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Pierre-François Pistorio est un acteur et directeur artistique français connu pour son travail dans le doublage. Il a notamment prêté sa voix à de nombreux personnages dans des films et séries animées.
Transcription
00:00En termes de séries, tu doubles régulièrement Tim Guinci et James Spader, ce sont des acteurs
00:19qui te plaisent ?
00:20Oui, énormément, Spader en particulier, vraiment je trouve que c'est un très grand
00:24acteur.
00:25Il a fait pendant 5 ans Boston Legal, il dit aussi Boston Justice, pour lequel il a réussi
00:30à souffler le prix d'interprétation aux Sopranos à l'époque, au Emmy Award, sachant
00:35que Boston Justice est une série que tout le monde a honni, c'était produit par David
00:39Kelley, qui avait fait Al McBean, et c'était en pleine guerre d'Irak, en pleine politique
00:45Bush et c'était totalement anti-Bush, anti-politique américaine, donc tous les thèmes de société
00:51en 5 ans y sont passés, puisque ça se passait dans un cabinet d'avocats, avec des prises
00:55de paroles magnifiques, vraiment, et tout y passait.
01:00Cette série par exemple, d'abord les acteurs William Chutney et James Spader faisaient
01:08un tandem complètement extravagant, à côté de tout, c'était génial, c'était un jeu
01:14extraordinaire, et puis avec un amour entre tous ces gens, c'était sur l'affection,
01:19ils se permettaient des choses quand même incroyables, ils jouaient in et out, c'est
01:22ça, Spader, ce qu'il ose faire, qu'il a introduit, c'est qu'on joue in et out,
01:25par exemple, dans la seconde saison, il y avait une comédienne qui avait déjà joué
01:29dans la première saison, il l'a vu arriver, monsieur Alan Shore, vous vous souvenez de
01:33moi ? Ah oui, vous nous avez dit ce qu'on allait faire dans la première saison, vous
01:37avez fait deux films à Hollywood et maintenant vous revenez, ça tombe bien, j'ai une affaire
01:40pour vous, venez voir.
01:41Que le temps passe, la dernière fois que nous nous sommes vus, je crois que c'était
01:44dans le dernier épisode de la première saison, vous êtes partis faire du cinéma, ensuite
01:47nous avons repris le tournage, et on se retrouve encore en fin de saison, et oui c'est ça,
01:52laissez-moi vous dire que vous êtes époustouflante.
01:54Et voilà, et là on est dans le jazz, on est in, on est out, on joue avec les conventions
01:58et on passe de l'autre côté, et nous, le public, on accepte ça, mais comme du beurre,
02:02d'introduire des idées qu'on peut casser comme ça le cadre, qu'on peut casser le
02:06miroir ou élargir le panorama, je trouve ça formidable, et il est en train de glisser
02:12un peu là-dessus, mine de rien, dans Blacklist, il amène ses petites références à lui,
02:17à son savoir-faire, et comme ça, l'idée qu'on glisse des choses en loose day, j'aime
02:22les mecs, on sent qu'il y a de l'arrière-plan, c'est pas simplement des gens qui sont là,
02:27bonjour, entrez par ici, ils sont uniquement comme les micros, monodirectionnels, c'est-à-dire
02:33que ce qu'ils disent, c'est censé correspondre à un truc qu'ils pensent, et tout ça est
02:36droit, non, trois quarts du temps dans la vie, on dit un truc pour pas en dire un autre,
02:40on dit une chose parce qu'on a que ça comme mot pour dire quelque chose qui surplombe
02:44l'émotif et peut-être plus lourd, c'est toujours cet aller-retour entre le dit et
02:48le non-dit qui est intéressant, dans un mec comme Spader, qui est un acteur extraordinaire,
02:53mais il y en a d'autres, moi j'ai la chance de le suivre quasiment tous les jours, c'est
02:56formidable de voir à quel point il se permet des aller-retours, d'aller chercher très
02:59très loin, on a l'impression même qu'on sort du film et puis que, boum, tout d'un
03:03coup dans son regard, tout le personnage réapparaît, on s'est aperçu que non, on est toujours
03:05là, c'est exemplaire, c'est sûr que dans les séries, les personnages ont la possibilité
03:11d'aller beaucoup plus loin dans le développement de leurs personnages, donc de présenter des
03:16facettes intéressantes, on a le temps de les voir dans un film, on va essayer en très
03:22peu d'images de donner un maximum d'informations sur un personnage, dans les séries au contraire
03:26on a le plaisir de pouvoir se confondre avec eux, de passer du temps, d'épisode en épisode,
03:34j'aime bien les séries pour ça, nous on prend les choses comme elles viennent, alors
03:37on sait qu'il y a une nouvelle série qui démarre, ça a été ça pour l'Étudor
03:41par exemple, où brutalement on m'a appelé, enfin brutalement, on m'a dit voilà un personnage
03:45dedans que tu as déjà doublé, un acteur dont j'ai oublié le nom d'ailleurs, qui
03:48jouait un lord d'Angleterre, donc hop c'est parti pour l'Étudor et ça a duré un an
03:53ou deux, je sais plus, les Borgia c'est pareil, on s'est trouvé à faire un des évêques
03:59ou cardinaux et puis ça a duré 3-4 ans, on ne sait jamais trop ce que deviennent les
04:04choses, mais on apprend avec bonheur que Blacklist, bon ça marche, que ça va encore être reconduit
04:07comme pour Black Sails, qui a une troisième saison qui démarre, à chaque fois on fait
04:10aaaah, mais on est dépendant de ce qui se passe de toute façon dans les pays où sont
04:15créées ces oeuvres-là.
04:19Black Sails, aaaah putain, 20 ans avant l'île aux trésors, waouh, quelle super idée, je
04:27fais l'article, c'est un petit peu bavard, dans la première saison comme dans la seconde,
04:31mais quand on s'accroche et qu'on rentre dedans, il y a tellement de personnages, c'est
04:34magnifique, moi j'adore la littérature maritime, donc je connais un peu les carnets
04:37de voyages des grands marins de la marine à voile, et de retrouver Anne Bonny, de retrouver
04:43Rackham, de retrouver des personnages de Stevenson, qui avait déjà introduit lui des pirates
04:48de l'époque, et de les faire vivre 20 ans avant l'île aux trésors, c'est magnifique.
04:53Alors là on se prend des embruns, il y a Gliotz et les Tropiques, HBO ils font des choses
04:57en grand, donc c'est vachement bien, vraiment, là aussi le casting, coloré, brillant, on
05:03vient de terminer la saison 2, et j'ai eu la chance de doubler Toby Stephens, qui incarne
05:11le Capitaine Flint, qui est un personnage donquichotesque, sur le vertical, avec un
05:17rêve, un peu à la braille, vous savez les personnages, un rêve inaccessible, et c'est
05:23magnifique.
05:24Et on prend son pied, on fait ça avec Benoît Dupac, que tu connais, et on prend son pied,
05:29mais vraiment, on est tous en attendant, on dit alors, alors, et alors, et alors qu'est-ce
05:32qu'il se passe, et vraiment on avance avec eux, on est dans le film, c'est magnifique.
05:36Super, super série.
05:43Et puis là aussi, j'ai eu la chance, Fernand Ligat, un super acteur, il fait des choses
05:47lui aussi, waouh, non mais c'est, c'est mon grand plaisir quand j'étais au théâtre,
05:53en fait, comment j'ai commencé à faire du doublage, parce que j'ai beaucoup joué
05:57au théâtre, et ce qui m'a intéressé à une époque, c'était surtout de faire
06:01du théâtre baroque.
06:02Pour moi, le théâtre baroque, c'est comme aider l'art, c'est faire du théâtre
06:04de masques, du travestissement, des choses, voilà, de la gymnastique scénique, etc.
06:09J'ai eu la chance de travailler avec un très grand metteur en scène qui s'appelle
06:11Alfredo Arias, qui dirigeait à l'époque une troupe qui s'appelle le groupe Tse,
06:15j'ai envie de dire, dans les années 60, il y avait Mnouchkine, pour ceux qui connaissent
06:20Ariane Mnouchkine, voilà, et puis il y avait Arias, il y en avait quelques autres évidemment,
06:26il y avait le Magic Circus, mais c'est quand même des gens qui, théâtralement,
06:30étaient des barrés complets, ils faisaient des choses magnifiques.
06:32Et j'ai eu la chance, moi, de travailler, d'intégrer le groupe Tse dans les années
06:3580 quelques, et de faire plusieurs spectacles avec eux, en alternance en plus, ce qui est
06:42un peu le plaisir des grands théâtres, comme la comédie française, où on répète une
06:45pièce dans la journée, on en joue une autre le soir, on en tourne, voilà, on tournait,
06:49et on a joué une année l'Oiseau bleu, où on était 14 comédiens, et avec des masques
06:55et des déguisements et des changements à vue et tout, on jouait une centaine de personnages.
06:58Alors évidemment, il y a beaucoup de gens de synchro qui sont venus à l'époque voir
07:01ça, des amis entre autres, et une dame, Danielle Perret, qui est venue voir ça, et qui immédiatement
07:06m'a proposé justement de faire Juliette, je t'aime, direct, parce que vocalement, déjà,
07:11c'est sûr que, moi je ne suis pas imitateur, mais enfin, on se baladait beaucoup, et c'était
07:16guignol quoi, autant de têtes, autant de masques, hop quoi, et puis ça allait dans
07:19tous les sens, donc ça, ça a séduit, ça m'a ouvert la porte, je n'ai pas eu à trop
07:22chercher le boulot, j'en ai même jamais cherché, on est venu me chercher pour mes
07:26capacités vocales justement, parce que je chante aussi, que donc je peux aussi chanter
07:30avec une voix de canard, comme, voilà, c'est un personnage comme Doofenshmirtz, celui
07:34que j'aime tant, ça m'en fout de finir à ses fers, il parle comme ça, avec un accent
07:38germano-marseillais, oui mais alors il faut chanter aussi, bon ben je peux le faire, donc
07:42ça va.
07:43Quelqu'un qui pensait comme moi, enfin, un nouvel ami, et c'est moi, enfin, un nouvel
07:51ami, et c'est moi.
07:52J'ai fait un peu de lyrique, j'ai travaillé avec l'Opéra de Lyon, j'ai fait pas mal
07:55de choses avant, donc je peux jouer les rôles, mais je peux aussi les chanter, ce qui m'a
07:59aidé chez Disney entre autres pour être un peu dans Mulan, c'est là que j'ai commencé
08:02à apparaître, et puis ensuite faire des choses plus importantes.
08:05Un harlequin vocal, c'est comme ça que je parle des choses, je veux bien me définir
08:09comme un harlequin vocal, plus on me propose des choses différentes, plus je prends mon
08:12pied.
08:13S'il s'agit simplement de faire la même chose tous les jours avec la même voix, parce
08:15que moi je parle comme ça, ça ne m'intéresse pas quoi, c'est genre un sentiment d'usure,
08:20alors que tant que c'est dans l'adversité, tant qu'il faut rejoindre la pensée de quelqu'un,
08:24la construction d'un personnage, c'est Baffon, j'ai vu un film extraordinaire il y a peu
08:28de temps, vous avez peut-être vu Shame, que je n'avais pas vu quand c'est sorti, un travail
08:31d'acteur qui est extraordinaire, c'est un très très beau film, bon il y a très peu
08:35de choses à doubler là-dedans, mais j'aurais aimé faire ça, parce que vraiment c'est
08:40bien, même dans ses silences, le mec il a une façon de respirer, j'ai envie de dire
08:43il se passe un truc, qui est formidable.
08:44Moi j'aime bien me mettre au service des gens comme ça, puis il faut être un peu femelle
08:48quand on fait du doublage, parce qu'il faut d'abord recevoir, écouter, ouvrir pour accueillir
08:54ce que les gens ont fait et essayer de rien louper, et puis ensuite faire sa proposition,
08:59faire sa tambouille, et ensuite proposer quelque chose qui soit original dans sa langue, qui
09:03soit qualitativement à la dimension de l'acteur, faut pas merder, voilà, être en situation,
09:09avec leurs allers-retours, avec leurs sensibilités, en tant que copiste, mais aussi en tant qu'interprète,
09:14et c'est dans ce sens-là, la synchro ça a des vertus assez étonnantes, ça demande
09:18une grande technicité, sérieusement, pas pour dire, bonjour monsieur, asseyez-vous,
09:22inspecteur, j'exagère, parce que je suis méchant, mais si on veut aller plus loin,
09:27il faut être super lecteur à vue, comme pour les partitions, il faut lire très vite,
09:31il y a des gens qui ne pourront pas faire du doublage parce qu'ils n'arrivent pas à lire,
09:33alors trois semaines autour d'une table au théâtre on peut, on analyse le texte, tout ça,
09:37on apprend les scènes, mais là c'est tout de suite, tout de suite, il faut une réactivité,
09:40une écoute et une réactivité immédiate, et auquel cas on peut prendre son pied et s'amuser
09:45beaucoup, ce qu'on essaie de faire tous les jours.
09:47Ça se sent de manière générale, quand un comédien s'amuse, ça se sent.
09:50Mais si ça ne se sentait pas, ça serait raté.
09:51Alors tu l'as dit, en parallèle au doublage, tu fais beaucoup, tu as fait, tu continues
09:55je crois, de faire beaucoup de théâtre, est-ce que tu préfères la lumière des planches
09:59ou l'obscurité des plateaux de doublage ?
10:01Oh la vache, la formulation déjà, en mettant entre guillemets, on est citation, tel jour,
10:08c'est très différent.
10:09En fait, j'étais content à un moment de ma vie de ne plus passer mon temps tous les
10:13soirs au théâtre, alors que j'adore le théâtre, puis j'étais très gâté vraiment, j'ai
10:16un très beau rôle.
10:17Mais j'ai eu des enfants, et puis me retrouver à Bordeaux, Pétain-Houchenoc, Lorient-Quimper,
10:26pendant les fêtes de Noël, pendant les fêtes de Pâques, à chaque fois que mes enfants
10:30étaient en vacances, moi je jouais.
10:31Alors pour eux en plus, ça crée un petit truc, parce qu'ils sont persuadés que travailler
10:34c'est jouer, où jouer c'est travailler.
10:36Mais outre le côté sémantique, le glissement sémantique de l'histoire, c'est vrai que
10:42j'en ai eu marre de cet emploi du temps au bout d'un moment.
10:44J'ai fait ça pendant 25 ans, c'est-à-dire que quand on joue au théâtre, on se couche
10:47à 4h du matin, on se lève à 14h, on va répéter éventuellement, on se chauffe, on
10:51est prêt avec son énergie à 20h30, et on est complètement à l'envers du reste du
10:55monde.
10:56Donc n'étant pas célibataire à vie, ni criminel recherché, en besoin de me cacher
11:00comme à l'époque de Lartagnan, ou de personnages comme ça dans des troupes de théâtre itinérantes
11:06pour cacher mon identité, voilà, je me suis aperçu que c'est quand même, d'une part
11:11on me proposait beaucoup de choses en synchro.
11:13C'est vrai, c'était après travailler avec les C, là, des enfants en bas âge qui
11:17vont à l'école et tout, et puis j'avais envie de les voir, j'avais envie de passer
11:20ma vie avec eux, et non pas d'être à l'envers de tout le monde.
11:22Parce que finalement, quand on joue au théâtre, quand on se donne à cette vie-là, on le
11:29paye aussi sous ses aspects familiaux par exemple.
11:32Donc comme je voyais qu'on me proposerait pas les rôles qui m'intéressaient non plus
11:35à 35 ans en gros, quand j'ai décidé de passer à autre chose, momentanément, parce
11:39que j'ai continué à travailler en effet, mais dans la mesure où ça me permet à moi
11:42de garder mon calendrier tel que je l'organise, mon mode de vie, mes enfants, mes priorités.
11:47Donc je joue surtout à Paris, mais je fais plus de tournées, voilà, je connais toute
11:52ma vie de France, les cathédrales, les musées, les brocantes, les antiquités, les places
11:56de marché, et voilà, les braderies éventuellement, mais c'est honnêtement, j'en ai bouffé,
12:01puis en France il y a 50 villes, alors il y a aussi des tournées internationales, ça
12:04j'en ai fait aussi, mais en France il y a 50 villes.
12:05Tu fais trois fois une tournée, trois mois ou quatre mois, et que tu fais Orléans-Beaujancy,
12:09Amsterdam-de-Paris, Vendôme, et tout ça, à 11h il n'y a plus rien, moi j'ai oublié
12:14de faire de la gare, à 18h il n'y a plus rien, t'es là comme un con, et le moment
12:17où j'ai arrêté, je crois que c'est un soir de Noël, je venais de jouer à Bordeaux
12:19l'annuel maman avec Anémone, qui est un duo qui était pas mal, je me retrouve tout
12:24seul dans la rue, 25 décembre, après le spectacle, blues, je rentre dans ma chambre
12:28de hôtel, et puis je pense à mes enfants, je me dis putain, mon fils Maxime justement,
12:32et je tombe sur une énorme affiche, avec justement la tête de mon fils, et la tête
12:37d'un petit black, parce que je passais dans Bordeaux deux jours avant ou après,
12:40Sixon, qui est un groupe de jazz-rock, peut-être vous avez entendu parler, dont la première
12:46pochette de disques représentait un petit bébé blanc qui regardait un petit bébé
12:49noir, et ce petit bébé blanc c'était mon fils, donc tout seul, perdu dans mon blues
12:52à Bordeaux, je tombe sur une affiche de 6 mètres sur 4, et je me dis ok, j'ai rien
12:56à foutre là.
12:57C'était un joli symbole, mais je m'en souviens de ce moment-là, parce que j'étais pas fier.
13:03C'est une jolie histoire.
13:05C'est pas mal, ce truc-là comme ça c'est un cadeau.
13:08Ouais quand même ça existe, merde.
13:10C'est beau.
13:11Voilà.
13:12C'est une belle manière de conclure, merci beaucoup Pierre-François.
13:32Merci.

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