Cette interview exclusive de Michel Sardou, réalisée lors de la sortie de son album en 2013, permet au chanteur de se livrer comme rarement auparavant. Chez lui, en Normandie, il parle sans détour de sa vie personnelle, de ses relations, de ses doutes et des moments marquants de sa carrière. Sardou revient avec franchise sur ses succès comme sur ses échecs, offrant aux fans une opportunité unique de découvrir l’homme derrière l’icône de la chanson française. Un témoignage intime et sincère, loin des projecteurs habituels.
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MusiqueTranscription
00:00 *Musique*
00:23 - Michel Sordou, c'est un grand bonheur d'être avec vous ici dans un théâtre, votre théâtre,
00:28 le théâtre de la Porte Saint-Martin, et j'allais dire presque de vous voir ici, c'est presque tout naturel,
00:33 vous êtes presque né au théâtre.
00:35 - C'est vrai, j'ai failli naître à Bobineau, pour vous dire la vérité.
00:39 Ma mère jouait une pièce qui avait été, une comédie musicale qui avait été écrite par Georges Hulmer,
00:43 qui s'appelait "On a volé une étoile".
00:45 Elle a voulu jouer jusqu'au dernier moment, et le dernier moment est arrivé,
00:48 il a bien fait qu'on l'évacue d'urgence, autrement je naissais dans une panière.
00:51 *Rires*
00:53 - Et elle a failli naître sur la scène du concert Mayol.
00:56 - Elle, y'a vraiment naître.
00:58 - Ah oui ?
00:58 - Dans les coulisses, pas sur la scène, dans les coulisses.
01:00 - Et ça veut dire quoi ?
01:02 C'est-à-dire qu'évidemment on connaît la saga des sardoux, c'est pas forcément héréditaire,
01:06 mais c'est l'idée d'être saletin banque.
01:08 - Bah c'est-à-dire que moi j'ai toujours vu mes parents,
01:12 euh...
01:14 pas mes grands-parents, je les ai perdus, je ne les ai pas connus en fait,
01:18 mais j'ai toujours vécu dans l'univers du spectacle,
01:21 et évidemment l'univers du spectacle pour un enfant c'est magique,
01:24 c'est un autre monde, c'est un monde tout en décors, tout en effets,
01:30 tout en musiques, tout en rôles, tout en...
01:32 Et c'est passionnant pour un enfant, donc ça donne forcément envie de le faire.
01:36 Ça nous attire, c'est un miroir terrible.
01:42 Donc naturellement on vient, on sait pas trop ce qu'on va y faire,
01:46 d'ailleurs on rentre mais on va être dans ce milieu-là,
01:48 ce qui s'est passé pour mes enfants aussi.
01:50 Ils viennent naturellement dans ce milieu-là.
01:52 - Alors on imagine que vous grandissez quand même dans tout cet univers,
01:56 parce que vous avez dit, il y avait quand même le grand-père,
01:59 et puis la grand-mère, la bagatelle, et puis l'héritier mime,
02:03 l'autre comique excentrique, et puis voilà, danseuse,
02:06 et vous vivez dans tout ça quoi,
02:08 et c'est-à-dire que vous allez grandir dans des théâtres de province,
02:10 dans les coulisses, vous allez regarder les danseuses,
02:12 comment ça se passe l'enfance de Michel Sordou ?
02:14 - Oui c'est exactement ça, j'étais dans les coulisses,
02:17 je regardais les danseuses à partir d'un certain âge,
02:19 et j'en ai même épousé une d'ailleurs,
02:21 et voilà, et j'étais toujours fasciné,
02:26 parce que mon père avait la réputation d'être un comique,
02:33 il faisait rire sur scène,
02:35 et dans la vie c'était un inquiet hallucinant,
02:38 il n'était pas sombre, mais il était toujours très inquiet,
02:42 très mélancolique, et ça, ça me fascinait le contraire des deux.
02:47 - Un peu clown triste.
02:48 - Un peu clown triste, et ça me fascinait les deux personnages en un,
02:52 le personnage qui reconnaissait le public,
02:54 et l'homme qu'il était réellement, ça m'avait toujours amusé,
02:58 et puis ses peurs, ses angoisses, ses répétitions,
03:00 tout ça c'était fascinant, c'est toujours fascinant pour les enfants.
03:04 ♪ Bernard me disait quand j'étais tout petit ♪
03:09 ♪ Que le centre du monde c'est un pont démoli ♪
03:18 ♪ Où des anciennes vierges mortes il y a 800 ans ♪
03:24 ♪ Éclairées par des ciels... ♪
03:26 - Fernand Sardou, donc, il va tout faire,
03:29 parce que quand on parle de l'homo saletinbanque,
03:31 il y a quelques instants, c'est vraiment, alors pour lui c'est ça,
03:33 c'est un chanteur, comédien sur scène, dans les films,
03:36 Pagnol, personnage à la Gionaut.
03:38 - Et puis Opérette, et puis Cabaret, et puis tout,
03:41 mais c'était une génération qui voulait ça,
03:43 c'est-à-dire que les artistes de la génération de nos parents,
03:47 enfin de mes parents, venaient pour ainsi dire tous du musical.
03:51 Le musical c'était le début, c'était la base,
03:55 y compris Gabin, y compris Paul Meurice, y compris Bourville,
03:59 tous ces gens-là venaient du musical.
04:01 C'était Fernand L, et j'en oublie,
04:04 mais 80% des acteurs que nous avons aimés
04:08 et qui restent dans nos mémoires, qui sont des hommes énormes,
04:12 venaient du musical.
04:14 - Comme vous avez dit, en 91, je crois, sur Abersi,
04:17 il y a parmi toutes les étoiles des chansons dans le ciel,
04:20 l'une par laquelle tout a commencé, c'était "Aujourd'hui peut-être".
04:23 C'était le grand succès de Fernand Sardou,
04:26 qui est une chanson finalement qui en dit un peu plus,
04:28 même que ce qu'elle croit être, qui est une nonchalance,
04:30 mais qui est une espèce de façon de voir la vie qui passe,
04:34 le temps qui passe, qui va être un des grands thèmes
04:36 des chansons de Michel Sardou.
04:38 Et alors, l'envie de chanter.
04:41 C'est vrai que vous êtes monté sur scène déjà à l'âge de 2-3 ans ?
04:44 - Oh, je jouais à rien.
04:47 Ma mère jouait à quelque chose, je ne sais plus,
04:49 je crois que c'était dans un théâtre qui s'appelait "L'Européen",
04:52 qui s'appelle toujours d'ailleurs "L'Européen",
04:54 et là-dessus, ils m'ont attrapé pour me faire saluer à la fin,
04:56 en "Ouido", mais j'ai rien fait à 3 ans,
04:58 j'étais pas sur l'étampe, à 3 ans, je ne faisais rien,
05:02 mais j'étais déjà dans les coulisses,
05:04 j'applaudissais dans les coulisses les comédiens.
05:07 - Évidemment, vous allez vouloir être acteur,
05:09 parce que c'est ça d'abord quand même,
05:11 et je crois que d'ailleurs votre père, Fernand,
05:13 lorsque vous allez faire votre premier Olympia,
05:15 on en parlera après, il va venir vous voir,
05:17 il va dire "ça c'est très bien la chanson,
05:19 mais enfin, quand est-ce que tu deviens acteur ?
05:21 C'est pas vraiment sérieux ?
05:23 - Mais j'ai commencé par les études d'art dramatique,
05:25 parce que je pense que tout le monde devrait le faire.
05:27 Quand je dis tout le monde, je parle des chanteurs,
05:29 parce qu'il n'y a pas en fait de véritable formation de chanteur.
05:33 On peut apprendre à chanter, c'est une technique,
05:36 mais une fois que la technique, vous l'avez,
05:40 il faut monter sur un plateau et être crédible, audible, etc.,
05:43 les fameuses bases sur lesquelles tout spectacle repose.
05:48 Et je pense que les cours d'art dramatique
05:53 donnent cette autorité, donnent cette façon de matérialiser les pensées,
05:58 cette façon de s'exprimer, qui peuvent très bien être chantées d'ailleurs,
06:01 on n'est pas obligé de tout parler, ça peut être chanté.
06:06 Et en même temps, je regrette que dans les cours d'art dramatique,
06:09 on ne mette pas un petit peu de chanson aussi.
06:11 Parce que je pense que c'est dommage,
06:14 parce que beaucoup d'acteurs, beaucoup de jeunes acteurs,
06:16 ils gagneraient énormément en faisant du chant.
06:21 Enfin bon, je m'engage un peu, je ne sais pas si c'est possible,
06:25 mais je pense qu'ils y gagneraient.
06:27 Je l'ai vu en Amérique, parce que mon fils était acteur studio,
06:31 ils font les deux, c'est-à-dire qu'ils jouent les chansons,
06:34 ils les chantent et ils apprennent la comédie aussi.
06:36 C'est lié pour eux, d'où leur culture de comédie musicale qui est très développée
06:41 et le matériel humain qu'ils ont, cette réserve humaine qu'ils ont,
06:45 des gens qui sont capables de jouer, de chanter, de danser,
06:48 ou du moins pas de danser comme une étoile,
06:52 mais au moins de savoir bouger son corps.
06:55 - Alors Michel Sardou grandit, donc, chez la Butte Montmartre,
06:58 des théâtres pas loin de la rue Fontaine,
07:01 où Jackie Sardou va triompher bien des années plus tard dans le clan des Veuves.
07:05 Et puis dans tout ce secteur-là, vous allez être un peu bagarreur,
07:09 parce que c'est une vie pas très rangée finalement tout ça.
07:13 On raconte que vous allez tenter de faire une fugue au Brésil,
07:17 que tout ça...
07:19 - C'est très anecdotique. En fait, j'étais dans un lycée très sérieux,
07:22 parce que mon père voulait que j'aie une connaissance générale
07:27 que lui n'avait pas pu avoir compte tenu de l'époque, de sa jeunesse, etc.
07:31 Donc il tenait beaucoup à ce que j'ai une éducation non pas énorme,
07:35 mais solide, qui tenait la route.
07:38 Donc j'ai été dans un collège formidable,
07:41 où j'étais aux côtés de Jean-Michel Ribes, d'ailleurs, qui est dans le théâtre aussi,
07:45 de Gérard Garouste, de Modiano.
07:48 On était tous dans ce collège, qui est un collège merveilleux.
07:52 On nous a appréhémé le théâtre, d'ailleurs, là-dedans.
07:55 Et voilà, donc j'ai fait ces études.
07:57 Puis à un moment donné, j'ai dit à mon père, écoute, je veux quitter.
08:01 Je n'ai plus besoin d'aller au-delà.
08:04 Maintenant, ce que j'ai besoin, c'est de me perfectionner dans une branche,
08:06 et je voudrais être acteur.
08:08 Là-dessus, il a ouvert la porte et il m'a dit, pour être acteur, il faut en vivre.
08:11 Tu rentres à la maison, que si tu es malade, évidemment, ou si j'avais un problème...
08:14 - Vous savez ce que ça voulait dire, d'en vivre. Ce n'est pas toujours facile.
08:16 - C'est là où j'ai commencé à faire, à la fois suivre des cours de comédie,
08:19 faire du cabaret le soir, écrire des chansons à droite à gauche, enfin, survivre.
08:24 - Ça veut dire que vous allez être chez Fernand, cabaret du père.
08:27 Vous allez faire le parodier de Jodie Hallyday,
08:29 sans savoir que vous alliez devenir l'un de ses meilleurs copains plus tard.
08:31 - Oui, c'est ça.
08:32 - C'est vrai que vous alliez ouvrir la porte des taxis dehors ?
08:35 - J'ai tout fait. J'ai été garçon serveur aux canards qui fument sur les bords de la Marne.
08:40 Je faisais tous les petits boulots qu'on peut faire.
08:44 Ce qui est amusant, c'est que je voyais mon fils à New York,
08:47 qui servait le soir dans un resto.
08:49 Bon, mais il n'y a rien du tout de déshonorant à cela.
08:51 Bien au contraire.
08:52 Et si on observe un peu la clientèle ou les gens, on peut en tirer profit.
08:57 Et puis, je suivais des cours l'après-midi.
09:00 Et puis, bon, les chansons. La chanson est venue, c'est le hasard.
09:02 Parce que tout arrive, en fait, vous allez un peu à droite, à gauche, vous vous y revoltez.
09:07 Et puis, un jour, quelque chose se produit, un incident se produit, une rencontre, un hasard, que sais-je.
09:12 Et hop, ça y est, c'est parti.
09:14 Une carrière commence à laquelle vous n'aviez pas pensé en général.
09:16 Parce que moi, je me voyais parti pour le théâtre.
09:19 Et puis, c'est la chanson qui a gagné.
09:21 - Alors, Michel Fuguin, c'est une rencontre importante.
09:24 Il joue de la guitare. Vous allez passer une audition chez Barclay.
09:26 Et puis, c'est parti pour quelques 45 tours.
09:29 On va raconter toute la vie de Michel Sardou.
09:31 Mais l'héricain, déjà, petit, tu as changé 100 000 universités,
09:36 tu as fait les premières chansons comme ça.
09:37 Déjà, un ton, déjà quelque chose.
09:39 Et puis, déjà, des emmerdements aussi.
09:42 Parce que l'héricain déconseillé à la radio parce que la France quitte l'OTAN
09:47 sur l'initiative du général de Gaulle.
09:49 Et finalement, déjà, Sardou dérange un peu quand même.
09:53 - C'est-à-dire que, oui, c'était malgré moi, en fait.
09:57 Parce que d'un point de vue personnel, je n'ai pas, au début,
10:02 cherché la provocation ou cherché la...
10:06 Je réagissais, en fait, un peu comme un journaliste,
10:09 un peu comme un témoin, d'ailleurs.
10:11 Je réagissais à ce que je voyais.
10:13 Donc, il y avait à l'époque, la mode était à l'anti-américanisme très primaire.
10:18 Il y avait la guerre du Vietnam.
10:20 Il y avait des incompréhensions.
10:24 Et un jour, bon, voir flotter le drapeau vietcong sur la Sorbonne,
10:30 ça ne m'avait pas beaucoup plu.
10:32 Mon souvenir, justement, du fameux soldat Ryan,
10:35 ça ne m'avait pas plu.
10:37 Donc, j'ai fait cette chanson, mais sans penser une seconde
10:39 parce qu'il n'y avait pas quelque chose dedans.
10:41 Il n'y avait pas des choses terribles.
10:43 Je disais simplement, rappelez-vous que les types sont venus mourir en Normandie
10:45 et que s'ils n'avaient pas été là, on était mal.
10:48 Mais, effectivement, ça correspond à une décision politique
10:50 prise par le général de Gaulle que je ne pouvais pas deviner.
10:53 Et ça tombe pile le jour où on se retire de l'OTAN.
10:56 Évidemment, la chanson est interdite.
10:58 C'est presque un coup de bol parce que je suis sûr qu'autrement,
11:01 elle serait passée.
11:03 Bon, on aurait dit, c'est une chanson sympathique, mais...
11:06 - La chanson interdite, écouter la chanson interdite.
11:08 - Le fait qu'elle ait été interdite, on a dit, mais qu'est-ce qu'il dit là-dedans ?
11:12 Alors, je ne disais pas quelque chose de vraiment...
11:15 Mais qui était quand même à contre-courant de la mode de l'époque, ça, c'est vrai.
11:19 - D'ailleurs, ça n'empêche pas que Barclay va vous virer cette maison de disques.
11:22 - Oui, ça n'empêche rien. - Faites autre chose, arrêtez de chanter,
11:24 ce n'est pas votre truc. Il n'a pas vraiment écouté.
11:26 Il a déjà des chansons, "Voici j'avais un frère" au Vietnam,
11:29 mais des chansons formidables qu'on peut y réécouter aujourd'hui.
11:32 Et puis, vous allez avec Tallard et Reveaux monter une autre maison.
11:36 Première chanson, "America, America", on y revient.
11:39 Toujours un peu la fascination de l'Amérique, on va la retrouver plusieurs fois.
11:41 - On a tous eu ça. Dans ma génération, l'Amérique du cinéma, j'allais dire,
11:49 a joué un très grand rôle.
11:52 C'était notre pays, c'était notre conquête, c'était ce qu'on voulait être,
11:56 c'était les acteurs qu'on voulait être, les chanteurs, c'était le rock'n'roll,
11:59 c'était les films, c'était la vie, on se faisait rêver.
12:03 Une fois qu'on y a été, une fois les années passées, on est revenus là-dessus.
12:08 Plein d'hommes vous le diront, on est revenus.
12:12 Mais c'est vrai que quand nous avions 19 ans, 20 ans, c'était l'El Dorado,
12:17 quand on voulait absolument aller voir Los Angeles, aller découvrir ce qu'on voyait dans les films.
12:24 - On va la découvrir de l'aventure et d'une certaine façon aussi,
12:28 premier grand succès, Sardou Chanteur, c'est les balles populaires.
12:32 - C'est l'inverse. - C'est l'inverse.
12:34 Lynn Buggy qui écrit les textes, c'était les paroliers de Hugo Fré.
12:37 Et puis là, on va découvrir un chanteur, on va dire, c'est un fantaisiste,
12:40 on vous classe comme le fantaisiste.
12:42 Une célèbre émission à bout portant de l'époque, vous vous dites,
12:44 moi je suis très pince-fesse, ça ne va pas plus loin.
12:47 Avant j'envoyais des messages et maintenant c'est fini et tout ça.
12:49 Et on voit un autre personnage.
12:51 Et là, on pense encore une fois à votre famille, à ce métier du musicole
12:55 qui est le second degré aussi, la parodie et l'humour.
12:59 Les balles populaires. Et on vous dit, vous êtes un chanteur populaire.
13:03 - Oui, alors que je n'y croyais pas du tout à cette chanson.
13:07 Pour vous dire la vérité, je n'y croyais pas du tout.
13:09 Je dis, on va sortir ça aujourd'hui, mais c'est complètement en dehors de ce qui se fait.
13:13 Mais c'est souvent comme ça d'ailleurs.
13:15 C'est souvent quand on prend le contre-pied de ce qu'on croit être bien,
13:22 que là ça accroche.
13:24 Le public est très surprenant en fait.
13:26 Je n'ai pas l'impression que ce soit nous qui soyons si malins que ça.
13:31 Je crois que c'est le public qui trouve quelque chose à quelqu'un, quelque part.
13:36 Pourquoi, on ne sait pas à quel moment l'alchimie prend, mais ça prend.
13:41 Et quelquefois sur une chanson, quelquefois sur une façon d'être,
13:44 quelquefois sur une interview, quelquefois sur que sais-je,
13:47 sur un physique, ça peut jouer sur beaucoup de choses.
13:51 Et finalement, on est toujours surpris par la réaction du public.
13:54 On dit, mais merde, ça ne lui a plus...
13:57 Alors bon, on y va, il n'y a pas de raison d'être...
13:59 - Et le public va contrer une certaine intelligentsia qui va tout de suite dire,
14:03 "Oui, mais alors ce chanteur-là, ça ne va pas très très loin, etc."
14:07 Et là, à virage, peut-être, encore dans la carrière de Michel Sardou,
14:10 on va voir un peu un aznavour, c'est-à-dire une espèce de dégagement
14:15 de chansons sentimentales plus ouvertes, voire même historiques avec d'antons,
14:20 des chansons qui parlent de le vieux et de retour, les chansons du temps qui passe.
14:24 Et là, il y a déjà cette espèce de nostalgie,
14:28 cette espèce de regard sur les êtres qui parle de nous, en quelque sorte.
14:33 - Ça, c'est une... Comment dirais-je?
14:36 Ça, c'est le temps qui passe et qui nous amène...
14:39 Je crois qu'on finit tous par écrire comme aznavour.
14:43 Et aznavour disait, on finit tous par s'habiller comme piaf, en noir.
14:47 Ça, c'est la logique des choses.
14:50 Au début, on se cherche, on ne sait pas trop où on va.
14:53 On essaye d'exister.
14:55 Il y en a des millions qui veulent exister dans la chanson ou dans le spectacle.
14:59 Alors, c'est du coup de pot, c'est du courage, c'est du culot,
15:03 appelez ça ce que vous voulez, mais je pense surtout que c'est une coïncidence
15:08 qui fait que le public et vous, ça marche sur un truc.
15:10 Alors évidemment, il y a toujours ce petit monde qui dit,
15:13 "Oui, mais lui, il fait du populaire, alors c'est de la merde."
15:15 On entend ça depuis des siècles et des siècles, amène.
15:19 On s'en fout.
15:20 Et puis après, il arrive un moment donné où il faut...
15:23 On prend un peu d'importance.
15:25 Et à partir de ce moment-là, on donne des spectacles.
15:27 Là, il faut nourrir le spectacle.
15:29 Vous ne pouvez pas faire uniquement...
15:31 Je me rappelle, moi, le premier récital que j'ai fait à l'Olympia,
15:34 je n'avais que six chansons.
15:35 Donc, je chantais deux fois les six chansons.
15:37 C'était terrible.
15:38 Les gens se prenaient pour un fou.
15:41 Et il faut étoffer.
15:44 On commence à réfléchir à ce qu'on écrit.
15:46 On commence à se dire, "Bon, maintenant, je vais parler de sujets.
15:49 Je vais raconter."
15:50 Dans mon cas, c'était, je voulais raconter des histoires.
15:52 Celui qui racontait, à mes yeux, les plus belles histoires,
15:54 enfin, ils sont plusieurs, mais je mets Aznavour en tête.
15:57 Parce que d'abord, ce sont des histoires éternelles,
15:59 puisque ce sont des histoires très souvent d'amour,
16:01 des histoires de couple.
16:02 Et je me suis dit, il faut prendre comme modèle cette forme d'écriture.
16:06 Non pas cette forme de sujet, puisqu'il est imbattable dans ce sujet-là,
16:09 mais cette forme d'écriture.
16:11 Et là, on commence...
16:12 Alors là, le vrai travail commence.
16:14 Mais il y a les quatre, cinq premières années,
16:15 où mon Dieu, c'est un cheval fou.
16:16 Vous ne savez pas trop...
16:17 On me disait, "Vous prenez des positions terribles.
16:19 Vous êtes un homme."
16:21 Non, je ne me rendais même pas compte.
16:23 Je prenais des positions, je n'en prenais pas.
16:25 Je faisais ce qui venait.
16:27 Quand on a 19 ans, quand on a 20 ans, on écrit comme ça vient.
16:30 On n'a pas l'intelligence, on n'a pas le recul.
16:32 Et puis, on ne veut même pas avoir ce recul.
16:34 On se jette là-dedans, on se jette dans la bataille,
16:36 et puis, on réfléchit après.
16:38 C'est ce qui s'est passé dans mes débuts,
16:40 d'où un malentendu qui dure encore.
16:42 Parce que les Français, pour les malentendus,
16:45 sont les spécialistes de la longévité.
16:47 Mais c'était en fait des élans de...
16:52 C'était un général qui avait 20 ans.
16:54 Bon, c'était ça.
16:56 Et alors après, évidemment, arrive le métier,
16:58 arrive les responsabilités, arrive les salaires à remplir.
17:01 Donc là, on commence à réfléchir et à écrire autrement.
17:04 Et ça devient un véritable métier.
17:06 Nous, il faut un maître.
17:08 On s'inspire forcément de quelqu'un.
17:10 On est toujours le fils de quelqu'un,
17:12 de plusieurs personnes d'ailleurs.
17:14 Parce qu'on cite Aznavour, mais dans les musiques,
17:16 j'adorais ce que faisait Bécaud,
17:18 j'adorais ce que faisait Ferra.
17:21 Il y a les chansons éternelles de Ferra.
17:24 Ferré, ce fou, avec Temabou, Léban...
17:30 Tout ça, ça me marquait.
17:32 Donc j'essayais, moi, de me trouver une place là-dedans.
17:35 C'est ça l'évolution en fait.
17:37 C'est quand on essaye de se situer par rapport à quelqu'un,
17:39 de passer entre les billes que sont ces monstres-là.
17:43 - Il n'est pas facile de dire qu'il y a une chanson éternelle de Michel Sardou,
17:46 mais il y en a au moins une.
17:47 Il y en a plusieurs certainement,
17:48 mais l'une, c'est "La maladie d'amour".
17:50 C'est une espèce de chanson miraculeuse, 73,
17:53 ce 45 tours qui sort.
17:55 Et une chanson, vous avez dit dans un livre,
17:57 qui s'appelait "Michemin de la vie",
18:00 vous avez dit "La maladie d'amour",
18:02 qu'est-ce que j'aimerais refaire une chanson comme ça ?
18:04 Couplé, refrain couplé, d'une simplicité, d'une évidence extraordinaire.
18:08 - Ça, oubliez. On ne peut plus...
18:10 On ne peut plus chasser un coup de bol quand on n'a pas l'air...
18:12 - Fait que tu y expliques.
18:14 - J'essaye à chaque fois et je me dis "merde, je la complique".
18:17 Pourquoi je la complique ?
18:18 C'est con, il suffit de dire "je vous aime".
18:20 Mais bon, une fois que vous avez dit "je vous aime",
18:22 ce n'est pas une chanson,
18:23 donc on essaie de rajouter quelque chose d'ailleurs,
18:24 et puis ça ne va plus.
18:25 Ça, c'est un coup de bol épouvantable.
18:27 Épouvantable, parce qu'on ne s'en remet pas.
18:29 Mais par contre, je suis ravi que ça reste,
18:31 parce que je préfère entendre quelqu'un qui me dit
18:34 "je me souviens de cette chanson-là",
18:35 que une chanson peut-être plus intelligente,
18:37 plus fouillée, plus maligne, plus subtile.
18:40 Mais au moins, celle-là, elle est populaire, comme j'aime.
18:44 C'est-à-dire, elle touche tout le monde, tous les âges,
18:46 il n'y a pas de malentendus.
18:48 Une chanson de bonheur.
18:50 Les chansons qui vont venir, évidemment,
18:52 tous les thèmes de Michel Sardou,
18:53 ce qui vont faire le grand triomphe,
18:55 pour évidemment parler de toutes sortes de chansons,
18:57 mais elles sont des chansons d'acteurs.
18:59 C'est pour ça que je reviens un peu à ce qu'on disait il y a quelques minutes.
19:01 Vous allez chanter "Le curé", par exemple,
19:03 et vous employez le jeu, moi qui suis le jeune curé
19:05 de la paroisse abandonnée.
19:06 Vous allez chanter "Les villes de solitude",
19:08 qui vont faire un petit scandale,
19:11 mais qui également interprète un personnage abandonné
19:14 dans une ville violente.
19:16 Vous interprétez des rôles.
19:18 Et parfois, c'est vrai que ça ne sera pas toujours bien perçu
19:20 par ceux qui forcément n'aiment peut-être pas ce que vous faites,
19:23 mais vous interprétez des personnages
19:25 avec une très grande force de conviction sur scène,
19:28 au point même qu'on a l'impression que vous les incarnez,
19:30 ces personnages.
19:31 - Ça, je vous le juge, je ne me rends pas compte.
19:33 J'ai toujours préféré le jeu sur scène,
19:36 parce que ça donne une autorité à ce que vous dites.
19:39 C'est-à-dire que, je parle pour les chanteurs, naturellement,
19:41 mais les acteurs aussi, au fond, ils jouent un personnage,
19:44 ils sont ce personnage,
19:46 et ils rentrent dans ce personnage avec leur personnalité,
19:49 mais ils ne sont crédibles qu'il s'y implique complètement,
19:52 qu'ils l'interprètent d'une façon entière,
19:56 que ce soit une comédie, un drame, ou que sais-je,
19:59 tout ce qu'on voudra.
20:01 Le problème, c'est que, quand on dit "je" en chanson,
20:04 on dit "il pense ce qu'il dit".
20:06 Il ne pense pas qu'on joue, que c'est un spectacle.
20:09 Quand je m'implique dans une chanson,
20:16 évidemment, je ne vais pas vous dire aujourd'hui
20:19 que j'ai écrit des chansons qui ne m'intéressaient pas du tout,
20:22 je pensais le contraire, pas du tout.
20:24 J'étais impliqué dedans, c'est vrai, je ne renie rien d'ailleurs.
20:27 Ni les erreurs, ni les bonnes, ni les mauvaises.
20:29 Mais il est capital de faire quand même une toute petite différence,
20:33 c'est qu'on est là-dessus.
20:35 Et que là-dessus, forcément, on n'est pas tout à fait le même,
20:38 même si on rentre sur scène dans son smoking,
20:41 on est quand même maquillé, on s'est préparé,
20:43 on joue quand même un petit personnage.
20:45 On n'est pas tout très différent de la vie, c'est vrai,
20:48 comme au théâtre, mais on est quand même un personnage,
20:51 qu'il ne faut pas non plus coller tout de suite à tout ce qu'on fait.
20:54 Mais il pense ça, il y a des nuances quand même.
20:56 - Vous avez dit dans une chanson "Salut" avec Roveau,
20:59 "je ne suis pas l'homme de mes chansons".
21:01 - Oui, je ne suis pas toujours l'homme de mes chansons,
21:03 je ne suis pas toujours ce que j'écris.
21:05 - On y a trop cru alors !
21:07 - C'est pas bon !
21:09 Mais c'est comme...
21:11 Vous savez, les acteurs qui jouent les méchants, en général,
21:13 ils sont très mal aimés quand ils vont en marché.
21:17 Moi, je n'aime pas, quand c'est des assassins,
21:19 quand c'est des choses comme ça, je ne suis pas sympathique.
21:21 En général, ce sont des gens très sympathiques,
21:23 ils sont distribués dans des rôles de méchants
21:25 parce que le physique correspond, etc.
21:27 Mais ce n'est pas pour ça qu'ils sont méchants dans la vie,
21:29 assassins ou criminels.
21:31 C'est un peu ça qui se passe aussi dans les chansons.
21:33 - Le spectacle de Michel Sardou va aller vers des chansons,
21:36 vers des chansons épiques,
21:38 que vous êtes seul à pouvoir interpréter.
21:40 Je pense à l'An 1000,
21:42 les bateaux,
21:44 évidemment des chansons qui nous emmènent,
21:47 le Roi Barbare, vers des espèces de choses un peu désincarnées,
21:51 des époques un peu désincarnées du monde.
21:54 Quel regard vous avez, finalement,
21:57 sur la vie qui nous entoure ?
21:59 On a l'impression parfois d'une espèce de fuite,
22:02 qu'on se réfugie dans des chansons.
22:05 - Peut-être. Je m'en rends pas compte.
22:08 Vous allez me dire, mais je n'ai pas un regard.
22:11 Je n'ai pas un...
22:14 Je suis incapable de vous dire que j'ai un regard sur le monde.
22:18 J'en ai mille.
22:20 Et puis, en même temps, je passe là-dessus, comme ça.
22:23 Je voyage dans ce monde.
22:26 Mais je n'ai pas une chose à arrêter.
22:28 Je suis comme lui. Je tourne.
22:31 Je n'ai pas une vision précise.
22:33 Je ne peux pas vous dire...
22:35 Je pense le monde, comme ça.
22:37 Ce serait très absurde.
22:40 Je vis avec. Je fais avec.
22:43 C'est un peu de l'eau sur un canard.
22:46 Quelquefois, ça glisse.
22:49 Je fais confiance au temps.
22:51 Je me dis que, de toute façon,
22:53 avec le temps qui passe, on se rejoint tous.
22:55 Les ennemis d'hier se rapprochent forcément,
22:57 parce qu'avec les années, on se rend compte
22:59 que tous les deux, on avait tort, très souvent.
23:02 Ou que c'était très excessif.
23:04 Mais il faut laisser le temps passer.
23:07 Autrement, il ne faut pas vivre...
23:10 Je ne veux pas m'arrêter sur une époque.
23:12 Ce que j'aime bien, c'est rêver des autres époques.
23:15 Et les embellir.
23:17 Rêver le passé et l'embellir.
23:19 Ici, par exemple, c'est un endroit rêvé.
23:21 Il y a des fantômes magnifiques.
23:23 - C'est sans âge. Ça ne change pas un théâtre.
23:25 - Non. Et puis, il y a eu des choses merveilleuses
23:27 qui ont été créées ici.
23:29 Il y a eu des auteurs, des aventures,
23:31 des histoires comme toujours dans les théâtres.
23:33 Les théâtres, c'est des légendes.
23:35 Vous n'achetez pas un théâtre, vous achetez une légende.
23:37 Vous achetez des choses.
23:39 Alors là, j'aime rêver à cela.
23:41 Ça, c'est peut-être mon monde préféré.
23:43 C'est-à-dire, c'est un monde imaginaire.
23:45 D'où ce cadre, d'ailleurs.
23:47 Pourquoi j'ai eu envie d'avoir ce cadre ?
23:49 Parce que là, on est des personnages presque réels.
23:52 Les hommes sont réels, les personnages sont faux.
23:55 Mais en même temps, tellement vrais
23:57 qu'on est dans ce que j'aime.
23:59 On est dans le monde sans y être,
24:01 sans vouloir le changer.
24:03 On les distrait avec les choses de la vie,
24:07 avec les choses qu'ils connaissent très bien,
24:09 qu'ils vivent tous les jours,
24:11 mais auquel ils n'ont peut-être pas pensé
24:13 que ça faisait rire à ce point-là
24:15 où ça pouvait être aussi pernicieux
24:17 que ce qui va se passer là sur la scène.
24:19 - Si je reparlais de Fernand Sardou,
24:21 votre père, ce que vous aviez chanté aujourd'hui peut-être,
24:23 vous avez dit sur scène,
24:25 "Mon père, s'il m'avait vu chanter sa chanson
24:27 "comme ça à Bercy devant 20 000 personnes,
24:29 "il aurait dit, 'Tu me prends pour un con'" ?
24:31 (Rires)
24:33 Ça veut dire qu'il aurait vu ça que vous avez aujourd'hui,
24:35 Michel, vous avez un théâtre,
24:37 il aurait dit, "C'est pas possible."
24:39 - Tout est devenu démesuré très vite.
24:41 En 20 ans, tout est devenu démesuré.
24:43 Bon, maintenant, faire le Stade de France,
24:45 c'est quelque chose de pratiquement,
24:47 je ne vais pas dire commun.
24:49 Enfin, c'est un plus grand monde
24:51 qui a un artiste assez important
24:53 face au Stade de France ou face à Bercy.
24:55 Mais à l'époque, pour les gens,
24:57 pour les hommes et les femmes
24:59 qui ont été mes parents,
25:01 le spectacle, c'était un lieu clos,
25:03 c'était un théâtre, ça nécessitait
25:05 des fauteuils rouges, ça voulait dire un rideau,
25:07 ça voulait dire pas trop fort,
25:09 parce qu'il ne faut pas non plus les rendre fous.
25:11 Alors, quand il m'a vu arriver avec mes montagnes de sons,
25:13 mes synthétiseurs, enfin, les premiers à l'époque
25:15 n'étaient pas encore des synthétiseurs,
25:17 il m'a pris pour un fanat.
25:19 Il m'a dit, "C'est pas un métier."
25:21 - Il y a une chanson qui s'appelle "Les Masques",
25:23 et il dit, "Derrière le masque, il y a quelqu'un,
25:25 quelqu'un qui passe, un comédien."
25:27 Est-ce qu'on se cache
25:29 quand on est comédien, que ce soit chanteur
25:31 d'ailleurs, ou acteur, quelque part ?
25:33 - Je ne peux pas parler
25:35 pour les comédiens, je ne sais pas,
25:37 il faudrait interviewer
25:39 chaque comédien, lui demander.
25:41 Moi, je sais que je me cache
25:43 un peu, mais c'est pas
25:45 me cacher parce que j'ai peur
25:47 ou parce que je me dissimule,
25:49 c'est une façon de se cacher pour me donner du courage,
25:51 pour pouvoir dire des choses
25:53 ou pouvoir interpréter
25:55 des personnages ou des rôles
25:57 que peut-être
25:59 je ne dirai pas dans la vie.
26:01 Je ne dirai pas vous entretenir
26:03 de ça dans la vie, ou je n'irai pas
26:05 parler de ces choses-là dans la vie.
26:07 Alors là, au théâtre, j'ai l'excuse
26:09 du masque, j'ai l'excuse du rôle,
26:11 j'ai l'argument, j'ai l'argument de la pièce.
26:13 Et ça, ça me fascine.
26:15 C'est une façon de se cacher, en même temps de se montrer.
26:17 C'est très subtil.
26:19 C'est très difficile à expliquer.
26:21 Mais en ce qui me concerne, oui.
26:23 C'est un peu vrai.
26:25 Derrière le masque, il y a un homme,
26:27 il y a quelqu'un.
26:29 C'est pas un masque qui sourit seulement,
26:31 c'est pas un masque qui pleure seulement.
26:33 C'est les deux, mais il en faut deux.
26:35 Il faut jouer avec. C'est un jeu d'ombres,
26:37 c'est un jeu de gestes, c'est un jeu de mains,
26:39 c'est un jeu de mots.
26:41 - En même temps, il n'y a pas de hasard, Michel.
26:43 Et c'est vrai que, si on repart dans le passé,
26:45 quand vous étiez enfant, vous avez vu Johnny
26:47 et vous vous demandiez "D'où viens-tu Johnny ?"
26:49 "Avec votre père ?" Vous arriviez déjà.
26:51 Après, vous allez être amis avec Johnny.
26:53 Puis les films américains, les petites salles de cinéma.
26:55 Vous allez faire des tout petits rôles au cinéma,
26:57 admirés. Ventura, Gabin et d'autres.
26:59 - Oui, et puis j'ai eu l'honneur de les rencontrer,
27:01 surtout. C'était une joie immense.
27:03 - Quand je dis "il n'y a pas de hasard",
27:05 c'est qu'aujourd'hui, vous êtes là,
27:07 dans ce théâtre qui est le vôtre, maintenant.
27:09 Vous n'avez pas l'impression que,
27:11 finalement, la vie nous porte,
27:13 qu'il y a quelque chose, une force qui nous pousse.
27:15 - Je ne sais pas.
27:17 Je sais que ça nous pousse.
27:19 Je sais qu'il y a quelque chose qui nous attire.
27:21 Parce qu'on est attiré par des choses.
27:23 Ce n'est pas par hasard si on est attiré par une chose.
27:25 Mais je ne peux pas vous expliquer ça
27:27 d'une façon rationnelle.
27:29 Je ne sais pas si c'est une conséquence
27:31 de ma jeunesse, de mes parents,
27:33 de mes amis, de mes relations, que sais-je.
27:35 C'est un désir.
27:37 La seule chose qui me ferait peur,
27:39 la seule chose qui me décevrait,
27:41 c'est de ne plus avoir d'envie.
27:43 De ne plus avoir de désir.
27:45 De me dire, "Mon Dieu, voilà, je suis bien."
27:47 - C'est le public aussi qui donne les envies.
27:49 - Le public, quelques fois,
27:51 il faut le prendre à contre-pied.
27:53 Il ne faut pas avoir peur de le contredire.
27:55 Ils ne sont pas contents que je dise
27:57 que j'arrête la chanson. Bien sûr qu'ils ne sont pas contents.
27:59 Et je le sais qu'ils ne sont pas contents.
28:01 Mais moi, je suis très content qu'ils ne soient pas contents.
28:03 Parce que c'est justement là où le challenge existe.
28:05 - Qu'est-ce que tu...
28:07 - Je n'aime pas...
28:09 Je n'aime pas les acteurs serviles
28:11 ou les stars serviles
28:13 qui deviennent eux-mêmes la victime de leur personnalité.
28:15 Je veux rester moi-même.
28:17 J'ai toujours essayé de faire
28:19 ce que j'avais envie de faire
28:21 et j'ai eu la chance d'y arriver quelques fois.
28:23 Ce n'est pas donné à tout le monde.
28:25 Il y a des gens qui rêvent des choses et qui n'y arrivent pas.
28:27 Moi, j'ai pu réussir certaines choses
28:29 qui prenaient à contre-pied,
28:31 qui décevaient les uns, qui enthousiasmaient les autres,
28:33 qui valaient une réputation
28:35 de ce que vous voulez, différente.
28:37 Des réputations différentes, disons,
28:39 pour être plus vague encore.
28:41 Mais il ne faut pas avoir peur de le prendre à contre-pied.
28:43 Il ne faut pas avoir peur de faire l'effort.
28:45 C'est toujours payant.
28:47 Si vous vous installez une chanson de Brel qui est terrible,
28:49 et j'y pense toujours à ses chansons,
28:51 je ne voudrais pas finir un jour à "Knock the Zoot"
28:53 quand je le redoute, chanteur pour femmes finissantes.
28:55 Ça, c'est terrible.
28:57 Alors je chante en Micolasson avec la voix bandoléante
28:59 d'un Argentin de Carcassonne.
29:01 Ça, ce serait la pire des choses.
29:03 On pourrait se retrouver à Vegas, même bien payé,
29:05 même avec plein de pognon,
29:07 et chanter 20 minutes à Vegas devant des gens
29:09 qui s'en foutent parce qu'il faut qu'ils aillent jouer.
29:11 Non. Non, non.
29:13 Je préfère le challenge.
29:15 Je préfère risquer de brûler mes ailes.
29:17 Je préfère risquer de, bon Dieu,
29:19 et alors ? Il n'y a pas de déshonneur.
29:21 Il y a un chant d'honneur. Il n'y a pas de déshonneur à y tomber.
29:23 Bon. Mais au moins,
29:25 au moins, j'aurais dit,
29:27 j'ai été jusqu'au bout. J'ai fait ce que j'avais à faire.
29:29 Autrement, j'aurais toujours ce regret
29:31 de me dire, mais pourquoi, merde, tu vois,
29:33 tu t'es dégonflé. Regarde, c'est con parce que c'est un bonheur
29:35 immense et tu t'es privé d'un bonheur immense.
29:37 Bon. On verra bien ce que ça va donner.
29:39 Je suis un directeur de théâtre
29:41 débutant. Je suis un acteur débutant.
29:43 Je ne suis pas un
29:45 personnage encore installé.
29:47 On ne sait pas trop comment me distribuer. On ne sait pas trop quoi
29:49 me donner. Bon. Mais c'est maintenant
29:51 que je vais commencer à travailler,
29:53 à essayer de reprendre un combat
29:55 que j'avais mené il y a très longtemps pour la chanson.
29:57 Enfin, combat, entre guillemets.
29:59 - Je lui dis, Ali, est-ce que c'est vrai que vous avez dit
30:01 un jour, j'ai un public, pour la chanson,
30:03 c'est pire que le public du théâtre classique
30:05 si je change un mot lors d'une chanson,
30:07 je me fais engueuler. - Ah oui, tout le monde gueule. - C'est ça, être prisonnier
30:09 du public ? - Oui, c'est ça. Mais non, mais là,
30:11 là, ils ont raison. Quand on se présente, il faut que ce soit parfait.
30:13 - C'est-à-dire que les chansons ne vous appartiennent plus. - Non, il faut que ce soit parfait.
30:15 Ils ont payé, il faut que ce soit parfait.
30:17 Ça, ils ont tous les droits, là. Parce que si
30:19 on se gourre dans les chansons, genre une fois, ça peut arriver,
30:21 on rit, on en rit, tout ça, mais si d'un seul coup
30:23 on commence à faire ça, je vais dire,
30:25 je pars sur la jambe, là,
30:27 ça, ils vous reprennent, et ils vous reprennent net.
30:29 Parce qu'ils sont très francs, hein, quand ils ont pas aimé,
30:31 à la sortie, ils vous disent, genre, c'était pas terrible,
30:33 ton truc, c'était nul. Ou ils te disent
30:35 qu'on l'a pas aimé du tout. Bon, ça, ça arrive.
30:37 C'est terrible, ça arrive.
30:39 C'est beaucoup plus grave qu'une critique dans un journal.
30:41 Et...
30:43 Mais ça, pour ça, il faut être impeccable.
30:45 Impeccable, ça. Mais il ne faut pas avoir peur, aussi,
30:47 de leur dire,
30:49 "Laissez-moi,
30:51 laissez-moi aller où je veux."
30:53 Parce que, moi, je ne veux pas être prisonnier
30:55 d'une route comme ça, où j'en sortirai pas,
30:57 où je tondrai en rouge, finirai chanteur pour femme finissant,
30:59 d'Agnate Lezoute. Non, ça, je veux pas.
31:01 - Et alors, Michel, quand vous allez être sur cette scène,
31:03 ici, du théâtre de la Porte Saint-Martin, bientôt,
31:05 après une tournée en province,
31:07 vous allez arriver pour la première fois, ici,
31:09 dans votre théâtre,
31:11 vous allez penser à quoi,
31:13 à qui ? - À mon texte.
31:15 - Au spectateur du premier rang ? - À mon texte.
31:17 Je vais penser à mon texte.
31:19 Je vais penser à pourquoi je suis ici, qu'est-ce que je fais,
31:21 qu'est-ce que j'ai à dire. Je vais penser à mon texte.
31:23 - Le track ? - Oui, le track,
31:25 évidemment, le track de bien faire,
31:27 le track d'être à la hauteur,
31:29 le track de ne pas... le track de les...
31:31 Ce que je vous disais tout à l'heure, de les prendre à contre-pied,
31:33 dans une pièce qui n'est pas
31:35 si aisée que ça,
31:37 et de leur montrer
31:39 que je suis, ou peut-être, capable
31:41 de faire ça. - C'est pas ça qui est
31:43 génial, justement ? C'est d'avoir le track,
31:45 quand le rideau va s'ouvrir. - Bien sûr, c'est ça qui est génial.
31:47 Tout le bonheur est là.
31:49 Tout le bonheur est dans l'inquiétude, une fois.
31:51 Une fois que le rideau s'est levé, ben mon Dieu,
31:53 tout est fait. Il faut jouer, ça plaît ou ça ne plaît pas.
31:55 Bon. Mais c'est toute la préparation,
31:57 toute cette angoisse, toutes ces choses
31:59 qui se passent avant, chez vous, dans l'intimité.
32:01 C'est remise
32:03 en cause perpétuelle, c'est pensé le soir,
32:05 c'est le fameux "sluit" où
32:07 on se dit "merde,
32:09 j'ai 100 piges".
32:11 C'est ça qui est intéressant.
32:13 - Je parlais du spectateur du premier rang,
32:15 je pensais bien sûr à votre père. Vous disiez tout à l'heure, il y a des fantômes
32:17 dans cette salle. Il y a les fantômes
32:19 de la famille Sardou qui seront là ?
32:21 - Je ne sais pas, ils sont partout, les fantômes
32:23 de la famille Sardou, il y en a tellement. Mais je...
32:25 Je ne vais pas penser
32:27 à ça. Je ne vais même pas penser que je suis
32:29 chez moi, d'ailleurs. Parce que je
32:31 ne considère pas... - Vous êtes chez les gens, là ?
32:33 - Voilà, je vais vous dire, c'est pas
32:35 chez moi. Moi, je ne suis pas...
32:37 Pour vous dire ça, c'est mon mur.
32:39 Non, je ne suis pas chez moi, d'abord.
32:41 Ils sont chez eux.
32:43 Ils sont chez eux, et non seulement pour venir me voir,
32:45 bien sûr, ça me fera plaisir, mais pour venir
32:47 voir tous ceux, j'espère, qui vont venir jouer ici.
32:49 Et il va y en avoir des très bons, je vous le promets.
32:51 - Michel, en un mot, et pour
32:53 conclure, le bonheur
32:55 de la scène, que ce soit pour le théâtre, pour la chanson,
32:57 évidemment, c'est le public, c'est ce
32:59 que vous faites depuis toujours. Vous faites partie
33:01 de notre vie, quelque part, et vos chansons,
33:03 et vous. Est-ce que
33:05 vous avez l'impression qu'à un moment donné,
33:07 c'est un bonheur partagé,
33:09 et que c'est
33:11 toujours renouvelé, c'est toujours quelque chose...
33:13 - Évidemment.
33:15 Évidemment, c'est un peu...
33:17 C'est une histoire d'amour, en fait, qui dure très
33:19 longtemps, où on se voit à des temps
33:21 précis, à des périodes précises,
33:23 puis on ne se voit plus pendant un certain temps.
33:25 Puis on se retrouve avec plaisir.
33:27 Puis d'autres viennent, qui ne vous connaissaient pas, qui vous découvrent.
33:29 Et puis d'autres vous quittent.
33:31 Parce qu'à ce coup, vous les avez déçus,
33:33 parce que pour une raison quelconque, ils n'ont plus envie de venir,
33:35 parce que ce que vous faites,
33:37 finalement, ce n'est plus ce que vous faisiez.
33:39 Alors, ils vous quittent aussi, puis ils reviennent peut-être,
33:41 mais après, ils ne reviendront plus.
33:43 Bon, mais ça, c'est l'histoire...
33:45 C'est une histoire d'amour.
33:47 Donc, c'est toujours ça.
33:49 Et donc, c'est toujours exaltant
33:51 d'entendre les trois coups
33:53 et de dire "Est-ce qu'ils sont là, tiens?"
33:55 Combien sont-ils?
33:57 (Musique)
34:13 On retrouve une lettre abîmée par le temps
34:21 Le souvenir d'un être aimé à 17 ans
34:25 On revoit un visage, on écoute une voix
34:33 Qui ressemble au passage, à l'image d'autrefois