L’ancien ministre Philippe de Villiers était l’invité de Face à De Villiers, ce vendredi 24 mai, sur CNEWS. Il s’est exprimé sur la place de l’Occident par rapport aux conflits dans le monde : «Nous avons changé de monde, avec une idée de revanche de la part des pays du sud sur ceux du nord».
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00:00Nous avons changé de monde, et les gens ne le comprennent pas.
00:06Et je vais vous expliquer en quoi nous avons changé de monde.
00:09En fait, j'ai vécu le 9 novembre 1989, je l'ai déjà dit mais je le répète, la chute du mur de Berlin.
00:18Et là j'ai vu les élites dirigeantes de tout l'Occident,
00:23qui ont pensé qu'elles allaient pouvoir toucher ce que Laurent Fabius, l'impayable Laurent Fabius, allait appeler les dividendes de la paix.
00:38C'est-à-dire que nos élites dirigeantes se sont mises à lire et à relire Fukuyama, l'historien, qui disait
00:46L'histoire est finie, c'est la paix perpétuelle par le doux commerce.
00:51Les chaînes de valeurs globales vont rendre les relations entre les nations inextricables et donc éloigner la guerre.
01:02Et, selon un mot heureux de Hubert Védrine, l'accélération des échanges de la mondialisation va éliminer les identités récalcitrantes,
01:17en faisant sauter les frontières, comme de vulgaires calculs rénaux.
01:23Et ça s'est passé comme ça, du moins on l'a cru.
01:28Et puis, patatras, depuis quelques années, depuis quelques mois, tout a basculé.
01:37Parce qu'il y a eu des phénomènes nouveaux qui sont intervenus.
01:42Le premier phénomène nouveau qui est intervenu, c'est le retour des états-puissances, le retour des logiques de puissance.
01:50Ce que Kissinger, à la fin de sa vie, a appelé un monde néo-westphalien.
01:59C'est-à-dire que les Turcs rêvent de l'Empire ottoman, les Iraniens rêvent de l'Empire perse, et les Russes rêvent de l'accès aux mers chaudes.
02:14Ça c'est le premier phénomène, les états-puissances, logiques de puissance.
02:20Deuxième phénomène, le collapsus démographique, le déséquilibre démographique entre le Nord et le Sud.
02:27Le Nord qui se stérilise sous l'effet de l'hédonisme et du nihilisme d'État, qui va vers sa mort, ça c'est l'Occident.
02:39Et le Sud qui se déverse dans le Nord avec une pensée décoloniale, c'est-à-dire l'idée de la revanche.
02:48En fait, ce qui se passe sur le plan démographique, c'est la revanche du traité de Tordesillas de 1494, deux ans après la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb.
03:00Tordesillas, le monde avait été partagé en deux, les Portugais et les Espagnols, à partir d'Améridiens.
03:08Là, on vit la revanche, la poussée décoloniale et recoloniale, si l'on peut dire.
03:15Et le troisième phénomène, qui est tout aussi important, c'est l'effondrement du système institutionnel.
03:22L'ONU, l'OMC, la CPI, ce sont des institutions qui n'ont plus de dimension prescriptive.
03:31On ne les écoute plus, on n'obéit plus à ces institutions.
03:37Et la tectonique des plaques se déplace au profit du Sud global, d'un phénomène essentiel à observer, les BRICS.
03:48Qu'est-ce que c'est les BRICS ? C'est l'idée d'un nouvel ordre mondial post-occidental qui unit les pays du Sud avec l'idée d'un nouvel ordre mondial post-occidental.
04:05C'était, là encore, l'idée de la revanche.
04:09Et qu'est-ce que ça donne ? Ça donne trois pièges qui s'ouvrent et qu'on appelle, dans la polémologie, les spécialistes de la guerre, les pièges de Thucydide.
04:22Souvent, on parle d'un piège de Thucydide, mais il y en a trois en réalité.
04:27Et je réponds au cœur de votre question.
04:30Thucydide, c'est l'historien qui avait observé la guerre du Péloponnèse et qui avait dit ceci, il y a un chasse-écroisé entre puissances.
04:40Et quand il y a un chasse-écroisé entre une puissance dominante, mais déclinante, et une puissance montante et agressive, les deux ont envie de se faire la guerre.
04:52C'est ce qui s'est passé avec Sparte, les Lacedaemoniens, et Athènes.
04:57Et si on applique cette loi, elle colle parfaitement avec ce qui se passe aujourd'hui.
05:02C'est pour ça qu'on est dans un monde très dangereux.