• il y a 6 mois
Transcription
00:00 - Bonjour à toutes et bonjour à tous.
00:04 C'est toujours une fête de vous retrouver chaque année au milieu
00:07 de nos marathons respectifs de présentations de rentrées
00:10 littéraires.
00:11 Vous êtes venues très nombreuses et très nombreuses.
00:14 Donc merci beaucoup pour ça.
00:15 Merci beaucoup aussi à Interforum d'organiser cette journée
00:18 impeccablement, comme d'habitude, avec Dominique qui veille sur nous
00:22 du premier rang.
00:23 La rentrée du Bruit du monde cette année, comme chaque année,
00:27 va composer de deux titres, un roman français, "L'œil de la
00:31 perderie", qui marque les retrouvailles avec Christian Astolfi,
00:34 ici présent, et un roman étranger, un premier roman étranger,
00:39 traduit de l'américain, même si l'auteur est iranien,
00:41 "Les larmes rouges sur la façade" de David Sinaki, dont Marie-Pierre,
00:46 grâce à Dieu, vous parlera tout à l'heure.
00:48 Il y a deux ans, quand nos premiers livres sont arrivés sur vos tables,
00:52 un peu plus de deux ans, parmi eux, il y avait un livre qui s'appelait
00:55 d'ailleurs "De notre monde emporté", et on était assez loin d'imaginer,
01:00 tous les trois, le succès qui nous attendait avec ce livre-là.
01:02 C'est un peu cliché de dire ça, mais c'est vraiment ce qu'on appelle
01:06 un succès de libraire, parce que c'est vous qui l'avez porté,
01:08 ce livre, et qui le portez encore, d'ailleurs.
01:11 C'est aussi le livre qui a eu le premier prix de l'Histoire de la
01:14 maison, le prix France Bleue, page des libraires, et puis qui a eu,
01:16 au fil de ces deux années, pas mal de prix de libraire.
01:18 Donc, on est très content de retrouver Christian avec "L'œil de la
01:22 perderie".
01:23 Et justement, de quoi s'agit-il ?
01:25 Je dirais que ce qui va vous frapper, quand vous allez en lire les
01:29 premières pages, c'est que très vite, on retrouve le style et la patte
01:32 de Christian, pudique, sensible, sincère, et un style qui lui permet
01:37 de recréer un monde en quelques pages.
01:38 En l'occurrence, une ville française des années 50, Toulon,
01:42 mais ça pourrait être une autre ville.
01:44 C'est évidemment, encore une fois, un roman social, un roman sur les
01:48 gens de peu, toujours très dignes.
01:50 Et c'est l'histoire d'une rencontre, d'une rencontre entre deux femmes
01:53 qui ne sont pas censées se rencontrer.
01:55 Ni l'une ni l'autre ne sont toulonnaises.
01:57 L'une vient de Corse, Rose, elle est née en Corse, elle était
02:00 femme de berger, puis son mari, un jour, a décidé d'aller tenter sa
02:02 chance sur le continent.
02:03 Et l'autre, c'est Farida, qui est née en Algérie, Algérie française,
02:07 on est en 1957, et qui, elle aussi, a suivi le même chemin vers Toulon.
02:12 Et cette rencontre va être absolument bouleversante et déterminante
02:15 dans la vie de chacune de ces personnages.
02:18 Elles vont mutuellement se donner confiance, elles vont, en quelque
02:21 sorte, prendre la mesure du monde qui les entoure, avec la guerre
02:24 d'Algérie qui gronde de l'autre côté de la Méditerranée.
02:26 Et elles ont un point commun, c'est qu'elles ne savent ni lire
02:30 ni écrire.
02:31 Et quand Farida va comprendre que Rose non plus ne sait ni lire
02:34 ni écrire, elle va lui proposer quelque chose.
02:36 Je ne vous dis pas quoi, parce que c'est vraiment le point de bascule
02:40 de ce livre.
02:41 Et finalement, cette histoire de soumission, soumission à leur mari,
02:46 soumission à ce monde-là méditerranéen des années 50,
02:49 soumission à leurs conditions de femmes, à partir de là,
02:51 va se transformer en une histoire d'émancipation.
02:54 Je ne vous en dis pas plus, mais Christian va vous en dire un peu
02:57 plus.
02:58 Christian, on imagine, après l'aventure de "Notre monde emporté",
03:02 que ça n'a été pas si simple de se remettre à l'écriture.
03:05 Quel est le point de départ de "L'œil de la perdrie" ?
03:06 - Bonjour à tous d'abord.
03:08 Ravi d'être parmi vous et de vous présenter ce livre.
03:12 Pas facile de s'y remettre, oui, c'est toujours compliqué pour un
03:16 auteur de s'y remettre.
03:17 Mais bon, je ne vais pas m'éteindre là-dessus.
03:20 Donc, le point de départ, c'est une figure et un souvenir.
03:26 Alors, la figure, c'est une figure que j'ai empruntée à quelqu'un
03:31 qui m'a beaucoup aimé pendant mon enfance et à laquelle je n'ai
03:36 pas assez rendu, qui était la figure de ma grand-mère maternelle,
03:39 dont j'ai emprunté quelques pampes de sa vie.
03:43 Et puis, j'ai décidé, pour le personnage de Rose, d'en lui donner
03:50 une autre vie que la sienne, en fait.
03:51 J'ai décidé, grâce à la fiction, de composer un personnage totalement
03:59 créé, je dirais.
04:01 Et puis, le souvenir, le souvenir, c'est que je suis natif de Toulon.
04:05 Et dans les années 1960, dans le quartier où j'habite, près du port,
04:12 le quartier de la Robbe, il y a un grand bidonville qui est installé,
04:17 qui est un bidonville qui accueille des familles immigrées,
04:19 en particulier du Maghreb et d'Algérie française, parce qu'au tout
04:26 début que je le découvre, on est encore en Algérie française.
04:30 Et ce bidonville, pour nous, en France, on nous expliquait qu'il fallait
04:37 s'y tenir à distance parce qu'il y avait des gens qui ne vivaient
04:40 pas comme nous.
04:41 Et donc, il y avait une certaine crainte autour.
04:44 Et ce souvenir m'est revenu à l'occasion, il y a quelques années,
04:49 je suis allé au rencontre de la photographie d'Arles, où je vais en
04:55 général chaque année.
04:56 Et il y avait un photo-reportage sur les bidonvilles dans le monde,
05:00 en particulier des bidonvilles de Rome, y compris en France.
05:03 Et donc, le souvenir est remonté.
05:05 Et je me suis dit, je vais en faire quelque chose.
05:08 J'écrivais "De notre monde emporté", à l'époque.
05:11 Et puis, ça a mûri.
05:13 Ça, plus la figure de ma grand-mère, tout ça s'est croisé et a donné
05:20 le démarrage de "L'œil de la perderie".
05:22 - Et on le disait, je le disais tout à l'heure, c'est encore un roman
05:26 profondément social.
05:27 Et là encore, qu'est-ce qui t'a poussé à y retourner ?
05:30 Parce que c'était déjà le cas dans le précédent, puis dans ceux
05:32 d'avant aussi.
05:33 - Je pense que c'est les choses qui m'animent, qui me fondent,
05:37 qui me créent et qui sont que je suis d'abord un être social qui pense
05:42 à parler des gens...
05:46 Alors, tu as parlé des gens de peu.
05:48 Les gens de peu, c'est un terme qu'avait prononcé un philosophe,
05:55 mais qui renvoie pour moi à une histoire populaire.
05:59 Des gens qui font des choses, qui les nourrissent, qui sont fiers
06:04 de ce qu'ils font, des choses très simples, parfois.
06:07 Et j'avais envie de remettre en scène des gens comme ça parce que ce
06:12 sont aussi les gens qui ont existé autour de moi, dans ma famille.
06:15 C'était le plus important.
06:17 Et qui renvoient de la solidarité, de la fierté, comme j'ai dit,
06:23 et qui renvoient aussi à de la rencontre.
06:26 Pour moi, la rencontre, c'est fondamental.
06:29 Et c'est ce que je mets en scène là-dedans, la rencontre entre
06:33 Rose et Farida, d'autres aussi.
06:35 Il n'y a pas que celle entre Rose et Farida, mais elle est au coeur
06:37 du roman.
06:38 Une rencontre qui crée un basculement, qui crée quelque chose
06:44 qui fait que le personnage principal, puisque la narration est portée
06:48 par Rose, sa vie va en être bouleversée et changée.
06:52 Et ce qui m'anime dans la vie, je le retranscris dans mes romans,
06:57 tout simplement.
06:58 - Alors justement, il y a Rose, il y a Farida, et là, tu évoquais
07:01 d'autres personnages qui les accompagnent tout au long du roman.
07:04 Est-ce que tu nous en dirais un mot ?
07:05 - Oui, il y a d'autres personnages autour parce que je disais,
07:09 bon, tu as dit, c'est un roman d'émancipation.
07:11 Effectivement, c'est une trajectoire, un chemin pour Rose.
07:15 Elle est née en Corse, orpheline, tu l'as annoncé.
07:22 Et donc, au départ, elle est dans un... avec une pression sociale,
07:29 un déterminisme social, je dirais, dont on ne sort pas en général.
07:34 Et au fil des rencontres et au fil du chemin, elle va faire...
07:40 elle va casser ce... elle va faire exploser ceci.
07:44 Et donc, d'autres personnages vont venir ensuite être ceux qui vont
07:50 les nourrir.
07:51 Il y a deux hommes en particulier, puisque à la fin des années 50,
07:55 ce qui va percuter leur amitié, c'est la guerre d'Algérie.
07:59 La guerre d'Algérie avec certains événements que je vais prendre,
08:03 que je vais mettre en exergue et qui vont avoir une incidence directe
08:07 sur leur amitié.
08:09 Et donc, les autres personnages sont ceux qui sont engagés dans la
08:15 guerre d'Algérie, mais engagés pour l'indépendance.
08:19 Et là, j'ai choisi deux ou trois choses qui permettent de révéler
08:29 comment ces personnages accompagnent aussi Rose sur le chemin de
08:35 l'émancipation.
08:36 Là, je dirais plus intellectuel.
08:37 - Alors, juste une dernière question rapidement, mais tu parles de la
08:41 guerre d'Algérie.
08:42 On traverse une grande partie quand même du 20e siècle entre la
08:45 naissance de ces personnages et tout ce qu'elles traversent, en à peine
08:49 200 pages.
08:50 Comment tu as organisé tout ça dans le livre, tous ces événements
08:55 historiques que l'on traverse ?
08:56 - Alors, en fait, effectivement, il y a la Première Guerre mondiale,
09:01 il y a la seconde.
09:04 Pour Rose, elle est percutée aussi par la Seconde Guerre mondiale d'une
09:09 façon importante.
09:10 Et puis, il y a la guerre d'Algérie.
09:11 Moi, je choisis finalement des micro-événements à hauteur du
09:17 personnage, à hauteur d'hommes ou de femmes, qui témoignent du grand
09:23 événement qu'est chaque fois la guerre.
09:26 Et qui soit leur changent, leur modifient leur représentation,
09:31 soit leur modifient la vie, soit ils en seront témoins et de toute
09:37 façon, ils n'en sortent pas intacts.
09:38 Je choisis comme ça des petits événements qui renvoient au plus grand.
09:44 - Et ça marche.
09:46 Merci beaucoup.
09:46 - Merci.
09:47 - Merci.
09:48 - Merci.
09:49 - Bonjour à tous.
09:57 Eh bien, je suis ravie de vous retrouver également.
10:00 Et même si j'aurais aimé vous présenter ce jeune auteur d'origine
10:05 iranienne et devenu anglophone par la force des choses, c'est aussi
10:10 terriblement excitant de vous dire quelques mots sur "Les larmes rouges
10:14 sur la façade", qui est donc le premier roman de Navid Sinaki.
10:18 Qui naît à la fin des années 80 à Téhéran.
10:21 Très vite, la famille va devoir fuir à la Californie.
10:26 C'est là que Navid se formera.
10:29 Il est aujourd'hui un jeune réalisateur assez reconnu, poète aussi.
10:33 Et pendant de nombreux étés de son adolescence et de sa jeunesse,
10:39 il est retourné à Téhéran se nourrir d'un pays qu'il habite bien
10:42 évidemment.
10:43 Mais depuis quelques années, il a commencé à composer une oeuvre
10:47 pour se nourrir et personne qui, bien évidemment, n'est pas accueilli
10:52 avec beaucoup de... pas très chaleureusement en fait à Téhéran.
10:57 Et ces quelques dernières années, il a commencé à composer ce roman
11:05 qui est une histoire d'amour.
11:06 Une histoire d'amour absolu, mais clandestin.
11:10 Puisque ces deux hommes, Anji et Rezal, qui s'aiment depuis l'enfance,
11:13 à vrai dire, bien évidemment, vivent dans un monde dans lequel
11:16 tout cela n'est pas permis.
11:18 C'est Anji qui nous raconte leur histoire.
11:20 Anji, il est celui des deux qui finalement n'a aucun mal à s'admettre
11:26 qu'il aime les hommes.
11:27 À la différence de Rezal qui, lui, épousera une femme quand ils ont
11:31 une vingtaine d'années.
11:32 Et quand le roman commence, Anji apprend que son amant a été
11:36 battu presque à mort dans les rues de Téhéran parce qu'il a été pris
11:40 en flagrant délit d'adultère avec un très jeune garçon.
11:43 Et pour autant, Anji va se rendre à son chevet.
11:46 Et on est d'emblée projeté dans cette histoire.
11:48 On comprend que ces deux hommes projetaient aussi accessoirement
11:50 d'assassiner l'épouse de Rezal.
11:52 Mais quand Anji se présente du coup au chevet de son amant, très vite,
11:58 celui-ci va disparaître et lui échapper.
12:00 Et donc, Anji continue à le rechercher à la fois dans les rues de Téhéran
12:04 jusqu'à Ispahan, une ville qui a abrité leurs amours.
12:07 Et progressivement, on avance avec lui dans une forme d'enquête.
12:11 En même temps, ce narrateur qui a une voix très magnétique, poétique,
12:16 lancinante, on se rend compte qu'on ne sait pas trop jusqu'à quel point
12:21 on peut d'ailleurs lui faire entièrement confiance.
12:23 C'est un véritable roman noir porté par une voix irrésistible.
12:29 C'est un personnage aussi qui est obsédé par la mythologie grecque
12:35 puisque dans l'enfance, sa mère lui a offert un livre de mythologie
12:39 grecque et c'était une famille très pauvre.
12:44 Donc, elle avait subtilisé ce livre à la bibliothèque,
12:45 il était sur le point d'être jeté.
12:46 Et à force de lire ce livre, Anji est obsédé par le personnage
12:50 de Tiresias, qui aimerait être ce dieu qui se transforme en femme
12:56 en affrontant les serpents.
12:57 Parce que vous comprendrez aussi dès le début du livre qu'il y a
13:00 une question que se pose Anji, finalement dans ce pays, l'Iran,
13:04 aujourd'hui, peut-être il est plus simple pour un homme de devenir
13:07 une femme que d'aimer un homme au grand jour.
13:09 Et donc, Anji se pose la question de savoir s'il va subir
13:14 une transition.
13:15 Et en même temps, tout ça, une sorte de questionnement qui chemine
13:19 avec lui.
13:20 On rencontre de nombreux personnages aussi sur la route.
13:23 C'est tout un monde que Navid Sinaki nous présente là.
13:26 Le temps d'une intrigue qui, jusqu'au bout, nous secoue,
13:33 nous surprend.
13:35 Et je pense que c'est l'arrivée d'une nouvelle voie qui va compter.
13:38 Magnifiquement traduit par Sarah Gerstle Vermand, traductrice de
13:44 Louis Ardrich, Edithian Matar.
13:46 Merci en tout cas pour l'attention que vous lui accorderez.
13:50 - Merci à tous.
13:51 - Applaudissements.

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