutes ses usines plutôt que de céder.
47:20Mais cette fois, même sa femme Clara se rebiffe et menace de le quitter.
47:26Ford capitule.
47:34Il ordonne à Bennett de signer un accord
47:38qui se révèle ironiquement être le plus généreux de toute l'industrie.
47:56Oublié le réformateur, le visionnaire,
48:00à 80 ans, Henry Ford apparaît de plus en plus comme un vieil homme irresponsable et réactionnaire
48:09qui passe désormais l'essentiel de son temps dans le passé.
48:16À quelques kilomètres des fumées de Rouge,
48:19il a fait bâtir Greenfield Village sur le modèle des petites villes de son enfance rurale.
48:31On peut y visiter une ferme, une école, un établi de forgerons
48:36ou encore le premier atelier où il créa le quadricycle 50 ans plus tôt.
48:42Premier brocanteur du pays,
48:44Ford a rassemblé la plus vaste collection nationale de meubles, de vêtements
48:49ou d'articles ménagers des 18e et 19e siècles.
48:56Pour son anniversaire, ses concessionnaires se cotisent même pour lui offrir
49:01une grande collection de meubles, de vêtements et d'articles ménagers.
49:07Une ode au passé, comme si, à l'automne de sa vie,
49:11Henry Ford voulait restaurer une sorte de paradis perdu,
49:15celui qu'il a contribué à détruire.
49:37Cet homme fatigué, diminué par une attaque cérébrale,
49:41reste toutefois au centre du jeu quand l'Amérique entre en guerre.
49:54Dès février 1942, la Ford Motor Company cesse temporairement la production de voitures civiles
50:02et consacre la puissance de ses chaînes de montage
50:05à la fabrication exclusive de matériel militaire.
50:12Des chars, bien sûr.
50:18Mais on lui doit aussi l'invention de la légendaire Jeep.
50:22Enfin, devenu un pilier de cet arsenal de la démocratie que Roosevelt appelait de ses vœux,
50:28Ford produit les bombardiers B-24.
50:33L'usine de Willow Run, à 20 kilomètres de Dearborn,
50:37produira jusqu'à un B-24 toutes les deux heures.
50:42Hetzel est en première ligne de l'effort de guerre,
50:45mais il n'en verra pas l'issue glorieuse.
50:49Il a un cancer de l'estomac.
50:51Il n'en a rien dit à son père.
50:55Devant la détérioration de son état de santé,
50:58il ne peut pas s'arrêter.
51:02Il a besoin de l'aide.
51:04Il n'en a rien dit à son père.
51:08Devant la détérioration de son état de santé,
51:11Henry V. Tupper,
51:13s'il mangeait bien, s'il ne buvait pas de vin,
51:15s'il arrêtait de fréquenter des amis riches,
51:17il se remettrait sur pied.
51:25Le malentendu avec son fils aura duré jusqu'à la fin.
51:30Au printemps 1943,
51:32Hetzel Ford décède à l'âge de 49 ans.
51:38Son père lui survivra 4 ans.
51:49Henry Ford meurt, âgé de 83 ans,
51:53le 7 avril 1947.
51:57Né pendant la guerre de sécession,
51:59il aura vécu assez longtemps
52:01pour voir la bombe atomique dévaster Hiroshima.
52:08100 000 personnes défilent lentement devant sa dépouille,
52:12exposées à Greenfield Village.
52:17Un hommage à la mesure de ceux que l'on rend à un roi,
52:21un despote ou une icône.
52:24Pour sûr, à l'homme qui, plus que tout autre,
52:28aura inventé le siècle américain.

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