• il y a 6 mois
Pour faire la chasse aux préjugés sur l’énergie, SMART IMPACT reçoit Raphaël Boroumand, professeur d’économie à Paris School of Business (PSB). Il est co-auteur du livre « 20 idées reçues sur l’énergie », dont la troisième édition est parue chez De Boeck Supérieur en avril 2024. Cet économiste évoque les leviers de la transition énergétique, y compris au niveau de l’Union européenne. Il critique les thèses pro-décroissance et aborde, par exemple, des sujets tels que les raffineries françaises, le gaz de schiste, le nucléaire et les énergies renouvelables, ou encore la Chine et le climat.

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Transcription
00:00 [Musique]
00:06 L'invité de Smart Impact, c'est Raphaël Borouman. Bonjour.
00:10 Bonjour Thomas Huy.
00:10 Bienvenue, vous êtes professeur d'économie à la Paris School of Business,
00:13 dernière édition de votre livre, c'est de ça dont on va parler.
00:16 "20 idées reçues sur l'énergie", paru aux éditions De Bock Supérieur,
00:21 livre co-écrit avec Thomas Porcher et Stéphane Goutte.
00:23 La première version, vous l'avez écrite il y a 10 ans, c'est ça ?
00:26 C'est un livre qu'on a écrit effectivement il y a 10 ans,
00:27 qui a été publié pour la première fois en 2015.
00:29 Pourquoi vous vous êtes lancé dans cette idée ?
00:32 Il y a tant d'idées reçues que ça sur l'énergie, ou il y avait tant d'idées reçues ?
00:35 Le secteur de l'énergie, c'est vrai, a des dimensions à la fois géopolitiques,
00:38 économiques, technologiques, environnementales,
00:41 et sociales aussi, on l'a vu avec la taxe carbone et le mouvement des gilets jaunes.
00:44 Pour mener des bonnes politiques énergétiques et climatiques,
00:46 il faut d'abord déconstruire les dogmes, les mythes, les idées reçues ou les préjugés.
00:51 Et donc on a pensé que c'était une bonne démarche, à partir de nos travaux scientifiques,
00:54 de vulgariser sous la forme d'un livre grand public,
00:57 en fait, les idées reçues pour les déconstruire comme base en tirer des enseignements
01:01 pour des politiques climatiques et énergétiques efficaces.
01:04 On est évidemment autour de ces enjeux de la transformation environnementale,
01:09 avec parfois des équations qui sont quasi impossibles à résoudre,
01:12 je pense au secteur aérien, mais bref,
01:15 avec des carburants durables qui sont en toute petite quantité
01:18 par rapport à ce que le secteur devrait utiliser pour tenir ses objectifs.
01:21 Mais bref, est-ce que ces idées reçues,
01:24 elles empêchent cette transition environnementale, pour vous, ou elles la freinent d'une certaine façon ?
01:29 Je vous remercie pour cette question, parce qu'effectivement,
01:31 je considère que les idées reçues entravent cette transition,
01:33 puisque soit elles nous font perdre du temps, soit elles peuvent nous engager sur une impasse.
01:38 Or, quand on regarde le budget carbone qui a déjà été utilisé,
01:41 le temps qui nous reste pour limiter le réchauffement climatique,
01:43 on ne peut pas se permettre de prendre une voie qui va se transformer en une impasse
01:47 et s'en rendre compte trop tard.
01:48 Il y a une urgence climatique, et donc il faut dès le début s'engager dans la bonne voie, la plus efficace.
01:52 Est-ce que votre analyse, elle a changé ?
01:54 Parce qu'on va dire, il y a 10 ans, vous écriviez ça, et aujourd'hui...
01:58 Moi, je considère que le but d'un académique, c'est quand même de prévoir l'avenir,
02:02 pas de prévoir le présent ou le passé.
02:04 Vous avez pris des risques en l'écrivant il y a 10 ans ?
02:05 On a pris des risques en l'écrivant il y a 10 ans,
02:07 et les faits, ou le contexte énergétique actuel, nous a donné raison.
02:10 Par exemple ?
02:11 Pas par exemple, quand on regarde...
02:12 Moi, j'étais l'un des premiers en Europe à dire que la libéralisation du secteur de l'électricité
02:16 n'allait pas fonctionner comme celui des télécommunications ou de l'aérien.
02:19 On était assez minoritaire à l'époque, au niveau européen, à le dire.
02:22 Et j'ai envie de vous dire, malheureusement, les faits nous ont donné raison,
02:25 puisque la concurrence, elle a pour objectif de soit suster de l'innovation
02:28 en termes de services ou de baisse des prix.
02:30 Or, les prix de l'électricité n'ont fait qu'augmenter.
02:32 Ce n'est pas de la faute de la libéralisation.
02:34 C'est pour dire que le secteur de l'électricité a des spécificités
02:37 qui ne sont pas celles des télécoms, de l'aérien.
02:39 Sur le principe, moi, je suis favorable à la concurrence.
02:41 Quand elle marche, entre les écoles de commerce, dans le secteur des télécoms,
02:44 mais elle ne se décrète pas.
02:45 Il faut que les caractéristiques d'un secteur,
02:47 caractéristiques techniques, économiques, s'y prêtent.
02:50 Ce n'est pas le cas pour l'électricité.
02:52 – Il y a 10 ans, je pense à la Russie et je pense au contexte géopolitique,
02:54 vous en parliez, il y a 10 ans, il y avait déjà eu
02:58 une première attaque de l'Ukraine par la Russie.
03:02 Et pour autant, l'Europe et notamment l'Allemagne,
03:04 s'est mis dans les mains de la Russie en termes de dépendance, notamment gazière.
03:09 Est-ce que vous écriviez là-dessus ?
03:11 Est-ce que vous disiez "attention, danger" ou pas ?
03:13 – Alors nous, on avait écrit sur la naïveté géopolitique de l'Europe
03:16 et le fait que c'était l'heure de vérité pour le réveil d'une Europe politique.
03:20 Parce qu'il y avait des risques en termes de sécurité d'approvisionnement.
03:22 Et on nous disait "non, la sécurité d'approvisionnement
03:24 à la fois gazière et électrique de l'Europe est assurée".
03:27 Or, vous voyez bien depuis 2022, les conséquences quand il y a des tensions
03:31 avec un pays dont l'Europe dépendait trop fortement pour son gaz
03:35 et aussi pour son pétrole.
03:36 – Et effectivement, vous consacrez un chapitre à la politique énergétique européenne.
03:40 Qu'est-ce que vous attendez de la nouvelle mandature de l'Union ?
03:45 On va apprendre, connaître dans quelques semaines, les nouveaux commissaires,
03:51 président de la Commission ou président de la Commission européenne.
03:53 Il y a des erreurs à ne pas commettre pour cette mandature ?
03:56 – Il faut bien que l'Europe comprenne que le but ce n'est pas simplement
03:59 d'atteindre la neutralité carbone, c'est-à-dire de décarboner l'économie de l'Europe.
04:04 C'est aussi d'en faire une puissance industrielle décarbonée.
04:08 C'est-à-dire que l'Europe est confrontée à la concurrence des États-Unis d'un côté
04:14 et de la Chine de l'autre, qui sont dans une forme de choc des titans.
04:17 Et qui, eux, notamment les États-Unis, ont lancé un plan, l'IRA, de 370 milliards de dollars
04:22 pour soutenir l'industrie décarbonée.
04:24 Donc l'Europe, elle est plutôt leader dans tout ce qui est normes
04:28 et donc elle a un leadership plus réglementaire qu'industriel.
04:31 Or, il ne faut pas opposer transition écologique et politique industrielle
04:34 puisqu'on aura une transition énergétique que si on a une politique industrielle.
04:37 Et on ne peut pas avoir une politique industrielle sans subvention
04:39 pour avoir des champions industriels européens.
04:41 Mais d'ailleurs, la réponse européenne à cet Inflation Reduction Act américain,
04:47 bon, alors évidemment c'est plus difficile, on est 27, il faut se coordonner,
04:49 mais elle est quoi ? Elle est brouillonne, elle est faiblarde ? Comment vous la qualifiez ?
04:53 Disons que le boom industriel, il est quand même plutôt aux États-Unis
04:56 qui sont en train de rafler la mise.
04:57 Alors la France s'en sort mieux que les autres pays européens.
04:59 Mais le but, ce n'est pas de faire de l'Europe un îlot décarboné dans un désert industriel.
05:03 Ni d'en faire un débouché des clean tech américaines ou chinoises.
05:07 Donc il ne faut pas hésiter à avoir une politique industrielle beaucoup plus offensive.
05:12 Parce qu'en fait, la décarbonation de l'industrie est à la fois source d'attractivité
05:15 et de compétitivité et de création d'emplois.
05:18 Il ne faut pas opposer économie et industrie et économie et climat.
05:22 Alors justement, économie et climat, j'imagine un peu votre réponse,
05:26 il ne faut pas forcément passer par la décroissance.
05:29 Alors justement, je vous remercie pour cette question parce que la décroissance,
05:33 qu'est-ce que ça veut dire ?
05:34 Si ça veut dire qu'il faut avoir une décroissance au niveau mondial,
05:37 ça va entraîner un chaos social au niveau mondial
05:40 parce qu'il va falloir baisser la production mondiale de plus de 80%.
05:43 Et donc ça, ça veut dire rendre encore plus pauvres les pays qui sont déjà les plus vulnérables.
05:47 Et les pays les plus vulnérables, vous êtes bien gentil,
05:49 mais vous avez tiré sur la planète en quelque sorte pendant des décennies.
05:52 Et nous, aujourd'hui, vous nous demandez de tout arrêter et de ne pas grandir.
05:56 Oui, exactement. Les pays qu'on nomme abusivement du sud global, exactement.
06:01 Et en France et dans les pays de l'Europe de l'Ouest et aux États-Unis,
06:04 ça veut dire demander aux ménages les plus précaires de serrer davantage la ceinture.
06:07 Or, il faut dépasser cette opposition apparente entre fin du monde et fin du mois
06:11 parce qu'il y a en économie des leviers pour concilier économie et climat.
06:15 Et donc l'idée, ce n'est pas d'avoir une décroissance globale et mondiale.
06:18 L'idée, c'est de pouvoir avoir une croissance économique qui soit sélective et décarbonée.
06:24 Mais il faut quand même se poser la question du modèle.
06:27 Exactement.
06:27 Par exemple, on l'a dit plein de fois dans cette émission,
06:30 passer d'un modèle linéaire à un modèle circulaire, ça c'est une piste qui est évidente.
06:35 Est-ce qu'elle est valable aussi dans les domaines énergétiques ?
06:40 Non seulement elle est valable, mais en plus plus largement par rapport à ce que vous dites,
06:43 il y a des secteurs qui devront décroître.
06:45 Ce n'est pas normal de produire 15 fois plus de vêtements qu'il y a 30 ans
06:48 et de brûler des tonnes de vêtements chaque année
06:50 parce qu'on pollue quand on produit et on pollue quand on détruit.
06:53 Ça n'a aucun sens, la fast fashion par exemple.
06:55 Mais ça veut dire qu'il faut avoir une croissance sélective pour l'orienter
06:58 vers les technologies et les infrastructures décarbonées.
07:00 Et donc c'est valable aussi pour l'énergie, sans opposer les énergies les unes aux autres.
07:04 Oui, par exemple, renouvelables et nucléaires, on a besoin des deux.
07:07 En l'état actuel des technologies, on a besoin des deux, oui.
07:09 Est-ce que ça a été une grande illusion idéologique des verts
07:15 et notamment des verts allemands qui ont été un peu à l'origine
07:18 de ce corpus idéologique des partis écologistes ?
07:23 Alors effectivement, ce qu'on a aussi essayé de faire,
07:27 c'est de sortir de toutes formes de dogmatisme politique.
07:29 Il ne faut pas qu'une technologie soit l'objet de calculs politiciens.
07:32 Ça a pu l'être aussi en France pour la fermeture de Fessenheim.
07:35 Il faut vraiment regarder une vision systémique d'une technologie
07:39 sans surestimer ses avantages ou sous-estimer ses inconvénients.
07:42 Et il est possible que certains partis politiques dans certains pays
07:45 aient une vision qui soit trop dogmatique et qui les aient enfermés après
07:48 dans une forme de dépendance, notamment au gaz pour l'Allemagne.
07:50 Je reprends certains titres de chapitres de votre livre.
07:54 Par exemple, l'exploitation du gaz de schiste remet contre le chômage.
07:58 Idée reçue ?
08:00 C'était une idée reçue il y a une dizaine d'années.
08:01 Ça l'est encore quand on regarde les fausses promesses du gaz de schiste en Pologne,
08:05 qui est beaucoup trop profond pour être rentable,
08:06 qui ne fonctionne pas comme le gaz de schiste aux États-Unis.
08:09 On voit que le chômage, il vaut mieux plutôt le réduire
08:10 avec la création d'emplois dans une économie nouvelle et décarbonée
08:14 pour que que de se lancer dans une vieille énergie qui est complètement...
08:16 C'est une vieille énergie, le gaz de schiste.
08:18 Disons qu'on est dans une émission, c'est la chaîne des audacieuses et des audacieux,
08:22 qui s'appelle Smart Impact, c'est la transformation durable et écologique de l'économie.
08:26 Donc il est impossible de se tourner vers des énergies fossiles,
08:29 alors que ce n'est pas parce qu'on en a qu'il faut les utiliser.
08:32 En revanche, il y a un chapitre que j'ai trouvé intéressant sur le chapitre 10,
08:35 il faut fermer les raffineries françaises.
08:37 Mauvaise idée ?
08:39 Il y a trois fois moins de raffineries.
08:40 Il y en avait 24, il y en a 51, il n'y en a plus que 8,
08:42 voire 7 si on tient compte de celles qui sont en arrêt actuellement.
08:46 Et là, il y a un enjeu de souveraineté.
08:47 On ne peut pas, comme vous dites, d'un côté,
08:49 alors moi je préfère le terme de sécurité d'approvisionnement que de souveraineté,
08:51 mais on ne peut pas parler de sécurité d'approvisionnement
08:54 et dire on est incapable de raffiner le pétrole pour les produits pétroliers
08:57 et puis acheter du diesel ou du carburant de l'extérieur.
09:00 C'est comme si on prend le cas des barrages hydrauliques,
09:04 à un moment l'idée reçue c'était qu'il fallait les privatiser.
09:06 Ça veut dire mettre l'eau, patrimoine naturel de la France
09:09 et les barrages, infrastructures stratégiques financées par les contribuables
09:12 dans les mains de sociétés étrangères de pays potentiellement hostiles.
09:16 Donc c'est une fausse bonne idée.
09:18 On va en parler dans un instant puisqu'on va parler de petite hydroélectricité.
09:22 Tiens, un dernier mot, il nous reste une minute.
09:24 Sur la Chine, la Chine souvent désignée comme responsable du réchauffement climatique.
09:30 Alors ça, ça m'intéresse d'avoir le recul d'une décennie.
09:33 Est-ce que ça a beaucoup évolué ça ?
09:34 Si les COP se suivent et se ressemblent,
09:36 c'est aussi parce que de la même manière qu'il y a une géopolitique de l'énergie,
09:39 il y a une géopolitique du climat.
09:40 Et donc si on n'arrive pas à avoir un accord qui tienne
09:43 et qui soit véritablement fort,
09:45 c'est aussi parce qu'il faut qu'il y ait une justice climatique,
09:48 il faut tenir compte de la dette climatique.
09:50 Ce n'est pas parce que la Chine pollue beaucoup qu'elle en est responsable.
09:53 Elle pollue pour des biens qui sont souvent exportés à destination des pays européens.
09:57 Et la Chine, c'est le pays de tous les paradoxes.
09:59 D'un côté, elle pollue beaucoup par le charbon
10:01 et de l'autre côté, elle est numéro un sur les renouvelables.
10:03 Mais elle reste quand même souvent vue comme un pays uniquement pollueur
10:06 sans tenir compte du fait que sur le plan des renouvelables,
10:09 elle a une politique très ambitieuse également.
10:10 Même si c'est parce qu'elle détient ce qu'on appelle les métaux rares
10:13 qui sont très importants pour les équipements en question.
10:15 Et on y revient, la raffinerie, elle détient aussi, je crois,
10:17 80% des raffineries de ces métaux,
10:20 ce qui repose la question de notre sécurité ou souveraineté.
10:25 Merci beaucoup, c'était passionnant Raphaël.
10:27 Merci.
10:28 Beau roulement, vos 20 idées reçues sur l'énergie
10:30 à découvrir aux éditions de BOG Supérieur.
10:32 On passe donc à notre débat.
10:34 On continue de parler d'énergie et petite hydroélectricité.

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