Luc Ferry, philosophe et ancien ministre de l’Éducation nationale, présente son ouvrage «La frénésie du bonheur» sur le plateau du Grand Rendez-vous et explique le message qu’il a voulu transmettre : «Si on n’a pas de cause extérieure à soi, on est malheureux».
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00:00 Le thème de mon livre, moi je cite beaucoup Sir Emmanuel,
00:02 qui était ma meilleure amie dans cette génération,
00:04 évidemment, que j'aimais vraiment, et que c'était réciproque.
00:08 Et donc, Sir Emmanuel avait écrit un livre qui s'appelait
00:10 « Le paradis, c'est les autres ».
00:12 Je pense que si vous ne vous intéressez qu'à votre nombril,
00:14 le paradoxe, c'est que cette quête du bonheur
00:16 nombriliste et narcissique, que vous citiez,
00:18 ça rend malheureux, évidemment.
00:20 En fait, dès que vous n'avez pas une grande cause supérieure à vous,
00:23 que ce soit une cause humaine, les autres,
00:25 comme par exemple un humanitaire, un kouchner,
00:28 si vous n'avez pas une grande cause extérieure à vous,
00:31 si vous n'avez que votre nombril et on vous dit en 15 leçons
00:34 « vous êtes heureux parce qu'il ne faut s'occuper que de vous-même
00:37 et que de votre nombril »,
00:38 la vérité, c'est que ça se renverse en son contraire.
00:40 C'est une dialectique au sens hégélien.
00:42 On devient malheureux quand on n'a que soi à s'occuper,
00:45 si je puis dire. Pardon, ce n'est pas du beau français.
00:47 Mais donc, je pense que...
00:48 Et d'ailleurs, je cite des enquêtes d'opinion
00:50 qui montrent que la quête frénétique du bonheur
00:53 rend systématiquement les gens malheureux.
00:55 Et les sociétés médiocres ?
00:58 - Allez-y, expliquez-moi.
01:00 - Non, non, ça rend malheureux, mais par ailleurs,
01:02 une société qui est centrée sur l'individu, auto-centrée,
01:05 ça fabrique une société médiocre, finalement ?
01:07 - Oui, bien sûr.
01:08 Et donc, c'est pour ça qu'on a besoin aujourd'hui de grandes causes.
01:10 Et moi, tout le thème de mon livre, c'est à la fin du livre,
01:14 c'est de dire voilà, en 68, quand j'étais gamin,
01:17 qu'est-ce qu'il y avait comme grande cause politique ?
01:19 Revenons à ça.
01:20 À droite, c'était la nation, à gauche, c'était la révolution.
01:23 Tous mes amis étaient révolutionnaires.
01:25 André Comte-Sponville était communiste.
01:27 Mes meilleurs amis, Finkielkraut, Bruckner,
01:29 tous ces gens-là étaient 68 ans révolutionnaires.
01:31 Et à droite, c'était la nation, la nation, la nation.
01:34 Le journal des Gaullistes s'appelait La Nation,
01:36 était dirigé par Pierre Charpy, si vous vous souvenez,
01:38 qui était un type très bien d'ailleurs.
01:39 Aujourd'hui, moi, ce que je dis,
01:41 c'est qu'on a vécu la révolution de l'amour,
01:43 c'est-à-dire l'invention de la famille moderne,
01:45 l'invention du mariage d'amour.
01:46 Et je pense que la grande cause politique,
01:48 elle n'est pas personnelle,
01:50 c'est quel monde, nous, les adultes,
01:52 nous allons prendre la responsabilité
01:54 de laisser à nos enfants.
01:55 Nos enfants, ce n'est pas les miens,
01:56 c'est l'humanité qui vient.
01:57 C'est la question de la dette,
01:58 est-ce qu'on va leur laisser une arme ?
01:59 C'est la question de la guerre avec l'islamisme,
02:01 c'est la question de la mondialisation,
02:03 c'est la question de la protection sociale,
02:05 c'est la question de l'écologie, c'est la question de l'école.
02:07 Toutes les grandes questions,
02:08 pour moi, elles se posent par rapport à mes filles,
02:10 mais mes filles, ce n'est pas juste mes filles,
02:11 je ne suis pas cinglé,
02:12 même si, évidemment, je les aime mieux que les vôtres,
02:14 mais ce sont les miennes.
02:16 - C'est patique, c'est des gaffes.
02:17 - C'est pareil.
02:18 Il y a des différences que je connais aussi,
02:20 mais c'est nos enfants, c'est l'humanité qui vient.
02:24 C'est le seul point sur lequel les écologistes ont touché,
02:27 juste en vérité, les générations futures.
02:30 - Vous dites qu'il ne faut pas parler de déconstruction,
02:33 mais de reconstruction.
02:34 - Bien sûr, bien sûr.
02:35 Mais si je n'avais pas une grande cause dans la tête,
02:38 si je n'avais pas quelque chose de supérieur à moi,
02:40 bien évidemment qu'on est tous narcissiques,
02:42 évidemment qu'on est des animaux,
02:44 donc on pense d'abord à sa survie,
02:46 à persévérer dans son être, comme dit Spinoza.
02:48 Mais si on n'a pas quelque chose de supérieur à soi
02:50 comme cause dans la vie, on est malheureux,
02:53 on est mort, on ne vaut rien.
02:54 - Merci beaucoup Luc Ferry d'avoir été
02:56 au Grand Rendez-vous Europe 1C News,
02:58 la frénésie du bonheur, chez l'Observatoire.
03:01 Très bonne journée sur nos deux antennes.
03:03 - Un grand merci.
03:05 Sous-titrage Société Radio-Canada
03:07 [Musique]