• il y a 6 mois
Professeur à Sciences Po, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique, Dominique Reynié publie "Les Européens abandonnés au populisme".
Regardez L'invité d'Yves Calvi avec Yves Calvi du 04 juin 2024

Category

🗞
News
Transcription
00:00 7h, 9h, RTL matin.
00:04 - RTL 8h22, bonjour Dominique Rénier. - Bonjour Yves Calvi.
00:07 - Vous êtes professeur à sciences pour le directeur général de la Fondation pour l'innovation politique
00:10 et à cinq jours des élections européennes, vous publiez une enquête intitulée
00:13 "Les Européens abandonnés au populisme".
00:16 Et si le politologue commençait par nous expliquer ce qu'on appelle vraiment le populisme.
00:20 Donnez-nous une définition simple, claire s'il vous plaît.
00:23 - Je dirais Yves Calvi qu'il y a dans notre société, comme dans toutes les sociétés ouvertes,
00:27 des colères, des craintes, des peurs, des mécontentements,
00:32 qui ne savent pas très bien comment s'exprimer politiquement.
00:35 Et qu'il y a de l'autre côté des entrepreneurs en populisme, au fond des chefs de parti,
00:40 qui organisent pour leur propre compte l'agrégation de ces mécontentements pour en faire une politique.
00:47 - Et donc il peut y avoir un populisme de droite comme de gauche ?
00:50 - Il y a un populisme de droite et de gauche, même si c'est le populisme de droite qui domine,
00:53 parce qu'il a pour lui cette fermeture nationaliste qui le rend plus efficace.
00:59 - Même le président de la République s'en réclame, un populisme du centre, un populisme light, ça existe ?
01:05 - Je pense que là on a plus affaire à une politique qui veut s'appuyer sur les émotions, la démagogie,
01:10 comme tout ce qui est dans le monde démocratique, c'est très souvent que l'on a affaire à la démagogie ou à l'émotion.
01:15 Ça n'est pas en réalité exactement du populisme.
01:19 - Alors expliquez-nous le sens de cette enquête que vous avez menée,
01:23 et finalement ce qui vous a le plus surpris.
01:24 - On a interrogé 24 000 Européens dans les 27 pays, plus le Royaume-Uni,
01:28 donc c'est une énorme enquête, et ce qui est frappant c'est le malentendu.
01:32 C'est le fait qu'on confond les électeurs qui votent pour les partis populistes
01:39 avec leurs dirigeants, les dirigeants de ces partis.
01:43 Ils ne disent pas du tout la même chose.
01:45 Moi j'ai été frappé par des réalités très simples.
01:49 D'un côté on voit partout en Europe des partis populistes qui progressent électoralement,
01:53 en France comme ailleurs.
01:55 Et de l'autre côté, quand on fait une enquête, celle que j'ai menée,
01:58 on voit que 87% des Européens ne veulent pas quitter l'Union Européenne,
02:03 que dans la zone euro, 92% des Européens ne veulent pas quitter l'euro,
02:08 et avec de tels chiffres, ça veut dire que là-dedans vous avez nécessairement des populistes.
02:11 - Et pourtant c'est Jordan Bardella qui domine toutes les enquêtes d'opinion en ce moment.
02:15 Comment expliquez-vous ce phénomène ?
02:16 - Eh bien, en réalité, les électeurs européens sont tous convaincus
02:22 que sans l'Europe, ils ne s'en sortiront pas.
02:25 Ils demandent non seulement à rester dans l'Europe,
02:28 mais que l'Europe se dote de ce que j'appelle moi une puissance publique supplémentaire
02:33 pour protéger les frontières, l'identité, la sécurité.
02:37 C'est pas la sortie qu'ils demandent, c'est au contraire le renforcement de l'Europe.
02:41 - Alors je cite ces chiffres quand même extraordinaires que vous publiez.
02:44 La quasi-totalité des électeurs que vous avez sondés approuvent l'Union européenne à 87%.
02:50 Ils sont seulement 13% à vouloir quitter l'Union européenne.
02:53 C'est devenu marginal.
02:54 - C'est marginal, même en France où le niveau est un peu plus élevé, c'est 18%.
02:59 C'est beaucoup moins que le vote Bardella, voyez ?
03:01 Donc il est clair que, et ça d'ailleurs les dirigeants du RN le savent,
03:06 la plupart des électeurs du RN ne veulent pas quitter l'euro, ne veulent pas quitter l'Europe.
03:09 - Mais alors en fait, vous expliquez que les électeurs du RN veulent en fait plus d'Europe.
03:13 - Plus d'Europe.
03:13 - Mais c'est un paradoxe incroyable.
03:15 - En fait, je pense qu'il faut regarder de près parce que c'est beaucoup plus clair qu'il n'y paraît quand on regarde de près.
03:20 Ils veulent ce qu'ils n'ont plus chez eux, c'est-à-dire les Européens ont tous conscience
03:25 que dans le monde d'aujourd'hui, avec les grandes puissances dangereuses,
03:28 avec les grandes compagnies américaines de communication, les réseaux sociaux, etc.,
03:33 avec les grands défis qui sont présents devant nous, les États-nations,
03:37 même la France, ne font pas le point en fait face à ces grands défis.
03:42 Et il faut donc dimensionner différemment la puissance publique
03:46 pour qu'elle soit à la hauteur de ces défis et de ce monde.
03:49 Et ça pour eux, c'est l'État-nation plus une puissance publique européenne.
03:53 - Alors tout aussi passionnant, le sujet qui pèse le plus dans les intentions de vote des Européens que vous avez sondés,
03:58 c'est l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
03:59 - Oui.
04:00 - D'accord. Et là encore, un autre paradoxe bien français,
04:03 c'est le RN à Paris qui a été pro-Poutine, pro-Russe et d'ailleurs financé par la Russie,
04:07 qui est en tête dans les sondages chez nous.
04:09 66% des électeurs de ce parti craignent la Russie, la trouvent dangereuse.
04:16 Et là encore, c'est le signe que nous confondons le discours des dirigeants avec la pensée de ces électeurs.
04:23 C'est dommage au fond de ne pas plus souvent interroger dans le détail
04:27 ou pas plus systématiquement les électeurs de ces partis populistes
04:31 parce qu'ils sont très différents de leurs représentants et de leurs dirigeants.
04:34 Et nous le malentendu, c'est de prendre les dirigeants pour représentatifs de ce courant-là,
04:39 ce qui n'est pas du tout le cas.
04:40 - Notre démocratie, nos libertés, nos droits, de quelconque façon,
04:43 sont-ils menacés par ces partis populistes ?
04:46 - Eh bien là aussi, Yves Calvi, 84% - alors c'est presque tout le monde -
04:50 de ces électeurs défendent un modèle démocratique,
04:53 c'est-à-dire un parlement élu qui contrôle un gouvernement
04:57 contre un modèle autoritaire que l'on teste aussi, mais qui est marginal.
05:01 De la même façon que ces électeurs défendent tous l'identité européenne,
05:06 mais comme quoi ? C'est pas du tout ethnique ou je ne sais quoi.
05:09 C'est la défense des valeurs démocratiques européennes.
05:14 Donc c'est une définition politique à ouvert.
05:16 - Et partagée par tout le monde au-delà, on va dire, des structures politiques habituelles.
05:21 - Absolument. Et donc du coup, ça a une conséquence, par exemple, sur l'immigration,
05:25 qui est qu'on n'est pas contre l'immigration.
05:27 On est contre l'immigration sans intégration, ce qui n'est pas la même chose.
05:30 On n'est pas contre l'immigration, on est contre l'immigration qui est illégale,
05:34 ce qui n'est pas la même chose. C'est ça l'importance des frontières.
05:37 Pour ouvrir les portes et accueillir, il faut pouvoir fermer les portes, évidemment.
05:40 Et donc là, il y a une espèce de pensée profonde de nos compatriotes,
05:44 et à l'échelle européenne, c'est la même chose, qui n'est pas représentée.
05:48 - Notre démocratie, nos libertés, nos droits sont-ils, oui ou non,
05:51 menacés par ces partis populistes, selon vous ?
05:53 - Alors, il faut faire une distinction entre les électeurs et les partis.
05:57 Les électeurs de ces partis sont très attachés, comme les autres,
06:00 à la liberté d'opinion, de rassemblement, au choix électoral,
06:03 à la liberté de choisir, etc.
06:05 Mais il est possible que les représentants de ces partis, une fois au pouvoir,
06:10 se trouvent en difficulté, et plutôt que de céder la place,
06:13 se considèrent qu'au fond, c'est pas qu'ils ont échoué,
06:15 mais c'est qu'on les a empêchés de réussir.
06:16 - Est-ce qu'on peut dire que le populisme est tout simplement la nouvelle façon
06:18 de faire de la politique en 2024 ?
06:20 Et du coup, je vous dirais merci Donald Trump.
06:22 - C'est une... Non, je dirais que c'est une façon,
06:26 une fois de plus, de rendre difficile la compréhension
06:30 des aspirations du plus grand nombre.
06:32 Et ça, c'est quand même triste.
06:34 Et c'est pourquoi il faut travailler, je pense,
06:36 du point de vue politique comme du point de vue médiatique,
06:38 à représenter aussi fidèlement que possible
06:41 les angoisses et les aspirations de nos compatriotes.
06:43 - C'est ce que vous avez fait dans cette enquête.
06:44 Merci beaucoup Dominique Régnier, directeur général.

Recommandations