• il y a 6 mois
Il y a quelques semaines, Véronique Ovaldé a obtenu le prix Goncourt de la Nouvelle. Je l’avais croisée dans des manifestations littéraires. Elle mettait toujours un certain acharnement à dire qu’elle ne parlait pas d’elle, qu’elle était loin de ce type de littérature.

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Transcription
00:00Il y a quelques semaines, Véronique Ovaldé a obtenu le prix Goncourt de la Nouvelle.
00:05Je l'avais croisée quelquefois dans des manifestations littéraires.
00:09Elle mettait toujours un certain acharnement à dire qu'elle ne parlait pas d'elle,
00:13qu'elle était loin de ce type de littérature.
00:16Elle disait ça, mais sans l'accent d'hostilité qu'on y met d'habitude.
00:19Au contraire, c'était presque une forme d'excuse,
00:22qui aurait pu être prononcée à un moment ou à un autre par un des personnages de son dernier livre,
00:27« Vie imparfaite ».
00:29Ils sont toujours entre deux choses, au moins, ils vacillent.
00:32Là non plus, elle ne parle pas d'elle, mais on ne voit qu'elle, et on entend sa voix.
00:37Dans la manière qu'a son personnage de tituper dans le bus, par exemple, pour garder l'équilibre.
00:42La chose la plus difficile à réussir, quand on fait un livre, c'est être là,
00:47soit, sur la page.
00:50Ça paraît simple, mais c'est ce qu'il y a de plus difficile,
00:53et sans quoi il n'y a pas de littérature.
00:56Dans « Vie imparfaite », ce n'est pas elle, Véronique Ovaldé, qui parle.
01:01Ce n'est pas son histoire.
01:03Et pourtant, c'est elle qu'on entend, et qu'on voit, à toutes les pages.
01:07Le profil des personnages est assez général, un peu vague,
01:12comme s'il fallait garder un mystère à celle ou à celui qu'on croise,
01:16à la fois par devoir et par discrétion.
01:19On l'aperçoit, on l'entend, on en a une impression,
01:22on reconnaît une ou deux idées, des gestes, une attitude, une forme d'esprit,
01:28exactement comme dans la vie.
01:31Le personnage n'est jamais épinglé sur la page comme un papillon.
01:35Il reste libre, il peut se transformer dans la nouvelle suivante,
01:39prendre une autre place, à une autre distance, jouer un autre rôle.
01:44Elle les comprend tous.
01:46Il y a beaucoup de filles, par leur sexe biologique ou leur place dans la famille,
01:51il y a celle qui s'appelle Marguerite et décide de s'appeler Bob tout d'un coup,
01:55comme ça arrive dans la vie.
01:58Eva, la mère, qui s'adapte.
02:00Le langage du livre est un peu suranné, ou surécrit,
02:04comme pour indiquer la peine que prennent les gens pour dire ou penser quelque chose,
02:09la distance qui est la leur, le petit pas de côté, le doute,
02:13la liberté qu'a chacun d'être soit ce qu'on en dit, ce qu'on en voit, ou pas tout à fait,
02:19les gens étant libres d'être quelque chose qu'on ne sait pas.
02:23Dans l'écriture se rejoignent des codes littéraires du passé et ceux de la vie moderne,
02:29pour bien garantir, là encore, qu'on est loin du langage de tous les jours,
02:36de celui de la vie quotidienne, du réel, et qu'il ne faudrait pas confondre.
02:41Ce n'est pas comme ça qu'on parle, ce n'est pas elle, ce n'est pas maintenant, ce n'est pas nous.
02:48Et pourtant, on les voit tous.
02:51Les personnages, on les connaît, on les voit tous les jours.
02:55Celui qui vacille dans le bus, on le voit presque se tenir à un poteau.
02:59On les voit tous, tels qu'ils sont et ne sont pas.
03:03Aucun ne parle politique, bien sûr.
03:05Pas leur style, c'est pas le genre à imposer leurs idées.
03:09Ils s'abstiennent, ils se réservent, ils ne parlent jamais d'eux.

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