• il y a 6 mois
On a fait des épisodes sur les guerres les plus sanglantes, les plus célèbres, les plus épiques. Alors, pourquoi pas les guerres méconnues ? Au moment où j’enregistre cet épisode, c’est les 70 ans de la Guerre d’Indochine. Ce conflit est plutôt récent, a engagé la France, et touche à la colonisation, une question polémique, qui fait beaucoup parler. Alors avec tout ça, pourquoi j’ai l’impression que la Guerre d’Indochine, on n’en parle jamais ? Pourquoi elle rentre dans la liste des guerres méconnues, ou en tout cas moins connues, que par exemple la Guerre d’Algérie ? C’est dommage, car en fait son histoire est très riche. Tellement riche, que je ne vais pas faire un, ni deux, mais bien trois épisodes pour en parler : d’abord ses origines, puis la guerre elle-même, et enfin, ses conséquences. Alors, place au premier !

➤ Un grand merci à l'ECPAD pour nous avoir mis à disposition ses images d'archives ! Découvrez leur site, Images Défense : https://imagesdefense.gouv.fr/?mtm_campaign=youtube&mtm_kwd=notabene

Écriture : Benjamin Brillaud, Jean de Boisséson, Jean-François Klein

Montage : Dead Will / Wilfried Kaiser https://www.youtube.com/c/DEADWILL

Cartographie : Angèle Bourdrez : https://www.abourdrez.fr/

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Transcription
00:00 Cet épisode a été réalisé avec le concours de l'ECPAD.
00:03 Mes chers camarades, bien le bonjour ! On a fait des épisodes sur les guerres les plus
00:08 sanglantes, les plus célèbres, les plus épiques, alors pourquoi pas les guerres méconnues
00:13 ? Sauf qu'en vrai, c'est un peu chaud, parce que par définition, si elles sont peu
00:18 connues, c'est parce qu'on n'a pas ou peu de sources pour en parler.
00:21 Mais pas toujours ! Au moment où j'enregistre cet épisode, c'est les 70 ans de la guerre
00:26 d'Indochine.
00:27 Le conflit, un, il est plutôt récent, deux, il a engagé la France, et trois, il touche
00:32 à la colonisation, une question polémique qui fait beaucoup parler.
00:36 Alors avec tout ça, pourquoi est-ce que j'ai l'impression que la guerre d'Indochine,
00:39 on n'en parle jamais ? Pourquoi elle rentre dans la liste des guerres méconnues, ou en
00:43 tout cas moins connues que par exemple la guerre d'Algérie ?
00:47 Je trouve ça assez dommage, parce qu'en fait, son histoire est très très riche.
00:51 Tellement riche que je ne vais pas faire un ni deux, mais bien trois épisodes pour en
00:55 parler.
00:56 Tout d'abord ses origines, c'est ce qu'on va faire aujourd'hui, puis la guerre elle-même,
01:00 et enfin ses conséquences.
01:01 Mais tout d'abord, quand on dit Indochine, de quoi on parle exactement ?
01:05 La péninsule indochinoise est une large bande de terre occupée par de nombreux pays.
01:10 Sa géographie est très diverse, avec 95% de montagnes couvertes de jungles et des fleuves
01:16 qui la parcourent et la connectent avec les grandes puissances voisines.
01:19 A commencer évidemment par l'Inde et la Chine.
01:23 Mais on n'oublie pas les autres voisins, comme les Philippines, la Malaisie et l'Indonésie.
01:28 Toutes ces influences culturelles très différentes ont donc façonné autant de petits pays.
01:33 Au 19ème siècle, il existe quatre principaux peuples.
01:37 Les Birmans, tout à l'ouest, au royaume d'Ava.
01:41 Les Siamois, juste à côté, avec le puissant royaume de Siam, l'actuel Thaïlande.
01:46 L'Ekmer, un peu plus à l'est, d'ailleurs réduit au petit royaume du Cambodge, tributaire
01:52 du royaume de Siam.
01:53 Et enfin, les Vietnamiens, avec un royaume tout à l'est, le Daïnam.
01:58 Tout ça forme donc une zone entre l'Inde et la Chine avec des pays indianisés et le
02:03 Vietnam qui est cynisé, c'est à dire plus proche de l'influence de la Chine.
02:07 C'est surtout un carrefour commercial de l'Asie du Sud-Est.
02:10 Ce sont aussi des marches pour les grandes puissances voisines.
02:13 Et les Vietnamiens du Daïnam par exemple sont tributaires de la Chine qui est alors
02:17 la super puissance régionale.
02:19 Rien d'étonnant, certes l'impérialisme chinois est très tourné sur soi, très centré
02:24 sur une personne, l'empereur, et sur une capitale, Pékin, mais ça ne l'empêche
02:30 pas depuis des siècles de rayonner sur tous les pays aux alentours, avec quand même quelques
02:35 petites subtilités.
02:36 Par exemple, le royaume du Daïnam est constitué de trois provinces, mais seuls les deux plus
02:41 nordiques, le Tonkin et l'Annam, sont considérés comme cynisés, donc civilisés, grâce à
02:48 l'influence culturelle de Pékin.
02:49 A l'inverse, la troisième province de Cochinchine, trop au sud, est perçue comme une terre inculte
02:56 et barbare.
02:57 C'est seulement en 1802 que la dynastie des Nguyen est montée sur le trône du Daïnam,
03:02 s'installant dans la capitale centrale de Hué.
03:05 Ce sont leurs ancêtres qui, du 17e au 18e siècle, ont pris la Cochinchine, avant Cambodgienne,
03:12 et ensuite intégré au royaume vietnamien précédent, celui du Daïviet.
03:16 Suite à une grande guerre civile, les princes du sud, les Nguyen, vont s'emparer du pouvoir
03:22 en se faisant aider sous Louis XVI par des ingénieurs et des officiers de marine français.
03:26 D'ailleurs, ce sont des ingénieurs qui fortifient Hué avec une citadelle façon Vauban.
03:31 En effet, depuis le 17e siècle, les occidentaux, missionnaires catholiques et marchands, se
03:37 font de plus en plus remarquer dans la région.
03:39 Mais plusieurs subtilités de l'échiquier politique leur échappent, et ça va leur
03:43 jouer des tours.
03:44 Eux, ils sont là pour les épices, l'or, les soirées, pour l'Inde et la Chine, et
03:49 ils se fichent du reste.
03:50 La preuve avec le nom Indo-Chine, la zone entre l'Inde et la Chine.
03:55 Ça fait un peu foutage de gueule.
03:57 Au 19e siècle, les britanniques lancent une formidable poussée de tous les côtés.
04:01 D'abord, ils consolident leur position indienne en attaquant la Birmanie, puis se
04:06 lancent dans la première guerre de l'opium contre la Chine.
04:09 Leur victoire donne beaucoup d'avantages aux marchands occidentaux.
04:12 Les traités de Nankin en 1842, puis de Wangsha en 1843, ouvrent de force l'Inde et la
04:19 Chine au commerce international.
04:21 Les britanniques obtiennent même toute l'île de Hong Kong, rien que pour eux.
04:26 Après ça, pas question que la France reste sur le côté de la Seine.
04:29 On veut les mêmes avantages, et on rêve même d'une présence française renforcée
04:33 avec sa Hong Kong à elle.
04:36 Dès 1843, l'ambassadeur Théodose de La Grenée est envoyé en Chine pour réclamer
04:41 cette concession.
04:42 Au passage, il demande aussi à ce que les missionnaires catholiques ne soient plus persécutés,
04:46 car ils sont bien utiles comme agents de la France.
04:49 Sur ce dernier point, c'est ok, et on signe même en 1844 un accord, le traité de Huang
04:55 Po.
04:56 Mais pour le reste, c'est niet.
04:58 La Chine, mais aussi toutes les puissances voisines, Philippines, Corée, Okinawa, lui
05:03 claquent la porte au nez.
05:04 Après l'agression anglaise, on refuse de céder de nouveaux territoires.
05:08 Alors à défaut, les français tournent leur regard vers les terres vietnamiennes.
05:12 Après tout, les empereurs Nguyen du Dai Nam étaient plutôt accueillants autrefois.
05:16 Et puis ce sont des vassaux de la Chine avec qui on vient de signer un accord.
05:20 Enfin, ça c'est une déduction des français.
05:23 Ils voient que le Dai Nam paye tribut à la Chine et qu'il semble aussi suivre la politique
05:28 chinoise.
05:29 Et puis il y a les fameuses provinces du Tonkin et de l'Annam qui partagent tant avec la
05:33 culture chinoise.
05:34 Bref, c'est évident, c'est un état vassal, exactement comme il en existe en Europe.
05:40 Du coup, en 1847, lorsque coréens et vietnamiens se remettent à massacrer joyeusement des
05:45 chrétiens, la France dénonce une rupture du traité de Guanghua et passe à l'attaque.
05:50 Sauf que c'est une erreur, parce qu'en Asie, payer un tribut à l'empereur de Chine,
05:55 se soumettre à sa puissance écrasante, ça ne veut pas dire qu'on est son vassal, loin
05:59 de là.
06:00 Donc en réalité, les français déclenchent une guerre à cause d'un traité que les
06:04 vietnamiens n'ont jamais signé.
06:06 C'est soit une erreur d'interprétation qui est sincère, soit un prétexte qu'on
06:11 sait un peu flou mais qu'on saisit quand même à la volée.
06:14 La petite escadre française en mer de Chine, soit deux navires, passe à l'action.
06:19 Le 15 avril 1847, ils bombardent les forts de Da Nang, port central du pays donnant accès
06:25 à la capitale de Hué.
06:26 Mais soudain, on s'arrête là.
06:29 En effet, au même moment, la révolution de février 1848 éclate en France.
06:34 C'est la fin de la monarchie et le début de la seconde république qui stoppent net
06:39 tous les projets coloniaux.
06:40 Sauf qu'en 1852, c'est au tour de Louis-Napoléon Bonaparte de renverser le régime pour fonder
06:46 un second empire.
06:47 Fin de la parenthèse, les affaires reprennent.
06:50 Officier de marine, armateur bordelais et marseillais, industriel lyonnais en manque
06:55 de soie chinoise, église désirant développer l'évangélisation, tous veulent remettre
07:00 la question de l'extrême-orient sur le tapis.
07:02 Alors, en 1856, la France s'engage aux côtés des britanniques dans la seconde guerre de
07:07 l'opium contre la Chine.
07:09 Cette courte interruption a eu l'avantage de donner du recul aux français.
07:12 Pour implanter une base, mieux vaut éviter Hué et plutôt chercher du côté sud du
07:17 pays, dans la fameuse Cochinchine.
07:19 Jusque là, elle est plutôt déconsidérée, on commence donc à se dire qu'elle présente
07:24 pas mal d'avantages.
07:25 Son petit port local, Saigon, est idéalement placé sur le delta du Mekong.
07:29 C'est un énorme producteur de riz, une marchandise échangeable contre les fameuses
07:34 soies chinoises.
07:35 On soupçonne aussi que le fleuve Mekong, remontant très au nord, pourrait servir d'autoroute
07:40 fluviale pour drainer toutes les richesses de la Chine du sud, sans avoir à faire le
07:44 tour de la péninsule à chaque fois.
07:46 Autre argument massif, si on prend Saigon, la Chine ne réagira pas vu qu'elle considère
07:51 la Cochinchine comme une terre de bouseux incultes.
07:53 En plus, on leur met la pâtée avec les Anglais.
07:56 Quant au Cambodge, que le Mekong traverse, son roi, Han Wong, se montre enthousiaste
08:02 à cette idée.
08:03 Et oui, il souhaite justement se rapprocher de la France.
08:06 Sauf qu'il est tributaire du royaume de Siam et de son roi, Rama IV.
08:10 Or, ce dernier refuse, clair et net.
08:13 Il répond au consul Charles de Montigny, qui est en visite à Bangkok, et lui dit, je cite
08:19 "La voie du Mekong est close, le Siam la garde et le Siam ne tolère pas que les Français
08:24 passent".
08:25 Ou quelque chose dans le genre, j'improvise.
08:27 C'est ça l'Indo, pour un marché chinois, on passe par un port vietnamien, un fleuve
08:32 cambodgien et un espace politique siamois.
08:34 Tout un micmac à négocier en fait.
08:36 Si bien qu'on abandonne le projet du sud, d'autant que les choses bougent à nouveau
08:40 au nord, à Hue.
08:42 En effet, l'empereur vietnamien, Thu Duc, a à nouveau fait exécuter des missionnaires
08:46 chrétiens, y compris des Espagnols venus des Philippines.
08:49 Une erreur fatale.
08:51 Aussitôt, une "Sainte Alliance", une genre de mini-croisade de 1859, s'organise.
08:56 Un corps d'infanterie de marine français obtient le soutien des chasseurs Tagal, c'est
09:01 à dire des Espagnols et des Philippines.
09:03 Tous débarquent au port de Da Nang, puis marchent sur Hue.
09:07 Hélas, les ingénieurs français ont trop bien fortifié la capitale, qui reste imprenable.
09:12 Alors, on re-rechange direction le sud.
09:15 En effet, 1860 marque la fin de la seconde guerre de l'opium.
09:19 Vainqueur de la Chine aux côtés des britanniques, les français signent avec eux un traité
09:22 de libre-échange.
09:23 Les deux puissances se partagent le gâteau indochinois.
09:27 L'ouest de la péninsule sera anglais et l'est français.
09:32 On retourne donc sans crainte à Saigon, qui tombe très facilement.
09:36 Devant le fait accompli, l'empereur est obligé de reconnaître ce port franc géré
09:40 par des étrangers, et de céder en 1862 une partie de la Cochinchine avec le traité de
09:47 Saigon.
09:48 Avec une banque et un relais des messageries impériales, Saigon devient l'escale la
09:51 plus convoitée en mer de Chine.
09:53 L'état français subventionne une ligne de bateaux à vapeur qui font Marseille-Saigon
09:58 en 34 jours seulement, avant de continuer vers Shanghai et même Yokohama.
10:03 Donc ça y est, les français ont pris pied, sauf qu'ils ont une mauvaise surprise.
10:07 Quand on explore le Mekong à partir de 1866, on se rend compte qu'on ne peut pas naviguer
10:13 dessus.
10:14 Et oui, pour accéder à la Chine, il faut trouver un autre fleuve, quitte à conquérir
10:18 une autre province du Daïnam.
10:20 Et ça tombe bien, dans leurs expéditions, les explorateurs Ernest Doudard de Lagrée
10:24 et Francis Garnier ont certes découvert encore les splendides temples Khmer du Cambodge,
10:30 mais ils sont aussi tombés sur le fleuve rouge au Tonkin.
10:34 Avec sa grande ville fluviale de Hanoi et son port de Haiphong, le Tonkin permet d'accéder
10:40 directement à la province chinoise du Yunnan.
10:42 En 1870, l'idée d'ajouter Hanoi à Saigon est dans tous les esprits.
10:47 Peut-être qu'en métropole, la Troisième République vient de remplacer le Second Empire
10:52 et fait de belles promesses pour freiner la colonisation.
10:55 Mais ici, à Saigon, les intérêts financiers sont déjà engagés.
11:00 Il n'est plus question de reculer.
11:02 La Cochinchine est devenue une colonie française en 1867 et elle rapporte de l'argent.
11:08 Donc les conquêtes militaires vont quand même avoir lieu et la République finira
11:13 par marcher dans les pas de l'Empire.
11:15 Alors comme on dit, ce qui se passe en Inde reste en Inde, pas vrai ?
11:18 Et voilà comment, de 1858 à 1907, une nouvelle carte de la France d'Asie se dessine par
11:24 étape.
11:25 D'abord, la Cochinchine se change en colonie gérée par un amiral-gouverneur, devenu un
11:29 lieutenant-gouverneur civil sous la République.
11:32 Puis le Cambodge, l'Annam, le Tonkin et les principautés laotiennes deviennent tour
11:37 à tour des protectorats, supervisés par des résidents supérieurs.
11:41 Ces simples conseillers français dictent en réalité quoi faire aux souverains locaux
11:46 et dirigent donc indirectement.
11:48 En 1898 enfin, le Guangzhou-1 est pris comme territoire à bail.
11:54 C'est assez original, la Chine va le louer pour 99 ans à la France, comme un appartement.
12:00 Mais en face, la résistance s'organise.
12:03 Dès 1885, lorsque la capitale de Yue tombe aux mains des français, le régent impérial
12:08 Tonda Tuyet emmène le jeune empereur Ham Amni dans les montagnes du nord du pays, à
12:14 la frontière entre la Chine et le Tonkin.
12:16 Il lance alors l'appel au roi, qui est un ordre de révolte général.
12:21 Ils savent parfaitement ce qu'ils font, et leur position au nord est idéale.
12:25 Ils ont la Chine dans le dos et plein d'alliés.
12:29 Seigneur Tai de la rivière noire, rebelle pavillon noir chinois, et négociants cantonnais
12:34 qui les fournissent en armement moderne de pointe.
12:36 Depuis les hauts plateaux, ils bloquent l'accès à la Chine et ratent-y tranquillement toutes
12:41 les plaines du fleuve rouge en contrebas.
12:43 Les français pourraient bien perdre le contrôle.
12:46 Sauf qu'ils ont enfin une bonne idée, s'adapter aux coutumes et aux stratégies du pays.
12:52 Ils découvrent, ou plutôt ils redécouvrent, une doctrine vieille comme le monde.
12:56 Qui tient la montagne, tient les plaines.
12:59 Cette réalité militaire du pays a déjà été appliquée par chaque révolte, chaque
13:03 répression chinoise depuis des siècles.
13:06 C'est le commandant P'en K'ien qui le comprend en 1888.
13:09 Dans le prolongement du plateau tibétain, les montagnes continuent au sud, tout le long
13:14 de la cordillère anamitique qui sépare Vietnam et Laos.
13:18 Donc celui qui possède le nord du Tonkin a en fait une route en hauteur, comme un chemin
13:24 de ronde fortifiée naturelle, qui lui permet d'attaquer en n'importe quel point du pays.
13:28 P'en K'ien joue alors sur les divisions.
13:30 En 1885, le jeune empereur A Mam Nhi est désavoué puis traqué et remplacé sur le trône par
13:37 Dong Han.
13:38 Les français vont souvent changer de marionnette de cette façon et ce sera par exemple encore
13:42 le cas quelques années plus tard avec un certain Tan Thai âgé d'à peine 10 ans.
13:47 Le doute politique s'installe et P'en K'ien s'engouffre dans la faille.
13:51 Il salit les maîtres des 12 principaux détails, puis isole et repousse les pavillons noirs
13:56 en Chine.
13:57 Il arme ensuite les villages de la Haute Région, lève tirailleurs, partisans et montagnards
14:03 issus de mille ethnies différentes.
14:05 Tout ça tourne donc à la guerre civile avec certains mandarins, l'élite des hauts
14:09 fonctionnaires lettrés, qui collaborent avec les français, pourchassant eux-mêmes les
14:14 rebelles à la tête de milices vietnamiennes.
14:16 Les combats sont âpres dans chaque vallée, mais Ham Amni finit par être capturé puis
14:22 exilé à Alger en 1888.
14:24 En 1911, la mort de Aung Hoa Tham, dernier grand chef rebelle, marque la fin de la résistance
14:30 des mandarins.
14:31 Tandis que les militaires se battaient, le gouverneur général Jean-Louis de l'Annais
14:35 San n'a pas chômé.
14:36 En 1887, on efface la diversité des colonies, protectorats et autres principautés.
14:42 Un système commun, l'Union Indochinoise est désormais dirigée depuis une unique
14:47 capitale, Hanoï, au Tonkin, où le gouverneur général concentre toujours plus de pouvoir.
14:53 C'est vite la colonie d'exploitation la plus rentable de son époque, surnommée
14:57 la Perle de l'Empire.
14:59 Mais attention avant de parler des bienfaits de la colonisation.
15:03 Produire de la richesse c'est une chose, mais comment la répartir ? Ça c'est plus
15:08 compliqué et l'Union Indochinoise reste un territoire bourré de divisions et d'inégalités.
15:13 Déjà, c'est immense.
15:15 736 000 km², bien plus que les 550 000 de la France.
15:21 En plus, le pays est recouvert à 95% de montagne, quasiment vide.
15:25 La population se masse sur à peine 8% du territoire, c'est-à-dire les deltas fluviaux,
15:31 les plaines côtières et quelques grandes villes, d'ailleurs pas si peuplées.
15:35 En plus de la fracture géographique, il y a aussi des distinctions ethniques et culturelles
15:39 fortes.
15:40 Le Laos et le Cambodge, indianisés, adhèrent majoritairement au bouddhisme Theravada.
15:45 Le Vietnam, sinisé, est plutôt de croyances confucéennes, taoïstes et bouddhistes Mahayana.
15:52 Comme en Chine.
15:53 1000 ans d'occupation chinoise, ça laisse des traces.
15:56 La colonisation bouleverse encore tout ça, avec la médecine pastorienne, l'encadrement
16:00 sanitaire et les campagnes de prévention des maladies et de vaccination.
16:05 On meurt moins, et c'est le boom démographique.
16:08 En 25 ans, de 1906 à 1931, les Indos chinois passent de 16 à 21 millions.
16:15 Mais ce boom non plus n'est pas uniforme.
16:17 Ce sont les vietnamiens, avec leurs 15 millions d'individus, qui vont le plus en profiter.
16:22 On peut même dire que sous la colonisation française, il se passe une infracolonisation
16:28 vietnamienne.
16:29 Khmer, Laotien, Thaï blanc, Thaï noir et Muong font alors figure de minorité.
16:35 Et on ne parle même pas des 350 000 chinois d'Indochine, et encore moins de tous les
16:40 mini-groupes ethniques des montagnes.
16:41 Rien qu'au Vietnam, il y a 54 ethnies.
16:45 Les viets migrent dans tout le territoire de l'Union, prenant des emplois de cadres
16:49 intermédiaires, de techniciens subalternes, mais surtout de coulisses.
16:54 Ces ouvriers bossent dans les mines, les plantations, les pêcheries, les chantiers de port, de
16:59 routes et de chemins de fer planifiés par la colonisation.
17:02 Ajoutez à ça que la plupart des autochtones ne payent pas leurs impôts en monnaie, mais
17:07 en corvée, comme des serfs de l'ancien régime.
17:09 Et vous obtenez donc une très très grande base de prolétaires.
17:13 Et elle aura son rôle à jouer, retenez bien ça.
17:16 Évidemment, le gouvernement colonial s'arrange de tout ça.
17:19 Son cadre administratif est archi-faible, seulement 42 000 Européens sur 21 millions
17:25 d'habitants.
17:26 Ça veut dire un seul colon pour 544 colonisés.
17:30 Alors autant vous dire qu'il vaut mieux diviser pour mieux régner.
17:33 Chaque groupe a finalement son propre rôle à jouer.
17:35 Le paysan travaille, le chinois commerce, le mandarin gère les affaires courantes et
17:41 bien sûr, le français gouverne et encadre une armée de vietnamiens, les tirailleurs.
17:46 D'ailleurs, déléguer permet de faire des économies et là j'ouvre une grosse parenthèse.
17:51 L'Indochine, c'est une colonie d'exploitation.
17:53 Et tout est dans le mot.
17:55 On veut faire du profit, pas de la dépense.
17:58 Paris rogne à fond, les emprunts sont systématiquement reportés et insuffisants.
18:03 Sur place, ce sont les indigènes qui payent le prix de leur développement.
18:07 Rien n'est gratuit.
18:08 En plus, ce sont les zones rentables qui sont pourvues en chemin de fer, en route, etc.
18:13 Mais le Laos et le Cambodge par exemple, ne voient arriver presque aucune infrastructure.
18:18 Du coup, les inégalités préexistantes entre vietnamien et Khmer par exemple, se poursuivent.
18:24 Et même, elles s'aggravent.
18:26 Au fond, pareil qu'en France, la richesse est produite, certes, mais niveau répartition,
18:31 c'est pas ça.
18:32 Tout ce qu'on draine depuis l'Indochine, ça ne concerne quasiment personne et en aucun
18:36 cas le français moyen.
18:37 Les groupes d'exploitants, très sélects, sont quelques armateurs bordelais, marseillais
18:41 et havrais, des soyeux lyonnais et autres sidérurgistes qui débitent du rail de train
18:47 au kilomètre.
18:48 Plusieurs marchés coloniaux sont constitués en monopoles protégés.
18:51 Opium, sel, alcool est un du Laos, charbon et métaux non ferreux de la Nam et du Tonkin,
18:58 etc.
18:59 On favorise les vices pour payer les coûts de l'administration.
19:02 Alcool et opium sont les deux mamelles de l'Indochine.
19:06 Avec le temps, il y a bien une classe intermédiaire franco-indochinoise qui se constitue.
19:11 Ce patronat local, mêlant français, chinois et vietnamien, très dynamique, n'a rien
19:17 à voir avec le très gros business piloté depuis la métropole.
19:21 La mentalité tout-profit freine la mise en valeur du pays, tout semble organisé à la
19:26 va-vite et non pensé à long terme.
19:29 Par exemple, jusqu'en 1935, le pays ne compte que deux lycées français.
19:33 Le pire, c'est que les cadres administratifs qui en sortent sont discriminés.
19:38 Ils touchent le salaire local, alors que leurs collègues venus de France, qui abattent
19:42 strictement le même boulot, cumulent salaire français supérieur et priment d'expatriés.
19:47 Ils touchent 4 fois plus.
19:49 Un sacré plafond de verre.
19:51 Donc on avait déjà une grosse masse de vietnamiens prolétaires répartis sur de grands chantiers,
19:56 les mines, les plantations.
19:58 Et maintenant, on va ajouter une petite élite vietnamienne ou franco-vietnamienne, instruite
20:03 aux idées occidentales, mais bougrement frustrée.
20:06 Alors quand la crise économique de 1931 éclate et touche le secteur agricole, c'est un
20:11 pays à 95% paysans.
20:14 Et là, c'est le pompon.
20:16 On l'avait laissé de côté, mais l'Union Indochinoise, c'est aussi une énorme économie
20:20 agricole.
20:21 Riz, évéa, café, thé, coton, murier, sucre, copra, coton, poivre, cannelle, indigo, sans
20:29 compter la drogue.
20:30 Car oui, même si c'est interdit en France depuis le début du XXe siècle, on a fait
20:34 une exception dans les colonies.
20:36 C'est ce qu'on appelle la régie de l'opium, qui continue jusqu'en 1954 et qui finance
20:42 parfois jusqu'au deux tiers du budget général de l'Indochine.
20:45 Sur place, la France devient un narco-état, ni plus ni moins.
20:49 La crise de 1931 tombe mal.
20:52 Bien sûr, on produit suffisamment, énormément même.
20:55 Sauf qu'on exporte beaucoup vers la France, le Japon et la Chine, et que de son côté,
21:01 la population locale augmente à toute vitesse.
21:04 Le remembrement des terres en quelques immenses propriétés finit de plonger dans la misère
21:09 un monde rural qui jusque-là se portait très bien.
21:11 On est au comble de l'absurde.
21:13 On produit tout ce qu'il faut, mais on souffre de la faim.
21:17 La croissance de la population va plus vite que la production et la machine s'emballent.
21:22 Et voilà pourquoi la production ne suffit pas.
21:25 Les deux colonnes dépense et recette, ça n'équilibre pas un pays.
21:28 Le problème, c'est qu'il manque la troisième colonne, répartition.
21:31 Et ça, l'époque le manifeste avec des signaux assez évidents.
21:35 Face au malheur, la population s'embarque dans toutes sortes d'alternatives spirituelles.
21:40 Faux messies prétendant chasser les occidentaux, comme lors de la révolte Méo chez les Mongues,
21:45 mais aussi sociétés secrètes chinoises, sectes politico-religieuses éphémères,
21:50 bouddhismes réformés, caodaïstes, etc.
21:53 Tous sont autant de nouveaux mouvements, parfois très contestataires et durement réprimés.
21:59 Les groupes ethniques des hauts plateaux entrent fréquemment en révolte.
22:02 On rêverait d'une colonisation sans heurts, mais dans les faits, troupes coloniales, légions,
22:07 polices et militians anamites et tonkinois sont sans cesse mobilisés pour se battre.
22:12 La sûreté coloniale fait tourner les bagnes de Poulocondor et Laocaille à plein régime.
22:17 Et bien sûr, ça n'a pas d'effet.
22:20 Les administrateurs proposent des réformes, mais trop tardives, trop contestées, inefficaces.
22:27 Le Front populaire lance une grande enquête.
22:29 Sans succès.
22:30 Toute la situation est bloquée.
22:33 La journaliste Andrée Violis l'écrit en 1935 dans son ouvrage Indochine SOS.
22:39 Et Andrée Malraux qui le préface résume, je cite "L'Indochine est loin, on entend
22:44 mal les cris qu'on y pousse".
22:46 La rapacité de certains a donc définitivement compromis tout dialogue.
22:50 La jeunesse instruite du pays, particulièrement virulente contre le système en place, se
22:55 tourne vers des partis de plus en plus radicaux.
22:57 Au début des années 1930, on commence à parler d'une révolution.
23:02 Mais ça, ça sera pour le prochain épisode qui nous réserve bien des surprises puisqu'un
23:08 nouvel état asiatique va entrer dans la danse.
23:10 Après le Siam, la Chine, le Daïnam, voici venir le Japon.
23:14 Et comment dire, le Japon de 39-45, ça promet !
23:19 Je tiens à remercier tout spécialement l'ECPAD, l'établissement de la communication et
23:24 de la production audiovisuelle de la Défense, qui nous a fourni des images d'archives
23:28 pour chaque épisode de cette série sur l'Indochine.
23:30 C'est un vrai plus et si vous êtes curieux, vous trouverez un lien vers leur site Image
23:34 Défense en description.
23:36 En attendant, un grand merci à notre auteur du jour, Jean-François Klein, professeur
23:40 des universités en histoire contemporaine à l'Académie militaire de Saint-Cyr-Couet-Couidan.
23:44 Double merci, puisque c'est aussi lui qui nous a mis en contact avec les auteurs des
23:49 épisodes suivants, qui sont aussi des spécialistes hyper pointus, chacun dans leur domaine.
23:54 Je compte sur vous pour être au rendez-vous, ratez pas la suite, likez, partagez, parlez
24:00 autour de vous de cette émission, c'est vraiment important pour entretenir cette mémoire
24:04 de l'Indochine.
24:05 On se retrouve très bientôt sur Nota Bene !

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